Laïs Evans - People are loyal to those who pay their wages. (TW : prostitution, drogue,violences sexuelles, inceste)

TW Inceste, violences sexuelles, drogue, prostitution

Septembre 2107 - Presque Japon
Laïs frissonne, elle vient de se réveiller en sursautant. Elle ouvre les yeux, baille, s’étire légèrement. Une larme coule sur sa joue, c’est sûrement parce qu’elle a baillé trop fort… Elle regarde son téléphone d'un air distrait, faisant défiler les nouvelles du jour. Un article du Monde sur les Incontrôlables, ce groupe de résistants dont une collègue de boulot lui avait parlé dans son ancien job. Elle hausse  un sourcil en lisant ce qu'il en est ; on parle d'un mouvement de révolte on-line, de revendications.

“Mesdames, messieurs, veuillez passer vos appareils électroniques en mode avion et attacher votre ceinture nous allons bientôt atterrir à l’Aéroport international de Tokyo-Haneda”

La jeune femme obéit docilement, finissant néanmoins de lire les quelques lignes ; ils ont encore la force de se battre contre leur État alors qu'elle même n'a pu que fuir face à son propre père. Elle se sent soudainement vide, lasse. Les nuages sont traversés par les lumières de la ville, une fine pluie fait “clocloc” contre le hublot. Elle les admire. Les envie. Laïs écarquille les yeux pour mieux voir, se penche contre la vitre. Elle aperçoit pour la première fois le pays d’origine de la moitié de sa famille. Ah, ça coule encore un peu. Elle essuie avec sa manche, se dit que ça doit être une poussière. Bientôt elle débarquera au Japon, et y vivra. Ici au moins, elle n’aura pas à ouvrir la porte à son père.

“Tu sais ma chérie je te retrouverai toujours… je ne peux pas vivre sans toi…”

Bien sûr elle est au courant de la situation au Japon, sait qu’elle n’a rien à y faire et que c’est un choix insensé. Elle sait aussi qu'elle va devoir subir un long processus, prouver sa bonne foi. Parler à nouveau une langue qu'elle n'a plus pratiqué depuis des années, abandonner la nationalité anglaise. Être pucée. Elle sait qu’elle va devoir tout recommencer du début, se construire à nouveau, qu’elle devra épouser quelqu’un qu’elle n’aimera pas. Elle sait tout ça, mais si elle doit aller à l’autre bout de la Terre pour être enfin en paix, ne plus craindre chaque instant qu’il revienne, elle le fera. Dans moins d’une demie heure, Laïs sera au Japon. Une prison pour sa tranquillité.  

12 octobre 2109 - Japon
Plus tôt dans la journée il y avait eu cette terrible secousse, ce fracas retentissant. Ils étaient au restaurant à ce moment là, le verre de Laïs avait roulé sur la nappe, le vin rouge tâchant le blanc de cette dernière. L'incompréhension et la stupeur tâchant leur moment. Ils étaient rentrés en catastrophe quand on avait parlé de typhons, de terrible évènements. Akio l'avait rassuré, l'avait prise dans ses bras, lui avait caressé la tête longtemps en lui disant d'arrêter de regarder les informations, qu'ici ils étaient saufs. Laïs avait fumé clope sur clope, il l'avait embrassée longtemps, avait fini par s'endormir.

Laïs serre son oreiller contre elle, les jambes repliées contre sa poitrine. La télé, réglée au minimum pour ne pas réveiller l’homme qui dort à ses côtés. Tsunami. Tsunami. Tsunami. Le présentateur ne fait que répéter ça. Elle regarde les images, les voit passer courir, mille fourmis qui grouillent dans les rues inondées. Fourmis casquées, fourmis pompiers. Fourmis cris, fourmis horreur. Fourmis terreur. La fin du monde, la fin du monde. Elle regarde Tokyo dans la gueule du monstre-eau. Un instant elle croit voir son immeuble, ce qu’il en reste. Son lit? Un bout de lampe de chevet? Ce weekend Akio l’a amenée à Shirakawa-gō, loin du brouhaha de la ville. S’il ne l’avait pas fait, elle serait sûrement morte. Ravagée et noyée comme sa ville. Les larmes montent, l’angoisse, elle peine à respirer, mord le coussin.

