Ichie Ozawa

Ma vie débute lorsque je vois le jour, le 31 octobre 2086 à Tokyo. Mes parents ont choisi pour moi, le prénom qui me suivrait jusque dans la mort, Ichie Ozawa. Je suis leur petite fille, leur trésor. Le fruit de leur cohabitation forcée par l'incontestable. Ils ne se sont pas aimés au début, s'était même plutôt compliqué entre eux, mais les années ont eu raison de leur lutte, ils ont fini par s'apprécier et surtout avoir un amour en commun à chérir, moi. Mon père, Tsuga Ozawa était carrossier automobile et ma mère, Akemi Iwasaki était masseuse bien-être à son compte. Mes parents étaient des personnes responsables et économes, prévoyant pour leur famille respective et pouvant subvenir à leurs besoins, si nécessaire. Ils étaient heureux de m'accueillir, ravis de me serrer contre eux et de me présenter à leurs parents.

Je grandis au sein de cette famille aimante, présente les uns pour les autres. Je suis une petite fille sage, bien élevée et douce. Je m'épanouis à mon rythme entre école et activités extra-scolaires variées, je vais chez mes grands-parents maternels jusqu'à ce que mon père puisse venir me récupérer, car maman finit son travail plus tard. J'aime bien aller chez mes grands-parents Iwasaki, je dors chez eux quand mes parents ont besoin de passer une soirée en toute intimité et j'ai toujours de bons mochis préparés par ma grand-mère. Parfois, nous rendons visite à mes grands-parents paternels dans la région d'Okinawa, c'est là-bas qu'ils vivent pour leur retraite.

Ma scolarité se déroule sans encombre jusqu'à mes neuf ans, lorsqu'un événement notoire va bouleverser ma vie. Ce soir-là, je dors chez mes grands-parents pour permettre une sortie en amoureux à mes parents, une soirée au restaurant pour célébrer leur mariage incontesté. L'appartement est endormi, il doit être trois ou quatre heures du matin quand l'on sonne à la porte de chez mes grands-parents. Un son qui réveille tout le monde. C'est la police. Ils demandent à entrer, mon grand-père accepte et leur propose de s'asseoir, je guette depuis le petit couloir sans un bruit. L'échange entre les policiers et mes grands-parents prend une tournure pesante, c'est là que ma grand-mère s'effondre dans les bras de mon grand-père. Et moi, je suis là. Immobile. Tétanisée par ce qui vient d'être annoncé. La phrase repasse en boucle dans mon esprit « vous êtes bien les parents d'Akemi Osawa, née Isawaki ? » Ils opinent tous les deux. « Nous avons le regret de vous annoncer son décès dans un accident de la route, ainsi que celui de son époux. » Je n'aurais pas dû entendre les choses de cette façon là, mais le fait est que personne n'avait remarqué ma présence. Mes larmes coulaient le long de mes joues dans un silence inquiétant. Quand l'agent de police me remarqua, il l'indiqua à mes grands-parents qui essuyèrent rapidement leurs larmes, tentant de se ressaisir. Ma grand-mère vint vers moi pour me prendre dans ses bras et me conduire dans la chambre d'ami qui deviendra la mienne, tandis que mon grand-père raccompagne les policiers.

Les jours passent, ainsi que les semaines sans que je ne dise un mot. Nous avons enterré mes parents, ma garde est attribuée à mes grands-parents maternels et ils ont pu récupérer toutes mes affaires. Ils ont gardé quelques albums photos, des objets sentimentaux et deux ou trois autres choses, mais pour le reste tout a été vendu et mis sur un compte bancaire que j'aurai à ma majorité. C'était les volontés de mes parents. Quant à mes grands-parents paternels, ils ont stipulé ne pas vouloir rester dans ma vie sous prétexte que je leur rappelais trop leur défunt fils. Moi, j'ai commencé à voir un pédopsychiatre afin qu'elle m'aide à digérer ce choc et que j'accepte à nouveau de parler. Mon mutisme dura presque deux ans, ça ne m'a pas empêchée d'aller à l'école et d'être une bonne élève, je me suis simplement exclue socialement. Je n'ai pas cherché à aller vers les autres enfants et mes amis de classes ont dû en avoir marre de mes silences. Les choses vont mieux pour moi, je communique à nouveau convenablement et c'est ainsi que se termine mon enseignement primaire.

Au début de mon enseignement secondaire, je poursuis mes visites chez mon pédopsychiatre de manière plus espacée. Les enfants sont rudes entre eux et à mesure que les classes avancent c'est de pire en pire. Mes grands-parents n'ont pas les moyens de m'acheter les dernières technologies ou les vêtements de la marque à la mode du moment. Je suis moquée. Je suis montrée du doigt comme la bouseuse de service. Je suis insultée d'orpheline, de bouseuse et j'en passe. Je me renferme sur moi-même ne voulant pas causer des soucis supplémentaires à mes grands-parents, je n'ai pas d'amis et je ne sors pas... de toute façon nous avons tout juste de quoi manger correctement, pas les moyens pour des extras. Je me fais malmener, parfois brutaliser. Les insultes sont de plus en plus virulentes à mon égard et il m'arrive souvent de m'enfuir en pleurant en essayant de me cacher.

