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— Just Married —
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19/06/2023
Toson Hirai
HIRAI Toson
Chasing the trash rain
Informations générales
Nom : Hirai
Prénom : Toson
Âge : 35 ans, né le 12 avril 79
Genre : Masculin
Origines : Japonaises
Activité : Journaliste pour le prestigieux Asahi Shinbun, secteur Kabukisho, section délinquance, mœurs bafouées et crimes violents.
Sexualité : Hétérosexuel
Avatar : OC (possiblement Larry) de CTKCave
Règlement : Bien tenté mais on n'est pas corruptibles Validé - Michiko
Chemin Second compte
Autre : Si votre personnage trempe dans des activités douteuses ou traîne dans les quartiers sombres de Tokyo, n'hésitez pas à me demander un lien o/
Prénom : Toson
Âge : 35 ans, né le 12 avril 79
Genre : Masculin
Origines : Japonaises
Activité : Journaliste pour le prestigieux Asahi Shinbun, secteur Kabukisho, section délinquance, mœurs bafouées et crimes violents.
Sexualité : Hétérosexuel
Avatar : OC (possiblement Larry) de CTKCave
Règlement : Bien tenté mais on n'est pas corruptibles Validé - Michiko
Chemin Second compte
Autre : Si votre personnage trempe dans des activités douteuses ou traîne dans les quartiers sombres de Tokyo, n'hésitez pas à me demander un lien o/
Histoire - Citation
TW : Drogue /// Grossièretés /// Suicide /// Comptable
[size=32][Afin d'éviter d'étaler une vulgarité gratuite, les mots les plus indélicats seront légèrement retouchés sous la baguette magique de la paronomasie]
[L'histoire se poursuit dans deux posts plus bas][/size]
[size=32][Afin d'éviter d'étaler une vulgarité gratuite, les mots les plus indélicats seront légèrement retouchés sous la baguette magique de la paronomasie]
[L'histoire se poursuit dans deux posts plus bas][/size]
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Chapitre 4 : Tous les yakuzas sont des fils de pull
— Hirai-san, dans cette enveloppe vous sont donnés 700 000 yens.
Empoisonné par ma morphinique palier 3 qui me faisait croupir plat et aigre sous ma couverture blanche, deux hommes, un petit et un grand, se courbaient modestement dans ma direction, me confondant avec l'Empereur sans doute. Le petit tendait les bras où au bout se tenait une enveloppe garnie impeccable, d’une couleur beige feutrée qui aurait plu à ma mère.
— Veuillez accepter toutes les excuses de l’Inoue-Gumi et de l’Inagawa-Kai. Nous espérons le montant de la somme convenable.
Dans ce cube blanc, deux hommes noirs, inclinés, attendaient une réaction. Ma tête battue par l’antalgique, je tardais à comprendre ce qu’ils voulaient exactement et je les prévins bêtement d’une voix torve :
— La police a déjà récupéré la cartouche.
— Nous ne cherchons rien sinon à présenter nos excuses, répondit avec patience l’homme qui releva sa tête et posa sur mon ventre, devant me juger inapte à la réception, la récompense pour avoir été abattu en plein dans la rue par un Walther dernière génération. Il est terrible qu’un citoyen soit la victime d’une querelle.
A l’invoquer ici, il réussit son coup : le trou de chair brisa le rempart de la morphine et dégueula mille souffrances dans l’orifice.
Le petit ressemblait si près à un comptable véreux de modeste envergure si ce n’était que son costume pesait plus lourd sur le marché que mon appartement et j’aurais pu en dire de même pour la tenue de son subordonné - ils rejoignaient ainsi le dicton et contre-dicton bien célèbre : l’habit ne fait pas le moine mais tous les moines portent le même habit. L’employé puait une certaine aura qu’on trouvait chez ces hommes qui avaient contemplé l’entièreté de leur âme et avaient été surpris de leur profondeur : ses yeux en étaient ressortis grisés, blasés par sa propre abysse.
A un pas respectueux derrière lui, le grand, un ancien bosozoku maté puis remonté par la pègre, poursuivait encore sa révérence. Les finitions impressionnantes de sa stature, taillées à la râpe et au burin, me filaient un frisson dans le dos. J’y lisais dans sa force pure : ton crâne n’est pas assez épais. Mais mon vrai malaise me congestionna la gorge au plus près de la langue quand j’aperçus un pansement blanc qui avalait son petit doigt. Il avait payé plus que 700 000 yens, et les renflements rouge et épais témoignaient de la jeunesse de l’acte.
— Le coupable qui vous a tiré dessus a été renvoyé. Tous les autres groupes de la ville ont été avertis qu’il ne travaillait plus pour nous. Je lui ai demandé de rédiger une lettre et d’avancer 500 000 yens mais elle était laide, mal écrite, indigne, alors je me suis permis de la retirer et de rajouter 200 000.
Les pièces du puzzle se mirent enfin en place et je ressentais pleinement le poids du pactole entassé sur mon bide. Je saisissais l’ensemble du tableau, la faiblesse de mes bras, l’absence d’infirmier, le poids financier des sociétés-écrans manipulés par mon comptable sanguinaire, le sang sur leurs mains et la gratification absurde que je venais de recevoir, les félicitations de Dieu pour avoir été écroulé d’un tir près de la hanche.
Un réflexe absurde, une anomalie de fils de bonne famille, un râle abruti :
— Il m’est impossible de prendre votre argent.
— Vous êtes policier ? me demanda gentiment le yakuza en se permettant d’allumer une clope et en s’approchant de la fenêtre qu’il ouvrit avec moins d’effort que l’infirmière ; par les plis de sa chemise, on devinait un tatouage rouge sur son torse épilé. Un vent clément de fin de printemps assainit la pièce. Le bâti conclut ses politesses et se retrouva vertical et immobile, le visage pincé.
— Journaliste, précisais-je le timbre neutre, car ensommeillé.
— Ah bon. Un mouvement de la main entre le réconfort et le mépris, à l’image d’une tante qui vous adore mais vous prend pour son chien. Ce n’est pas en tant que journaliste que cette somme vous est versée, mais comme innocent. Cela n’a rien à voir avec votre fonction et nous ne vous demandons rien. Acceptez, puis c’est tout. Il tira une fumée vers l’extérieur. C’est simple. Il tapota la poignée de la fenêtre pour en tester le plastique. Si vous refusez l’argent, la dette ne sera pas consommée et j’aurai mes soucis.
L’histoire semblait réglée : si je pouvais soulager la conscience de plusieurs meurtriers, n’était-ce pas chrétien ou bouddhiste de ma part ? Il n’y avait qu’à épargner. Puis je retrouvai rangée dans le tiroir des grincements la somme totale de mes dettes qui m’écrasaient et qui m’empêchaient de considérer le renvoi de la faveur.
Cependant, je ne pouvais pas accepter la cagnotte sans imaginer traverser une porte qui ne se refermerait jamais. Je ne parlais pas des yakuzas mais plutôt du tableau de ma propre conscience qui devrait être la plus vierge possible devant les inspections divines qui régnaient sur les cieux au moment de ma mort : traiter avec la pègre revenait à envoyer dans un coin de la toile un sceau entier de jaune coupable. Puis, la justice voyant mes dettes absoutes, ne se méfierait-elle pas plus de moi ?
A la rédaction, on avait une section entière des grands articles écrits par nos prédécesseurs, comme une armoire à trophée des titres qui avaient fait grand bruit, des grandes enquêtes qui avaient changé le regard du peuple japonais sur des sujets vastes, brûlants. Bref, ils avaient littéralement écrit l’histoire, ni la petite ni la Grande, mais la moyenne, la lente bête qui au fil du temps sélectionnait les choses et les gens dont elle prendrait l’odeur. Une dizaine d’articles, rangés les uns avec les autres, se consacraient aux yakuzas et le plus connu d’entre eux, après une longue investigation, concluait qu’honneur ou pas honneur, petit ou grand, “tous les yakuzas étaient des fils de pull”.
Mais comme tous les futurs trentenaires à qui l’avenir n’avait pas rempli les poches comme espéré, j’avais le goût du yen : j’en manquais trop. Je matraquais à ma conscience un possible compromis.
D’une voix étourdie mais qui s’abassait dans le ton à la plus servile des politesses (avec ce genre d’agence, la prudence d’abord !) :
— Mes dettes s’élèvent à 400 000 yens. Je tousse, le sursaut me déchire le ventre. Je vous les prends, efface mes tableaux et vous rends le reste.
Le comptable claqua plusieurs fois la langue.
— Êtes-vous un saint, Hirai-san ?
— Je suis très souvent surpris par mes propres conneries, veuillez m’excuser.
Il ne rigola absolument pas à mon trait de grossièreté et le traita au contraire, avec beaucoup trop d’égards, ce qui me surprit énormément.
— Vous pensez ne pas valoir la somme ? Vous estimez-vous peu ?
— Vous faîtes preuve de plus d’écoute que mon propre père. Si je peux me permettre.
Le comptable s’approcha de moi et d’une main presque tendre, qui à un autre moment avait pu trancher l’oreille d’un mauvais payeur dans un parking, redressa ma couverture pour être certain que j’avais bien chaud sans faire tomber les cendres de sa cigarette. Il inspira grandement et grésilla quelques braises qui s’envolèrent en contre-obscur dans le ciel nuit d’une Tokyo calme.
— Vous avez l’argent sur vous. Gardez-le, ne le dépensez pas bêtement et si c’est possible, n’achetez pas de drogue avec. Sinon, faîtes-en ce que vous voulez et si cela doit terminer dans des œuvres de charité, votre âme et la mienne en bénéficieront.
La bonne vertu tout comme la bassesse immorale n’auraient pas trouvé dans cette situation la Prise potentielle d’escalade comme la médiocrité le permettait. Une vie faite de dettes, de défonce, de trime qui à la fin, ne pesait pas grand-chose au regard du tout. La médiocrité n’avait pas le regard petit, mais elle avait le regard bas. Elle avait l’avantage, tout comme sa cousine la dépression, de ne se nourrir de rien sinon d’attendre de vous piéger : quand vous étiez tombés dedans, le monde n’était alors plus qu’un lupanar qui vous rappelait le rapiècement de votre fierté et ainsi alimentaient vos maux. Mais cela aiguisait quelques fois la réflexion. Le mépris des policiers pour ma personne, la pression de mes supérieurs, mes déboires dans la rue, mon incompétence à succomber à la drogue et ne jamais rien construire, Eirin, juste Eirin… Tout cela faisait de moi un raté, cependant avait aussi durci mon courage et protégeait ultimement mon égo d’une couche de graisse malade, mais solide.