Novembre 2109 - Japon
Tu sais Yael, c’était pas m’appeler Laïs Rivera qui me faisait mal. C’était pas ta voix, pas tes bras qui me faisaient mal. Je crois qu’avec le temps j’aurais pu accepter, j’aurais pu rester avec toi et juste t’aimer. J’ai beaucoup pleuré quand j’ai reçu la lettre, tu sais? J’ai fracassé tout ce que j’ai pu, hurlé à l’univers d’aller se faire voir.
Mais je n’ai pas eu le choix. Ils m’auraient envoyée en Centre de Redressement, m'auraient forcée à accepter l'Incontestable. Ils t'auraient aussi emprisonné, t'auraient forcé à me raisonner. Je ne voulais pas risquer de tout perdre, alors j’y suis allée. Je suis venue à ta rencontre. Je me suis dit que je trouverais bien un moyen de me débarrasser de toi, de te rendre utile. Je me suis dit qu’à défaut je pourrais peut être compter sur ta stabilité financière, trouver une solution pour faire annuler le mariage. Qu’avoir quelqu’un pour me retrouver dans les ruines et reconstruire ma vie, c'était peut être bien.

J’aurais pu, parce que tu n’étais pas méchant, loin de là. Petit garçon perdu, je t’ai trouvé attendrissant. Ces quelques jours ont été une bulle, une nouvelle bulle alors que nous vivions dans le chaos. J’ai presque failli m’y perdre, fondre dans cette incongruité. Heureusement, la vie est bien faite, et la bulle a éclaté toute seule. Annulée, en grosses lettres rouges. Annulé notre amour. Ton amour ? Ce mariage éclair, dysfonction du système, annulé par les bugs de Shukumei.

Je suis partie la nuit même. Sans t’affronter, le reste de mes affaires sur le dos. J’ai toujours fait ça fuir, tu n’es pas le premier, alors ne m’en veux pas. C’est plus simple de partir que de rester. J’aurais fini par casser ton petit cœur autrement, alors c’est plutôt une bonne chose. Je ne sais pas aimer très longtemps comme les gens le font, rester toute ma vie avec toi, faire des enfants, s’ennuyer, s’éloigner.
Aujourd'hui, plus les jours passent et moins je sais ce que me réserve demain.
Mais que m’importent les demains.
J’ai toujours dû avancer avec le poids d’hier.


Juillet 2112  - Japon
Maman. J’ai l’impression qu’après des années de bordel la vie est enfin revenue à la normale. Comme si après un mariage avorté, un bug, une épidémie, j’arrivais enfin à me sentir bien au Japon. J’ai hésité à rentrer pendant toute cette pagaille, retourner en Angleterre en espérant m'éloigner d'un nouveau mariage qui arrivera forcément un jour. Quand il y a eu cette histoire de désactivation de leur machine, je me suis dit que je pouvais tenter de disparaître, que c’était le moment. Quand il y a eu cette épidémie aussi, parce qu’ils regardaient ailleurs… Et puis il y a eu Soosaku et je me suis dit que si ma puce faisait partie de celles qui s'éteignaient, je partirai. Retourner en Angleterre pour pouvoir venir te voir, t’offrir les fleurs que tu aimes tant. Mais j’ai eu trop peur maman, trop peur de revoir papa. Je suis allée me faire recenser.  Pardonne moi maman, d’être partie si loin, et pardonne à papa.

