Costantino Camozzi ―

Costantino naît le 28 octobre 2081, fils unique de Giulio et Monica Camozzi. Ceux-ci ont la jeune trentaine et plusieurs tentatives infructueuses d'enfant derrière la cravate. Les deux époux sont ingénieurs dans le domaine de la technologie, tous les deux très accaparés par leur emploi respectif, où ils se sont plongés plus que nécessaire. Leur mariage est paisible, mais fragile suite à tous les fausses couches et les années d'infertilité, et ils sont encore ensemble pour le bien de leur fils.

Costa est un bébé agité et il évolue vite en bambin curieux, plein d'énergie. S'il teste les limites, c'est par désir d'exploration plus que par réelle rébellion. Ses parents inscrivent l'enfant autant au soccer pour les petits qu'à des cours préparatoires de danse, autour de ses quatre ans (2085) afin d'endiguer un peu sa bougeotte constante. La danse a plus de succès que le soccer : courir dans tous les sens, ça marche un temps, mais ça n'a aucun effet sur sa discipline et son envie d'écouter les règles. L'exploration des types de danse dirige Costantino vers le ballet et il devient un des quelques garçons dans  les cours. L'attention particulière est tout autant appréciée. À l'école, qu'il a débuté vers ses six ans, c'est un élève au niveau convenable, mais terriblement bavard ― ses parents étaient déjà résignés à ce destin inévitable. Socialement, il a une nette facilité à se faire des ami.e.s et il démontre une certaine capacité d'adaptation. Un bel entêtement, aussi, qui génère à son tour moult soupirs de résignation de la part de la cellule parentale.

Cette cellule parentale, d'ailleurs, évolue avec de plus en plus de mal. La flamme est bel et bien éteinte et rester ensemble pour le bien d'un gamin, ça ne dure qu'un temps. Costantino est tout juste adolescent lorsque Giulio et Monica lui annoncent qu'ils déménagent au Japon, tous les trois. Ils ont tous les deux trouvé une incroyable opportunité professionnelle là-bas et c'est une occasion en or, une promesse d'avancement lorsqu'ils reviendront ensuite en Italie. Ce ne sera que pour deux ans, bien sûr. Et l'Incontestable ? Costa est jeune, mais impossible de ne pas être au courant, même superficiellement, de ce qu'est l'Incontestable et ce qu'il implique pour le mariage de ses parents.

Leur silence est sa réponse.

En mars 2095, les Camozzi déménagent au Japon, avec chacun en main un visa longue durée. Tous suivent des cours intensifs de japonais et bien vite, l'adolescent découvre que ce n'est rudement pas suffisant pour être au niveau des autres élèves de troisième année de collège. Il a des cours du soir avec un tuteur privé et souffre abondamment dans son apprentissage. On lui trouve un studio de ballet, histoire qu'il puisse garder un équilibre sain dans sa vie et faire autre chose que bosser pour l'école, mais ça devient une nouvelle source de douleur. Il détonne au milieu des Japonais et la compétition est terrible. Il s'accroche et persiste néanmoins, entre autres grâce à sa proverbiale obstination. Il alterne entre le domicile de son père et celui de sa mère, qui se sont paisiblement séparés au pays. Puisque leur mariage n'y est pas reconnu...

2097 sonne le glas de l'expérience japonaise de la famille. Les discussions entre Giulio et Monica se font loin des oreilles de Costa, de toute façon un poil occupé entre le lycée, le juku et le ballet. La décision est prise de rester au Japon, où leur carrière est florissante et où, ils sont certains, leur fils saura aussi s'épanouir. Le fils en question est toujours mineur, bombardé de propagande pro-Japon, pro-Incontestable, et voit bien que ses parents croient que c'est le meilleur choix pour lui. Rester et faire le processus vers la citoyenneté japonaise. Il obtient sa citoyenneté au cours de la même année, ainsi que la fameuse puce.

En avril 2099, Costantino débute des études supérieures en éducation, plus précisément en orientation. Il est assez sûr de son choix et c'est encore heureux, vu le prix des études au Japon. Il se fait opérer au genou cette année-là, suite à une blessure, et est forcé au repos sportif quelques mois avant de s'y remettre. En 2101, il fait le choix de cesser le ballet. Les groupes se professionnalisent et lui est décidé à ne pas faire carrière dans le domaine. S'il continue par la suite d'assister à des cours, c'est en dilettante, sans le sérieux appliqué de jadis. Le temps libre qu'il récupère est investi dans sa vie sociale et ses études, et quelques heures de sommeil supplémentaires. Une fois sa licence en orientation complétée, ainsi que le stage obligatoire pour l'obtention de son diplôme, il s'embarque, en 2103, dans une maîtrise en sciences de l'orientation. Celle-ci inclut deux stages dans des milieux différents et il trouve une grande affinité avec celui dans un lycée (davantage qu'avec des adultes qui cherchent la réinsertion professionnelle). Il concentre alors le choix de ses cours vers ceux qui concernent l'intervention avec les adolescents. En 2104, l'Incontestable attribue un nouveau mari à sa mère et le couple nouvellement formé adopte une gamine orpheline de dix ans. C'est extrêmement étrange, de devenir grand frère à son âge, mais Costantino accueille Meiko avec joie dans sa vie.

