Words aren’t the only thing that tell people what you’re thinking."

Née au crépuscule du 21ème siècle d'une petite famille de Shobara dans la province d'Hiroshima, je dirais que j'ai rencontré une enfance plutôt heureuse. Pas d'histoire triste à pleurer à cette période. En effet, ma mère d'origine britannique - elle avait emménagé au Japon pour fuir sa propre famille avec qui elle entretenait des relations plus que conflictuelles - et mon père, bien que s'étant unis sous l'ordre de l'Incontestable, semblaient plutôt heureux dans cette relation. Une preuve de plus que certains mouvements de ces dernières années ne sont pas forcément dans le vrai. L' amour ne manqua jamais sous notre toit. De plus, nous ne manquions de rien. C'est ainsi que je grandis dans cette petite ville , à mon sens il s'agissait plutôt d'un village mais les instances me donnent tort, au cadre idyllique. Si la technologie a pris le pas sur le Japon depuis des décennies, Shobara est une ville différente. La technologie a bien envahi une bonne partie de nos maisons mais elle cohabite toujours avec les vieilles traditions nippones du temps de mon arrière grand-mère. C'est ainsi que je pouvais tout de même profiter enfant des alentours boisés, des rares rizières survivantes, des lacs où je me baignais et je jouais avec insouciance ou encore de la montagne du coin sous le regard attentif de mes parents.

C'est d'ailleurs là-bas que s'opéra l'événement qui m'éloigna de ces sorties innocentes. Je devais avoir une dizaine d'années et je m'étais mis en tête d'explorer le mont Hiba. Seule bien entendu. Oui l'idée est stupide et les conséquences le furent tout autant. J'ai toujours été un peu aventureuse enfant. Tout se passait bien durant les premières heures de l'exploration  mais il ne fallut que quelques secondes pour que je glisse sur une pierre lors d'une de mes ascensions. Le résultat fut plutôt simple. Je fis une chute de plusieurs mètres mais par chance je survécus miraculeusement. Je survécus mais ma jambe se cassa à l'impact me laissant dans l'incapacité de rentrer.  Bien évidemment, je n'avais pas prévenu mes parents, consciente qu'ils n'accepteraient jamais que je m'aventure en ces lieux mais pire encore, je n'avais pas daigné prendre mon téléphone comme à chacun de mes vagabondages. A quoi bon? Il ne m'arrivait jamais rien… Quelle ironie… Je restais ainsi seule, sans moyen de me retrouver, du moins c'est ce que je pensais quand la nuit se mit à poindre à l'horizon et que le froid commença à s'installer. Je me souviens vaguement de ce moment. Le souvenir le plus précis que j'en garde c'est ce silence. Un peu comme si tout avait disparu autour de moi. Je ne saurais dire si je me suis demandé si j'allais disparaître à mon tour… Je sais que j'y ai pensé plus tard dans ma chambre lorsque je me suis retrouvée alitée… Passons ! Par chance, mon père me retrouva quelques minutes après ces vilaines pensées : une vieille dame m'avait reconnu et avait indiqué que je me dirigeais vers le mont Hiba à mon père lorsqu'il se mit à ma recherche, ne me voyant pas rentrée. Une aubaine, une bonne étoile, une chance, appelons-la comme vous voulez mais elle ne m'évita pas un savon et une interdiction de sortie - qui ne servait à rien car j'étais convalescente. Cette convalescence changea cependant certaines choses chez moi : premièrement cette introspection forcée me passa le goût de l'aventure et je commençais tout naturellement à me détourner des plaisirs du dehors et dans un second temps, je me découvrais bien plus prudente. Plus mesurée. Cette escapade idiote me laissa aussi une vilaine cicatrice, non pas physique mais psychique, quelque chose d'assez ridicule et d'honteux qui me suit toujours aujourd'hui: la nyctophobie. Finalement, c'est après cette épisode peu glorieux et terrifiant que sans vraiment y penser - même si désormais le recul me permet de le comprendre - je ne sortais ensuite plus pour explorer les alentours.

