Ren † Everyone is important because everyone serve me a purpose

Assis face à son bureau en bois cérusé, je la fixe d’un air détaché tandis qu’elle m’explique l’obligation de la consultation.  

– Comme je vous disais hier dans votre chambre, il nous est absolument indispensable de savoir les circonstances de votre accident.
– Oui, une formalité que j’abrège en détournant les yeux sur ses étagères encombrées, un soupire de contrariété trahissant mon état d’irritabilité. Les traits tirés, je suis épuisé et ne cherche même, pour une fois, à le cacher. Donc, comme je vous le disais hier, je n’ai pas essayé de me suicider. C’était un accident. Une erreur d’inattention, un mauvais jugement. Cela arrive fréquemment, vous savez, de prendre un virage un peu trop rapide en moto.  

La femme, une jeune fraichement diplômée, sent le ton monter et mon impassibilité se fissurer. Un sentiment d’injustice qui me suit depuis des années - quel comble pour un avocat, l’apôtre même des droits.  

Moins coopératif, un brin trop expressif, je sens d’ici qu’elle ne peut s’en contenter. Le problème ne venant pas tant de l’hôpital qui m’héberge en me remettant sur pied (pour d’autres, l’entretien se serait déjà arrêté), mais plutôt, de la contribution financière de mes parents exigeant, en contrepartie, de tout savoir de mes défaillances. Mes carences et mes insuffisances. Non pas pour m’aider ; simplement à mieux les camoufler.  

Avec une telle pression, celle en blouse ne peut que suer. Sa respiration saccadée, son pouce commence à appuyer frénétiquement sur l’embout de son stylo – faisant monter et redescendre l’encre qu’elle ne peut coucher sur le papier.  

Je n’ai rien à raconter.  

Mais bon, parce que j’ai pitié (et que je suis habitué à me faire épier), je prends sur moi afin qu’elle se sente moins gênée. Elle ne fait que se conformer aux ordres de quelqu’un qui les lui a donnés.  

– Je comprends. Cependant... vos proches ont indiqué dans votre dossier une espèce d’instabilité récurrente à cette période de l’année. Est-ce lié ?  

Elle a osé l’évoquer. Ils ont osé en parler alors que c’est, en partie, de leur faute si j’ai développé cette anxiété après m’avoir exilé en Angleterre tel un malade à soigner. Un condamné qui doit repentir ses péchés.  

Toute cette histoire me fait pouffer – un rire amer qui sort du nez et acidifie tout sur son itinéraire.  

– C’est sûrement ce que j’ai entendu de plus drôle.
– Comment ça ?  
– Allons, si vous avez toutes ces infos...repris-je plus sérieusement, le sourire effacé par des sourcils renfrognés face à l’absurdité. Vous savez déjà toute ma vie de fond en comble. Que vous faut-il pour que vous ayez votre paix et moi la mienne ?  
– Je... je ne vois pas de quoi vous parlez Monsieur Makasa.
– Concrètement, vous risquez quoi si je ne vous réponds pas ?

Mon timbre tranchant la surprend, réalisant que je suis déjà au courant.  

Croyait elle vraiment être la première ?

– Un avertissement, concède-t-elle enfin à m’avouer d’un air gêné. Le bruit du stylo s’étant arrêté, le silence qui suit n'est que plus interminable pour elle comme pour moi.  
– Bon, soufflé-je en allongeant mon pied plâtré sous sa secrétaire. Finalement, le temps du rendez-vous risque de s’allonger. que voulez-vous ?
– Retracer moi avec vos mots votre vie. Je dois juste m’assurer que.... que vous soyez "équilibré". Faute de quoi, je devrais le signaler et vous serez sûrement contraint de prendre des médicaments...

Moi qui pensais avoir réussi à faire mes preuves après Shumukei, je me rends compte que malgré mes efforts, je continue de n’être qu’un objet qui, à tout moment, peut se retrouver jeté à la poubelle.  

Si loin d’être encore cet étudiant...  
Et pourtant, je me contente, moi aussi, d’inspirer bruyamment en relâchant les épaules avant de plier l’échine. Se battre serait une perte de temps. À quoi bon ? Je n’ai rien à protéger, personne que je veux sauver – j’ai appris à déconnecter, parfois, pour ne devenir qu’une machine.  