Il gradue de la maîtrise en 2105. Il est aussitôt inscrit auprès d'un ordre professionnel, auprès duquel il paie une cotisation annuelle afin d'avoir le droit d'exercer comme conseiller d'orientation. Son premier véritable emploi est dans un lycée pour garçons. On ne le prend pas tout de suite au sérieux, c'est qu'il a l'air fort jeune (en plus d'être étranger), mais son application au travail le rend au moins apprécié de ses collègues. Costa se taille une belle place, en quatre ans de travail dans le lycée, mais n'hésite pas à sauter le pas lorsqu'il oeille une offre d'emploi auprès de l'orphelinat chapeauté par la Maternité nationale.

Le cheminement d'embauche est long et il dépoussière très spécialement ses quelques cours de psychologie pour être certain d'être pris. Il est engagé à l'été 2109. L'environnement est très différent du lycée. C'est à nouveau un travail de patience et de confiance, mais Costa se sent rapidement très valorisé dans ce travail. Il pense à lui-même, adolescent, à ce qu'il aurait voulu avoir comme soutien ; il pense surtout à Meiko, qui aurait eu l'âge d'être accompagnée par un type comme lui, si elle était encore à l'orphelinat. Puis, l'épreuve du feu (ou plutôt, celle de l'eau) arrive avec le tsunami d'octobre 2109. La Maternité nationale tient bon, sous l'assaut des flots, mais sa localisation dans Shinjuku en fait tout de même un lieu frappé par la catastrophe. Tout le personnel est appelé à mettre la main à la pâte, autant que faire se peut, pour nettoyer, soigner, accompagner les enfants ; puis, accueillir et aider tous les nouveaux pensionnaires. L'affaire est dure et Costa ne compte pas les heures passées à l'orphelinat.

Pris dans les urgences professionnelles (le tsunami, puis l'épidémie, pas moyen d'avoir une pause), plusieurs de ses relations se sont distendues et tout sociable soit-il, l'homme peine parfois à trouver du temps pour ses ami.e.s. Il décide, autour de 2111, de s'inscrire sur  une nouvelle application de rencontres. Celle-ci est particulière et laisse place aux rencontres totalement anonymes, aux discussions qui n'ont rien à voir avec l'éphémère, ni même la séduction. Pour un type qui ne veut pas s'engager romantiquement, c'est une bonne idée. L'appli lui colle le pseudo Raton Espiègle, un avatar aléatoire, et le met en discussion avec un certain Ours Sérieux. Les deux hommes deviennent proches, la barrière des écrans permettant un contact plus honnête. Ils réussissent même à débloquer l'envoi de photos, ce qu'ils font à peine. Jamais de leur visage, par pudeur, ou désir de continuer à jouer le jeu de l'appli. Une main tatouée qui verse un cocktail dans un verre pour l'Ours, une main baguée offrant un pouce en l'air pendant une course sous une pluie battante pour le Raton. Raton Espiègle en est à proposer à Ours Sérieux de se rencontrer en vrai lorsque celui-ci disparaît de l'application sans prévenir. Pas un nom pour le retrouver sur l'ATAI, pas un indice, que leur conversation inactive en souvenir. Ce qui est blessé est plus profond, fragile, que son ego. Costa se détache des applications, de leurs promesses, et réinvestit ses réelles relations. Ça lui a bien prouvé que tout ça, c'était du flan.

Le travail se stabilise petit à petit et il trouve sa place dans les rouages de l'orphelinat, où sa figure est désormais connue, reconnue, et son travail sincèrement apprécié, en collaboration avec les autres membres de l'équipe. Chaque départ d'adolescent est un petit deuil et il espère toujours que seules de bonnes choses attendent les nouveaux adultes. Costantino déménage dans un nouvel appartement, plus moderne et mieux isolé, en 2114. Le voisinage est semblable à tous les autres de Tokyo, i.e., personne ne lui parle. On le croit simplement de passage et il n'a pas à coeur de trop s'impliquer non plus. Seul son voisin de palier, un type un peu sexy, accepte de lui accorder vaguement de l'attention, que pour mieux lui signifier qu'il n'a pas l'intention de lui accorder la moindre réelle attention. Costa souffle du nez, déçu et l'ego superficiellement égratigné, mais soit. Il suppose que, de toute façon, se taper son voisin n'est pas une idée de génie, surtout si ça se passe mal. Ça ne l'empêche absolument pas d'être très sympathique à chaque minime interaction avec Chance ― le prénom arraché de sa bouche comme une dent pourrie ― et même un peu plus. Au cas où son avis puisse être changé par un joli sourire et beaucoup de patience.

Le routinier de sa vie plaît à Costantino. Une routine, certes, mais bien occupée par le travail, le sport, les ami.e.s. Il alterne les repas hebdomadaires avec ses parents, une semaine son père, une semaine sa mère, son mari et Meiko. Le spectre de la lettre rose, lui, plane toujours sur sa vie et le bloque dans tout réel engagement amoureux, mais il suppose que c'est pour le mieux.