Le cours des choses continua environ jusqu'à mes treize ans. Deux événements majeurs se passèrent pour moi : premièrement internet commença à fourmiller de mécontents et d'agitateurs. Les Incontrôlables ou un truc du genre. Le tumulte qu'engendra leurs apparitions ne gagna que peu ma petite ville mais je ne pouvais faire un pas sans en entendre parler jour après jour. Si je pouvais identifier leurs revendications, elles ne m'effleuraient pas vraiment. L'Incontestable était une institution dont nous avions besoin. Elle l'est toujours d'ailleurs ! Quoi qu'il en soit, si ce vent de "changement" ne cessait de souffler, je dois dire qu'il devint bientôt le cadet de mes soucis car la même année un incident survint. C'était un jour comme les autres. Je me suis rendue à l'école comme chaque jour. Rien ne semblait différent. Je sais que cet énoncé peut sembler ridicule mais je peux vous avouer m'être retracé le déroulé de cette journée plus d'une fois. Retracer en quête d'un quelconque indice. Un quelconque signe. Rien. Bref… Excusez-moi cette digression. Je disais donc que ce jour tout se déroula comme habituellement à une exception près.  En effet, vers quinze heures, on me fit convoquer dans le bureau du directeur. Je me souviens m'être interrogée tout le long du trajet dans les couloirs vides de mon établissement jusqu'à atteindre ma destination. Qu'avais-je pu faire? Ce n'est pas pour me vanter mais je n'étais pas vraiment une "fille à problèmes, aussi, je ne comprenais pas. Comment aurais-je pu deviner? Je me souviens avoir poussé la porte et m'être retrouvée encore plus empreinte de doutes en voyant le visage grave de mon directeur d'établissement et d'une personne que je ne connaissais pas, debout devant son bureau se tourner vers moi. On ne m'a pas vraiment ménagé lorsqu'on me présenta les choses. Enfin si mais… Je me retrouvais orpheline. Ne tournons pas autour du pot. Certes, on prit des pincettes avec moi mais c'est tout ce qui parvint à atteindre mon cerveau. Un faux contact? Un incendie criminel? Je crois me souvenir que l'enquête a conclu à un incendie accidentel. Un dysfonctionnement électrique. Mes souvenirs sont flous. Je suppose que mon cerveau préfère ignorer les détails. Dans tout les cas, tout ce que je sais c'est que ma maison avait pris feu et qu'il n'en restait rien. On m'a même emmené sur les lieux des jours après. Je revois encore ce tas de cendres qui avait abrité nos fous-rires et nos souvenirs. Envolés tout ça. Je crois que je n'ai pas parfaitement réalisé tout de suite. Enfin si mais je n'arrivais pas à mettre de mot sur ce que je pouvais ressentir, sentir ou même voir. C'est venu bien après. Bien trop tard. Détresse. Tristesse. Colère. Sentiment d'injustice. Question. Culpabilité non justifiée. Incompréhension. Déni. Tout se mélangea assez habilement pour que je ne puisse rien exprimer et que je reste à faire comme si de rien était en surface. C'est ainsi que ce jour-là, je suis simplement resté là sans un mot à contempler l'ampleur du désastre.

Les choses furent ensuite vite prises en charge… Dans un premier temps, je fus hébergée chez une amie pour une "transition plus douce" - encore les mots qui me furent donnés ce jour - puis on me trouva dans l'urgence des "parents de substitution". Ce sont les mots exacts que la personne, que j'appris être des services sociaux, employa ce jour là lors de l'entretien… C'est à ce moment que je fus contrainte de rejoindre la capitale pour rejoindre leur habitation. Attention, je ne me plains pas. Au contraire, je dois dire que je suis reconnaissante de ne pas devoir me soucier de l'avenir mais disons que… ça manquait de délicatesse. Pour être parfaitement honnête, j'aurais aimé que les choses se passent autrement… J'aurais aimé pouvoir vraiment en parler à quelqu'un… Quelques rendez-vous avec une psychologue n'ont pas suffi à briser le masque… Je ne désirais tout simplement pas en parler à cette époque je suppose… Le pouvais-je tout simplement? Aujourd'hui encore je préfère éluder tout ce que je peux en penser ou bien même ce que je ressens au quotidien alors vous savez… Bref ! Je me suis retrouvée du jour au lendemain sans mes rares amis mais je suppose que c'est ainsi que les choses devaient se passer. J'aurais préféré que mes parents soient encore là, bien évidemment… mais il faut bien grandir à un moment qu'on le souhaite ou non?