Je rappelle quelques faits tels que ma date de naissance, le 17 septembre 2083, et celle de mon frère Kou, le 12 septembre 2085. Je ne pense presque jamais à l’évoquer sauf pour les papiers. Elle me demande notre lien ? Je réponds sommairement que c’est un lien de parenté. Elle répète sa question, ajoutant qu’elle ne parle pas de filiation, mais de la description de notre relation. J’avais bien compris mais j’ai fait exprès d’éviter. Qu’aurais-je à raconter ? À part cohabiter lorsque nous étions jeunes – ou plus précisément jusqu’à ce que j’aille m’installer à Londres pendant l’année de mes dix-neuf ans, nous n’avions rien partagé. Je l’ai toujours rejeté à l’image de nos parents, je n’avais pas le temps. Pas l’énergie de m’attarder sur ses propres soucis ; les miens me poursuivaient déjà au quotidien.  

Si j’ai des remords ?
Pas vraiment, qu’aurais-je pu y changer ? Et puis, ce n’est pas comme si j’avais envie de l’épauler ; il a réussi à me prendre des liens chers auxquels je tenais en plus d’avoir toujours eu moins d’obligations à honorer. Moins d’attentes à combler. En fait, c’est plutôt le contraire ; si je pouvais, je l’insulterais. Mais je me contente de l’ignorer comme s’il n’avait jamais existé.

Pour le reste de mon enfance, je suis entré dans une prestigieuse école maternelle puis élémentaire privée de Tokyo. Je m’y plaisais, mais ça, mes parents ne s’y sont guère intéressés. Obnubilés par les avantages que leurs meilleurs amis et clients, Kôsei et Emi Asuka, leur ont vantés; ils ont décidé de copier leur mode de vie en nous envoyant vivre et étudier à l'étranger.

C’est ainsi que je me suis retrouvé, pour la première fois à neuf ans, parachuté avec Kou, à des milliers de kilomètres de notre maison le 15 août 2094 -juste avant la rentrée.  
Logés dans un quartier huppé, à quelques pas de mon ami Hanz Asuka, il faut dire qu’une fois l’anglais maîtrisé, il n’y avait pas grand-chose qui avait changé. Ici ou à Tokyo, on se débrouillait solo. Elevés constamment par des étrangers, ce sont eux qui nous ont vus évoluer tout en faisant respecter à distance les volontés de ceux qui les nourrissaient.  

Mais qu’importe à cette époque parce que je les avais.  
Suiko, Ayana et Hanz ;  
Qu’est-ce que je les aimais.

Sans oublier la présence passagère de Kairi, cette gosse plus jeune que j’ai rencontré pour la première fois dans un resto à Tokyo et qui, continuait de se présenter dans notre logement avec une partie de sa fratrie deux fois par an. La seule que je tolérais - que j’emmenais avec moi vagabonder dans les parcs de jeux du secteur. Si différente, elle en était devenue intéressante. Et, il était facile de la provoquer ; son quart de tour démarrait plus vite que lorsque j’appuyais sur le bouton de la télé.  

Ainsi, de mon arrivée à mes quinze ans, c’est avec eux que j’ai tout partagé ; de mes coups de blues à mes coups de cœur. Mes conneries et mes premières rébellions - époque à laquelle j’ai compris que, quoi que je fasse, je ne resterai qu’un spectateur. Je le jure, on a essayé souvent d’échapper à leur contrôle mais c’était la même déception assurée ; l’affaire était pliée après quelques dons volontairement surélevés. Nous n’avions aucune chance de gagner une liberté.  

J’y ai aussi découvert ma passion de la vitesse, lancé sur une deux roues il n’y a plus que la route qui m’intéresse. Moments durant lesquels je mets de côté ma détresse.  
Je suis sorti avec mes premières copines, peut-être deux ou trois. Explorer mes premières fois.  
Ils m’ont aussi salement amoché. C’est à cause d’eux que je dois quelques-unes de mes cicatrices ; j’en avais tant chialé - Ayana et Hanz m’en ont fait baver.

Alors, qu’aurais-je pu faire pour éviter de tout gâcher ?  
Cette question, je me la suis ressassée sans arrêt. Ce n’est qu’après quelques années que j’ai réussi à comprendre que jamais je n’aurai dû accepter de sortir avec elle. Non, je n’aurai pas dû - cela a tout compliqué. A commencer par brouiller les sentiments que j’avais.

