Shogo Hayazaka - "Vole pour moi, Shogo!"

14 février 2108

“Attends, je demande... S’essuyant les mains sur un vieux torchon à carreaux avant de poser sa paume sur le micro de son portable, le jeune homme quitta la cuisine dans laquelle il était en train de préparer le repas pour rejoindre le salon où tout le monde était posé devant la télévision diffusant en boucle les informations relatives aux manifestations qui avaient secoué Tokyo ce jour-là. Le dernier bulletin annonçait des explosions... Des morts, même... Depuis l'encadrement de la porte, Shogo capta les derniers mots de la journaliste avant de secouer la tête sans chercher à faire de commentaire et d’informer - plus qu’il ne le leur demanda – les présents. Maman va nous rejoindre.  
-Il y aura assez à manger ? La règle de la maison était qu’il pouvait inviter qui il le souhaitait, mais qu’il se retrouvait responsable des courses et de la cuisine en contrepartie. Cela ne le dérangeait pas vraiment... Le regard ardoise de l’adolescent lâcha l’écran pour venir trouver les yeux de sa belle-mère, il hocha la tête.  
-Ouai. J’ai toujours pas l’œil pour les doses, donc on a de quoi nourrir la moitié de la ville... La femme lui adressa un sourire amusé avant que le patriarche ne prenne la parole en s’adressant à la jeune fille allongée de presque tout son long dans le canapé.
-Tu pourras partager la chambre de Shogo, Haru? Je ne pense pas que Shizuka envisage de retourner chez elle ce soir sachant ce qu’il se passe en ville... La demoiselle acquiesça, tandis que le cuisinier du jour reprenait...
-C’était l’idée, ouai... Elle le sent pas trop de rentrer dans le centre après les manifestations... Un demi sourire de connivence échangé avec Haru – c'était encore mieux que ce qu’ils avaient espéré - puis il reprit la direction de la cuisine pour répondre à sa génitrice. C’est ok ! Tu pourras prendre la chambre d’amis ! ... Dans une demi-heure, c’est noté... A tout de suite !”

Tout en s’affairant aux fourneaux, évitant le chat qui se frottait contre ses jambes et s’assurant que rien ne brûlait, il diluait un peu la sauce qu’il avait préparée plus tôt car sa mère ne raffolait plus du “trop épicé” depuis son long séjour en France et écoutait d’une oreille plus ou moins attentive les échanges entre ses parents et son amie qu’entrecoupaient quelques tirades de la Nippon Hōsō Kyōkai lorsqu’ils remontaient le son pour capter de nouvelles bribes d’informations. Ici, personne ne soutenait réellement l’Incontestable mais personne ne s’y opposait ouvertement non plus. Les Hayasaka formaient, depuis huit ans, un couple serein sans pourtant être parvenu à se lier d’amour. Bien des années plus tôt, lors d’un déplacement professionnel de son père à Paris, la mère de Shogo avait été une douce histoire de quelques mois qui s’était interrompue sans fanfare ni violon malgré la présence de l’enfant qui les liait encore et qu’ils élevaient en bonne intelligence ainsi qu’avec l’aide de celle que le système avait finalement donnée à Yuzuru. L’ambiance dans le foyer était calme et heureuse, la plupart du temps...  

Les informations se terminaient enfin, avec vingt bonnes minutes de retard sur l’horaire prévu, lorsque la porte de l’appartement s’ouvrit pour laisser entrer Shizuka. Cette dernière connaissait le code par cœur, ne se souciait depuis longtemps plus de sonner. Elle se débarrassa de son manteau et de ses chaussures avant d’aller embrasser son fils qui lui confia son assiette ainsi que celle de sa belle-mère car tous avaient prévu de manger devant l’émission préférée de cette dernière qui n’allait pas tarder à commencer. Le couple d’aînés de leva pour saluer la métisse puis la nouvelle venue se pencha sur Haru pour poser un baiser sur son front avant de s’assoir à l’autre bout du canapé. Ils discutaient encore des derniers évènements lorsque Shogo ramena l’assiette de son père et celle de son amie... Discutaient toujours, tandis que le générique de “Nihon no Miryoku ha Daijōbu” débutait et que l’adolescent revenait vers le salon une dernière fois chargé de sa propre assiette et d’une bouteille d’eau qu’il posa sur la table avant de soulever les jambes d’Haru, installée en travers du canapé, qu’il reposa sur ses cuisses afin de s’en servir de table. Tout le monde était installé...

Une bonne heure passa, entrecoupée de spots de publicités, jusqu’à ce que la main de la jeune femme vienne trouver celle de son ami pour la serrer aussi fort qu’elle le pouvait. Shogo lui abandonna ses doigts, lui adressant un vague sourire encourageant...  
“Et maintenant, dans “Nippon's Got Talent”! Le visage du présentateur s’effaça pour être remplacé par celui d’une demoiselle souriante aux longs cheveux couleur châtaigne. Ses grands yeux laissaient supposer qu’elle n'était pas purement Japonaise, mais il ne faisait aucun doute qu’elle avait du sang asiatique dans les veines... Bonsoir à tous ! Je m’appelle Haru et voici mon ami Shogo! L’écran dévoila le visage du jeune homme arborant un sourire presque provocateur. Ses cheveux corbeaux, retenus en un demi-chignon branlant, retombaient en mèches lourdes autour de son visage presque androgyne et voilaient ses iris d'un bleu gris sombre. Il s’inclina légèrement à son tour avant que des images des deux jeunes gens ne commencent à défiler sur fond musical... Le silence s’était fait dans la pièce que percèrent bien vite les voix enthousiastes des adultes...
-Vous l’avez fait ! Vous vous êtes inscrits ! Ooooh! C’est pour ça que vous vouliez qu’on mange tous ensemble ? Ooooh! Vous avez été retenus, dites-moi tout !” Bien qu’ayant eux-mêmes des tas de questions et étant tout aussi surpris, Shizuka et Yuzuru la firent taire aussi rapidement que possible. Le portrait de présentation se poursuivait et la voix d’Haru reprenait...