Un jour, la pétasse du lycée m'a faite sortir de mes gonds. Ses mots étaient si tranchants que j'ai vu rouge. Son rire de greluche martelant mes oreilles alors que ses mots provoquaient en moi une ébullition, elle en ajouta une couche supplémentaire en manquant de respect à mes défunts parents. Sa phrase m'a mise hors de moi en une fraction de seconde, « Tes parents auraient eu honte d'avoir une fille comme toi, ils ont préféré mourir que de te voir grandir ! ». Je me suis redressée et j'ai hurlé toute ma rage telle une folle en cognant cette garce de toutes mes forces. J'ai craché toute ma colère et je lui ai pété le nez, pas cher payé pour toutes les horreurs qu'elle a pu dire, mais quelle libération. Enfin, pas tout à fait, car j'ai été exclue quelques jours de l'établissement pour violence, mais le point positif c'est que les autres ont réfléchi à deux fois avant de recommencer à me chercher des noises. Ma scolarité n'a pas été glorieuse socialement, vue comme la fille à fuir ou trop naze, je ne me suis pas faite d'amis et j'ai enterré tout espoir de plaire à quelqu'un. Je ne sais pas quoi faire de ma vie et je préfère arrêter l'école, de toute façon nous n'avons pas vraiment les moyens pour que je puisse faire ce que j'aimerais, alors je jette l'éponge.

Après l'obtention de mon certificat de fin d'étude, je me trouve un travail dans le quartier où je vis avec mes grands-parents. L'épicerie du coin a besoin d'un employé et je suis disposée à travailler. J'y passe un peu plus de deux ans, car au cours de l'année 2106 je suis contactée par un notaire qui m'annonce que mes parents avaient chacun une assurance vie et que j'en suis la bénéficiaire, au même titre leurs comptes bancaires m'appartiennent à présent que j'ai l'âge de les gérer. C'est comme une bouffée d'oxygène pour moi, la bouée qui va me sauver et me permettre de réaliser mon rêve. L'euphorie s'empare de moi, la roue tourne enfin et j'envisage de reprendre mes études. Je m'inscris et me finance l'admission au Kurétaké College of Medical Arts et Sciences, afin d'obtenir en trois ans un diplôme national me permettant de devenir praticienne en shiatsu, anma et massage occidental comme ma mère. Je débute les cours en avril 2106. Assidue et motivée. Je donne le meilleur de moi-même lors de mes cours. Lors du Big Bang Kiss, je me tiens loin de tous ces tarés. Je n'ai pas le temps pour de pareilles conneries, j'ai enfin la chance de faire ce que j'aime. Les pratiques de massages me permettent de m'ouvrir un peu plus socialement et de tenter de faire confiance à certaines personnes. Mais une fois encore les emmerdeurs sont toujours les mêmes putains de gosses de riche. C'est facile pour eux, ils ont tout ! Bref, je les ignore du mieux que je peux et je les évite au maximum jusqu'à l'obtention de mon diplôme national en mars 2109. Mes résultats excellents me permettent de décrocher un travail à L'ARONA Spa dans le quartier de Shibuya, comme masseuse. Un endroit où me faire la main et une réputation.

Le mouvement anti-incontrôlable se poursuit avec le Festival Ansuburu, un acte pacifiste qui dérape une fois de plus. Il faut être dingue pour croire que le gouvernement va laisser passer ce genre de choses. Vouloir s'en prendre au pouvoir, c'est comme vouloir s'en prendre aux riches... celui qui a les moyens fait facilement taire son ennemi. Et je ne me suis pas trompée, le mouvement prend fin dans les mois qui suivent sous couvert de protection de la population par le gouvernement. De la poudre aux yeux, comme toujours.

Le sort s'acharne avec Shukumei, le passage des trois typhons, suivi d'un tremblement de magnitude neuf et de l'arrivée du Tsunami qui ont mis à mal tout le pays. Le petit immeuble dans lequel nous vivions a tenu, durant la nuit, nous nous sommes tous réfugiés à la cave. Une nuit longue et pleine d'angoisse. Au petit matin, nous sommes sortis pour constater les dégâts, un bâtiment de notre rue s'est effondré. Nous sommes restés à l'abri dans notre appartement tous les trois, les sirènes nous ayant indiqué l'arrivée d'un Tsunami. Après le passage de la vague les hommes se sont réunis pour tenter de déblayer les décombres à la recherche de survivants, les secours sont débordés et d'autres quartiers ont été plus touchés que le nôtre. Ils sont plusieurs dans les décombres d'un immeuble quand il s'effondre un peu plus encore. Ils n'ont rien vu venir et ils n'ont pas eu le temps de sortir et c'est comme ça que j'ai perdu mon grand-père. Suite aux événements notre immeuble avait besoin d'être démoli, trop fragilisé, il risquait de s'effondrer. Nous sommes accueillies par des amis de mes grands-parents, qui eux aussi font face au deuil. Je crois que l'on a tous besoin de cette solidarité à ce moment-là. J'éprouve des difficultés à accepter la mort de mon grand-père, c'est comme perdre mon père pour la seconde fois et ma colère ne s'apaise pas. Je reprends contact avec ma psychologue, elle m'aide par mail. Sa présence m'est précieuse, même si je ne la vois pas physiquement, elle me pousse à regarder autour de moi. Je ne suis pas la seule à souffrir, c'est une catastrophe naturelle qui a détruit plus d'une vie et plus d'une famille.

