Kaori, petite blonde incompréhensible [Finie]

Ma petite Kaori. Tu es née le 8 avril 2088 de l'union de deux parents japonais. Je me rappelle toujours des nombreuses disputes qu'ils avaient entre-eux. Tu me les racontais toutes. Et pourtant en ta présence ils se calmaient. Ils t'aimaient et ils ne voulaient que ton bonheur mais dès que tu avais le dos tourné, ça recommençait et ça, tu le savais même si tu faisais mine de ne rien voir. Malgré tout, tu voulais toi aussi te marier un jour et avoir des enfants. Je me rappelle encore des descriptions que tu me faisais pour ces petits êtres. C'était adorable. Petite fille noiraude qui rêvait d'élever des mômes avec ce qui serait son prince charmant. Cependant tu as rapidement découvert que pour avoir le prince, ce n'était nulle part ailleurs qu'au rayon biscuit. Dans la réalité, ils n'existent pas. Et même si c'était le cas, tu n'aurais pas pu le choisir. C'est l'Incontestable qui allait s'en charger pour toi et ça, t'as eu du mal à l'accepter. Le système en lui-même, tu t'en fichais. Tu ne voulais juste pas être mariée au premier con qui passait. Tu ne voulais pas avoir une vie comme celle de tes parents. Une vie où le quotidien est fait de disputes, de hurlements, de fracas d'objets. Toi tu voulais une vie en rose. T'étais très fleur bleu à l'époque. Et un peu conne aussi.

C'est lorsque tu avais quinze ans que le drame est arrivé. Encore maintenant je n'ose pas trop en parler car tu es restée assez sensible. Le seul jour où j'ai réussi à te faire parler, tu m'avais tout déballé avant de sombrer une nouvelle fois en larmes interminables. Le jour du drame, tu avais voulu faire une promenade avec tes parents. Rien de dangereux. Marcher tranquillement tout en profitant du peu de bon air qu'il reste, faire un pique-nique avec eux, profiter de les voir faire des efforts pour s'entendre. Ils avaient accepté ton seul caprice que tu avais formulé depuis des années. C'est au retour que tout s'est gâté. Tu ne sais pas ce qu'il s'est réellement passé, tout est allé trop vite pour toi. Tout ce dont tu te souviens, c'est de la voiture écrasée contre un arbre bien plus costaud que vous. Tu ne savais rien de l'état de tes parents jusqu'à ce qu'on te l'annonce à ton réveil à l'hôpital. Ta mère était morte sur le coup et ton père s'était éteint durant le transport dans l'ambulance. Depuis ce jour, pas une seule nuit ne passe sans que tu ne fasses un cauchemar.

Quand tu as été confiée à mes parents et que tu es venue vivre chez moi, j'ai cru que je ne parviendrais jamais à te décrocher un sourire. Tu étais tellement mal psychologiquement. Tu ne l'as jamais dit à qui que ce soit mais je ne suis pas dupe. Je sais que tu te sentais coupable du drame et que c'est toujours le cas maintenant. Tu peux cacher ta tristesse derrière un sourire devant les autres mais pas à moi. Je te connais trop bien. Je sais quand tu mens. Tu l'as beaucoup fait au début lorsque tu voulais éviter les nombreuses questions gênantes sur le sujet qui était devenu tabou. Tu souriais, assurais que tout allait bien et menais ta petite vie. Et quand tu avais besoin de relâcher la pression, tu t'isolais. Je savais très bien que tu ne faisais que pleurer durant ces moments-là. Je savais aussi que tu ressentais le besoin d'être seule pour parvenir à réellement te lâcher. Alors je ne t'ai jamais dérangée et t'ai toujours laissé ces petits instants de solitude. Je veillais même à ce que personne ne vienne.

Ce n'est qu'après plusieurs mois que j'ai revu ton magnifique sourire. Celui qui montre que tu te sens bien, que tu es réellement contente et que ce n'est pas un sourire de façade. C'est même à cette période-là que tu as décidé de te teintre les cheveux en blond. Tu disais que ça faisait de toi une rebelle de la société. Toujours aussi naïve. Encore aujourd'hui je n'arrive pas à croire que tu aies réellement pensé que je croirais à ta connerie. Tu m'aurais avoué que c'était un moyen pour toi de reprendre ta vie en main, je ne me serais pas moquée. Idiote. Et puis lorsque tu as eu 16 ans et moi 17, nous avons décidé de prendre des cours d'équitation. Au début, j'ai pensé que tu voulais monter à cheval juste pour le fun, pour te changer un peu les idées et aussi parce qu'une activité sportive ne fait jamais de mal. Je ne pensais toutefois pas que cela te ferait autant de bien. L'équitation était, et il l'est toujours, le seul moment où tu sembles apaisée. Monter à cheval te produit presque le même effet qu'une lobotomie.

Et puis tu as atteint tes 20 ans. Nous avons pu emménager ensemble et là, tu t'isolais un peu moins. Après tout il y avait moins de monde à fuir. Juste ton amie et confidente de toujours. Nous avons pu mener notre vie ensemble. Travailler quotidiennement au centre équestre, monter à cheval, participer à des concours hippiques, etc. Notre colocation a duré jusqu'à ton mariage avec Sergei. Un russe qui réussit toujours à te gonfler et te calmer en même temps. Tu me l'as avoué une fois sans le savoir, et pour ça je remercie les effets néfastes de l'alcool sur toi, mais même si ton époux te met souvent sur les nerfs, tu ne l'échangerais pour rien au monde. Tu l'aimes mais tu n'es pas foutue de le dire devant lui. Et pourtant avec les nombreuses disputes que vous avez eu durant les premiers jours, tu ne pensais pas ça possible. Toi, tomber amoureuse d'un chieur. Qui se ressemblent, s'assemblent comme on dit. Tu donnes une preuve que ce proverbe est vrai. Par contre, jamais tu ne ferais d'enfant. Tu avais rayé ce rêve de ta liste. Tu traites les mômes de tous les noms même si au fond tu n'as rien de personnel contre eux. Tu as juste peur de ce qu'il pourrait leur arriver par ta faute. Tu peux le nier mais tu me l'avais aussi avoué après ce verre d'alcool.

Et pourtant, maintenant tu es enceinte. J'ai dû te forcer pour que tu ailles faire un contrôle et c'est là que tu l'as appris. Tu peux râler autant que tu le souhaites mais je continuerai toujours à te narguer à ce sujet. Toi avec un polichinelle dans le tiroir. Avec Shukumei, j'ai eu peur de ce qui aurait pu t'arriver. Ça a été réciproque. Toi aussi cette catastrophe climatique t'a bien secouée. Sur ce coup, on a été plutôt chanceuses. Nos logements respectifs et le centre équestre n'ont pas eu trop de dégâts même si nous avons eu les pieds dans l'eau. D'autres n'ont malheureusement pas eu cette chance et ça, tu t'en rends bien compte. Je suis toutefois contente, Shukumei ne m'a pas retiré le moyen de te taquiner et de te rendre mal à l'aise. Toi tu seras maman Kaori et moi, je serai tata Suki. C'est comme ça. T'as pas le choix. C'est comme le mariage, tu m'as à tes côtés pour le meilleur et pour le pire.