“J’ai grandi en France et ne vis au Japon que depuis quelques années. Ma grand-mère, Japonaise, a été adoptée en Europe au moment de la mise en place de l’Incontestable. N’ayant pas encore quitté l’orphelinat au moment de la distribution des puces, elle a reçu la sienne et donc moi aussi à ma naissance même si elle et mon père n’ont jamais eu la chance d’être unis par le système et qu’ils habitent encore en France avec ma mère... Ce petit aparté car il fallait bien expliquer pourquoi elle se présentait à “ce” concours et car il était réclamé aux candidats d’évoquer l’Incontestable avec le sourire lors de leur passage. J’ai eu une enfance normale et heureuse, même si je devais prendre des cours de Japonais en plus des autres leçons. J’espère que je parle correctement ?
-Tu parles parfaitement bien, Haru... Ce n’était visiblement pas la première fois qu’il la rassurait sur ce point étant donné son ton. La caméra se braqua sur lui, mais ce fut la demoiselle qui poursuivit car son partenaire n’aimait pas particulièrement s’exprimer devant son objectif.  
-Le père de Shogo est le célèbre gymnaste japonais Hayazaka Yuzuru! Et sa mère était ballerine à l’Opéra National de Paris avant de devenir professeure ! C’est elle qui a aidé Shogo à chorégraphier nos numéros ! Dans les faits, la grossesse de Shizuka avait eu raison des aspirations de cette dernière qui avait rêvé de devenir Etoile. Cependant, quelques images des parents du jeune homme dans leurs années de gloire défilèrent à leur tour...
-Ce n’était vraiment pas nécessaire... Le ballet est très loin derrière moi...
-Chuuuut!”

L’image repassa en mode interview, semblant être filmée à l’instant même dans les coulisses de l’émission bien qu’elle ne passait bien évidemment pas en direct. Le présentateur demanda d’un ton cherchant les confidences...
“Est-ce que l’Incontestable vous a déjà marié l’un à l’autre ? Ou bien attendez-vous ce moment avec impatience ? Un éclat de rire des deux jeunes gens lui répondit un instant avant qu’Haru ne reprenne.
- Nous ferons ce que le système jugera bon pour nous, et je suis certaine que je serais heureuse avec Shogo, mais... Non... Nous sommes amis d’enfance, presque frère et sœur ! L’image repassa sur des photos de classe du duo... Puis de leurs premiers pas à l’école de cirque où ils s’étaient inscrits peu après une journée de découverte organisée par leur établissement de primaire... Haru expliqua y avoir trainé Shogo car elle ne faisait confiance à personne d’autre qu’à lui pour les acrobaties. Elle gardait un sourire radieux, mais son compagnon s’assombrissait peu à peu... Finalement, la question tomba... Qu’allaient-ils présenter?
-Nous allons vous proposer un numéro de tissu aérien...”

...

L’obscurité était tombée sur la salle... Le silence... Puis une lumière presque lunaire sur un corps féminin abandonné, allongé au milieu de la scène sous ce qui semblait être un linceul d’une blancheur fantomatique. Les premières notes de musique s’élevèrent que certains reconnurent peut-être comme étant l’introduction du “Piano Duet” d’un ancien film d’animation nommé “Corpse Bride”. Le voile s’envola sans que la main de la jeune femme ne parvienne à s’en emparer et cette dernière ramena péniblement ses jambes contre elle en les serrant d’un bras semblant fragile... Quelques secondes de latence... Un souffle... Puis un homme fit son apparition dans l’espace encore nocturne, jouissant de son propre spot de lumière sous lequel il s’élança et dansa avant que son chemin ne croise celui de sa partenaire encore au sol. Une pause... Hésitation voulue... Le tissu redescendit dont il s’empara une seconde avant que ce dernier ne l’emporte à une vitesse presque étourdissante jusqu’au dôme de la salle, laissant craindre une chute qui ne vient pas et coupant le souffle de bien des spectateurs... Les mains se tendirent... Ne se rejoignirent hélas pas... Jusqu’à ce que l’agrès soit redescendu et son oiseau avec qui redressa et enlaça la demoiselle avant de l’enlever dans ses bras et dans les airs. Ils dansèrent là-haut... La légèreté des linceuls livrant bataille à l'élan irrésistible qui semblait toujours vouloir ramener la jeune femme à la terre malgré qu’elle parût plus légère qu’une plume entre les doigts de son compagnon... Était-elle morte et invitée au ciel par un ange semblant lui-même déchu ? Enterrée et rappelée à la vie par son ami qui s’obstinait à souffler son vent dans ses voiles, à lui offrir cette dernière valse... ? Car c’était bien la dernière danse et plus un seul œil n’était sec dans l’assemblée lorsque Haru fut reposée au sol et que Shogo s’envola pour une dernière pirouette avant de sembler chuter interminablement jusqu’à venir s’allonger contre elle et d’enrouler son corps autour du sien... Les dernières notes... Les dernières lueurs... Le linceul qui les recouvrait... L’obscurité...

Le silence dans la salle, puis un tonnerre d’applaudissements... Lumières rallumées, ils ne se levèrent pourtant pas immédiatement et semblaient reprendre leur souffle et échanger des paroles de réconfort, leurs doigts fermement entrelacés... Finalement, le présentateur s’avança avec un fauteuil roulant que Shogo refusa d’un geste. Il passa un bras sous les épaules de son amie, un autre sous ses genoux, et la hissa contre lui avec la force de l’habitude. Il était désormais évident que ses jambes ne répondaient plus à ses ordres ... Un micro fut apporté dont Haru s’empara, remerciant le public au travers de ses larmes. Lorsque le silence se fit de nouveau, un premier juge se décida à prendre la parole...

“C’était... C’était déjà magnifique avant d’avoir toutes les données, mais... La performance est d’autant plus incroyable maintenant que nous vous voyons ainsi... Est-ce que je peux me permettre de vous demander ce qu’il vous est arrivé ? Haru hocha la tête, essuya ses yeux sur la chemise de son partenaire qui ne s’en formalisa pas, et leur offrit un sourire aussi heureux que fatigué avant de prendre la parole.
-Dans la tradition circassienne occidentale, les artistes présentent souvent plusieurs numéros différents. Shogo et moi sommes voltigeurs... Il y a quelques années, nous avions alors à peine quinze ans, on nous a proposé de travailler un numéro de trapèze volant avec une troupe de juniors... Mon porteur m’a relâchée trop tard, et je suis tombée à côté du filet de protection... Un murmure sourd parcourut la salle, ils savaient déjà quelle serait la prochaine question...
-Est-ce que Shogo était votre porteur ?  
-Non... Ses bras s’étaient resserrés sur son amie, protecteur et surement encore amer... Haru balança la tête...
-Non... Shogo avait une partie similaire à la mienne, il devait s’élancer juste après... Mais il m’a vu tomber et... Et il s’était empressé de sauter directement dans le filet pour la rejoindre au plus vite... Avait fait appeler les secours... Lui avait tenu la main... Avait menacé de buter le fautif qui, peu de temps auparavant, avait mal encaissé que la jeune femme refuse ses avances et avait sans doute souhaité lui faire peur sans calculer tous les risques de son geste... Mais je suis encore en vie ! C’est tout ce qui compte ! Je suis venue au Japon car certains spécialistes m’offrent ici de meilleures chances de récupération et... Et Shogo m’a accompagnée... Et nous sommes devant vous ce soir pour démontrer que le handicap peut aussi avoir sa place au cirque ! Qu’il faut toujours continuer de se battre et d’espérer, de rêver !”