J’aurais dû consulter un psy : peut-être que ma vie en aurait été changée. Mais j’avais peur de ses prescriptions, de ses médicaments qui me coûteraient une partie de moi, j’avais peur qu’il se dise qu’à la fin, que j’avais bien raison de me sentir mal car je n’étais pas grand-chose qu’un nase, quelqu’un de pas assez nul pour me vautrer dans des excuses mais pas assez bien pour mériter le respect. Ne pas demander de l’aide me donnait un matelas pour me protéger du fond : tant que je ne désespérais pas un professionnel, alors je possédais encore un filin d’espoir que ma vie n’était pas dynamitée à l’atome. Puis, je savais ce dont j’avais besoin. Je voulais une Prise, et le Comptable m’en tendait une. Mes chevilles turbinant au désespoir, car seule la folie pouvait justifier mon envie, je sautai :
— Si je n’accepte qu’une partie de la somme, peut-être pourrais-je vous demander un service pour compléter ?
L’homme m’invita par son absence de réaction à poursuivre seul.
— Voyez, je suis journaliste pour l’Asahi Shimbun.
J’attendais l’effet de mon annonce : n’entrait pas qui voulait à la rédaction de l’Asahi, un des trois quotidiens les plus côtés de l’île et les plus lus dans le monde. L’homme reçut d’ailleurs l’information avec un hochement de tête piqué.
— Je voulais savoir si… si nous pourrions faire affaire. En guise d’excuse, vous me laissez un sujet d’article. Une interview. Ou vous m’appelez quand vous avez des… enfin, des informations sur une affaire. Une anticipation. Des pistes.
Je n’étais pas dupe, une partie des yakuzas n’aimaient tout simplement pas le feu des projecteurs et les médias n’avaient jamais été tendres avec eux. Quant à l’autre, elle pouvait se déverser dans des sphères plus hautes que des rubriques de magazines plus spécialisés où on leur servait caramel et où on les adorait. Je leur proposais un accès direct à des articles de l’Asahi ; pour eux, cela devait constituer une tribune à double-tranchant. Leurs paroles trouveraient un écho important et une légitimité renouvelée dans leur présence au sein de la société ; de l’autre, ils attireraient l’attention.
— Vous en êtes certain ?
— Tout à fait.
— Certain certain ?
— Puis-je vous proposer ma carte ?
Je fis un simulacre depuis mon lit du rituel d’échange de cartes et l’homme sembla la percer du regard plus que la lire.
— Nous vous rappelerons.
Les deux yakuzas s’en allèrent enfin et j’eus comme l’impression de redécouvrir la respiration.
— Hirai-san, dans cette enveloppe vous sont donnés 700 000 yens.
Empoisonné par ma morphinique palier 3 qui me faisait croupir plat et aigre sous ma couverture blanche, deux hommes, un petit et un grand, se courbaient modestement dans ma direction, me confondant avec l'Empereur sans doute. Le petit tendait les bras où au bout se tenait une enveloppe garnie impeccable, d’une couleur beige feutrée qui aurait plu à ma mère.
— Veuillez accepter toutes les excuses de l’Inoue-Gumi et de l’Inagawa-Kai. Nous espérons le montant de la somme convenable.
Dans ce cube blanc, deux hommes noirs, inclinés, attendaient une réaction. Ma tête battue par l’antalgique, je tardais à comprendre ce qu’ils voulaient exactement et je les prévins bêtement d’une voix torve :
— La police a déjà récupéré la cartouche.
— Nous ne cherchons rien sinon à présenter nos excuses, répondit avec patience l’homme qui releva sa tête et posa sur mon ventre, devant me juger inapte à la réception, la récompense pour avoir été abattu en plein dans la rue par un Walther dernière génération. Il est terrible qu’un citoyen soit la victime d’une querelle.
A l’invoquer ici, il réussit son coup : le trou de chair brisa le rempart de la morphine et dégueula mille souffrances dans l’orifice.
Le petit ressemblait si près à un comptable véreux de modeste envergure si ce n’était que son costume pesait plus lourd sur le marché que mon appartement et j’aurais pu en dire de même pour la tenue de son subordonné - ils rejoignaient ainsi le dicton et contre-dicton bien célèbre : l’habit ne fait pas le moine mais tous les moines portent le même habit. L’employé puait une certaine aura qu’on trouvait chez ces hommes qui avaient contemplé l’entièreté de leur âme et avaient été surpris de leur profondeur : ses yeux en étaient ressortis grisés, blasés par sa propre abysse.
A un pas respectueux derrière lui, le grand, un ancien bosozoku maté puis remonté par la pègre, poursuivait encore sa révérence. Les finitions impressionnantes de sa stature, taillées à la râpe et au burin, me filaient un frisson dans le dos. J’y lisais dans sa force pure : ton crâne n’est pas assez épais. Mais mon vrai malaise me congestionna la gorge au plus près de la langue quand j’aperçus un pansement blanc qui avalait son petit doigt. Il avait payé plus que 700 000 yens, et les renflements rouge et épais témoignaient de la jeunesse de l’acte.
— Le coupable qui vous a tiré dessus a été renvoyé. Tous les autres groupes de la ville ont été avertis qu’il ne travaillait plus pour nous. Je lui ai demandé de rédiger une lettre et d’avancer 500 000 yens mais elle était laide, mal écrite, indigne, alors je me suis permis de la retirer et de rajouter 200 000.
Les pièces du puzzle se mirent enfin en place et je ressentais pleinement le poids du pactole entassé sur mon bide. Je saisissais l’ensemble du tableau, la faiblesse de mes bras, l’absence d’infirmier, le poids financier des sociétés-écrans manipulés par mon comptable sanguinaire, le sang sur leurs mains et la gratification absurde que je venais de recevoir, les félicitations de Dieu pour avoir été écroulé d’un tir près de la hanche.
Un réflexe absurde, une anomalie de fils de bonne famille, un râle abruti :
— Il m’est impossible de prendre votre argent.
— Vous êtes policier ? me demanda gentiment le yakuza en se permettant d’allumer une clope et en s’approchant de la fenêtre qu’il ouvrit avec moins d’effort que l’infirmière ; par les plis de sa chemise, on devinait un tatouage rouge sur son torse épilé. Un vent clément de fin de printemps assainit la pièce. Le bâti conclut ses politesses et se retrouva vertical et immobile, le visage pincé.
— Journaliste, précisais-je le timbre neutre, car ensommeillé.
— Ah bon. Un mouvement de la main entre le réconfort et le mépris, à l’image d’une tante qui vous adore mais vous prend pour son chien. Ce n’est pas en tant que journaliste que cette somme vous est versée, mais comme innocent. Cela n’a rien à voir avec votre fonction et nous ne vous demandons rien. Acceptez, puis c’est tout. Il tira une fumée vers l’extérieur. C’est simple. Il tapota la poignée de la fenêtre pour en tester le plastique. Si vous refusez l’argent, la dette ne sera pas consommée et j’aurai mes soucis.
L’histoire semblait réglée : si je pouvais soulager la conscience de plusieurs meurtriers, n’était-ce pas chrétien ou bouddhiste de ma part ? Il n’y avait qu’à épargner. Puis je retrouvai rangée dans le tiroir des grincements la somme totale de mes dettes qui m’écrasaient et qui m’empêchaient de considérer le renvoi de la faveur.
Cependant, je ne pouvais pas accepter la cagnotte sans imaginer traverser une porte qui ne se refermerait jamais. Je ne parlais pas des yakuzas mais plutôt du tableau de ma propre conscience qui devrait être la plus vierge possible devant les inspections divines qui régnaient sur les cieux au moment de ma mort : traiter avec la pègre revenait à envoyer dans un coin de la toile un sceau entier de jaune coupable. Puis, la justice voyant mes dettes absoutes, ne se méfierait-elle pas plus de moi ?
A la rédaction, on avait une section entière des grands articles écrits par nos prédécesseurs, comme une armoire à trophée des titres qui avaient fait grand bruit, des grandes enquêtes qui avaient changé le regard du peuple japonais sur des sujets vastes, brûlants. Bref, ils avaient littéralement écrit l’histoire, ni la petite ni la Grande, mais la moyenne, la lente bête qui au fil du temps sélectionnait les choses et les gens dont elle prendrait l’odeur. Une dizaine d’articles, rangés les uns avec les autres, se consacraient aux yakuzas et le plus connu d’entre eux, après une longue investigation, concluait qu’honneur ou pas honneur, petit ou grand, “tous les yakuzas étaient des fils de pull”.
Mais comme tous les futurs trentenaires à qui l’avenir n’avait pas rempli les poches comme espéré, j’avais le goût du yen : j’en manquais trop. Je matraquais à ma conscience un possible compromis.
D’une voix étourdie mais qui s’abassait dans le ton à la plus servile des politesses (avec ce genre d’agence, la prudence d’abord !) :
— Mes dettes s’élèvent à 400 000 yens. Je tousse, le sursaut me déchire le ventre. Je vous les prends, efface mes tableaux et vous rends le reste.
Le comptable claqua plusieurs fois la langue.
— Êtes-vous un saint, Hirai-san ?
— Je suis très souvent surpris par mes propres conneries, veuillez m’excuser.
Il ne rigola absolument pas à mon trait de grossièreté et le traita au contraire, avec beaucoup trop d’égards, ce qui me surprit énormément.
— Vous pensez ne pas valoir la somme ? Vous estimez-vous peu ?
— Vous faîtes preuve de plus d’écoute que mon propre père. Si je peux me permettre.
Le comptable s’approcha de moi et d’une main presque tendre, qui à un autre moment avait pu trancher l’oreille d’un mauvais payeur dans un parking, redressa ma couverture pour être certain que j’avais bien chaud sans faire tomber les cendres de sa cigarette. Il inspira grandement et grésilla quelques braises qui s’envolèrent en contre-obscur dans le ciel nuit d’une Tokyo calme.
— Vous avez l’argent sur vous. Gardez-le, ne le dépensez pas bêtement et si c’est possible, n’achetez pas de drogue avec. Sinon, faîtes-en ce que vous voulez et si cela doit terminer dans des œuvres de charité, votre âme et la mienne en bénéficieront.
La bonne vertu tout comme la bassesse immorale n’auraient pas trouvé dans cette situation la Prise potentielle d’escalade comme la médiocrité le permettait. Une vie faite de dettes, de défonce, de trime qui à la fin, ne pesait pas grand-chose au regard du tout. La médiocrité n’avait pas le regard petit, mais elle avait le regard bas. Elle avait l’avantage, tout comme sa cousine la dépression, de ne se nourrir de rien sinon d’attendre de vous piéger : quand vous étiez tombés dedans, le monde n’était alors plus qu’un lupanar qui vous rappelait le rapiècement de votre fierté et ainsi alimentaient vos maux. Mais cela aiguisait quelques fois la réflexion. Le mépris des policiers pour ma personne, la pression de mes supérieurs, mes déboires dans la rue, mon incompétence à succomber à la drogue et ne jamais rien construire, Eirin, juste Eirin… Tout cela faisait de moi un raté, cependant avait aussi durci mon courage et protégeait ultimement mon égo d’une couche de graisse malade, mais solide.
