To the light

Fût une époque, celle qui avait des cicatrices un peu partout, ce n'était pas mon balafré de frangin, mais moi. Moi qui devais être la fille bien rangée, soignée et très polie, j'étais bien tout le contraire. Se battre à l'école ? Courir dans la boue, grimper aux arbres et faire des grimaces aux adultes ? Un passe-temps d'enfant, un passe-temps qui rendait folle de rage ma mère. Et mon père dans tout ça ? Inconnu au bataillon et il était peut-être là le problème. Je n'écoutais pas ma génitrice, je n'écoutais pas non plus mon mollasson de jumeau, Edward ! Incapable de répliquer face aux autres qui le chamaillaient, il fallait bien quelqu'un pour prendre les devants ! Alors l'écouter parler ? Un enfer, lui le petit chouchou de maman !

Heureusement, ou pas, l'adolescence arriva bien vite. Je n'avais plus besoin de me disputer avec les autres pour protéger mon frangin. Avec sa tête de tueur en série et les centimètres qu'il avait gagnés, les autres l'emmerdaient moins. Est-ce que j'avais changé niveau comportement ? Pas vraiment. Venant d'une famille bon chic, bon genre, se tenir droit et obéir aux règles ce n'était pas mon affaire. Mais j'étais créative ! Sortez les paillettes, mon coup de crayon impressionnait depuis que j'étais en âge de tenir un crayon. J'en avais rien à faire, mais ce talent me permettait d'être la préférée de mes oncles et tantes, mais aussi de mon beau-père. Un père qui arrivait tardivement, pas le bon, pas celui dont le sang coulait dans mes veines, mais un père quand même. C'était un peu grâce à lui que j'avais commencé mes recherches sur le pays de mon géniteur. J'étais mi anglaise, mi japonaise, c'est lui qui me fit comprendre la dure réalité de la vie : mes origines me forceraient un jour à habiter là-bas pour me marier.

Une puce ? Implantée à la naissance ? Je me souviens que j'avais ressenti de la peur, du dégoût, de la colère, mais grâce à lui, me donnant les outils nécessaires dans ma recherche, il m'apprit surtout à m'ouvrir à cette fatalité. Et mon frère dans tout ça ? Dans sa phase "emo", tout ça lui passait au-dessus. Si je mettais du rouge à lèvres noir et que mon eyeliner était aussi large que la garde robe de la famille royale, moi au moins je le portais bien. Lui il faisait peur à mourir.

Plus assidue sur mes cours de japonais, bien que baignant dans la langue depuis un moment déjà, notre mère nous ayant forcé la main, je prenais tout autant le temps de suivre l'actualité du pays. J'avais donc vu ce mouvement naître avec une certaine appréhension. Le peuple nippon se rebellait, mais qu'en seraient les conséquences ? De l'étranger, peu d'informations réelles fuitaient vraiment. Les médias ne nous donnaient que ce que le pays voulait que l'on voit. Les Incontrôlables. Ils auraient pu trouver mieux comme pseudo, non ? En tout cas, je bassinais le frangin avec tout ça. J'avais besoin de son avis sur le sujet ! Même si je m'étais faite à l'idée d'épouser un jour quelqu'un de façon totalement aléatoire, ce mouvement faisait naître en moi ce je-ne-sais-quoi. Il fallait bien que la rebelle de la famille mette son nez là-dedans ! Mais Ed n'en avait rien à faire. En plus d'être barbant avec ses cours de paléo’, un fossé se creusait petit à petit entre nous, plus encore avec toutes ses histoires d'études sup'.

Ma vie, mes études, c'était le collège des Arts de Camberwell. Mais aller jusqu'au doctorat...j'y avais songé mais je voulais tout, tout de suite. Mes profs n'arrêtaient pas de me dire que j'avais du culot, trop de culot ? Je rêvais en grand et je souhaitais que mon frère en fasse de même : pas qu'il lâche ses études, il avait clairement plus d'années à faire que moi, mais au moins qu'il se donne plus de temps libre. A la place il avait choisi de continuer. Je le lui avais reproché, surtout que je vendais mes premiers chefs d'œuvres à peine sortie de l'école. Une chance, clairement, je devais ça à mon beau-père et même si j'avais une pointe d'agacement de me dire que mes peintures se vendaient grâce à ma famille, je savais quand même que mon art était un peu apprécié.

Maintenant vivre réellement de mon travail allait être une autre paire de manches. Mais pourrais-je me qualifier de chanceuse ? Si je croyais au destin je dirais clairement que je l'étais ! Elle s'appelait Michaëlla, invitée à l'une de ses soirées par une amie commune, je m'étais fait d'autres contacts sur place. Elle venait aussi de terminer ses études et rejoignait l'entreprise familiale de décorateurs d'intérieur. Elle avait toutes ses preuves à faire, mais moi aussi. Alors même si c'était la première fois qu'on se voyait, on avait pas mal échangé. Elle aimait mon travail, elle voyait bien certaines de mes œuvres pour meubler certains appartements, restait à convaincre ses parents.