Les applaudissements avaient suivi mais, sur les cinq juges, un n’avait pas validé le numéro principalement pour des raisons d’inquiétudes quant aux chances de guérison définitives de la demoiselle. Il avait très ouvertement encouragé Shogo à poursuivre l’aventure sans elle, mais le jeune homme avait refusé et quitté la scène avec son amie toujours dans ses bras. De fait, ils ne savaient toujours pas s’ils allaient poursuivre le programme ou non... Cela dépendrait des scores des autres participants et des votes en ligne suite à la diffusion de l’émission. Autant dire que les trois adultes sautèrent sur leurs portables pour les soutenir dans la seconde !

“C’était magnifique... Vous étiez parfaits, tous les deux ! Il faut que vous puissiez continuer ! On peut voter combien de fois?
-Il n’y a pas de limite au nombre de vote, mais il faut payer...
-Tant pis ! Votez !”
Depuis leur coin de canapé, Haru et Shogo les regardaient sans trop savoir quoi dire... Ils n’avaient jamais douté de leur soutien, mais c’était autre chose de “constater” qu’ils étaient véritablement derrière eux. Ils parlèrent encore longuement, de leurs projets et de ce qu’impliquerait une possible sélection... Des nouveaux numéros qu’il faudrait composer pour les émissions suivantes... De tout... Jusqu’à ce que Shogo se lève pour porter Haru au lit. Il lui céda le sien, s’installant un futon au sol. Le sommeil ne lui vient pourtant pas immédiatement... Ce concours, il l’avait fait pour son amie, mais... A quoi bon ? Si aucune troupe de cirque ne voulait d’eux, ils iraient droit dans le mur...

...

Elle tombait... Haru tombait devant mes yeux et je ne pouvais absolument rien y faire... Rien du tout... Elle tombait, et tombait, et tombait... Ses grands yeux enfoncés dans les miens... Sa main étirée vers la mienne... Elle criait mon nom... Pourtant, elle n’avait rien dit en cet instant... C’était moi qui avais hurlé... Moi qui...

“SHOGO!”

Le jeune homme sursauta, serait probablement tombé de son lit s’il ne s’était pas déjà trouvé au niveau du sol. Des doigts se tendaient vers lui qu’il attrapa avant de se redresser pour venir poser sa tête sur le matelas qu’il occupait habituellement. Une main vint se glisser entre ses mèches oscillantes entre le noir et le bleu profond, cherchant à l’apaiser. De longues minutes passèrent, le soleil eut même le temps de finir de se lever ce qui signifiait que cette matinée d’hiver était déjà bien avancée. Finalement, la voix d’Haru se fit de nouveau entendre, utilisant le français qui avait bercé leur enfance.

“Tu as encore rêvé de ma chute... ? Tu m’appelais...
-Je suis désolé, Haru...
-Shhhhh... Un profond soupire souleva le buste fin de la jeune femme qui tourna son regard vers la fenêtre. Ce n’était en rien ta faute. Nos parents le savent, je le sais et tu le sais...  
-C’est moi qui ai insisté pour qu’on tente cette collaboration...
-Et c’est moi qui ai insisté pour que tu rejoignes l’école de cirque... Moi qui ai voulu qu’on se mette au trapèze... Si tu tiens à tenir les scores, tu t’es blessé bien plus souvent que moi... Un hoquet sombre, qui ne tenta même pas de se faire passer pour un rire, échappa au jeune homme...
-Je n’ai pas perdu mes jambes...
-Moi non plus... Le ton avait été sec et Shogo releva la tête pour adresser un regard désabusé à son amie. J’aurais pu mourir mais je suis en vie, Shogo! C’est déjà un véritable miracle qui n’était pas gagné d’avance... Il baissa le regard, se souvenant du prognostique tout sauf engageant des premiers secours. On lui avait même conseillé de lui dire adieu avant qu’elle ne perde conscience... Il avait refusé... Tu m’as accompagnée à plus de sessions de rééducation que je ne saurais le dire. Tu as attendu des heures entières que je sorte du bloc opératoire à chaque intervention... Ça a été un véritable parcours du combattant, mais on en est là et je continuerai à me battre ! Que ce soit avec des prothèses ou bien par le biais d’une intervention divine, je remarcherai ! Tu m’entends!
-Je t’entends... Mais il n’y croyait pas avec autant de foi...
-Bien... Un sourire cette fois-ci... En attendant... Vole pour moi, Shogo... D’accord ?”

Leurs téléphones sonnèrent, quasiment en même temps... Ils répondirent, se regardèrent... La même nouvelle était tombée. Ils avaient été sauvés par les votes du public... Ils continuaient l’émission...

...

Pas bien longtemps, hélas... Ils en étaient à leur seconde qualification lorsque Haru reçu “la lettre”... Celle qui l’unissait à Kaname, un homme un tout petit plus vieux qu’elle, et qui lui ordonnait d’aller le rejoindre à l’autre bout de l’île d’Honshu. Cela aurait pu ne pas être un véritable frein à leur progression, mais un ordre leur tomba dessus beaucoup trop tôt... Celui de concevoir... On leur conseilla bien évidemment d’adopter, principalement en raison de la santé de la voltigeuse, mais... Non... Les progrès de la médecine moderne aidant, la demoiselle tomba étonnement vite enceinte ce qui la força à limiter tous ses déplacements et à garder le lit. A l’instar de la mère de Shogo dans ses jeunes années, s’en était terminé de la carrière d’Haru. On le lui avait annoncé, porter l’enfant allait trop en réclamer à son corps pour qu’il soit envisageable de poursuivre les opérations initialement prévues. Elle ne remarcherait pas, mais elle s’était trouvé un nouveau rêve...

“Tu continueras de voler pour moi, Shogo... Toujours... Et tu seras son parrain, d’accord ?”

Bien évidemment qu’il avait accepté... Et le petit était né avec le printemps 2109...

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Jeudi 12 octobre 2109 – 12h45...50... 55...