J’aurais dû consulter un psy : peut-être que ma vie en aurait été changée. Mais j’avais peur de ses prescriptions, de ses médicaments qui me coûteraient une partie de moi, j’avais peur qu’il se dise qu’à la fin, que j’avais bien raison de me sentir mal car je n’étais pas grand-chose qu’un nase, quelqu’un de pas assez nul pour me vautrer dans des excuses mais pas assez bien pour mériter le respect. Ne pas demander de l’aide me donnait un matelas pour me protéger du fond : tant que je ne désespérais pas un professionnel, alors je possédais encore un filin d’espoir que ma vie n’était pas dynamitée à l’atome. Puis, je savais ce dont j’avais besoin. Je voulais une Prise, et le Comptable m’en tendait une. Mes chevilles turbinant au désespoir, car seule la folie pouvait justifier mon envie, je sautai :
— Si je n’accepte qu’une partie de la somme, peut-être pourrais-je vous demander un service pour compléter ?
L’homme m’invita par son absence de réaction à poursuivre seul.
— Voyez, je suis journaliste pour l’Asahi Shimbun.
J’attendais l’effet de mon annonce : n’entrait pas qui voulait à la rédaction de l’Asahi, un des trois quotidiens les plus côtés de l’île et les plus lus dans le monde. L’homme reçut d’ailleurs l’information avec un hochement de tête piqué.
— Je voulais savoir si… si nous pourrions faire affaire. En guise d’excuse, vous me laissez un sujet d’article. Une interview. Ou vous m’appelez quand vous avez des… enfin, des informations sur une affaire. Une anticipation. Des pistes.
Je n’étais pas dupe, une partie des yakuzas n’aimaient tout simplement pas le feu des projecteurs et les médias n’avaient jamais été tendres avec eux. Quant à l’autre, elle pouvait se déverser dans des sphères plus hautes que des rubriques de magazines plus spécialisés où on leur servait caramel et où on les adorait. Je leur proposais un accès direct à des articles de l’Asahi ; pour eux, cela devait constituer une tribune à double-tranchant. Leurs paroles trouveraient un écho important et une légitimité renouvelée dans leur présence au sein de la société ; de l’autre, ils attireraient l’attention.
— Vous en êtes certain ?
— Tout à fait.
— Certain certain ?
— Puis-je vous proposer ma carte ?
Je fis un simulacre depuis mon lit du rituel d’échange de cartes et l’homme sembla la percer du regard plus que la lire.
— Nous vous rappelerons.
Les deux yakuzas s’en allèrent enfin et j’eus comme l’impression de redécouvrir la respiration.
…
Qu’est-ce que je venais de foutre ?
Le vent continuait de s’engouffrer hagard caresser la perfusion de mon intraveineuse. Atterré et surexcité par mon audace, épuisé par l’antalgique, je regardais au plafond et me débarrassais légèrement de ma couette d’un mouvement déprimé pour profiter à mon tour de la fraîcheur d’une belle nuit. La circulation dans le lointain harcelait le silence et Toson comme un con, aveuglé par sa médiocrité encore une fois, avait pris le pari que sa prise ne serait pas un engrenage qui lui broierait la main.
Mais ne méritait-il pas enfin sa place ? Après tous les ennuis sur lesquels un homme pouvait trébucher dans sa vie, je les avais tous connus, ils m’avaient percuté, assiégé et avaient fait de moi le semi-rat que j’étais. N’avais-je pas le droit à une opportunité qui ne se retournerait pas contre moi ? Une seule chose de positif ? J’en étais à des états où je ne demandais pas mieux que le regard d’une fille qui se posait sur moi ; d’un remerciement de la correctrice de ne pas avoir fait de faute et de bien avoir respecté la limite autorisée ; que quelqu’un me dise qu’il aimerait être moi ou alors sinon, la moindre once d’un respect pur, quel whisky que le breuvage de l’envie de l’autre. J’avais le droit d’être heureux. De trouver ma place. Je pourrais pour plaire, me travestir tout entier. Pactiser avec le diable. Ou pire, avec des yakuzas, manifestement.
La porte s’ouvrit subitement et je cachai d’un geste vif pour un demi-mort l’enveloppe gainée sous mes fesses à l’infirmière chevronnée qui aux bords de la cinquantaine ne serait jamais meilleure avant ou après à son métier. Elle vérifia que l’intraveineuse était bien installée, que les deux poches et se vidaient ou se remplissaient correctement. Elle approuva tout d’un “Hum hum” sévère mais juste et ses petits yeux me sourirent enfin :
— Vous avez eu de la visite. Tout s’est bien passé ? Difficile de ne pas trouver dans sa question quelques fragments de crainte, des soupçons de mauvaise augure. Sur sa langue on sentait qu’elle aussi, ne se sentait pas le crâne assez épais pour demander des précisions.
— Très bien.
Et je ne développai pas plus : je ne trouvai ni mensonge ni petite vérité pour égayer l’atmosphère et dissiper ses doutes. Quand le danger guettait, la lourde main de la Mort que même Dieu ne pouvait arrêter, alors la vraie religion du silence se répandait comme le plus terrifiant des virus. Elle me laissa seul avec mon plafond et un verre d’eau plein et me souhaita bonne nuit.
N’était-il pas triste chez quelqu’un, qu’il fut tombé si bas et si bien joué de malchance, ou perdant à tous ses coups qu’à un moment de son existence devenir une victime collatérale et ramasser une cartouche lui servait de miracle ? Que les seules personnes à s’incliner face à lui et lui témoigner quelques paroles gentilles - sans compter le geste financier - soient des yakuzas ? Le mal du Japon ? Malgré le minuscule oreiller de 700 000 yens qui se tordaient dans mes fesses, j’en avais envie de pleurer. Voilà à quoi ressemblait le gros lot de la loterie des ratés.
Mais bon, si je me rétractais et les rappelais pour leur dire de tout annuler et que je gardais l’argent, ça ne serait qu’un pis-aller. Je pouvais changer la portière cassée mais la voiture gardait le même moteur, le même Toson évidé, lâché par les flics, moqué par la rue. Si je voulais garder mon poste à l’Asahi, il fallait que je me troue une place à la dynamite. Passer de l’autre côté de la barrière. Chaque personne sur cette Terre avait selon moi un droit quasi-inconditionnel à tenter de trouver sa place. Laissez-moi saisir ma chance avant de perdre mon travail, ma seule source d’ego, où pour l’instant je n’étais qu’un gars piteux au travail médiocre, en retard sur tous les appels. On avait tous le droit de devenir plus.
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Chapitre 2 : Eugeno de Rastignac
La moiteur d’un automne impérissable luisait les fronts d’une foule invertébrée. S’y reflétait sur les crane tondus, les verres de lunettes, les vitrines déjà chargées, les flaques de la dernière averse ce labyrinthe de néons dévastateurs envahissant chaque étage de chaque immeuble, immolant de lumière une colonne vertébrale ahurissante à Kabukicho maintenant vestige titanesque d’une créature jamais vue des yeux d’homme. Les vignes électriques se disputaient chaque mètre carré du quartier et partaient si haut vers le ciel qu’elles se fondaient même dans la nuit qui luisaient vaincue d’un voile rouge consumant ses étoiles.
Pion anonyme dans la masse des passants, je me frayais un passage étroit, droit sur ma trace, dans un dédale imbécile et chaotique. La cigarette planquée au coin de la bouche, les cendres à un centimètre du filtre, costaud dans ma marche, je m’appropriais l’endroit, je découvrais ces grands boulevards de vie, ces milliers de publicités trop petites qui s’entredévoraient, l’étouffement qui grimpait au col quand aux heures de pointe Kabukicho rugissait. On lisait sur les visages une banalité affligeante mais on sentait les vices s’étaler dans l’ombre de chaque personne. J’y flairais l’odeur du shabu dans les ruelles, l’avarice pour de la chair humaine immigrée clandestinement, une gloutonnerie sans fin loin de toute religion et peut-être la pire de toutes, une solitude aigue à une échelle sismique. L’Incontestable pouvait raccorder l’amour au son des algorithmes mais il ne changera jamais l’essence du Japon moderne, ce prototype d’humain dont l’âme ne se tient magnifiquement droite que parce qu’elle frôle à chaque pas le précipice de la décadence.
L’île précieuse ne savait pas quoi faire de Kabukicho. Ses aspects les plus superficiels choquaient déjà la plupart des villes occidentales enclines au libertinage ; c’était comme un poireau sur le front d’un ange. Et pourtant, il y avait foule dans les rues, une foule basique, une population somme toute normale, qui accueillait en son sein des rabatteurs, des yakuzas, des coréens à la pelle, des hôtes et hôtesses et du fric à ne plus savoir où pleuvoir. Des hôtels particuliers, des bars à “filles”, des soaplands, des boutiques de gode, des massages, des clubs de striptease, des boîtes… Kabukicho se situait entre un quartier tout à fait normal, un parc d’attractions et une vidéo pornographique. Mais c’était mon secteur maintenant et les bureaux fermés, il était demandé à tous les nouveaux de commencer à créer leur réseau maintenant s’ils voulaient garder leur poste.
Parmi ce gloubiboulgas se trouvaient mes futures sources, les coups sûrs qui à la moindre affaire sauraient me prévenir plus rapidement que les concurrents, les traîneurs d’oreille qui rabibochaient chaque info et en créaient une dense tuyauterie. Un bon journaliste, ce n’était pas celui qui épuisait sa plus belle plume sous des tantrum volontaires ni le plus acharné à rogner les morceaux de viande qui recouvraient la vérité, mais celui qui entretenait un cercle d’indics fiables, de tous horizons, de la basse crapule jusqu’aux commissaires quitte à servir dans le chantage, la filouterie ou les cadeaux aux gosses, “je crois que c’est son anniversaire, non ?” Et qui jamais ne lâchait leurs noms sous demande ou menace. Au grand jamais ! Faîtes toutes les fautes mais jamais celle-ci, le diable savait attraper les langues pendues.
Alors sur mon temps libre, novice, il fallait bien abattre la construction de ma toile car seulement par elle je pourrais officiellement rejoindre la rédaction avec un vrai titre et un salaire palpable.