Ça ne durerait qu'un temps, mais j'avais là mes premières opportunités. J'avais besoin de visibilité après tout ! Exposant dans la galerie d'un ami par la même occasion, j'avais rejoint sur mon temps libre une troupe de théâtre pour les aider dans leur décor. Si j'avais su que ça serait aussi amusant, je serais surtout allée au collège de Wimbledon ! Mais ce qui me prit réellement mon temps, ce fut de créer pour Shukumei. Comme beaucoup, touchée par cette catastrophe, j'ai créé quelques peintures afin que l'argent touché soit entièrement reversé aux associations et que dire si ce n'est que je ne faisais que ça, peindre, encore et encore, sur des teintes que je touchais pourtant rarement. La cause ? La lettre rose. Je l'avais reçue, j'en avais presque fait un malaise. J'avais d'ailleurs appelé Ed au secours, ce qui lui avait au moins fait lever le nez de ses bouquins. Ce n'était qu'une fausse alerte, une erreur de la machine suite aux intempéries. Et pourtant...ça avait éveillé en moi quelque chose d'indéchiffrable. De la peur, de la curiosité, de l'envie ?

Je m'étais rendue compte que ma vie ne pouvait pas se résumer qu'à Londres. Je ne pouvais pas m'installer et attendre qu'une autre lettre vienne de nouveau à moi et être un fardeau pour la personne qui serait mon époux ou mon épouse. Je faisais donc mes bagages, un ami pouvait m'héberger sur place, pour la suite on verrait ! Est ce que je partais complètement à l'arrache ? Oui, pourquoi faire simple ? De toute manière, Ed avait pour projet de quitter le pays également pour l'Afrique alors...quitte à être loin de l'autre, autant le faire jusqu'au bout.

Tout recommencer dans ce pays que je ne connaissais que dans les livres et les actualités ne fut pas si évident que je l'avais imaginé, mais je n'étais pas à plaindre : je parlais la langue, je m'améliorais plus vite que je ne l'imaginais, j'avais intégré un petit théâtre pour faire comme à Londres et leur filer un coup de main. Mes contacts s'étaient ainsi fait avec aisance. La différence entre ici et mon pays natal ? Ce qui me faisait connaître n'était étrangement pas la peinture, mais la photographie que je maîtrisais tout autant, mais que j'avais boudée une fois mes études terminées.

Après le Système Error et l'épidémie, qui ne m'avait pas touché à mon plus grand bonheur, j'avais commencé à me faire remarquer et il était temps ! Je peinais à faire rentrer de l'argent. Les photos des représentations du théâtre que j'aidais avaient été très appréciées d'un galeriste. Et de fil en aiguille, j'ai repris mon petit chemin dans mon univers. L'aidant d'abord pour refaire les photos des œuvres qu'il vendait pour son site, je lui avais glissé avec une facilité déconcertante (encore et toujours le culot) ce que je faisais. Que cela soit mes peintures, toutes en couleurs, mes photos en grand nombre sur l'art de rue ou du théâtre et même mes quelques rares sculptures contemporaines, il en avait choisies quelques unes et m'avait proposé d'exposer, pour mon plus grand plaisir.  

D'ailleurs, à ma grande surprise, l'œuvre qui avait été vendue la plus cher dans sa galerie, fut une peinture récente, faite à la va-vite suite au passage obligatoire du changement de puce. De la colère, c'était ce que j'avais ressentie lors du recensement, lors de cette défaillance officielle. Pour la première fois j'avais remis la technologie soit disant infaillible de mon pays en question. Jamais je n'avais fait de peinture aussi agressive...peut-être devrais-je en faire plus souvent me direz-vous ? Je préfère malgré tout revenir sur les couleurs des océans que j'aime tant et qui sont plus paisibles à l'œil.

Aujourd'hui, j'ai la chance de vendre régulièrement des peintures et c'est indirectement grâce aux expositions. J'expose plus, dans deux galeries, mais surtout j'ai repris contact avec mon amie qui est dans l'immobilier. Elle m'a elle-même mise en contact avec certains de ses partenaires. Je vis donc surtout de la vente pour des décorations d'intérieurs vu que mes tarifs restent raisonnables mais au moins j'ai un salaire qui rentre ! Petit bonus pour mes œuvres post-élection d'ailleurs ! Il faut dire que j'ai été particulièrement inspirée même si la politique n'est pas trop mon domaine. Le pays évolue positivement à mes yeux, il fallait bien fêter ça ! Même si ce n'est pas grâce à ça que je vais recevoir ma lettre. Je l'attends toujours ! Mais j'ai mon frère pour réconfort, m'ayant rejoint à Tokyo, je tente au moins de renouer des liens avec lui...