Haru et Kaname avaient fait le voyage jusqu’à Tokyo, accompagnés de Yuto qui n’avait encore que quelques mois. L’idée était de présenter le petit aux parents de la jeune mère, qui avaient fait le voyage depuis la France pour l’occasion, mais également de fêter l’entrée de Shogo à la Setouchi Circus Factory implantée à Takamatsu sur l’île de Shikoku. Ils avaient passé une semaine ensemble, au domicile des parents du voltigeur, mais le temps de se séparer à nouveau était venu. Le vol des parents d’Haru ayant été annulé en raison des violents typhons qui venaient de dévastés le pays, ils avaient prolongé leur séjour contrairement au plus jeune couple qui s’apprêtait à reprendre la route.

“Je vais chercher la voiture, profitez-en pour vous dire au revoir... Kaname avait posé un baiser sur le front de son fils et un autre sur celui de son épouse, avait serré la main de Shogo, puis s’était engagé dans les escaliers afin de récupérer leur véhicule dans un parking souterrain.  
-Il va falloir te décider à me le rendre, tu sais ? Depuis son fauteuil roulant, les mains posées sagement sur ses genoux, Haru couvait du regard le petit Yuto que son ami d’enfance avait eu le droit de prendre contre lui dans son écharpe de portage. C’était fascinant de voir cet homme, dont les sourires s’étaient faits de plus en plus rares et acides suite à son accident, s’éclairer au contact de l’enfant qui babillait en lui tirant les cheveux.
-Ça va, t’es pas aux pièces et je ne sais pas quand je pourrais le revoir ! Je veux être certain qu’il ne m’oubliera pas entre temps ! Un rire de la part de la jeune mère.
-Aucun risque ! Tu réclames à le voir en visio au minimum tous les deux jours!
-On ne sait jamais, mieux vaut être prudent !”
L’échange aurait pu se poursuivre, bon enfant, mais la terre se mit subitement à trembler et une expression de terreur vint se peindre sur les traits de la demoiselle... Cette même expression qu’elle avait déjà arborée des années plus tôt... Son regard passa du visage de son ami au corps de son enfant qui commençait à pleurer, se déporta sur la sortie du parking souterrain dont aucune voiture ne semblait sur le point de s’extraire... La structure commençait déjà à s’effondrer lorsque Shogo s’empara des poignées du fauteuil et poussa son amie aussi rapidement qu’il le put en direction d’un parc heureusement assez proche et où ils pourraient espérer ne pas recevoir les immeubles sur la tête...

Jamais il n’avait couru aussi vite... Il volait pour elle, comme il le lui avait promis mille fois... Il évitait les obstacles, réagissant d’instinct et se forçant à oublier les pleurs déchirant de l’enfant contre lui, de son amie qui hurlait le prénom de son époux en se cramponnant de son mieux à sa chaise... La terre tremblait encore lorsqu’ils se retrouvèrent “en sécurité”, le corps du voltigeur venu protéger la tête de la jeune femme autant que le petit de cette dernière qui continuait de protester...  

Et bientôt, il n’y eu plus que cela... Les pleurs de Yuto... Et les sirènes des voitures, des magasins trop secoués... Les cris des gens, rapidement... Shogo tomba à genoux, vidé de ses forces... Les mains tremblantes d’Haru se posèrent sur sa tête, froissèrent ses mèches comme pour se rassurer qu’ils étaient encore en vie... Mais... Et Kaname ? Son portable trouva le chemin de sa main... Plus de réseaux... Cependant, avant que les lignes ne se coupent, elle avait eu le temps de recevoir une notification sur l’application la reliant à son moniteur... Elle était veuve...
“Kaname est... Il est... Il... Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase, Shogo avait de toute façon déjà compris, qu’une nouvelle alarme retentie soudainement à un niveau de décibel bien plus déchirant que ne pouvait l’être celui cumulé de tous les véhicules et bâtiments alentours. Le vide sous leurs pieds... L’abysse, bientôt... Sans doute avaient-ils tous les deux encore blanchi de quelques tons, mais Haru retrouva rapidement la maîtrise d’elle-même. Ses mains, toujours aussi fébriles, s’emparèrent du sac contenant les affaires de Yuto qu’elle passa au cou de son ami avant de l’attirer à elle et de le serrer aussi fort qu’elle le pouvait... Avant de couvrir de larmes et de baisers le front, rougi par les pleurs, de son fils qui continuait de s’époumoner... Un rire, comme un sanglot... Vole pour moi, Shogo... Vole pour lui... Il resta là, immobile, hanté par ses souvenirs, jusqu’à ce qu’elle lui hurle dessus... C’était pas de ta faute, Shogo! Et ça ne l’est pas aujourd’hui non plus! Mais tu peux le sauver ! Tu peux sauver Yuto! Alors cours ! COURS ! Il resta encore là une seconde, la bouche entrouverte sur un cri muet, avant de poser un baiser sur son front et de partir à reculons... Un pas... Deux pas... Sa main posée sur le crâne duveteux de son filleul... Son regard planté dans celui de son amie... COURS, IDIOT ! VOLE !” Et il vola...

...

Il avait trouvé refuge dans une haute tour de bureaux qui avait survécu sans trop de dégâts au séisme et dont les occupants avaient ouvert les portes aux passants lors du déclenchement de l’alarme annonçant le tsunami. Tous, ils s’étaient réfugiés à son sommet et avaient prié l’intégralités des panthéons qu’ils connaissaient pour que le bâtiment tienne le coup... Pour que leurs proches aient trouvé refuge... Pour que... Pour que ça s’arrête... Pour que tout s’arrête...

Et tout s’arrêta... Même les pleurs de Yuto qui s’effondra d’épuisement contre son parrain désemparé. Ce ne fut que des heures plus tard qu’ils furent en mesure de s’extraire de la tour, zombies hagards qu’on venait récupérer en canaux de sauvetage en attendant que les eaux finissent de se retirer après avoir transformé les artères de la ville en Styx. Les corps d’Haru et de Kaname ne furent jamais retrouvés et les parents de ce dernier prirent leur petit fils en charge. L’arrivée à Setouchi de Shogo fut retardée, tant à cause des dégâts qu’avaient subis les structures qu’en raison du choc que venait de recevoir le jeune homme. Certes, il avait sauvé son filleul... Mais... Haru... Et Kaname, même s’il ne le connaissait que très peu...