Je m’en suis voulu, beaucoup voulu. J’ai toujours plus fumé, je suis toujours plus sortie pour oublier - tu n’aimerais pas beaucoup les hommes que j’ai vu à ce moment-là, ni les femmes… mais la plupart ne sont pas méchants tu sais, ils me font du bien. Je me suis construite, déconstruite, reconstruite. J'ai commencé à voir une psy, lui parler de tout ce qui s'est passé. Lui parler de papa. Je ris beaucoup plus, comme avant. Je me suis fait des amis, petit à petit. J’ai mon endroit à moi, dans les rues de Tokyo que j’ai investi, décoré, rempli de plantes. J’ai même un travail dans une bibliothèque. Je suis entourée de livres; comme tu aurais adoré cette bibliothèque! J’ai même une jolie plante sur mon bureau, elle s’appelle Stella. J’ai enfin l’impression d ‘avancer, de grandir et de guérir.

Être belle c’est un travail, un job à plein temps. Elle a toujours été très studieuse, très déterminée dans ses objectifs, et se comporte de la même manière avec son apparence qu’elle considère comme une compétence comme une autre. Ça ne l’empêche pas d'œuvrer à être compétente tout court, et elle se donne toujours à 100% dans ce qu’elle entreprend, quitte à en négliger d’autres aspects de sa vie. Ce qui est le cas, entre nous soit dit. Très ambitieuse, c’est un mini requin en cours de création qui compte bien se hisser au sommet, quoi qu’il lui en coûte. Elle est de nature plutôt affirmée, n'hésitant pas à donner son avis quand elle le juge légitime.

Malgré tout, elle garde en elle une certaine douceur quand elle relâche la pression, douceur qu’elle dirige vers la musique et vers ses fleurs qui lui permettent de sortir la tête de l’eau entre deux vies. C’est aussi une sentimentale qui a enchaîné les amours, et les relations en parallèle et en croisement de son travail d’escort. Elle aime aimer, être aimée. Elle aime posséder l’autre, se sentir indispensable, tout obtenir. Elle ne reste jamais longtemps auprès de quelqu’un tout à fait, papillon virevoltant butiner d’une fleur à l’autre. Cela lui permet d’aborder sa vie sentimentale d’une manière collant à son mode de vie souvent effréné. La jeune femme a énormément de mal avec le concept d’être assigné à quelqu’un par une loi qu’elle trouve réductrice et qui est pour elle synonyme de prison. Elle a aussi beaucoup de mal avec la notion de relation quelle qu'elle soit, ayant du mal à se livrer et faire confiance à l'autre. Quand les choses se passent bien, elle a tendance à s'éloigner, ayant peur de cette notion de stabilité et de s'ouvrir totalement à quelqu'un. C'est ce fonctionnement qui fait qu'elle a au fond très peur d'être liée à quelqu'un par la force, ne se sentant pas capable d'être contrainte à cette constance avec quelqu'un pour le reste de sa vie.

Sa psy lui dit qu’elle devrait se mettre moins la pression, que ça la mine. Laïs répond toujours qu’elle arrêtera quand elle estimera avoir réussi et qu’en attendant elle est encore jeune. Dans sa personnalité perfectionniste il y a un recours assez flagrant aux toxiques quotidiens en la nicotine et la caféine ou plus occasionnel lorsqu’elle sort le soir (qu’elle travaille ou pas). Souvent elle rit quand on lui répète qu’elle devrait faire attention à elle, que la prise de risque finira par lui faire vraiment du mal. Il existe en elle une grand ambiguïté quant à sa conception d'elle même, et elle commence tout doucement à essayer de prendre soin d'elle et de sortir d'un profond déni où elle a rangé tout ce qu'implique le traumatisme de sa jeunesse. Il lui arrive parfois de ressentir un sentiment de forte dissociation, où elle n'arrive pas à gérer ce qu'elle ressent, ce qui implique parfois des moments d'isolement plus ou moins longs.