Le 1er janvier 2099, pendant la fête d’anniversaire des seize ans de Hanz, j’ai attendu la seconde partie de la soirée pour confier à Suiko mes premières crises d’angoisse et appréhensions. La répercussion de la pression quant à mon choix d’avenir... Rien que la perspective de ces études me terrifiait ; je me sentais mourir.  
Après tout, c’était elle la plus âgée. La plus expérimentée ; cinq ans nous séparaient.
Totalement ivre, elle m’aida à regagner ma chambre en sécurité et prit de mes nouvelles régulièrement jusqu’à ce que je décide d’annoncer mon choix publiquement ; je deviendrais avocat – comme mes parents. Un jour, je veux pouvoir me confronter à eux dans le seul domaine qui puisse les affecter – le seul qu’ils ont chéri à la place de leur enfant.  

Deux ans plus tard, je me suis inscrit à une université de droit dispensant des cours pour le droit américain et, en parallèle, j’ai étudié le droit japonais sur option. L’équivalent d’une “School of Law” au Japon.  

La même année, en mai, je me rappelle comme si c’était hier quand Ayana m’a demandé si je pouvais la considérer comme une petite amie potentielle. J’allais avoir dix-huit ans dans quelques semaines tandis qu’elle était de trois ans mon aînée. Là-bas, sa demande était tombée comme un cheveu sur la soupe ; inattendu et exceptionnel.  
D’abord réticent, après tout je ne l’avais jamais imaginée comme telle, j’ai fini par repenser à notre entente... me laissant tenter, j’ai juste accepté en relativisant.

Maintenant, avec l’expérience je sais que c’était totalement irréfléchi. Une vraie folie. L’amour est tellement différent d’un simple accord implicitement admis. Je croyais qu'avec ma simple volonté, je pourrai la switcher de l'étiquette d'amie à chérie. Quel abruti.

Si, les premiers mois, il a été plus facile de jouer le couple parfait, la réalité nous a vite rattrapée.  Et la situation m’a vite fait déchanter. En permettant à Ayana de me rejoindre à l’université, j’ai perdu pas mal de moments privilégiés que j’avais pour habitude de partager avec Hanz. Et ça, je les ai regrettés. Je l’ai regretté.  

Début décembre, à l’approche de son anniversaire et de nos habitudes de Noël, sa présence me manquait. Nos sorties improvisées pour s’acheter la dernière collection en exclusivité, nos courses de moto durant lesquelles on s’affrontait. On se testait – tout le temps à se chamailler avec notre franc-parler. L’arrogance était devenue notre essence. Et ces soirées à tituber... L’insouciance illusoire qu’on avait essayé d’installer entre nous pour nous protéger ; le refuge l’un de l’autre, on savait qu’il y avait toujours cet autre dont la vie était à l’image de notre reflet.  

Du moins, pour moi, c’est ce qu’il était. Ma moitié.

Et ce qui me rendait le plus cinglé ? Je ne pouvais absolument rien lui reprocher. Nous partagions toujours les mêmes amis, la même ville, mais plus la même vie. On s’éloignait et j’étais incapable de le lui avouer que ça me faisait chier.  

En comparaison, les disputes avec Aya étaient insipides - à l’image de notre crevaison. Elles ne valaient même pas la peine qu’elles retiennent mon attention. Je crois, avec le recul, que c’est ce qui l’a le plus agacée ; mon désintérêt lorsqu’elle me menaçait de me quitter.  

En fait, c’est ce que j’attendais. Je me demande, désormais, si elle ne s’en doutait pas – raison pour laquelle elle a repoussé. Me faire chier en voulant m’obliger à assumer. Ou alors, simplement, continuer de m’éloigner de sa fratrie subtilement.  

Début juin, l’été approchant, je me sentais vide constamment. Je ne comprenais pas pourquoi cette histoire m’affectait autant. Je voulais avoir l’avis de Suiko sur la nature de tous ces sentiments. Malheureusement, Ayana intercepta mon texto avant. Elle me prit la tête, m’ordonna d’attendre d’officialiser la séparation en raison des futurs événements.  