Le voltigeur n’eut hélas qu’à peine le temps de profiter du soutien offert par ses parents – et d’offrir le sien aux géniteurs de son amie -, qu’une missive trouva le chemin de sa boîte aux lettres pour l’unir. Non pas à une seule et unique personne, comme il aurait pu s’y attendre et même si le timing était absolument atroce, mais bel et bien à un couple lui même profondément bouleversé par ce qu’on appelait désormais Shukumei. Kosuke et Kiyomi, désormais Hayazaka... Il ne fut pas question de sentiments, encore moins de ressentiments... Tous venant de subir de très lourdes pertes, ils se réfugièrent les uns dans les bras des autres sans se poser plus de question même si les premiers pas avaient été hésitants. Ils n’étaient finalement que des corps que la houle avait soulevés mais épargnés... Des corps vivants et ressentant le besoin vital de se souvenir de ce que représentait la simple notion d’être en vie. Ce ne fut que quelques semaines passées à trois mais, contre toute attente, ce qui aurait pu être un véritable désastre les sauva probablement de la folie. Ils restèrent même un temps ensemble, à la suite de l’annonce de leurs divorces, avant de chacun reprendre leurs routes. Si Kiyomi est restée en lien avec son époux intérimaire, ce ne fut pas le cas de Kosuke. C’est là l’un des rares regrets de l’artiste qui s’était également attaché à lui.  

Ils furent les dernières personnes auxquelles Shogo accepta de montrer son visage réel, son cœur et son âme aussi brisés que pouvait l’être le corps d’Haru. Les seuls à l’avoir vu pleurer, entendu hurler... A avoir pleuré et hurlé avec lui... Ils avaient été sa thérapie, courte mais intense... Puis, il s’était enfin rendu à Setouchi...

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Les mois s’étaient enchaînés et avec eux les entrainements, les résidences de création... Les voyages dans diverses compagnies autour du monde appartenant au réseau de l’organisation... Les conquêtes d’une nuit ou d’une semaine, très rarement plus et plus souvent encore moins. Juste un flirt, un baiser, quelques caresses échangées avant de se quitter pour aller reprendre les exercices d’assouplissement ou bien pour retrouver les “amis” les attendant au bar ou sur la piste de danse. Toute sa vie n’était plus qu’un vaste cirque et le cirque était tout ce qui lui permettait de rester à peu près sain... A peu près droit... Il volait pour Haru, comme il le lui avait promis... Il volait pour Yuto... Il apprenait un peu plus chaque jour, développait une sensibilité dans son art qu’il n’exprimait désormais que sur la piste. Pour autant, la tradition circassienne occidentale lui manquait lorsqu’il revenait au pays... Il voulait retrouver les trapèzes et leur adrénaline... La corde raide... La bascule... La barre circassienne...

...

Mai 2111

Il était au Canada, en stage auprès du Cirque du Soleil et commençant à se forger un nouveau projet de vie correspondant davantage à ses attentes, lorsqu’un appel de sa mère le réveilla en pleine nuit... Il hésita à répondre, supposant qu’il s’agissait d’une erreur car elle avait parfaitement conscience du décalage horaire du fait de ses longues années passées à Paris. Il se décida finalement à prendre la communication...

“Hum... Moshimoshi... Maman?
-Shogo! Désolée de te réveiller... Ne t’inquiète pas, tout le monde va bien!
-... C’est le truc parfait à dire pour que je m’inquiète, tu sais... Et pour preuve, il s’était déjà redressé dans son lit et avait allumé sa lumière de chevet sans se soucier de déranger l’homme couché à ses côtés qui grogna vaguement avant de se retourner. Qu’est-ce qu’il se passe?
-Il y a apparemment un problème avec les moniteurs... Avec l’Incontestable en général, en fait... Ton père m’a appelée, lui et son épouse sont complétement désemparés. Ils ne comptent rien faire qui puisse les mettre en danger, au cas où tout reviendrait à la normale, mais... Oui... C’est assez chaotique ici... Et je pense que ça leur ferait du bien de te parler...
-C’est pas comme si je pouvais relancer le système ou bien leur donner ma bénédiction pour tout envoyer chier, tu sais?
-Shogo... Ton vocabulaire...
-Ouai, je sais... Désolé... Mais je vois vraiment pas ce que je peux y faire... Un soupire à l’autre bout du téléphone.
-Juste leur rappeler que tout ce qu’ils ont construit n’est pas en miettes... Que tu es là et que tu les aime, même si tu es loin... Ce serait déjà bien...
-... Pas de réponse... Il était en train d’attraper le paquet de cigarettes que réclamait son amant du jour. Il s’appelait Paul... Ou James? Il ne savait déjà plus...
-Shogo...?
-Oui, je les appellerai demain... Un soupire... Tu sais, c’est vraiment pas que je m’en fous ou que je m’inquiète pas pour eux... C’est juste...
-Oui, je sais... Un blanc... Je te laisse dormir... Je t’aime, mon fils...
-Moi aussi je t’aime, Maman... Il raccrocha, regarda un temps son écran sans bouger...
-Et moi, tu m’aimes ? Le ton était moqueur et n’attendait définitivement pas une réponse positive... Il récolta d’ailleurs, principalement, un rire sarcastique...
-Ouai... Pour encore une heure ou deux, grand max... Tu veux remettre ça, Peter?
-Je m’appelle Luc...
-On s’en fout, non...?
-Ouai, on s’en branle... Viens là...”

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Juillet 2111

Il venait de rentrer au Japon pour fêter ses 22 ans lorsque la nouvelle lui était tombée dessus... L’épidémie, qui semblait toucher des victimes au hasard le plus total, avait emporté les parents de Kaname ainsi que la sœur de ce dernier... Il se retrouvait, par biais du testament rédigé par précaution et avant Shukumei par Haru et son époux, responsable de Yuto qui n’avait pas encore deux ans et demi. Certes, les parents de Haru qui résidaient en France auraient pu le prendre avec eux. Mais la décision avait été prise à l’époque qu’il serait mieux pour l’enfant de grandir “avec l’Incontestable” et dans la langue du pays. Le pire était que Shogo avait alors signé le document sans faire d’histoire, tout cela lui semblant parfaitement anecdotique... Aucune raison que le jeune couple perde la vie ! Et même s’il leur arrivait quelque chose, les parents de Kaname et la marraine du bébé étaient désignés en priorité. Quelles étaient les chances, hein... ? Quelles étaient les “chances”...

Yuto ayant hérité tant de ses parents que de ses grands-parents et de sa tante célibataire et sans enfants, l’élever et le nourrir ne serait jamais un problème... Mais à quel moment lui, Shogo, pouvait-il se sentir à la hauteur de la tâche ? Il avait encore des tas de voyages de prévus pour son apprentissage... Sa vie se résumait -actuellement et bienheureusement - à ça, aux aventures sans lendemains et aux entrainements... La panique le guettait, pourtant il accepta la charge et le petit qui le reconnut sans mal et lui courut dans les bras... Il était “père”... A minima, il était désormais ce qui s’en rapprochait le plus pour le bambin...