Je ne partais pas les mains vides à attendre que le monde me pousse mes informateurs dans mes bras. M. Okamoto un soir fâcheux avait assassiné sa femme de plusieurs coup de poignard à l’épaule, puis s’était tout simplement évaporé dans la nature. La police avait gardé ses quelques renseignements de son côté et n’avait rien communiqué à la presse, une spécialité de l’inspecteur en charge qui détestait tous les verbeux. Voilà toutes les équipes étalées au même niveau, condamnées à lécher les pieds des flicards pour obtenir le moindre rognon d’info.
En bref, un vieux sur un banc, une miette de pain, cent pigeons, beaucoup de sadisme.
Mais par miracle, j’avais appris de la part d’un ami qui habitait la rue que M. Okamoto, manifestement empoisonné par son mariage imposé, fréquentait un bar et était devenu le plus gros client de l’hôtesse la plus fraîche - pas trois mois d’expérience. Mon coup à jouer était double : dégotter un scoop exclusif et faire de cette jeune fille le premier pion de ma carrière. Cette idée m’avait été soufflée comme une intuition, mais en vérité, j’avais compris plus tard que c’était parce que nous étions aussi profanes l’un que l’autre dans nos métiers respectifs que j’avais cette envie subite de me rapprocher d’elle. Les poussins doivent se tenir chaud.
En surbrillance verte par-dessus mon regard grâce à ma lentille, j’aperçus par-dessus les têtes le logo bigarré et rouge du bâtiment recherché ; une flèche de même couleur clignota vers le sol pour me prévenir que le Sixth Chamber se trouvait à l’étage du dessous. Un bar à hôtesses qui chamboulait un peu : il avait la réputation de proposer un second acte consenti (pas de prostitution donc, au grand jamais) entre l’hôtesse et le client si le courant passait. Rare dans ce milieu mais j’imaginais qu’il suffisait que la rumeur existe pour servir de publicité gratuite. Dans votre première année, vous vous dégottiez les minois les moins frileux (ou les plus désespérés) puis vous reveniez dans les rangs rapidement avant que la police ne vienne fouiller les tiroirs ; votre réputation était faite. L’animal en moi, les yeux brillants, fantasmaient une fin heureuse après une dure soirée de labeur. Une avancée dans la toile, le travail, des hanches : le triple bingo. Enfin, ça, c’est si j’étais célibataire… Mais je me satisferais d’un flirt appuyé, Eirin était loin et sa voix sans son corps m’agaçait depuis trop longtemps. Pas plus qu’un flirt si flirt y avait.
Décidément, poussé par l’investissement dans ma nouvelle déontologie, le reste de votre morale s’en trouvait inspirée et vos vertus se consolidaient les unes les autres.
L’atmosphère du Sixth Chamber détonnait vis-à-vis de ses concurrents par son atmosphère résolument plus sombre, collant sur au moins deux niveaux de lecture à son aura underground avec ses murs de briques à la germanique. Un siècle de marketing avait découvert par hasard que des lumières plus tamisées donnaient plus de poids aux promesses lubriques, on y associait la cachette, l’interdit, une imagerie de l’intime. Le choix de la musique aussi semblait plus violent, plus électro, on y sentait une généalogie punk qui des décennies auparavant devaient faire danser les stoners sur l’ancienne piste, dans ces anciens temps où on imaginait tout le monde bien danser. Les hôtesses que j’apercevais marchant entre les allers, discutant avec leur client ou les serveurs, n’étaient pas aussi distinguées que chez la concurrence - en tout cas, ne portaient ni uniforme ni robe - mais le maquillage et le choix des tenues - jean, cuir, boucle d’oreilles - témoignait d’un effort évident.
Au placeur, faciès pointu et petites lunettes serrées qui coupaient ses cheveux au niveau des temps, je demandais à avoir Lucy spécifiquement. Lucy, la première femme du monde, la première de mon réseau ? On m’annonça qu’elle était prise mais que si je voulais bien attendre un quart d’heure, oui alors, elle me rejoindrait. Je me fis placer à une table dans le fond où un menu holographique me présenta les boissons disponibles. Je grinçais des dents : tout était bien trop cher. J’avais préparé à déverser mon maigre pécule pour un petit verre, deux petits verres par politesse, pas plus. Soyons fous, une bouteille, je pourrais céder une bouteille si Lucy me souriait bien, il fallait voir cela comme un investissement.
J’attendis au bas mot trente-cinq minutes. Toujours est-il qu’elles passèrent vite : j’observais les gens et me laissais divertir par les conversations enjouées, les rires et la sono jamais trop forte. Ce fut là que la demoiselle qui aux muses grecques n’enviait rien, en crop-top paillettes et petit jean, grand sourire et cheveux courts en carré impeccable s’approcha de moi et me salua avec un grand sourire :
— Vous êtes Hirai-san ? Enchanté, je suis Lucy !
— Enchanté, Lucy… balbutiais-je devant le petit ange. Mon dieu, ses parents ne devaient pas être peu fiers de la génétique, et même moi, j’en rougissais. Je… Merci d’être venue, merci.
Elle s’assied à-côté de moi et commença par quelques banalités qu’elle devait servir à chaque client ; elle maîtrisait les dix questions pour ouvrir les sujets de conversation et possédaient un charme et un rire qui me mirent au supplice de lui parler de frivolités et me rapprocher d’elle, plutôt que d’enquêter sur cet obscur M. X qui avait plus de goût que je ne l’imaginais.
— C’est la première fois que vous venez, non ? Sinon, je vous aurais déjà repéré !
Elle passa une courte mèche derrière son oreille et jeta un coup d'œil au menu ; je compris par cette manœuvre subtile que tant que je ne commandais rien, j’aurais du mal à aborder des sujets importants. Pour faire chic, j’ordonnais une bouteille de rouge. Lucy me dit que j’avais de l'œil car c’était un excellent rapport qualité-prix.
De nos premiers échanges, il n’y avait rien qui vous surprendrait dans la description que je pourrais faire d’elle : elle employait ce timbre appuyé pour forcer sur ses voix les plus douces et semblait d’une humeur solaire comme si elle était plus heureuse que moi de tenir la discussion. Ses doigts s’agitaient joliment pour encadrer ses paroles et quand elle m’écoutait, c’était en s’avançant légèrement la bouche entrouverte, plantant ses yeux ronds sur moi ébahie par chacun de mes mots plus que par mes phrases. Elle jouait bien évidemment la carte de la naïveté, d’une candeur virginale qui faisait le fantasme des hommes qui désiraient avant tout la princesse chez une femme plus que le moindre caractère. Je décelais pourtant dans nos échanges une fermeté d’esprit qu’elle peinait à camoufler ; il suffisait de taper du pied pour se rendre compte qu’elle possédait quelque chose de plein, une vivacité et un goût pour le cynisme qu’elle ne parvenait pas totalement à museler, ou alors qu’elle laissait nuancer pour épicer légèrement sa saveur de poupée.
Enfin posé et après avoir trinqué, je pus lui expliquer la raison de ma présence et elle hocha de la tête durant l’entièreté de mon explication, pour m’inviter à continuer et montrer qu’elle était déjà prête à me répondre. Une fois que j’exposais où on en était avec notre tueur, elle marqua une hésitation.
— Je ne sais pas si je pourrais vous aider dans l’enquête.
— Ce n’est pas grave, je ne suis pas détective ; juste des renseignements, ce que vous savez de lui, des amis qui lui tenaient à coeur, s’il vous parlait de sa femme. Rien qu’un peu me permettrait de justifier un article.
— Oh. Dans ce cas…
Je lui demandais de la main une petite seconde avant que j’appuie sur le côté d’un appareil afin d’enregistrer la conversation ; je levai la molette d’un cran pour supprimer le bruit de fond.
Elle me conta quelques anecdotes de sa voix chantante et intégrais ici et là des jugements personnels sur la personne. Qu’il était gentil, mais qu’elle lui avait toujours trouvé un ton louche, une part obscure légèrement ridicule, tel un développeur web qui s’était levé du mauvais pied (de ses mots). Un gars bien trop vieux qui croyait dur comme fer que leur relation dépassait le cadre du clientélisme, dont les manières oscillaient entre le bon et le vulgaire selon son état, qui n’avaient pas grand-chose d’intéressant à dire sinon quand il se plaignait, où là, il ne manquait plus de créativité. En tout et pour tout pensais-je, un raté qui sous le poids de sa médiocrité avait été coulé dans l’eau trop longtemps et qui relâché, bondissait catapulté par Archimède jusqu’au meurtre.
Tout son témoignage fut soigneusement enregistré et d’un petit bouton dans ma poche, je pré-montais l’entretien pour supprimer à la volée les passages les moins intéressants. Pour le moment, tout ce qu’elle rapportait se mêlait assez bien à la vie virtuelle de notre homme que j’avais traqué sur les réseaux sociaux. Nous trinquâmes notre second verre d’alcool à la moitié de sa diatribe et après quarante minutes de feuilleton, je sentis qu’elle avait épuisé le sujet et la remerciai. Je posais quelques questions pour approfondir le personnage ou une information mais rarement elle sut m’apporter les détails demandés - je devrais m’en tenir à ces par-ci par-là qui peut-être me donneraient matière à satisfaire mon supérieur, le tyrannique Mashida.
— Ce que je peux en conclure, c’est qu’il haïssait sa femme, résumais-je sans beaucoup d’audace. On pouvait être certain du mobile.
— Il en parlait souvent, oui. Il disait que j’étais plus belle que sa femme, plus intéressante et que s’il n’était pas marié, il m’aurait déjà embrassé.
— Je vois le genre… Lourd alors qu’il n’avait pas besoin de l’être.
A la place de mon M. Okamoto, je n’aurais pas été beaucoup plus crétin. Un charme se dégageait de Lucy - elle savait parler fariboles mais je savais détecter un esprit terre-à-terre. Il y avait des gisements d’opale sous son masque de poupée et l’alcool allant de verre en lèvres, celui-ci se boursouflait sous les poussées de la vraie Lucy, mordante, énergique.
Elle laissa couler ma phrase et en posant son verre qu’elle tenait à deux mains près du bord comme on le ferait avec un bol d’infusion, elle me demanda :
— Et vous Hirai-San, vous êtes mariés ?
Je lui jetais un œil en coin.
— Je le suis.