Si elle a toujours été hautaine, à partir de là, elle s’est transformée en vrai pitbull à enfermer en quarantaine. À cause de ma culpabilité, je l’ai acceptée sans rechigner – sa haine.

Alors que j’étais convié à une fête de la musique organisée par un partos du cabinet, le 21 juin, Ayana m’attendait à une table pendant que je suis allé aux toilettes pour me moucher. Subitement, mon téléphone s’est mis à vibrer. Un motard de notre âge. Sûrement encore une invitation à venir les rejoindre plus tard avec ma bécane pour faire un tour autour des hangars. Une activité nocturne habituelle pour ceux qui souhaitaient éviter les flicards.

J’aurai tant aimé.

Mais non.  
Rien de tout ça n’est arrivé - ce fut l’appel d’un pote paniqué. La voix saccadée, tellement entrecoupées par ses cris, que je lui ai demandé de répéter au moins trois fois pour être sûr d’avoir bien compris.  

Hanz vient de tomber. Hanz est blessé. Hanz est gravement blessé.  

Mon cerveau a disjoncté.  

De là, ma mémoire s’enlise et me paralyse ; je crois avoir titubé juste assez pour l’annoncer à Aya qui s’est chargée de tout gérer. Bien trop choqué. Je crois avoir demandé à ce que Suiko soit appelée. Cependant, je ne m’en suis pas personnellement occupé. J’ai préféré me rendre au chevet d’Hanz dans le coma à ce moment-là.  

Et, comme si ce n’était pas suffisant. Comme si le revers n’était pas assez important, avoir déjà un meilleur pote inconscient, une annonce encore plus dévastatrice vient s’écraser à peine trois jours après dans mes tympans.

– Le corps de Suiko vient d’être retrouvé inerte. Une overdose est suspectée (...)

Sui... ko ? Suiko Asuka ?

A cet instant, mon monde s’est écroulé.  

J’étais là, figé. Immobilisé. J’avais voulu crier, demander où est la caméra cachée... mais aucun son ne s’est échappé. Je ne savais même plus de qui l’info était tombée. Est-ce Ayana qui venait de parler ? Un médecin de l’hôpital qui est passé ? Je ne sais plus... si ce n’est que j’ai, pour la première fois, prié. De tout mon cœur qu’Hanz revienne d’entre les demi-morts. Même si c’était égoïste de ma part - jamais il n’aurait voulu savoir que l’âme de sa sœur repose dans une urne plutôt que dans son corps.  

Encore aujourd’hui, je suis persuadé que s’il avait eu le choix (quoi qu’en dise Ayana), il aurait pris sa place dans l’au-delà.

Je me rappelle juste que j’ai commencé à accepter que ce cauchemar soit la réalité quand, à force d’appeler le numéro de Suiko plus d’une vingtaine de fois, jamais personne n'a décroché.

Le lendemain, à bout de souffle et d’énergie après avoir passé la journée dans les couloirs de l’hôpital, à errer aux côtés de la seule rescapée de cette épreuve, on décida de sortir s’aérer. Essayer de ne pas oublier de respirer.  

Cependant, croire que tout le monde est rempli d’empathie était une utopie. De ça, certains s’en nourrissaient - à commencer par les journalistes et rédacteurs peu avenant. À peine la porte du bâtiment passée, les crépitements et les éclairs incessant des appareils photos nous ont détruit l’acuité. À ça, les questions mal formulées, l’indiscrétion à son apogée et puis... les suppositions et les ragots. C’en était trop.  

Mon flegme s’est tiré. J’ai craqué ; mes poings se sont écrasés sur plusieurs objets, des dommages physiques sur des civils ont été notifiés...  

Mais le moment était mal choisi pour affliger encore ça à la famille Asuka.

Alors, mes parents ont payé suffisamment cher pour que ce “dossier” ne sorte jamais. Le même jour, afin d’éviter qu’un autre problème se reproduise les jours suivants, comme un nuisible à virer, ils m’ont forcé à aller étudier en Angleterre. À Londres, plus précisément, dans un petit appartement étudiant.  

Dès le lendemain matin, mon billet était acheté sans que mon avis ne soit écouté.  

Il ne l’a jamais été.