La pause prise se prolongea, car il ne pouvait retourner à Setouchi avec ce genre de bagage, et une nouvelle dynamique en vint à se créer au sein du foyer Hayazaka qui avait été reformé sans heurt après que l’Incontestable ait repris du service. Deux grand-mères, un grand-père... Un père... Il fut finalement décidé que Yuto resterait à Tokyo et que Shogo retournerait pour le moment sur Shikoku. Son projet devenait désormais un réel objectif... Un nécessité... Et il eut toutes les occasions de le forger et de se forger lui-même car la population Japonaise avait subi une coupe drastique sous l’effet de la mystérieuse maladie. Des places se libéraient partout, tant dans les spectacles que dans les structures acceptant des apprenants.

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2111

De la sueur, énormément... Du sang, assez souvent... Des larmes, plus rarement...  

La nouvelle était tombée et il en avait été informé en priorité, ayant fait plus que bonne impression lors de ses différents stages et de ses prestations dans les spectacles déjà en place. Un siècle après son annulation, en raison du tristement célèbre séisme de 2011 et de la catastrophe à peine avortée de Fukushima, le Tokyo Disney Resort et le Cirque du Soleil allaient renouveler leur alliance et cherchaient de nouveaux talents, chorégraphes et artistes en tout genre, afin de proposer une nouvelle expérience circassienne aux visiteurs. Hors de question de reprendre les partitions de “Zed”, il fallait tout remettre à plat... Tout réinventer et mêler tradition occidentale et orientale ! Il était l’homme de la situation, il en était persuadé ! Oh, non pas qu’il s’estimait capable de tout monter de lui-même, loin de là ! Il avait de l’égo, mais pas à ce point... Non... Pour autant, il saurait se rendre nécessaire... Indispensable ! Il jouissait d’une expérience unique, malgré son jeune âge, du fait de la variété des écoles qu’il avait fréquentées... Il parlait couramment tant le japonais que le français et l’anglais... Son nom était connu dans le milieu du spectacle et du sport, tant grâce à ses parents qu’en raison de son passage à la télévision avec Haru bien des années plus tôt qui lui avait offert une infime “fan base” dont il ne s’était jamais réellement préoccupé mais qui perdurait par miracle dans les fins fonds du web comme le lui avaient fait remarquer certaines de ses conquêtes. Le mieux dans tout cela s’il parvenait à obtenir un contrat ? Il pourrait non seulement “voler pour Haru” comme il le lui avait promis, mais également pour Yuto... Il aurait les moyens d’offrir un foyer au garçonnet ! De le prendre enfin avec lui...

Durant quelques mois, il oublia ses besoins les plus primaires pour ne se consacrer qu’à repousser au maximum ses limites. Ses parents lui servaient de coachs sportifs et ne laissaient absolument rien passer... Sa belle-mère, cuisinière émérite, surveillait son alimentation avec un œil de faucon... Les rires de Yuto, à chacune de ses pirouettes, lui rappelaient ceux de sa mère lors de leurs débuts... Ils l’entrainaient vers le haut... Toujours plus haut... Parfois peut-être trop haut, même, mais c’était ce qui le distinguait des autres. Toute sa soif de vivre, sa rage, sa douleur... Tout s’exprimait dans ses élans, sa recherche de l’extrême et parfois même du danger...

Ce besoin de flirter avec la mort manqua de lui coûter sa place, mais il reçut finalement l’annonce début décembre ! Le nouveau spectacle du Cirque du Soleil, “Arcana”, ne se ferait pas sans lui ! Il était recruté en tant qu’artiste principal et consultant chorégraphique ! Fou de joie, il allait appeler ses parents pour leur annoncer la bonne nouvelle lorsque son portable sonna. Son père ? Il devait avoir un 6eme sens!

“Papa!? Papa, je suis pris! Je fais partie de la nouvelle troupe pour “Arcana”!
-... Le silence, à l’autre bout du téléphone...
-Papa? Papa, tu m’entends ? Je suis pris! Je...
-Tu es vivant... Il y avait tout un océan de larmes et de soulagement dans la voix tremblante de son père ce qui coupa totalement le jeune homme dans son élan...
-Euh... Oui...? Des sanglots, à l’autre bout du fil... Il crut entendre la voix de sa belle-mère... Celle de sa mère, qui finalement reprit la communication.
-Shogo...? De plus en plus inquiet, le voltigeur avait totalement oublié ce qu’il avait à lui annoncer...  
-Oui? Qu’est-ce qu’il se passe, maman? Plus solide que son père lors de ce genre d’évènements, Shizuka parvint à lui répondre malgré qu’il la sentait encore bouleversée.
-Ton ATAI, Shogo... Ton père a voulu t’envoyer un mail et... Tu es annoncé décédé, mon chéri...
-Pardon...? Là, il ne savait plus quoi dire... D’autant plus qu’il entendait ses colocataires de Setouchi faire claquer leurs portes et hurler dans les couloirs. La sienne finit par être presque explosée contre le mur tandis qu’un de ses “amis” plongeait son regard dans ses yeux avant de balancer la tête.
-Toi aussi tu es vivant ? Mais c’est quoi ce bordel ? Je vais voir les autres ! Le temps de se reprendre, puis il se décida à répondre à sa mère qui continuait de parler dans le vide de l’autre côté d’Honshu.
-Je crois qu’il doit y avoir un problème avec ATAI... Un de mes colloc’ vient de défoncer ma porte avant de repartir voir les autres...
-Tu es vivant... Tu es vivant et c’est tout ce qui compte. On se fiche du comment et du pourquoi... Tu es vivant... De son côté, pris par l’émotion qu’il entendant dans la voix de Shizuka, Shogo sentit des larmes monter qu’il s’était promis de ne plus jamais verser... Il prit une profonde inspiration avant de ramener un peu de joie dans ce jour chaotique.
-Je suis vivant, maman... Et je suis pris au Cirque du Soleil!”

L’obsolescence des puces avaient été diagnostiquée et un recensement national instauré afin de pouvoir programmer un repuçage. S’il n’y avait pas eu Yuto, peut-être qu’il aurait tenté le coup quitte à tout perdre, mais... Non... Il avait promis à Haru de veiller sur son fils et ce n’était pas en tentant de déserter qu’il se montrerait à la hauteur de la parole donnée. Bien que toujours aussi tièdes quant à leur approbation du système, tout le foyer Hayazaka se présenta pour l’implantation de la nouvelle puce et la “vie” reprit son court...