Quoi qu'il en soit, je me retrouvais désormais à Tokyo, une ville bien différente. Ma nouvelle famille aussi était bien différente. Ils s'agissaient d'une lointaine cousine de mon père et son mari si je ne me trompe pas. Je dois avouer que je ne les avais jamais rencontrés avant le jour où on m'emmena chez eux. Et je crois savoir pourquoi… Mes parents étaient des personnes attentionnées et radieuses. Eux, ils étaient plus froids, plus éteints aussi. Tout ce que mes parents n'aimaient pas. Je me console aujourd'hui en me disant qu'ils étaient malgré tout bienveillants. Du moins je crois. Nous n'avons jamais vraiment échangé pour être totalement honnête. Ils ne me portaient pas vraiment un grand intérêt et je ne ressentais pas vraiment le besoin de leur parler. Même mes parents ne furent jamais vraiment évoqués. Ils vivaient dans leur monde et moi, le mien.  Je suppose que tant que je donnais le change et que je m'efforçais à garder des résultats scolaires "suffisants", ça leur convenait. Même si encore une fois, je dresse un tableau peu reluisant de ce couple, ce ne sont pas des gens mauvais. Simplement nous ne pouvions pas nous comprendre…  C'est d'ailleurs à ce moment que je me suis mise à faire du sport tous les jours ou presque d'ailleurs. C'était ma manière d'évacuer et de profiter sur de vieux titres de musique. Il fallait bien extérioriser les différents sentiments qui me gagnèrent petit à petit. Je crois que je vis toujours avec ces émotions d'ailleurs.. Bref… J'ai parcouru les années qui suivirent en essayant de me construire dans cette fin d'adolescence plus atypique. Oui, la vie n'a pas toujours été un fleuve tranquille.  Tout s'est précipité à un moment. Entre les manifestations contestataires et les funestement célèbres explosions qu'elles provoquèrent, les catastrophes naturelles qui frappèrent le Japon, l'épidémie et les chasses à l'homme qui suivirent pour rattraper les mécontents… J'ai eu de la chance de ne pas être affecté par l'épidémie et de ne perdre personne de mon entourage mais je dois dire que j'avais déjà fort à gérer de mon côté mais le Big Bang Kiss et les comportements observés pendant le dysfonctionnement des puces ne firent que me convaincre un peu plus que l'Incontestable était une nécessité pour nous… C'est grâce à ce dernier que nous avons surmonté ces épreuves à mon sens. Enfin je digresse ! Le résultat de ces années mouvementées était plutôt simple. J'avais encore perdu mon "chez-moi" avec le Shukumei. Je me souviens encore des ruines de ma chambre. Je me retrouvais une nouvelle fois face à un spectacle que je connaissais déjà trop bien. Un spectacle dont j'aurais préféré me passer. C'était trop. Nécessité fait alors loi dans ce genre de moment. Dès qu'il me fut possible de le faire, je pris congé de mes "parents de substitution" et j'interrompis mes études. Je voulais prendre mon envol. De plus, cette séparation ne fut pas vraiment douloureuse. Nous n'avions que peu en commun et nous étions plus des colocataires qu'une véritable famille… Contrairement à ce que j'avais pu vivre à Shobara.

J'oubliais ! Je vous parlais de se construire dans une fin d'adolescence atypique tout à l'heure?  Je suppose qu'il convient d'aborder la découverte de "ma différence". J'utilise ce mot mais je ne m'en cache pas vraiment ! Je préfère les filles c'est un fait ! Mes parents me répétaient souvent que l'important était que je sois heureuse alors m'en cacher serait un peu un manque de respect envers eux à mon sens. Bref!  Je m'en suis rendu compte d'une manière assez banale pour être parfaitement honnête. Je m'étais déjà faite la réflexion que les conversations sur les garçons ne m'intéressaient pas outre mesure mais disons qu'entre la disparition de mes parents - et de toute façon je pense que j'étais trop jeune pour m'interroger sérieusement sur le sujet - et toutes les autres perturbations de ces dernières années,  je ne m'étais pas vraiment posé de questions franches. Certes, je me disais bien que les "atours" féminins attiraient plus mon regard que ceux de la gente masculine mais je crois que je ne parvenais pas vraiment à y mettre des mots. Pas que ce soit tabou ou autre pour moi ! Je n'étais pas si ignorante que ça ! Enfin ce n'est pas le sujet ceci-dit ! Revenons-en à ce que je disais. J'ai vraiment pris conscience de ce que je ressentais lorsque je me suis surprise à flirter avec des filles lors de mes séances de sport. Je devais déjà le faire auparavant mais là ça m'a un peu sauté au visage pour faire simple ! Je dois avouer m'être plus sérieusement interrogé par la suite mais… Peut-on nier l'évidence lorsque les pièces du puzzle s'alignent face à vous?  Au moins maintenant je flirte en connaissance de cause ! (rires)

Si je devais conclure je dirais que certes, la vie en solitaire n'est pas toujours aisée et tout n'est pas toujours rose mais je suis plutôt contente en définitive. La vie reprend son cours ici doucement et c'est sûrement le plus important. C'est ce qu'il faut se dire !