Elle a un joli rire Laïs, léger, qui coule hors de ses lèvres. Globalement c’est une fille plutôt légère, plutôt heureuse. Souvent, elle enfouie derrière beaucoup d'auto-dérision ce qui ne va pas, comme beaucoup de monde, mais elle rit souvent Laïs. Son humour est souvent piquant, cynique, un peu coupant parfois. Elle se cache derrière quand elle est mal à l’aise, quand elle est fatiguée, quand elle ne veut pas être là où elle est.

Le briquet claque, la braise s’enflamme. Inspire, expire. Laïs regarde un instant le zippo qu’elle fait rouler entre ses doigts fins. Il est aussi mat et noir que le sont ses ongles laissés légèrement longs, toujours entretenus. Elle s’apprête à allumer l’eau dans sa minuscule douche alors qu’elle finit sa seconde cigarette de la journée - il est 8h. D’un geste rempli d'habitude, elle pose ce qui reste de sa compagne fumante dans un cendrier sur le bord de son lavabo et retire une à une ses bagues - une à chaque doigt exceptés les deux auriculaires. Elles tintent sur le rebord en faïence, aussi noires que l’était le zippo. La jeune femme achève sa cigarette et écrase son mégot dans le cendrier avant d’en jeter le contenu dans les toilettes et de tirer la chasse. Elle s’active ensuite à se déshabiller, retirant le t shirt ample - vestige de son adolescence et troué comme un gruyère - ainsi  que le short de nuit qu’elle porte pour dormir. Laïs prend un instant pour se regarder,se scruter dans son petit miroir. Ses yeux d’un gris presque brume sont ourlés de longs cils épais, son nez fin ne porte pas de signe d’un bouton, ses lèvres pulpeuses juste comme il faut ne sont pas sèches.

Aujourd’hui chaque détail compte, aujourd’hui elle a un rendez-vous qu’elle ne peut pas rater. Elle passe une main dans ses cheveux noir charbon coupés au carré, fait une moue satisfaite et se saisit de sa brosse à dents avant de se glisser sous l’eau tiède. Le jet bouillonne, les gouttes se perdent le long de son dos, caressant ses fesses et ses longues jambes. Son corps lui est précieux, doit se plier à ses exigences : c’est son outil de travail la nuit, son sauf-conduit le jour. Son corps se doit d’être séduisant, de ne pas dévier des idéaux masculins, pour toujours pouvoir servir, donner envie aux femmes pour qu’on l’admire. La nicotine et la caféine aidant, chaque parcelle de sa peau est tendue, sur un corps mince. Ce corps mince et cette gueule là ne laissent que peu indifférent, et elle le sait très bien, en joue, se met en scène à chaque sortie. Sous la caresse aqueuse on peut deviner quelques tatouages, ça et là : des fleurs qui recouvrent partiellement son corps, touches de couleurs sur une peau laiteuse. La plus grosse pièce est un ornement floral dans le dos, deux roses bleues. Seuls ses amants peuvent apercevoir les tatouages dissimulés le jour.  

Après sa douche, elle se sèche rapidement, ébouriffant ses mèches lisses sous une serviette et dessinant un petit cœur dans la buée qu’elle crée en soufflant sur sa glace. Elle est de bonne humeur. Laïs se saisit ensuite de la tenue prévue pour le jour. Un pantalon droit, fluide  et noir assez simple, col roulé gris clair. Ça lui plait. Elle s’ébroue et secoue la tête, faisant tinter ses sempiternels anneaux argentés pendant des deux oreilles et faisant perler quelques gouttes de ses cheveux sur le tissu de son haut. Ça sèchera sur la route ! Après avoir rehaussé ses lèvres d’un rouge discret, elle se maquille comme à son habitude, d’un trait précis d'eyeliner sur les yeux, coiffe sa frange, et repasse ses bagues. Quelques minutes plus tard, elle a bu son café, enfilé ses chaussures à talons - toujours -, récupéré son sac et est prête à affronter sa journée. Aujourd'hui elle va dire bonjour à son passé.

Personnage original d'un artiste

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