Eishun (Kami)Kaze

Est-ce que ses parents voulaient cet enfant ? Son père peut-être, sa mère pas du tout. Mais alors pourquoi procréer ? Le système, tout bonnement. Simple, efficace. Eishun n’a pourtant pas été malheureux pendant son enfance, si son père travaillait beaucoup, sa mère était femme au foyer…enfin, alcoolique au foyer. Ça restait drôle, dans la limite du raisonnable car sa mère n’avait pas “l’alcool mauvais”. Si elle ne considérait pas vraiment son enfant comme le sien, elle jouait à merveille le rôle de la super copine : elle dessinait avec lui, l’occupait comme elle pouvait, elle l’emmenait et allait le chercher à l’école. Une vie normale tout compte fait. Pourtant, il y avait bien des bas et pas des moindres : combien de fois Eishun avait bu de l’alcool également et dormait toute la journée à cause de ça ? Les fois où sa mère se blessait, tombait, était incapable de faire à manger ? Son père était dingue lorsque ça arrivait et bien vite, l’innocence de notre petit garçon s’envola comme neige au soleil.

Adolescent, c’était déjà un garçon mature pour son âge. Lorsqu’il rentrait, ce n’était pas sa mère qui s’occupait de lui, mais l’inverse. Il faisait tout ce qu’il pouvait et même si son père n’était pas souvent là, il restait un homme qui connaissait les difficultés que rencontrait son fils et qui faisait le nécessaire afin de le soulager, bien que cela n’était pas toujours suffisant. Après tout, il aurait été plus simple qu’il soit présent tout court et pas juste ci et là, entre ses horaires de travail, pour jouer un rôle exemplaire. Mais l’argent rentrait, c’était tout ce qui comptait.

Eishun ne se plaignait jamais, il aimait faire la cuisine et si faire le linge ne l’enchantait guère, il trouvait toujours des techniques pour s’occuper l’esprit en le faisant. Musique, télé, c'étaient les écouteurs dans les oreilles et mimant des solos de guitare avec la serpillère qu’il faisait le ménage, amusant au passage sa voisine qui venait de temps en temps lui filer un coup de main.

Et la protection de l’enfance dans tout ça ? Personne n’était réellement inquiété, Eishun ne parlait pas, les petits incidents avec sa maman restaient étouffés et il n’était pas coutume de demander de l’aide de la part de son père, cela aurait été avouer un échec. Toutefois, un accident marqua profondément notre jeune homme, celui où sa mère sombra en coma éthylique. Il n’avait que 13 ans, aussi responsable pouvait-il être, il était impuissant. Ce fut comme une bombe, un déclic puissant chez notre jeune homme. Tout s’est bien passé, les secours furent appelés, son père contacté, je vous épargne les détails car une semaine plus tard sa mère était de retour à la maison, bien qu’ayant dorénavant un suivi plus poussé avec des médecins, mais tout ce chamboulement changea l’avenir d’Ei.

Pompier. Il voulait devenir pompier. Pompier ou rien, comme un enfant qui se découvrait l’avenir parfait. C’était bien venu du côté de son père, bien qu’il se demandait comment il pourrait vivre de cet emploi qui restait du bénévolat. Mais Ei était motivé comme jamais, il savait déjà qu’il devrait suivre une formation auprès de la TFD (Tokyo Fire Department) à partir de ses 18 ans. Il voulait faire des études supérieures de toute manière, la notion d’emploi réel ne concernait pas vraiment notre jeune homme qui n’était pas du tout focalisé sur ça.

Et à ses 18 ans, dès que la bougie fut soufflée, il était le lendemain à la TFD pour s’inscrire. En cours le reste du temps, formé les premiers mois sur son temps libre, notre jeune homme donnait tout. Et quand il pouvait aussi réviser chez lui, il le faisait. Tentant des études de médecine, il foira sa première année. Il avait beau être bon, il n’était pas du tout focalisé sur ce qu’il étudiait. Sa plus grande fierté, c’était d’être pompier ! Mais il allait quand même devoir se trouver un job vu qu’il refusait de refaire une année. Grâce à un contact, il devint barman. Du temps libre entre chaque service, il profitait de continuer de se former. Officiellement pompier bénévole volontaire et sa formation validée, ce fut le “début de la fin” pour Ei après ses 20 ans.

2107, une “organisation” nommé les Incontrôlables se faisaient entendre. Tout d’abord vu comme des illuminés par “Shun” qui était renommé ainsi par les habitués du bar, les avis divergeaient quand même pas mal, que l’on soit poivrot, habitués de son lieu de travail ou juste de passage. Shun ne savait pas trop quoi en penser, ni pro, ni contre le service de son pays, il comprenait que plus de personne que l’état ne laissait penser, vivait mal ce système de vie. Mais l’année suivante, étant appelé pour une urgence, devant intervenir sur le lieu de la manifestation de cette organisation, son sang ne fit qu’un tour.

Autant de blessé, autant de mort…Shun était pompier pour sauver des vies, pas pour les voir mourir. Si cela faisait partie du job, ça n’en restait pas moins traumatisant. En colère après le mouvement, après lui-même, il se prit une sacrée murge après cet événement. L’alcool, un goût et une odeur si familière. Si douce et amère, si réconfortante et pourtant si détestable. Ce n’était qu’une fois. Mais facile d’accès avec le boulot. Il y eut donc d’autres verres. D’autres interventions, plus petites, mais à chaque échec, il y avait le verre de trop. L’année d’après, encore une manifestation, pas de mort, mais une nouvelle intervention. Toujours pour les mêmes, mais qui était réellement en tort ?