On m’avait simplement dit que c’était pour éviter une mention sur mon casier – cela m’aurait empêché de devenir avocat à ce qu’il paraît. Sans parler de la pression financière du couple Asuka si la famille Makasa ne se chargeait pas elle-même que cela ne se reproduise pas.

Or, avec le temps, je me demande si Ayana ne serait pas intervenue à mon insu.

Le matin du 26 juin, mon cul était vissé au fond d’un dossier pour un long trajet. Un vol de plus de sept heures en direct, mes quelques affaires balancées dans une seule valise cabine sous prétexte que je pouvais tout racheter.  
Mais l’argent pouvait il vraiment tout apporter ?  
Je n’ai pas pu assister aux funérailles.
Je n’ai pas pu me tenir sous les yeux de mon ami à son réveil.  

Pour toutes ces raisons et celles que j’ai oubliées, je me suis contenté d’écrire un dernier message fébrilement de mon ancien téléphone avant de le jeter. “Je suis désolé.”  

Tellement désolé, si tu savais comme j’aurais préféré rester à tes côtés. À force d’y cogiter, ça m’a rongé. De l'intérieur, des spasmes m’assaillaient la nuit après plusieurs insomnies. D'agonie. La solitude me pesait au point que j’allais craquer, le recontacter.  

Et puis, je me rappelais de la manière dont je me suis barré. Jamais plus je ne pourrai me présenter sous ses yeux de ma propre volonté.  

Deux mois se sont écoulés depuis mon installation et si, pendant des semaines, j’ai perdu pas mal de poids – j'ai décidé de changer. Me reprendre en main, même si pour cela, j’ai commencé à fumer des joints. Le sommeil manquant, il était impossible que je tienne le coup sans.  

Dans le fond, ce qu’il me fallait vraiment, c’était un suivi psychologique comme traitement. Néanmoins, cela aurait signifié que mes géniteurs en auraient été informés. Et ça, plus jamais. J’ai préféré me débrouiller - quitte, parfois, à trop flirter avec les limites que mon corps pouvait supporter.  
Par la suite, j'ai diminué sans jamais plus m'arrêter.

La visite inopinée de Kairi a aussi joué. Moi qui pensais ne plus jamais revoir une personne associée à mon passé, une personne que j’appréciais... le fait qu’elle me voit dans cet état m’a désabusé. J’ai accepté de continuer à la fréquenter à un seul prix ; ne jamais divulguer aucune info sur moi ou mon mode de vie.

La moitié de l’année a été encore difficile à gérer. Heureusement, le temps a fini par faire effet – j'ai commencé à oublier. À moins que ce ne soit que le résultat de mes heures d’errance à rattraper. Il me restait deux années, mais le retard que j’avais acculé me valait des heures à étudier.  J’étais épuisé. Je n’avais plus le temps de penser. Et, quand cela arrivait qu’une soirée se présentait, je sortais. Pendant les vacances, j’allais découvrir l’Europe en compagnie de mes nouveaux amis.  

Le 1er janvier 2103 était si vite arrivé. Pour l’occasion, j’étais parti en voyage pour découvrir l’Italie... Et puis, sur place, il y avait cette fille... On n’avait pas vraiment besoin de communiquer avec des mots, mais lorsque ça arrivait, on privilégiait l’anglais. C’est grâce à elle que j’ai découvert le plaisir des plans à trois – et puis, juste le plaisir d’être avec un gars. De retour à Londres, je ne pouvais plus faire comme si les hommes ne m’attiraient pas.  

À partir de là, j’ai préféré me centrer sur la personnalité de la personne à qui je dévoilais mon corps dénudé.  

Ma licence validée, j’ai fini par revenir dans mon pays en 2104 alors que cela faisait des années que je n’y avais plus habité. Pour me féliciter de ne leur avoir causé aucun souci depuis l’incident assez violent, les vieux m’ont offert un nouvel appartement. Un appartement d’une centaine de mètres carrés avec une hauteur sous plafond atteignant les quatre mètres était suffisant.  

Surtout que je l’occupe toujours actuellement.

Redécouvrir Tokyo à vingt-et-un ans, c’est différent. J’ai pris mon temps, d’autant que j’avais mon équivalence de diplôme à obtenir si je ne voulais pas être limité aux seules affaires étrangères à l’avenir. Inscrit pour un an dans une école de préparation à la passation du barreau, je l’ai réussi dès ma première inscription.  