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2114

Les élections étaient passées sans qu’il ne s’y attache davantage que pour voter pour le moindre mal. “Arcana” avait été lancé avec succès un an et demi plus tôt et tout allait relativement “bien” dans l’existence de Shogo. Attaché à ses “grands-parents”, Yuto partageait son temps entre leur appartement et celui de son parrain qui se situait à mi-chemin du parc d’attraction et du domicile de ses aînés. L’absence en semaine du bambin permettait au voltigeur de continuer de s’oublier dans le sport autant que dans les bars et les bras de ceux et celles qui croisaient son chemin bien qu'il demeurait absolument résigné à ne plus s’attacher à personne d’autre qu’à ceux qui formaient sa famille. Il continuait de voler, pour Haru... Pour Yuto... Il entendait la voix de la jeune femme résonner à chaque fois qu’il prenait son élan pour une série de sauts, à chaque fois qu’il s’emparait du trapèze, à chaque fois que le poids de ses partenaires l’envoyait plusieurs mètres au-dessus du sol sans assurance que la réception ne serait pas plus brutale qu’idéale...  

“Vole pour moi, Shogo!”

Il volait... Il vivait... Mais... Est-ce qu’il “ressentait”...?

Un regard sur l’écran de son portable lui annonce qu’il est parfaitement dans les temps. Si derrière lui ça grouille et ça cri, lui est comme dans une bulle d'inertie en face de son miroir qu’il n’a pas à partager en raison de son statut d’artiste principal même si, dans les faits, son siège trouvera très rapidement un nouvel occupant dès qu’il en aura terminé de son maquillage de scène. Comme un secrétaire principal prêtant son bureau à ses collègues, les photos resteront en place de même que les stylos favoris avec un peu de chance. L’espace étant restreint, il allait de l’intérêt de la production dans son ensemble de ne pas se montrer trop territorial même s’il l’aurait pu et qu’on s’étonnait qu’il ne le soit pas. A croire qu’il ne s’attachait réellement à rien ni à personne...

Musique du spectacle lancée dans ses écouteurs, afin de réviser inconsciemment et pour la énième fois chaque timing, il s’attache à rectifier son teint déjà légèrement plus pâle que celui de ses compatriotes japonais grâce au quart de sang européen fourni par sa mère. L’éponge glisse le long de ses joues, de ses mâchoires, qu’on lui a parfois reproché d’avoir trop “androgynes” sans que cela ne le perturbe une seule seconde. Il est comme il est et c’est tout. A prendre – de préférence pas trop longtemps – ou bien à laisser et adios amigos. Pour reprendre les paroles d'un ancien chef d’état “ça lui en touchait une sans faire bouger l’autre”... Ses traits “trop” fins seraient, de toute façon, très vite accentués par ses poudres et crèmes afin que ses expressions soient aussi “lisibles” que possible. On retrouvait dans “Arcana” quelques archétypes du théâtre Nô cher à l’archipel nippon.

Le pinceau glisse sur ses lèvres. Pourtant déjà suffisamment invitantes lorsqu’il fait l’effort de sourire, il en retrace les courbes afin de s’épargner de malvenues crampes des zygomatiques. Masque fixe, tragicomique. Disparu l’angle trop dur, trop droit. Tout le monde savait déjà que la “joie” qu’il plaquait sur sa bouche pour plaire ne montait presque jamais sincèrement jusqu’à ses yeux. Alors à quoi bon feindre ? Le rouge suffirait à mimer l’enthousiasme.  

Changement de crayon. Plus noir qu’une nuit sans lune, le liner prolonge ses yeux de chat au-delà des convenances pour créer un écrin parfait à ses iris d’un bleu gris si sombre qu’il semble de la teinte des ardoises. Sa main calleuse ne tremble pas... Elle ne tremble jamais... Ces traits-là, après tout, il les applique presque tous les jours et de l’entrainement nait la perfection. Il est parfaitement au fait de cela.

Un soupire, il tourne la tête à gauche puis à droite. Rien ne dépasse, symétrie parfaite. Il abandonne les pigments saturés pour s’emparer de sa brosse et relâcher le demi-chignon négligé qu’il porte habituellement. Vagues souples entre l'azur et le carbone, résultat du mélange de la crinière de jais de sa mère et des mèches bleu roi que son père avait imposées à ses propres gènes des années plus tôt. Il les lisse un temps puis vient les plaquer au plus près de son crâne, les lourdes mèches restantes strictement enroulées sur sa nuque. La tête à gauche, puis à droite... Rien ne dépasse... Un regard pour la photo de Haru et Kaname à demi cachée par celle de Yuto. Sur celle de ses parents, les trois bras dessus dessous dans une pose amicale que nulle rancœur ne perturbe... Il abandonne son siège, rapidement remplacé...

Son costume est efficacement passé, ajusté avec l’aide de certains de ses partenaires qu’il aide ensuite à son tour. Le tissu colle à son corps comme une seconde peau, soulignant la largeur de ses épaules et la longueur de ses membres qu’on devine avoir été soumis depuis déjà deux décennies à un entrainement intensif comprenant autant de musculation que d’exercices d’assouplissement. C’est un athlète, à sa façon, qui n’a absolument rien à envier au physique de son paternel à l’époque où ce dernier s’emparait de tous les podiums disponibles. Il esquisse quelques pas, quelques gestes... On dirait qu’il danse déjà, tant la grâce de sa mère s’est imprégnée dans chaque fibre de son corps. Sa respiration soulève son torse tandis qu’il calme son rythme cardiaque que la musique emballe aux creux de ses oreilles. Ce crescendo, ce sera “le moment”... Celui où il devra, pour la millième fois, affronter ses peurs en reproduisant la chute d’Haru et atterrir dans un bassin profond appartenant à la structure du vaste amphithéâtre.

“Vole pour moi, Shogo!”

Chaque soir, il volait pour elle... Avec elle, même...

L’élan est pris et son trapèze se balance au-dessus du vide, au-dessus de la piste, haut au-dessus des spectateurs qu’il ne voit ni n’entend. Il n’y a que la musique et, comme à chaque envol, la voix d’Haru.  

“Vole pour moi, Shogo!”