Rien de plus faux, mais j’étais engagé tout aussi bien par le sceau d’une passion amoureuse et les vrais amants savaient que ce genre de déflagrations, qu’on ne trouvait d’habitude que dans le printemps d’un nouvel amour, devenait la plus puissante des forces quand le temps ne parvenait plus à l’affaiblir. Eirin était partie depuis plus d’un an poursuivre ses études à Los Angeles et je pensais à elle chaque jour, comme une prière. On s’écrivait quotidiennement et on s’appelait trois fois par semaine. Quand j’allais bien, nos souvenirs et nos discussions me portaient plus haut mais quand l’humeur retombait, elle me manquait comme un moine qui aurait perdu les cieux.
— Oooh, gloussa-t-elle en riant légèrement. C’est-à-dire que si je suis déplacée avec vous, je pourrais vous faire arrêter ?
— Et m’abattre, même. Certainement.
— Si je vous tiens la jambe comme ça, c’est déjà trop ? Sa main se posa le long de ma cuisse dans une caresse de fée, puis elle y prit appui pivoter son corps et se posa tendrement sur mes jambes en posant ses mains derrière mon crâne ; mon cœur s’affola de plaisir. Vous êtes en danger, maintenant, Hirai-San ?
Le prédateur venait tout juste de sortir du bois et sa proie fit un arrêt cardiaque. Ses pouces derrière ma nuque me rendaient fou et son regard, ses lèvres qui s’entrouvraient comme si elle contenait à peine ses respirations… Les miennes s'approfondissaient et mes mains se permirent de lui caresser les mollets distraitement. J’en oubliais de répondre. La folie me prenait au bide et je me sentais d’un coup le cœur vierge de tout passé, prêt à se remplir de nouveaux baisers. Lucy me passa distraitement ses doigts sur mes épaules pour provoquer une réaction que ses mots n’avaient pas su susciter et elle jouissait du pouvoir absolu qu’elle avait sur moi. Son visage plus proche du mien, je sentis une légère odeur de nicotine et trouvai la parade :
— Cigarette ? Vous pouvez vous le permettre ? Dehors ?
Elle rigola et se détacha de moi, en sueur, enfoncé dans le sofa rouge.
La conversation reprit et je pus enfin parler à une Lucy humaine : elle semblait s’être libérée de son rôle et par gentillesse, ne fit aucun commentaire sur son estocade. Je profitais maintenant de son rire facile doux comme la neige, beaucoup d’esprit et fumait sa tige comme si c’était sa première (mais jamais elle ne toussa). Il y eut un vrai courant entre nous, quelque chose de moins érotique mais de plus sensible et je sentais qu’une tendresse se développait - je fis de mon mieux pour me rappeler du visage et du corps d’Erin comme pour rompre un enchantement que je m’infligeais à moi-même. Elle me racontait sa vie et qu’elle payait son prochain voyage pour aller au Vietnam : sa grand-mère venait de là-bas et c’était difficile à Tokyo d’économiser quand on avait moins de vingt-cinq ans.
Notre seconde cigarette bientôt terminée et me sentant assez à l’aise, je lui avouais la seconde raison de ma venue : faire d’elle une partenaire, une source et qu’elle me partage des informations croustillantes qu’elle entendrait dans le quartier, au moins sa rue. Un sourire transforma son visage, elle en fut toute enjouée :
— Je serai votre espionne ?
— La première !
— Vous me passerez des oreillettes en ligne direct ? Puis elle mima un appel avec une voix de film d’action : Hirai-san, Hirai-san ! Je sais où se cache le meurtrier ! J’explosais de rire puis rétorquai :
— Je vais juste vous passer ma ligne professionnelle.
— Aaah ! Vous vouliez mon numéro, vous êtes simplement un homme ! Mais c’est un des plus beaux détours qu’on m’aie jamais fait.
Je mimai à mon tour un appel en appuyant sur un appareil imaginaire :
— Lucy, Lucy, arrêtez de dire n’importe quoi, vous êtes complètement ivre.
— Ahahah ! Juste un peu ! Juste un peu !
— Alors ? C’est oui ?
Elle reprit sa respiration et me dit :
— Oui ! Je veux !
— Génial ! Merci beaucoup !
Ma soirée avait vraiment été lucrative. Puis travailler avec une fille aussi mignonne saurait me mettre du baume au cœur.
— N’allez pas trop vite Hirai-san ! protesta-t-elle en me frappant sur le torse avec le plat de sa main plusieurs fois. Ça ne se fait pas comme ça, un lien entre un journaliste et une hôtesse !
— C’est-à-dire ?
— Il y a un pacte à créer entre vous, moi et le bar.
— Le bar ?
— Mon patron m’a expliqué que c’était normal, dit-elle en haussant les épaules. Les autres filles m’ont racontée que vous viendrez souvent ici pour discuter avec moi. Sauf que vous n’allez pas consommer constamment nos produits dès qu’on devra discuter, sinon, imaginez vos pertes d’argent et moi, mes pourboires !
— Oui, je ne roule pas sur l’or.
— Cale sèche pour nous deux, oui ! Très bien ! Venez ! On rentre ! Et elle jeta sa clope sous une chaussure pour y disperser les cendres. Le Sixth Chamber nous ravala dans sa cavité pierreuse.
— Nous avons une bouteille de champagne spécialement pour l’occasion. C’est celle-ci ! Le Clos d'Ambonnay ! Quasiment personne ne la commande ! Vous le prenez et ainsi, vous scellez le pacte avec le Sixth Chamber. Et avec votre nouvelle agente, Lucy.
Un détail cependant m’attira l'œil.
— 100 000 yens ?
— Oui ! C’est le prix. Il faut bien compenser les fois où vous me solliciterez en commandant le strict minimum.
Ça allait être un problème, j’allais passer directement en négatif et souffler mon plafond… C’était un gros obstacle. Fallait-il que je revienne plus tard ? Je dûs refuser :
— C’est un gros prix, un très très gros prix. Je ne suis que débutant, ma paie est minime.
Lucy se mit à rire derrière sa main.
— Mais gros bêta, ce n’est pas à vous de payer, c’est votre rédaction !
— Ah bon ?
— Mais oui ! Vous leur laissez la note demain et ils vous remboursent. Vous êtes vraiment un débutant, Hirai-san…
Dans ce cas…
— C’est bon, c’est bon… On finit la soirée au Clos d’Ambonnay alors ?
Lucy chercha un serveur du regard et lui fit un geste de la main.
— Au luxe !
Aux lundis matins sauf urgence étaient consacrés une heure de réunion avec toute notre équipe sur Kabukicho afin de faire le point. Notre supérieur à tous, celui en tout cas qui hantait notre étage, se prénommait Mashida et son caractère dictait l’humeur de la pièce : il n’avait aucune patience et nous accusait de tout, de ne rien savoir, de tout faire capoter, de le décevoir constamment. Il avait la rudesse de l’ancien employé docile qui ne voyait les échanges verticaux que comme des confrontations musclées et s’attendait à ce qu’on lui pardonne son comportement de chien parce qu’il y était obligé pour nous faire frôler l’impossible tout comme les nuages chargés sont obligés de faire naître leurs éclairs.
Deux qualités se détachaient du portrait sombre d’un N+1 aux dents longues. D’abord, il payait toujours les tournées à l’équipe quand on sortait ensemble le mardi et le vendredi soirs et s’il venait à manquer à l’appel pour de plus importantes raisons, il laissait filer les premières heures de la prochaine journée de travail sans engueulade. Une habitude dont il ne se séparait jamais : ce sacerdoce paternaliste trouvait ses racines dans le même sol qui commandait ses excès de colère. Puis secondement, il ne goûtait pas trop aux réunions, il avait une philosophie du travail par l’action, elles l’excédaient comme sa femme ; ainsi, il partait toujours à l’essentiel et injuriaient les circonvolutions. Soyez direct, clair, concis.
Chacun y listait ses objectifs, ses avancées, finalement promettaient les lunes qu’avaient envie d’entendre Mashida, un prétexte parfait pour qu’il nous sermonne de notre lenteur quand les délais impossibles n’étaient pas tenus. Quand arriva mon tour je leur parlais de mes avancées sur l’affaire de M. Okamoto.
— Pas grand-chose, commenta le boss en tapotant du doigt sur la table. S’il n’était pas énervé, c’est qu’il estimait secrètement que j’avais assez pour pondre tout de même un article, ce qui me rassura.
— Je trouverai autre chose, lui dis-je mais la promesse était blanche, comme bien souvent. Nous ne faisions que lui dire ce qu’il avait besoin d’entendre pour nous lâcher la grappe.
— Hirai, viens plutôt par ici expliquer à tous ce que c’est que cette facture que t’as collé à la compta.
Il claqua d’une main sur la table et chacun de mes collègues put apercevoir un ticket de caisse aplati.
— Cent mille yens comptant, c’est quoi ce bordel ?
— Le pacte, commençais-je à expliquer d’une voix pénible. Pour sceller un accord entre moi et mon informatrice, une hôtesse.
— C’est l’hôtesse… Il se saisit franchement du papier pour y lire les petites inscriptions, c’est Lucy ? qui t’a raconté cette fable ?
Je commençais à être nerveux.
— Elle m’a dit que pour qu’un journaliste et une hôtesse soient partenaires, il fallait acheter cette bouteille.
Un rire étranglé péta d’une bouche à ma droite et je compris enfin l’énormité de ma bourde. Je me mis à rougir, moins à mon aise et tout le monde esquivait mon regard. Mashida se leva, excédé. Même lui ne savait pas s’il devait fulminer et remplir la pièce d’une lave incandescente ou si à l’inverse, il allait exploser de rire ; je l’imaginais avoir pour critère ce qui serait le plus humiliant et il débattait intérieurement. Il resta pour le moment dans un entre-deux étrange comme s’il était aussi choqué que moi.
— Une fille a joué des charmes. Et t’a fait claquer cent mille balles sur le compte de sottises… Et toi, t’es rentré en plein dedans !
Il ramassa la facture honteuse. Il la plia, puis s’avança en hochant la tête horizontalement pour chasser l’idée de m’étrangler. Enfin, il déposa le papier dans la poche de ma chemise et tapota dessus avec un grand sourire :
— Te voilà dépucelé, Rastignac.
Et il partit dans un rire énorme qui m’écrasa jusqu’au fond de mes chaussures. Voilà le coût d’une formation dans le milieu.
Je pris le large tard, la honte pouvant accorder des ressources de travail et de soumission comme pour faire amende honorable de mon erreur ; je sus d’un collègue dont la compassion s’arrêtait à l’humour que Mashida avait porté l’histoire avec mon nom associé dans les autres bureaux afin d’égayer l’après-midi de tous. Le succès de la comédie fut intégral et j’acquis avec rougeur le surnom d’Ambonnay dans le courant de l’après-midi qu’on me trouva si bien que toute l’équipe cherchait n’importe quel prétexte pour l’utiliser. Mon seul rayon de soleil fut qu’un autre manager dont le statut équivalait à celui de Mashida, dont le ventre dégoulinait sur les côtés, m’avait retrouvé pour me dire que ce n’était pas si grave. Il nettoya le gras de ses lunettes en me remémorant qu’à son tour il avait dû payer des frais pour le travail et m’invitait à ne pas baisser la tête.