De 2105 à 2107, j’ai suivi les cours dispensés à l’école de droit avant de pouvoir effectuer mes premiers stages en tant qu’avocat.  D’abord loin de “Makasa Low Office”, j’ai profité du cercle de nos connaissances. Ajouter expérience après expérience, brique après brique, jusqu’à la création de l’édifice ; occuper le poste convoité après tant de sacrifices.    

Manager de ma propre équipe dans le cabinet familial, il n’y a eu que deux conditions que j’ai jugées primordiales (pour ne pas dire vitales) :  
• Ne pas être en charge des dossiers de Goldsky Partners  
• Ne pas être mêlé à l’entreprise de mon petit frère Kou, financée par Hanz.  
J’avais beau prétendre que le temps était passé, que cela faisait déjà cinq ans que nous ne nous étions pas parlés. Encore moins recroisés. J’avais beau essayer de tout effacer – la simple évocation de son existence suffisait à tout raviver.  

Et je ne sais pas si un jour, cela va changer... Mais j’aimerais. Je donnerais tout pour que quelqu’un vienne me sortir du passé dans lequel je me suis enfermé.
Même à distance – il ne semble pas vouloir me lâcher.    

Mon nouveau rythme de vie s’est construit. Les collègues à former, les repas d’affaires à organiser. Les invitations à honorer. Les clients à recontacter. Les hommes et femmes des sites de rencontres à retrouver – certains tête-à-tête débouchant sur des plus longues relations jusqu’à ce que j’y mette fin sans explication (ou alors, par facilité et rapidité, opter pour la trahison). Et souvent, des congés à intercaler.

C’est peut-être ce qui m’a sauvé ; mon besoin de m’évader.  

Lorsque les typhons ont frappé le Japon en 2109, j’étais en Australie pour, initialement, un road trip avec mon petit ami. Bloqué jusqu’à ce que les voies aériennes se réouvrent, j’ai dû attendre quelques jours pour rejoindre mes parents blessés - avant d’endosser toutes les responsabilités du cabinet.  
-Quitte à défaillir à ma promesse de ne pas m’occuper des problèmes liés à GoldSky Partners, l’entreprise de la famille Asuka.  
C’est à ce moment-là que j’ai revu Ayana pour la première fois depuis sept ans.    

Je me suis rendu compte à quel point tout avait changé ; ni elle ni moi avions quelque chose en commun si ce n’est ce passé partagé. Elle ne carburait plus à l’arrogance mais à la médisance.  
Pourtant, au moindre besoin pressant, mon numéro figuré à nouveau dans ses contacts sans que je ne le lui aie redonné récemment. Sûrement qu’elle continuait à me faire confiance (ou, profiter simplement de ma culpabilité à outrance).  

Si je la recôtoyais du côté professionnel, il n’y avait aucun lien entre nous d’un point de vue relationnel. Encore moins charnel ; si elle savait que certains types ont partagé mon lit, elle m’aurait sûrement banni de sa vie. Mes parents aussi.  

Après, j’ai toujours préféré rester discret quant à ceux et celles que je fréquentais - me rappelant toujours de ma première copine au lycée et la raison pour laquelle elle m’a quitté ; mon père l’avait littéralement payé. Et, évidemment, elle a accepté sans broncher en préférant se balader avec la dernière montre Cartier à plusieurs milliers au tour du poignet. “Elle n’est qu’une distraction” qu’il me disait en se référant à mon obligation de me marier... Alors qu’en fait, c’était ma bouée pour ne pas me noyer.

Depuis, je m’en suis totalement remis. Ou presque... le mot “couple” étant effrayant, je préfère juste donner de mon temps à un(e) seul(e) partenaire – de préférence pas trop longtemps. Six mois au plus. Au-delà, je m’en détache en commettant bien souvent des erreurs dans le processus ; l’indifférence, l’éloignement, l’ignorance ou l’infidélité, à ce stade, qu’importe, il n’y a plus de différence.    

En mars 2110, un nouvel appel de Mademoiselle Asuka me fit sursauter. Pour une fois que j’étais en bonne compagnie dans un ciné, j’ai hésité à lui raccrocher au nez en lui demandant de me rappeler plus tard dans la soirée. Vraiment tard. Mais son insistance m’a fait douter.    