En avant, puis en arrière... En avant, plus loin encore et le corps étiré jusqu’à la pointe des orteils en une ligne aussi puissante que souple... Puis en arrière encore et à en frôler les arcs de métal supportant les projecteurs. Le vide, dans son esprit autant que sous lui... La peur... L’adrénaline, pourtant... Est-ce que cela passera cette fois encore ou bien va-t-il s’exploser à la surface de l’eau comme son amie l’avait fait sur le sol ? Il est déjà au-delà des pensées rationnelles depuis quelques minutes. Il connait le danger, mais un défi lui a été lancé sur le ton de la plaisanterie. Chiche de faire une rotation de plus ? Il ne savait plus dire non depuis longtemps... N’avait plus envie de dire non, surtout. Il fallait bien mourir un jour, n’est-ce pas ?  

L’hésitation qui pourrait le tuer... Yuto... Yuto avait besoin de lui ! Il aimait ce gosse plus que tout, donnerait sa vie pour lui... Il volerait, pour lui... Il vole pour lui, d’ailleurs, relâche le trapèze et imprime gracieusement à ses muscles les mouvements qu’il a appris et répétés des heures avec cette diligence qu’il avait immanquablement appliquée dans ses études même s’il avait toujours su que jamais il n’occuperait un emploi “conventionnel”. Certes, c’était Haru qui l’avait trainé à l’école de cirque, mais... Dès qu’il avait “vu”, il avait compris. Là était sa voie et tout ce qu’il souhaitait faire du temps qu’il lui serait donné de passer sur terre...  

Un tour, deux tours, trois tours, plus encore... Impossible de les compter pour le public, de percevoir la maîtrise et la prouesse perdue au milieu des milles explosions de couleurs partout sur scène. Mais les regards affûtés de ses collègues avaient vu, eux... Et le provocateur grince des dents de culpabilité, se souvenant qu’on ne défiait pas Shogo sans devoir vivre avec les conséquences potentielles, en particulier sur son terrain de jeu favori. Il fait peur, chaque jour, à tous ceux qui l’aiment et qui sont plus nombreux qu’il ne le sait. Plus nombreux qu’il ne l’admet. Il est une île, Shogo. Peut-être plus vraiment un homme, d’ailleurs, depuis le temps...

Apnée, l’eau l’engloutit et les souvenirs de Shukumei également. Il ne l’a pas vu lors de la catastrophe, mais il imagine presque le corps malmené d’Haru qui nage à ses côtés. Panique, avant qu’il ne parvienne dans l’espace où il peut enfin reprendre son souffle sans être visible de l’audience. Il inspire puis expire... Inspire... Puis expire... Les psychiatres qu’il avait rencontrés, pour affronter les différentes épreuves mises sur son chemin au fil des années, lui avaient appris à respirer à défaut de parvenir à chasser ses démons. Tant qu’il respirait, c’était qu’il était en vie !

Mais il est déjà temps de repartir... Pas exactement dans une nouvelle pirouette, mais pour servir de “spotteur” à une de ses partenaires tout en donnant l’impression de simplement s’aligner dans la chorégraphie. Il observe, toujours attentif et pas uniquement à la section de la piste qui lui revient. Il voit chaque défaut, chaque défaillance car il ne s’en permet aucune. La demoiselle est projetée dans les airs, bien trop fort ! Bien trop haut ! Regard noir sur les fautifs, il parvient à amortir l’inévitable chute et le drame se transforme en simple cheville foulée. Il esquisse quelques pas avec la blessée dans les bras avant de l’évacuer sans que l’incident ne soit trop visible depuis les tribunes et reprend sa place dans le ballet...

Le bruit d’un poing qui s’abat sur la chair, casse peut-être même un nez. L’élan est repris, il va pour corriger le deuxième abruti mais est retenu par d'autres de ses partenaires. Faute de pouvoir frapper, il hurle ! Il crache son venin ! Il sort de lui-même comme possédé d’une force et d’une animalité qu’on ne lui devine pas. Elle aurait pu mourir à cause de leur inattention ! Comment peuvent-ils se prétendre artistes de cirque et ne pourtant pas donner le meilleur d’eux-mêmes et plus encore pour assurer la sécurité de leur partenaire quand cette dernière leur confiait absolument tout ce qu’elle était ? Aucune approximation n'était acceptable ou justifiable! Il hurle, crache, menace ! Jusqu’à ce que la jeune femme arrive, la cheville bandée qu’elle ne pose qu’à peine par terre. Elle va bien, elle le lui assure... Elle le remercie, s’étonne qu’il s’inquiète autant que cela pour elle. Il ne connait même pas son prénom, en fait. Mais elle pourrait être sa mère, sa fille, sa sœur... Son amie... Haru...

Il se fige, on le relâche... Le producteur l’appelle dans son bureau même si tout le monde sait déjà qu’il ne sera pas blâmé. Pourquoi ? Car il a probablement sauvé autant la carrière de la voltigeuse que celles des deux maladroits qui ne referont plus jamais ce genre d’erreur. Car même s’il ne lui appartenait pas de donner cette correction, elle était nécessaire et méritée... Car tous approuvaient le coup donné, même celui qui l’avait reçu et qui vient lui-même plaider la cause du jeune homme...  

Shogo sort du bureau, rejoint les loges et se démaquille sous les regards muets des photos et de ses collègues. Ses cheveux sont lâchés, sa peau nettoyée, ses vêtements changés. Il ne dit rien, lui non plus. Cet accident est de sa faute tout comme la chute d’Haru était de sa responsabilité. Longtemps, les psys avaient tenté de lui faire admettre qu’il avait aimé la jeune femme et pleurait encore son grand amour, mais... Non... Haru était simplement et purement son âme sœur. Ils avaient toujours tout partagé, depuis leur rencontre jusqu’à la tragédie. Leurs rêves. Elle avait été un repère, un phare, une boussole, un pilier... Son élan... Son amie...

Personne ne l’arrête tandis qu’il quitte les loges et la salle de spectacle par l’entrée des artistes. Cette nuit encore, il s’oubliera dans les bras de Pierre, Paul et/ou Jacques... Dans les draps de Sakura, Aiko et/ou Yumi... Et si ça ne suffit pas, il ira marcher sur les toits comme sur sa corde raide. Toujours à un souffle de la chute... Il ira se poser sur un toit où le rejoindront les chats errants du quartier et peut-être quelques oiseaux, un loir ou deux, peut-être même un tanuki intrépide. A défaut de savoir parler aux humains, les animaux semblent partout le suivre comme cent ombres... A défaut d'être seul, il reste bien accompagné...

Personnage tiré d'un manga/anime/jeu-vidéo/série

Code:

<div class="infobulle1">• [b]Kayden "Break"[/b] {Eleceed} [i]est[/i] [url=https://just-married.variousforum.com/u1383]Shogo Hayazaka[/url]<span><img src="https://7img.net/users/3217/48/83/12/avatars/1383%7C44.jpg"></span></div>