Kabukicho me retrouva à peu près à la même heure : sa foule n’avait pas changé mais cette fois-ci, je me bâtissais un chemin sans concession en son sein, jouant des épaules et des excuses, ayant trouvé dans trois bières l’audace nécessaire pour défendre ma cause perdue. The Sixth Chamber, l’antichambre où j’avais perdu ma fierté, ne semblait pas heureux de me voir car à peine approchais-je, comme si mon visage avait été scanné de loin, deux hommes dont la carrure leur prêtaient une figure d’autorité me stoppèrent dans mon élan.
— J’aimerais parler au manager de votre boîte, je n’en ai pas pour longtemps.
Je compris au milieu de ma phrase qu’il n’y avait pas plus de chances qu’ils écoutent la moindre de mes syllabes que Mashida règle ma cagnotte envolée. Un des hommes posa une main - plutôt une pince robotique d’une puissance absurde - sur mon épaule et posa une voix grave comme un fauve qui roulait un pétard :
— On nous a dit que t’avais pas été réglo avec une de nos filles.
— Ah bon ? répliquais-je avec l’insolence railleuse, dîtes-moi donc ce que je fais, avez-vous des preuves, des vidéos ? Montrez-moi mes…
— A partir de maintenant, tu te tais. Il força la poigne sur mon épaule si bien qu'après un glapissement pathétique, je fus forcé à l’agenouillement pour ne pas la laisser se luxer. La rue nous connaît et on aime tous Lucy. Alors tu reviens dans le quartier et la moindre de nos connaissances qui te retrouve t’enverra crever.
— Fin de la discussion, conclut l'autre, dégage maintenant.
Ils me laissèrent s’éloigner percer l’arc-de-cercle des badauds curieux ; j’entendis sur la route qu’on me voyait comme un goujat qui avait cherché à forcer une hôtesse. Ils eurent tous comme réponse une injure de ma part qui claqua comme le tonnerre et je disparus, plus pauvre que les mendiants car mes dettes s’amoncelaient ; pauvre aussi en amis car une partie de Kabukicho non négligeable me devenait inaccessible et je ne voyais pas sinon en déversant encore l’argent que je n’avais plus, comment je pourrais continuer mon travail. Je pris peur qu’un garde-du-corps me coûte trop, que Mashida prenne ma défaite totale comme une preuve que je n’avais pas ce qu’il fallait pour avoir l’honneur de porter les couleurs de l’Asahi, et pire encore, je pris peur tout court.
Depuis aujourd’hui, j’étais obligé quand on m’envoyait dans certains quartiers, de prévenir et payer un garde-du-corps, ce qui me faisait perdre le salaire de la journée. Mais jusque-là, je n’avais pas encore pris de balle.
Physique
Nous n’avons pas toujours le physique de nos idées. Il est difficile d’imaginer que Toson, le front moite, le corps dur, l’habit à peine strict et le regard acéré comme l’Opinel d’un grand-père, cache un parcours d’intellectuel et de lettres. Un peu moins d’épaule et on le considérerait comme un petit merdeux, un peu plus beau et il serait félin, on lui pardonnerait tout, un peu plus ramassé et on le verrait bien drogué, ce qui pour le coup, là, s’approchait un peu plus de la réalité. En uniforme bleu, Toson aurait été le méchant flic. Il parlait à tout le monde, du guichetier jusqu’à l’hôte, décontracté comme un militaire sortant d’une poubelle, mais jamais agréable dans la discussion et lâchant un de ces regards. En un mot comme en cent, il ne rend ni propre, ni professionnel.
Bâti grossièrement dans un mètre soixante-quinze, on lui devinait un grand sculpteur derrière ses traits qui n’avait eu que la moitié du temps habituel. Mais c’était surtout sa vie harassante qui avait défini sa dégaine d’aujourd’hui : de sa stature affirmée et ses muscles forcés en salle jusqu’à son visage vieilli et son air cassé, tout pouvait être imputé aux surcharges immenses de stress subies au travail, sous la pression de ses supérieurs ou l’intimidation des habitants les moins raffinés de Kabukisho.
Son visage avait le charme des gens à gueule, qui impressionnent plus par la singularité parfois sévère des traits que par leur harmonie. Quant au reste de son look, il empruntait d’ici et de là, un peu d’élégance imposée par son travail, un peu de cow-boy quand il marchait ou attendait son rendez-vous, de la désinvolture au niveau des cheveux incontrôlables qu’il matait court. Toson était maintenant devenu une figure reconnue dans le quartier déjà patchwork de Kabukisho, le journaliste sale gosse, la silhouette inquisitrice entre le renard du commissaire et les bras du yakuza, le regard d’emmerdeur chaque soir mal luné.
En privé, son portrait est plus vrai. On le comprenait soumis à quelques tocs, le corps nerveux et le soupir éteint. On retrouvait dans ses yeux le romantisme de ses années plus jeunes où jeter son regard dans le lointain d’une nuit étoilée valait bien une religion. Il accusait le poids de sa vie, les épaules de son âme trop frêles pour pleinement la supporter, et cela rejaillissait dans sa manière de se tenir si tendu à l’endroit où il devrait être le plus en sécurité.
Avant que son contrat ne soit revu suite au mariage, Toson devait tout son temps à son poste, et ses soirées se consacraient à de longues entrevues pour entretenir sa toile d'informateurs. Il n’était pas étonnant que son visage fut marqué par une fatigue chronique, l'œil torve, des cernes camouflées par ses lunettes, un teint pâle, des lèvres respirant fort pour ne pas s’endormir. Adepte des technologies les plus récentes, ses lentilles et lunettes comportaient toutes les dernières fonctionnalités si bien qu’une oreille attentive et proche pourraient entendre quand il faisait chaud un bourdonnement que Toson ne discernait plus.
Métamorphosé par ces expériences et déboires, il n’y avait plus rien de doux chez Toson. Sa peau était rugueuse comme de la terre en été, ses mains, héritées de son sang de paysan, lourdes. Même ses airs les plus mélancoliques se chargeaient d’un pathétisme tranchant, et ses plus beaux sourires égalaient ceux du requin. Enfin, il payait sa jeunesse louvoyée autour de la consommation de meth par une peau tirée comme si on l'avait placée sur ce squelette pour qu'elle y sèche une décennie entière, et sous une fatigue harcelante, son regard se troublait et durant quelques secondes, il pouvait perdre pied. On ne sentait en lui qu’un bouillon de force et de mauvaise humeur, une envie de conflit à bout de nerf derrière ses dents jaunies par la cigarette. On pouvait à la limite lui trouver de la tendresse endormi et deviner l’écrivain paisible qu’il aurait pu être.
Bâti grossièrement dans un mètre soixante-quinze, on lui devinait un grand sculpteur derrière ses traits qui n’avait eu que la moitié du temps habituel. Mais c’était surtout sa vie harassante qui avait défini sa dégaine d’aujourd’hui : de sa stature affirmée et ses muscles forcés en salle jusqu’à son visage vieilli et son air cassé, tout pouvait être imputé aux surcharges immenses de stress subies au travail, sous la pression de ses supérieurs ou l’intimidation des habitants les moins raffinés de Kabukisho.
Son visage avait le charme des gens à gueule, qui impressionnent plus par la singularité parfois sévère des traits que par leur harmonie. Quant au reste de son look, il empruntait d’ici et de là, un peu d’élégance imposée par son travail, un peu de cow-boy quand il marchait ou attendait son rendez-vous, de la désinvolture au niveau des cheveux incontrôlables qu’il matait court. Toson était maintenant devenu une figure reconnue dans le quartier déjà patchwork de Kabukisho, le journaliste sale gosse, la silhouette inquisitrice entre le renard du commissaire et les bras du yakuza, le regard d’emmerdeur chaque soir mal luné.
En privé, son portrait est plus vrai. On le comprenait soumis à quelques tocs, le corps nerveux et le soupir éteint. On retrouvait dans ses yeux le romantisme de ses années plus jeunes où jeter son regard dans le lointain d’une nuit étoilée valait bien une religion. Il accusait le poids de sa vie, les épaules de son âme trop frêles pour pleinement la supporter, et cela rejaillissait dans sa manière de se tenir si tendu à l’endroit où il devrait être le plus en sécurité.
Avant que son contrat ne soit revu suite au mariage, Toson devait tout son temps à son poste, et ses soirées se consacraient à de longues entrevues pour entretenir sa toile d'informateurs. Il n’était pas étonnant que son visage fut marqué par une fatigue chronique, l'œil torve, des cernes camouflées par ses lunettes, un teint pâle, des lèvres respirant fort pour ne pas s’endormir. Adepte des technologies les plus récentes, ses lentilles et lunettes comportaient toutes les dernières fonctionnalités si bien qu’une oreille attentive et proche pourraient entendre quand il faisait chaud un bourdonnement que Toson ne discernait plus.
Métamorphosé par ces expériences et déboires, il n’y avait plus rien de doux chez Toson. Sa peau était rugueuse comme de la terre en été, ses mains, héritées de son sang de paysan, lourdes. Même ses airs les plus mélancoliques se chargeaient d’un pathétisme tranchant, et ses plus beaux sourires égalaient ceux du requin. Enfin, il payait sa jeunesse louvoyée autour de la consommation de meth par une peau tirée comme si on l'avait placée sur ce squelette pour qu'elle y sèche une décennie entière, et sous une fatigue harcelante, son regard se troublait et durant quelques secondes, il pouvait perdre pied. On ne sentait en lui qu’un bouillon de force et de mauvaise humeur, une envie de conflit à bout de nerf derrière ses dents jaunies par la cigarette. On pouvait à la limite lui trouver de la tendresse endormi et deviner l’écrivain paisible qu’il aurait pu être.
Caractère
Au bar des solitaires à cette heure de la nuit où les désespérés se rassemblent, ils voient Toson passer et reconnaissent un des leurs. Ils se trompent mais de peu : le regard enfoncé de Toson lui vient de ses périodes les plus sombres et est resté comme une cicatrice jusqu’à aujourd’hui, les pupilles figées. Le démon qui habite en nous depuis des années et qui nous caractérise souvent plus que nos propres qualités exerce en notre homme une influence considérable. Ici, le manque de confiance.