Non. Elle avait réveillé ce truc... cette boule d’angoisse me prenant aux tripes et me faisant me sentir mal comme si j’avais la grippe.

J’ai fini par céder. J’ai décroché en pleine séance alors que d’autres spectateurs commençaient déjà à râler. Ma copine du moment aussi semblait insatisfaite que j’aie osé faire passer Ayana en premier.  
Le pire ? C’est qu’avant même qu’elle me donne une quelconque adresse, j'avais déjà décelé dans sa voix sa détresse. Hanz, celui que j’ai volontairement évité, venait à nouveau de se blesser gravement.  

Pourquoi ne me suis-je jamais excusé avant ?  

Revivant le même scénario, à la différence que cette fois, j’ai pu me déplacer pour aller le voir le soir. Loin des regards. Toujours aussi beau. Encore les yeux clos. Semaine après semaine, rien de nouveau. Avril. Mai. Juin. Juillet. Août. L’été, était sur le point de nous quittait, que le brun était toujours allongé inerte sur le lit que je ne pouvais plus blairer.  

Le jour de mon anniversaire est arrivé mais je n’avais aucun goût à le fêter. Posant un lapin monumental au restaurant réservé par mes parents, j’ai rempli la première valise sous la main. J’ai voulu me rendre à l’aéroport dès le lendemain pour une destination inconnue tant que ça me permettait de jouer les disparus.  

Une annonce postée sur un réseau social m’en a empêché. “A la recherche de colocataire pour une “share house” qu’elle disait. Et si la solution était ce lieu, proposé sous mes yeux ? Vivre à plusieurs - ça ne pouvait que faire taire ce silence dont j’avais horreur.  
Adel qu’il s’appelait, l'un des colocataire.  
Sans me poser plus de questions sur mes raisons, on échangeait facilement en anglais. C'était le début d'une complicité.

Accoutumé dans ma jeunesse à vivre en collectivité, cela n'a toujours été qu'avec des subordonnés. Vivre ainsi entouré m’a permis de découvrir ce à quoi pouvait ressembler des moments de famille animés.  

Cette expérience restera à jamais gravée.  
D’autant plus que pendant que j’y logeais, Hanz a fini par se réveiller le mois suivant. Ne pouvant plus le scruter, tenir sa main tout en parlant à haute voix de nos conneries dans la cour de l’école pour lesquelles nous nous faisions punir constamment, j’ai déversé toute ma frustration dans une autre relation.  

Loin d’avoir été ma meilleure idée... Ma barque de fortune brisée sans surprise, cela a été l’une de mes grosses sottises. En mars 2111, je suis retourné à mon appartement en me sentant encore plus mal qu’auparavant.  

De celles qu’on minimise mais qui, au final, détruisent.  

Le mois suivant, au lieu de sortir une énième fois, j’ai réalisé un rêve depuis trop longtemps mis de côté. Ma Honda commandée et payée, je me suis rendu sur le circuit Twin Ring Motegi pour m’inscrire dans le club associé.  

Pendant que je réapprenais à rouler, anticiper et contrôler une deux roues (ça faisait une dizaine année que je n’y avais presque pas touché), dans le tumulte du quotidien, ça parlait de couples dont les moniteurs se sont bloqués en une phrase "system error".
Cependant, j’avais tout mon esprit sur mon circuit. Qu’importe ce qu’il se passait dans la réalité, je n’étais pas concerné. Pas marié.

Ce 24 juin 2111, j’ai hésité à me rendre face à sa tombe contenant son urne.  
J’y suis allé si tôt le matin qu’il y avait encore de la brune. Foutue insomnie... après l’avoir saluée, Suiko, je ne t’oublierai jamais, j’ai fini je ne sais comment ni pourquoi sur le circuit.  

La suite est facile à retracer ; la fatigue couplée à de l’inadvertance, une mauvaise visibilité, un tournant un peu trop serré... Mon corps n’a pas su redresser la bécane - s’écrasant violemment avec moi contre le macadam.  
Heureusement, avec l’équipement, les dégâts ont été plutôt superficiels avec un peu de matériels.
Je m’en suis sorti avec des côtes fissurées, une luxation de l’épaule et une fracture du pied gauche.  


Une grande inspiration plus tard, je ravale tous ces bouts de vie qui m’ont façonné.  