Ne plus penser. De toute façon, quelques mois plus tard, les Incontrôlables étaient rayés de la carte. Tant mieux ? Des types l’ouvraient en grand au bar, ça parlait d’injustice, de système corrompu…Shun faisait la sourde oreille. Pour lui, c’était une bonne chose : plus de risque de voir les gens se blesser entre eux, la vie faisait déjà très bien son affaire.

La vie oui. Le climat, le temps, la nature. Il y avait pire qu’une organisation pour ébranler le monde d’un homme. 12 octobre 2109. Le bipeur avait réveillé Shun, couché depuis à peine 1h. Le vent soufflait déjà sacrément fort et une alerte avait été annoncée. Il savait qu’il finirait par y avoir des interventions, mais il ne s’attendait pas à ça. Les typhons n’avaient pas été annoncés aussi proche de la côte.

La nuit fut un enfer. Rien ne s’arrêtait, la situation était catastrophique. Et le jour pointant le bout de son nez, même si cela rendait les secours plus pratique qu’avec des lampes frontales, personne ne s’attendait à la suite des événements. En poste pour sortir des habitants des décombres dans leur zone d’intervention (Bunkyo), la secousse qui vint les alerter stoppa net toute démarche. Eishun ne se souvient plus que des cris et de la violence des eaux qui, en moins de quelques minutes, avaient tout englouti. Il ne doit sa survie qu’à son collègue qui l’a attrapé par le col et qui ne l’a pas lâché malgré la puissance de la vague, se faisant pourtant emporter comme une vulgaire feuille de papier.

Le réveil fut dur après ce choc à la tête. Mais il était vivant et conscient, à l’abri aussi. Dans un bâtiment, avec d’autres survivants, tous regardaient par la fenêtre, impuissant. La mer n’était pas encore calmée, cela faisait quoi ? Moins d’une heure qu’il avait perdu connaissance. Il entendait déjà son collègue lui hurler de rester tranquille, mais en dehors de la migraine, il se sentait bien. Il s’en sortira avec quelques bleus, deux côtes fêlées et un trauma psy pour le restant de ses jours, mais il était sur pied après avoir été examiné par les médecins pour retourner sur le terrain deux jours plus tard, afin d’aider ses collègues.

Des mois plus tard, c’est l’alcool qui l’aidera lui. Il ne pouvait pas fermer les yeux sans voir les corps sans vie. Les cris, les pleurs. Le jour de la commémoration, un an plus tard, il perdit à la suite son job de barman et de pompier. Bosser bourré, sentir l’alcool, ne pas être attentif, ce n’est pas pro. Pire encore, il devient le danger lui-même. Un mal pour un bien, ça le força à aller voir un psy.

Sans boulot, tenant difficilement la barre, il se laissait clairement aller. Il tenta des petits boulots, mais encore en travail sur lui-même, il ne tenait pas plus de quelques semaines avant d’être une fois plus viré, car il arrivait en retard, voir n’arrivait pas du tout, incapable de se réveiller. Cela dura trois ans. Trois ans de galère, au stade ou il n’eut clairement rien à foutre du système error. Il entendit parler de l’épidémie qui suivie, mais qu’en avait-il à foutre aussi ? Pareil pour changer sa puce, squattant chez son père pendant cette période, c’est lui qui le poussa vers l’administration pour suivre les démarches et rester dans les clous demandés par le système.

2113, il était à la rue. Son père ne le supportait plus et il était de toute façon hors de question d’aller chez sa mère qui était sûrement dans le même état que le fils. Des mois de galère supplémentaire mais le hasard faisant bien les choses, il y eu des retrouvailles avec un ancien pompier. Comme un soutien, voyant ce qu’était devenu Shun et surtout comprenant parfaitement le cheminement qui l’avait mené dans cette situation, il lui tendit la main. Digne d’une sitcom américaine n’est-ce pas ? Mais ce fut une délivrance.

Il se remit sur les rails grâce à lui. Reprise de contact avec les médecins, remise en forme, il trouva un nouvel emploi. Ce ne fut pas évident, devenir surveillant de piscine, avec son passif…mais il avait les formations pour et son psy signait officiellement, en septembre 2114 sa stabilité. Ça plus du pistonage ? C’était un pari risqué, mais un pari réussi. Clean, il l’était, avec un tel poste à responsabilité c’était aussi ce qui le motivait à ne plus boire. Ou presque. Les jours de repos, il reprend, mais il se tape lui-même sur les doigts. Il doit être clean, il doit le devenir. Pour lui-même, pour son boulot, peut-être pour la future personne avec qui il finira. Putain, ça aussi ça commençait réellement à le travailler. 28 ans et toujours pas le moindre signe d’une lettre rose. Heureusement qu’elle n’était pas tombée avant, ça n’aurait pas été drôle, mais s’y souciant un peu plus approchant de la trentaine, l’idée le motivait à devenir un type meilleur. Il le mérite, non ?