Quelques mois après Shukumei, je reprends le travail pour aider à remettre sur pied l'établissement, pas question de masser qui que se soit dans la pagaille. C'est à ce moment-là que j'ai rejoint une association pour venir en aide aux orphelins de la catastrophe. Nombreux sont les enfants qui se retrouvent comme moi, alors je pense pouvoir les aider, les soutenir et peut-être trouver les mots pour apaiser leur tristesse. J'ai vécu une situation similaire, un brutal accident qui m'a arrachée à ma petite vie bien paisible. Un an après Shukumei je commémore la mémoire de mon grand-père, ainsi que celle de tous ceux qui sont décédés ce jour-là. Je me souviens de son héroïsme malgré ma tristesse, mais je suis fière qu'il ait tenté de secourir d'autres citoyens. Rien ne pouvait prédire cette vague, elle a surpris toute la population.

La vie reprend son cours tout doucement au rythme des réparations et des rénovations, enfin pas tout à fait, les moniteurs de l'incontestable sont tous en system error, un message rouge sur fond noir. C'est un miracle ! L'occasion de vivre sans avoir peur de recevoir une lettre rose. Ce n'est pas que je ne crois pas en l'algorithme du mariage, c'est juste que je ne souhaite pas être mariée tout court. Avoir une famille et des personnes auxquelles nous tenons c'est la plus grande source de douleur et j'estime avoir suffisamment souffert. Les semaines passent sans que nous ayons la moindre information sur cette erreur du système, mais les informations nous portent la nouvelle d'une épidémie qui sévit sur le pays. L'épidémie fait rage quand je suis touchée vers la mi-juin et je suis clouée au lit avec des migraines, sueurs froides et une fièvre tenace. Je me sens stressée, irritée et mes montées en pression me font saigner du nez. Ma grand-mère s'occupe de moi et me trouve insupportable, mais elle reste à mon chevet par peur de me perdre. Après, presque deux semaines, je me suis rétablie. Comme si j'avais été victime d'une vilaine grippe. C'est aussi à ce moment-là que la presse déclare que le system error n'était rien d'autre qu'un test du gouvernement pour juger de la fiabilité de leur machine et de responsabiliser la population. Foutaises ! Encore une machination du gouvernement pour dissimuler leurs véritables intentions.

En décembre, nous apprenons que la cause de l'épidémie est une défaillance des puces. L'idée de fuir ce recensement me traverse l'esprit, mais je suis incapable d'abandonner ma grand-mère et les enfants que j'aide avec l'association. Mon cœur me perdra ! Je ne me presse pas pour aller me faire recenser et changer ma puce, mais je m'y rends avec ma grand-mère dans les semaines qui suivent après un passage de la milice chez nous pour me rappeler à mon devoir de citoyenne. Certains ont tenté leur chance en fuyant Soosaku, la chasse à l'homme a été rondement menée et je doute qu'il y ait eu beaucoup de réussite. Nous n'en saurons rien, le gouvernement gardera ses informations très bien cachées, je n'en doute pas.

J'essuie un nouveau coup dur au décès de ma grand-mère le 21 février 2113. Toutes les personnes m'ayant élevée ne sont plus. Néanmoins, ma tendre grand-mère est partie naturellement de vieillesse ce qui ne provoque pas cette colère en moi. L'acceptation est plus douce, je la pleure, mais je n'ai pas besoin de revoir ma psychologue pour digérer. Elle me laisse en héritage son assurance vie et celle de mon grand-père qu'elle n'avait pas touchée pour me mettre à l'abri lors de leurs décès. L'argent de cet héritage me permet de me projeter et d'accomplir mon rêve en ouvrant mon propre cabinet de massage bien-être, Akemi Massaji en hommage à ma mère. Je suis à mon compte et propriétaire de mon établissement. Mon activité se développe, j'ai une clientèle fidèle que je me suis efforcée de dégoter à l'aide de ma réputation et de publicité sur les réseaux sociaux. Lors des élections Senkyo, j'ai tenté d'éviter toutes conversations à ce sujet. Ça me donne de l'urticaire rien que d'y penser, car peu importe qui sera élu, rien ne changera !

Personnage tiré d'un manga/anime/jeu-vidéo/série

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