L’illusion a assez duré ; je ne compte absolument pas céder après lui avoir raconté notre enfance qui a débuté à l’étranger. Exaspéré, mes sourcils se froncent alors que j’essaie de me lever sans l’avertir de mon départ précipité.  

– Attendez Monsieur Makasa, nous n’avons pas terminé ! Avec ça je ne peu...  
– L’avertissement ? Oui je sais, lui soufflé-je d’un ton âcre après avoir réussi à me redresser, Mais ce sera le vôtre, pas le mien. Pourquoi croyez-vous que j’ai accepté de suivre la voie de mes parents ?  

Les iris plus sombres qu’à l’accoutumé, ma langue claque sous mon palais. Mon impatience fait planter mes canines dans l’intérieur de ma babine. Avoir déterré ce que je m’efforce d’inhumer n’a rien de gratifiant. Au contraire, ça me donne des haut-le-cœur jusqu’à l’écœurement.

– Non ? m’interroge la psychologue d’une œillade intriguée.  
– Pour ne plus craindre la pression. Je vais sortir d’ici et continuer ma vie tout simplement, lui affirmé-je en cherchant mes béquilles apposées contre la chaise que j’ai précédemment occupée.  
– Peut-être auriez-vous besoin d’un traitement... Laissez-moi vous évaluer ? Sa voix désemparée m’arrache un frisson que je n’aurai aimé jamais ressentir dans une telle situation. Une illusion de compassion alors que, tout ce qu’elle fait, c’est protéger sa position. Cela peut être bénéfique pour éviter que vous vous refassiez du mal !

J’ai horreur qu’on me prenne pour un jambon... utiliser mes faiblesses comme campagne de persuasion.  

Un rire sarcastique m’échappe avant que mon aigreur me rattrape.  

– Quelle ironie putain. Si vous voulez écrire quelque chose, dites leur simplement que s’ils continuent de me faire chier, ce sont les secrets de nos clients que je  vais balancer. Le procès que j’aurai pour n’avoir pas respecté mon devoir de confidentialité ne sera rien face à la perte de leur notoriété. Mon ton est grave, criard. Lorsque je m'en rend compte, je baisse de quelques octaves. Quel client voudrait confier ses affaires à un cabinet qui pourrait potentiellement étaler ses problèmes sur la place publique ?
– Vous seriez prêt à aller jusque-là ?
– Pourquoi croyez-vous que je travaille à “Makasa Law Office” ?
– Mais vous aviez tout anticipé ?
– Pensez ce que vous voulez.

Il y a un ancien proverbe qui dit : “si tu crains la morsure du scorpion, ne t'avise pas de mettre la main dans son trou”.
Il a raison.  
Néanmoins, pas de chance, j’ai appris à mettre des gants – et, lorsque ça ne suffit pas, j’use de la ruse tel qu’on me l’appris dans le conte avec le loup.  

Sur cette conclusion, mes nouveaux bâtons de soutien serrés dans chaque main, je lui tourne les talons. D’un pas lent, sacrément grossier à cloche pied, j’avance jusqu’à la porte de sortie par laquelle je suis entré.  

Irrité - sûrement trop vexé qu’ils aient pu encore croire que ce genre de menace allait fonctionner, je me stoppe dans l’embrasure de la porte. Seule ma tête se prend la peine de pivoter pour moitié, faisant ainsi porter ma voix dans la pièce que je m’apprête à quitter.  

– Encore une chose. Sachez que si j’avais voulu me tuer, je ne serai pas dans votre bureau pour en parler.

En d’autres termes, je ne me serais pas foiré.  


Exactement comme je le lui ai annoncé en 2111, cela s'est passé.
La vie a continué son cours, de nouvelles rencontres m'ont plus ou moins affecté. Plus ou moins secoué, ébranlant parfois ma façon de fonctionner.
2115 est déjà bien entamée - mais, à tout moment, le jeu de cartes peut être redistribué. La stabilité n'a jamais été de mon côté.

Personnage tiré d'un groupe de musique

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<div class="infobulle1">• [b]Xiaojun[/b] {NCT} [i]est[/i][url=https://just-married.variousforum.com/u3730]Ren Makasa[/url]<span><img src="https://www.zupimages.net/up/24/36/uol6.png"></span></div>