Non pas un manque de croyance en soi car Toson avec l’expérience des coups pris connaissait parfaitement la géographie de ses talents, mais plutôt qu’il lui semblait toujours être moins que la situation l’exigeait, comme s’il avait été créé dans le seul but de légèrement décevoir Dieu chaque instant. A vrai dire, il couvait certainement une dépression mais il n’était plus le genre d’hommes à s’introspecter. Il lui semblait que la seule manière qu’il avait pour réussir concrètement un travail était de le prendre par la gorge et d’en faire son sacerdoce, d’y sacrifier sa vie, sa santé et son temps libre. S’il avait été meilleur, il n’y aurait pas besoin de payer tant, se disait-il en rejetant tout amour-propre.
Peut-être que la raison pour laquelle Toson ne prêtait pas attention à son surmenage infernal venait de son passé encore une fois, où il avait pu mesurer la largeur de ses défauts et la médiocrité de son être quand la vie lui enlevait sa muselière. Encore garçon, la naïveté printanière, on pouvait rêver de l’homme qu’on serait dans les situations qui nous demandaient de nous dévoiler tout entier ; Toson avait démasqué son potentiel et le décrirait comme un être sec, embrouillé dans sa propre faim d’amour, gris, pathétique, aux épaules décharnées et sans force dans l’âme. Son meilleur ne suffisait pas, son pire lui donnait l’impression d’un soleil noir.
En surface, Toson mêlait le sarcasme, la patience, l’agressivité et l’audace dans son professionnalisme. Son savoir-faire, c’était le journalisme casse-gueule (quelques fois, littéralement), qu’il fallait pratiquer avec férocité et intimidation. Il connaissait toujours l’ami d’un ami d’un très mauvais ami et filait sur son réseau de nœud en nœud à la moindre affaire. Il connaissait les mauvaises rues où ne pas traîner et le nom des personnes à esquiver, mais surtout, il connaissait Kabukicho, le plus gros marais aux vices du Japon et la plupart des activités illégales qui s’y menaient dont certains citoyens n’imaginaient pas l’ampleur. Pour survivre encore, il fallut se détacher un peu plus de soi et jeter en pâture aux ongles décharnés une partie de son empathie, pour ne pas que le reste parte.
Car en vérité, cela fait beaucoup de morceaux arrachés pour un seul être. Toson est à sa racine une personne bien plus abordable… C’est plus facile et plus vrai de le décrire par ce qui le tue plutôt que l’inverse, mais il ne fallait pas oublier qu’il y avait bien caché à l’intérieur de lui une seule âme d’enfant et d’artiste qui le présageait, heureux, à un caractère plus doux. D’ailleurs bien qu’il ait le ton dur, ses collègues comme les victimes qu’il avait interviewés témoignaient d’une compassion et d’un respect de la part de Toson qui semblaient difficiles à croire. On le disait à l’écoute, avenant et à la fin, il glissait des petits mots de remerciement et s’enquerraient des gens après coup d’un appel ou d’un message. Très souvent, il ne se rendait pas compte du bien-être qu’il semait chez les autres.
Âpre mais inflexible, il se dotait dans les coups durs d’une volonté de chasseur. Se jugeant au plus mal quand il abandonnait, connaissant trop bien l’arrière-lui qui reprendrait les commandes s’il louvoyait dans le confort, il avait pris l’habitude de ne plus considérer un pas en arrière comme une option et de ne rétracter qu’avant les dernières urgences ou devant la raison pure. On pourrait ainsi lui louer son cran pour déterrer son ego, mais son esprit tordu lui faisait croire que son courage n’était qu’une peur de la lâcheté. Il se voit fuir quand il abat sa série de pompes.
Mais la ténacité de molosse s’accompagnait d’une rançon pour qui n’avait pas l’âme assez accrochée, comme une force surhumaine pouvait rompre les os du bras si la constitution ne suivait pas. Toson était un être tendu, constamment sur ses nerfs, les yeux cinglés vers son précipice béant. Il en tremblait le soir, l’esprit ne se reposait jamais, il voulait ses films des comédies sans enjeux et ses jeux, simples. Jetant toutes ses forces dans le monde auquel il voulait se frayer une place, il en oubliait d’en garder pour sa santé.
On pouvait sans peine deviner l’homme que serait Toson s’il ne dilapidait pas son énergie brute, les gens qui ne le connaissaient pas le décelaient déjà. Il y avait de la place pour un être sophistiqué, il avait frôlé une carrière plus rapprochée de la littérature. Il savait être un bon bruyant et encourager ses amis et il gardait une âme de romantique qui transformait chaque geste en symbole immense et chaque paysage en parcelle de Dieu. Il avait une compréhension intuitive des autres, se retrouvant derrière les misères de tous qui ne formaient au final, qu’un grand puits dans laquelle l’humanité se baignait ensemble.
Non pas un manque de croyance en soi car Toson avec l’expérience des coups pris connaissait parfaitement la géographie de ses talents, mais plutôt qu’il lui semblait toujours être moins que la situation l’exigeait, comme s’il avait été créé dans le seul but de légèrement décevoir Dieu chaque instant. A vrai dire, il couvait certainement une dépression mais il n’était plus le genre d’hommes à s’introspecter. Il lui semblait que la seule manière qu’il avait pour réussir concrètement un travail était de le prendre par la gorge et d’en faire son sacerdoce, d’y sacrifier sa vie, sa santé et son temps libre. S’il avait été meilleur, il n’y aurait pas besoin de payer tant, se disait-il en rejetant tout amour-propre.
Peut-être que la raison pour laquelle Toson ne prêtait pas attention à son surmenage infernal venait de son passé encore une fois, où il avait pu mesurer la largeur de ses défauts et la médiocrité de son être quand la vie lui enlevait sa muselière. Encore garçon, la naïveté printanière, on pouvait rêver de l’homme qu’on serait dans les situations qui nous demandaient de nous dévoiler tout entier ; Toson avait démasqué son potentiel et le décrirait comme un être sec, embrouillé dans sa propre faim d’amour, gris, pathétique, aux épaules décharnées et sans force dans l’âme. Son meilleur ne suffisait pas, son pire lui donnait l’impression d’un soleil noir.
En surface, Toson mêlait le sarcasme, la patience, l’agressivité et l’audace dans son professionnalisme. Son savoir-faire, c’était le journalisme casse-gueule (quelques fois, littéralement), qu’il fallait pratiquer avec férocité et intimidation. Il connaissait toujours l’ami d’un ami d’un très mauvais ami et filait sur son réseau de nœud en nœud à la moindre affaire. Il connaissait les mauvaises rues où ne pas traîner et le nom des personnes à esquiver, mais surtout, il connaissait Kabukicho, le plus gros marais aux vices du Japon et la plupart des activités illégales qui s’y menaient dont certains citoyens n’imaginaient pas l’ampleur. Pour survivre encore, il fallut se détacher un peu plus de soi et jeter en pâture aux ongles décharnés une partie de son empathie, pour ne pas que le reste parte.
Car en vérité, cela fait beaucoup de morceaux arrachés pour un seul être. Toson est à sa racine une personne bien plus abordable… C’est plus facile et plus vrai de le décrire par ce qui le tue plutôt que l’inverse, mais il ne fallait pas oublier qu’il y avait bien caché à l’intérieur de lui une seule âme d’enfant et d’artiste qui le présageait, heureux, à un caractère plus doux. D’ailleurs bien qu’il ait le ton dur, ses collègues comme les victimes qu’il avait interviewés témoignaient d’une compassion et d’un respect de la part de Toson qui semblaient difficiles à croire. On le disait à l’écoute, avenant et à la fin, il glissait des petits mots de remerciement et s’enquerraient des gens après coup d’un appel ou d’un message. Très souvent, il ne se rendait pas compte du bien-être qu’il semait chez les autres.
Âpre mais inflexible, il se dotait dans les coups durs d’une volonté de chasseur. Se jugeant au plus mal quand il abandonnait, connaissant trop bien l’arrière-lui qui reprendrait les commandes s’il louvoyait dans le confort, il avait pris l’habitude de ne plus considérer un pas en arrière comme une option et de ne rétracter qu’avant les dernières urgences ou devant la raison pure. On pourrait ainsi lui louer son cran pour déterrer son ego, mais son esprit tordu lui faisait croire que son courage n’était qu’une peur de la lâcheté. Il se voit fuir quand il abat sa série de pompes.
Mais la ténacité de molosse s’accompagnait d’une rançon pour qui n’avait pas l’âme assez accrochée, comme une force surhumaine pouvait rompre les os du bras si la constitution ne suivait pas. Toson était un être tendu, constamment sur ses nerfs, les yeux cinglés vers son précipice béant. Il en tremblait le soir, l’esprit ne se reposait jamais, il voulait ses films des comédies sans enjeux et ses jeux, simples. Jetant toutes ses forces dans le monde auquel il voulait se frayer une place, il en oubliait d’en garder pour sa santé.
On pouvait sans peine deviner l’homme que serait Toson s’il ne dilapidait pas son énergie brute, les gens qui ne le connaissaient pas le décelaient déjà. Il y avait de la place pour un être sophistiqué, il avait frôlé une carrière plus rapprochée de la littérature. Il savait être un bon bruyant et encourager ses amis et il gardait une âme de romantique qui transformait chaque geste en symbole immense et chaque paysage en parcelle de Dieu. Il avait une compréhension intuitive des autres, se retrouvant derrière les misères de tous qui ne formaient au final, qu’un grand puits dans laquelle l’humanité se baignait ensemble.
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Le fameux journaliste ! J'ai trop hâte de voir ce que tu vas en faire <3 Et lire tout ça
Bonne rédac
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Bon courage pour la rédaction ~
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J'avais bien hâte de le voir !
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Hâte de pouvoir relire ta plume et de peut être la redécouvrir sous un nouvel angle (même si le premier envoyait déjà du lourd )
Rebienvenue en tout cas.
NB ; on t'a déjà dit que ton avatar était pas trop mal ?
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J'ai rajouté la description physique et la première partie de l'histoire o/
Yael > Merci beaucoup ! J'espère que ça te plaira et que ça sera à la hauteur du temps perdu ^^
Raiden > Merci Raiden, j'ai encore plein de trucs à écrire, j'ai deux semaines, ça devrait aller @_@ Et moi aussi, je me perds dans les méandres du multi-comptisme, mais voilà que je suis corrompu.
Yua > Buahaha, enfin tu peux me dire Bienvenue Yua, les rôles s'inversent o/ Gros bisous et merci pour l'attention
Ume > Merci Ume ! Heureux d'être de non-retour ^^
Jia > Et oui, il faut savoir que le vava est blond à la base ; c'est Miss Jia qui l'a bruni quasi-gratuitement.
Keiko > Merci beaucoup Keiko !
Yael > Merci beaucoup ! J'espère que ça te plaira et que ça sera à la hauteur du temps perdu ^^
Raiden > Merci Raiden, j'ai encore plein de trucs à écrire, j'ai deux semaines, ça devrait aller @_@ Et moi aussi, je me perds dans les méandres du multi-comptisme, mais voilà que je suis corrompu.
Yua > Buahaha, enfin tu peux me dire Bienvenue Yua, les rôles s'inversent o/ Gros bisous et merci pour l'attention
Ume > Merci Ume ! Heureux d'être de non-retour ^^
Jia > Et oui, il faut savoir que le vava est blond à la base ; c'est Miss Jia qui l'a bruni quasi-gratuitement.
Keiko > Merci beaucoup Keiko !
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Re-Bienvenue avec ce DC dont l'histoire envoie du lourd !
Amuse-toi bien.^^
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Wutai Sato
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Re-bienvenue et bon courage pour la suite de ta fiche
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Re-bienvenue et bon courage pour ta fiche !
Et c'est bien de faire des DC, soit corrompu avec nous ~
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Je viens pour le tw comptable, comment y résister.
Rebienvenue, et enjoy ce nouveau perso (CTKCave, tjrs un choix opé ).
Edit : damn, tu nous écris du bon, et en quantité mon salaud. Y aura combien de chapitres à tout ça ?
Rebienvenue, et enjoy ce nouveau perso (CTKCave, tjrs un choix opé ).
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Toson Hirai
Second chapitre de l'histoire postée !
Wutai > J'ai prévu peut-être trop lourd pour l'histoire, me voilà en galère de tenir dans les temps Mais en tout cas, merci beaucoup ^^
Kaori > Merci Kao @_@ Je serais digne de l'admiration que je te porte en secret @_@
Hideo > Oui, je suis corrompu maintenant. Juste un DC mais c'est comme une chambre propre, il suffit d'un linge sale en son milieu pour qu'elle soit en bordel T-T
Adrian > Je sais que tu es attiré par ce genre de choses. Ne te rince pas trop l'œil @_@ Et oui, CTKCave, l'autoroute du swag
Wutai > J'ai prévu peut-être trop lourd pour l'histoire, me voilà en galère de tenir dans les temps Mais en tout cas, merci beaucoup ^^
Kaori > Merci Kao @_@ Je serais digne de l'admiration que je te porte en secret @_@
Hideo > Oui, je suis corrompu maintenant. Juste un DC mais c'est comme une chambre propre, il suffit d'un linge sale en son milieu pour qu'elle soit en bordel T-T
Adrian > Je sais que tu es attiré par ce genre de choses. Ne te rince pas trop l'œil @_@ Et oui, CTKCave, l'autoroute du swag
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Toson Hirai
Histoire - Citation
TW : Drogue /// Grossièretés /// Suicide /// Comptable
[Afin d'éviter d'étaler une vulgarité gratuite, les mots les plus indélicats seront légèrement retouchés sous la baguette magique de la paronomasie]
L'histoire fait du surplace, désolé pour les nombreux posts !
Il y en a encore en-bas !
[Afin d'éviter d'étaler une vulgarité gratuite, les mots les plus indélicats seront légèrement retouchés sous la baguette magique de la paronomasie]
L'histoire fait du surplace, désolé pour les nombreux posts !
Il y en a encore en-bas !
__
Chapitre 1 : Le chapitre chiant de l'origin story
Je n’oserais pas faire de commentaires sur mes parents sans une indulgence prudente car il n’y avait aucune matière à se plaindre de la misère de mon enfance et je n’éprouvais aucun besoin d’y chercher des excuses pour enjoliver mes malheurs d’aujourd’hui. Cependant, j’oserais dire ceci même si certaines personnes sont affligées d’une surdité d’esprit particulière à ce genre de propos, qu’une enfance vide, creuse d’amour familial, pouvait laisser des traumatismes sur un enfant comme la pauvreté ne saurait le faire.
Si l’amour était la force principale qui faisait tourner le monde, alors qu’on me rejoigne qu’en manquer pouvait détruire ou aplanir au moins, la personnalité de n’importe qui, et qu’à moins d’avoir peu ou trop d’estime de soi, la détérioration se ferait sentir jusqu’au-delà de l’adolescence, empoisonnant tout le processus de développement et fissurant selon chacun, une face du cœur voire plus. Il m’est douloureux de parler de mes souvenirs car ils semblaient tous être éclairés par la lumière blanche de l’indifférence parentale malgré la portée excessive - au total cinq enfants dont j’étais le second - qui aurait pu assurer un brin de perspective. Un souvenir me coûte ce qu’il brûle dans ma mémoire comme énergie. Et ça ne vaut jamais le coup.
Mon père avait l’âme dure et rechignait toujours à attaquer la vie quand elle ne concernait pas son travail ; il n’avait que peu de hobbys et aucune passion, recevait du monde à la maison mais redoutait pourtant les fêtes et anniversaires. Le plus triste j’imaginais, semblait être qu’en dépit de son humeur froide et son empathie sèche, du vide de son esprit qui se témoignait par la caricature d’homme qu’il devenait au fil des années, effectuant une mue qui épluchait sa personnalité pour ne laisser qu’au fil des ans une coquille apathique, il était impossible de statuer qu’il était malheureux… Au moins, s’il avait éprouvé une forme de tristesse, on aurait pu le tirer de là, le définir comme humain. Les traits livides, creusés par la serpe du travail qui lui avait trop pris, la nuit devant la télé ou l’ordinateur, la tête avancée pour profiter du divertissement, on pourrait croire qu’il avait été empaillé. Il supportait moins la vie qu’elle le supportait, lui.
Ce qui m’avait choqué de sa part et avait dispersé le peu d’affection qu’on devait à un père, ce fut qu’en voyant dans mes dernières années d’étude du tronc commun, mis à part la littérature, je restais assez bien partout, il m’avait souhaité ceci :
— Tu pourrais faire un bon comptable.
Quelle gifle pour n’importe qui de voir son père l’estimer si peu qu’il lui prêtait une carrière si triste. Comptable, c’était avec soi-même que ça se décidait ! Mais à cet âge, on avait soit des doutes, soit de l’ambition, on voulait qu’on pose sur nous un regard perçant qui détecte la portée de notre potentiel et qu’on nous pousse vers des professions aussi percutantes que celles qu’on se donnait enfant. Non, moi, mon père, si diminué dans son jugement et son imagination, ayant pour moi des égards si basses qu’elles ne s’alourdissaient d’aucun fantasme et inconsciemment prenaient la forme d’insultes, son fils serait comptable et cela serait chic.
Deux autres actes hurlaient son insensibilité à la vie des autres, comme si dépourvu d’une partie des émotions et sentiments, il les amputait aussi à ses semblables. Je les sortirai au moment voulu.
Quant à ma mère, elle n’avait travaillé qu’à mi-temps comme cuisinière pour s’occuper de ses enfants une fois pondus. De nature passive et souvent les cheveux sales, elle semblait donner à tous et à tous les murs l’énergie et l’hygiène qu’elle ne s’accordait plus. Perdue dans ses écrans à se chercher une vie moins fatigante, nous aimant pourtant, mais de si loin, sympathiquement. Il y eut une chose de rien de tout et j’en avais pris grandement ombrage même s’il pouvait s’avérer qu’à ceux qui ne l’avaient pas vécu que cela n’était rien. Comme toutes les personnes qui aimaient un grand nombre de gens, tous leurs noms s’en trouvaient mélangés si bien que son grand toc était avant de trouver le prénom de n’importe qui, d’en citer au moins trois autres devant comme s’il lui était obligatoire de lâcher les patronymes en troupeaux. Et au bout de la quatrième tentative - toutes étant crachées à haut-débit - elle tombait enfin sur la solution. Mais pour moi, et seulement pour moi j’en avais bien peur, j’étais le seul pour qui elle trouvait mon nom dès la première ou seconde tentative, mais jamais choquée de m’avoir trouvé aussi vite, continuait l’énumération pourtant. Toson semblait être un prénom trop léger pour stopper son flux.
Quand vous étiez aussi nombreux, il vous fallait vous spécialiser et trouver une place certaine, on était contraints à la caractérisation. Moi, ce fut par l’écriture ; j’étais persuadé à l’époque que mon style concurrençait les grands auteurs (...) et assez rapidement pendant mes années de lycée j’avais posé une participation pour concourir à des compétitions de jeunes écrivains. Au premier essai, j’eus le droit à une critique rédigée à la main, une consécration réservée au haut-du-panier et qui me poussa à me surpasser l’année prochaine. La seconde année, je décrochais le gros lot et mes écrits finirent dans le compendium des vainqueurs de l’édition. Mes parents en furent impressionnés car mes notes n’avaient rien laissé deviner d’une grandeur pareille et ils demandèrent même à lire ce que j’avais fait. Je ne sus s’ils avaient lu le document que je leur avais envoyé. Au moins avais-je partagé la note qu’on m’avait adressée :
“Votre style maîtrise le rythme de la lecture à la perfection. [Le protagoniste] nous fait souffrir tous ses mots alors que l’échafaud approche et vous parvenez à créer l’effet que vous recherchiez : nous faire espérer malgré les faits qu’il sera finalement absous. Quelques grossièretés cependant, noircissent le tableau et nous devrons apporter quelques modifications pour la parution.”
Propulsé par cette palme, j’en perdis le nord et pensant la victoire prochaine acquise, visant le doublé, je perdis pied quand je ne reçus qu’une lettre triste, un petit retour critique qui me semblait très tiède sur un papier bête. Mon heure de gloire n’avait été qu’un pic très pointu.
Mais c’était mieux que rien ; alors petit à petit, j’épluchais les idées pour rester dans le domaine littéraire (et plus tard, je deviendrais journaliste, ce qui semblait être un bon compromis avec un peu de prose et… le marché de l’emploi, en général). Inutile de dire que j’avais tenté de me lancer dans l’écriture de romans, des drames historiques et même de l’anticipation autour de l’Incontestable… mais entre les projets qui ne trouvèrent jamais de fin, à bout de souffle de mon inspiration et les rejetés par les maisons, c’était une parenthèse de ma vie insipide sur laquelle je ne reviendrais pas plus. Au début de cette ambition, mon père m’avait offert pour mon anniversaire un charmant livre intitulé “Déboires du jeune auteur” ; il pensait que ça me ferait plaisir. Finalement, cela devint le signe astrologique de ma muse.
Ce dont je pouvais parler, c’était d’Eirin. Il me faudrait plus d’une centaine de pages pour décrire avec fidélité l’ensemble de notre histoire et raccourcir me semblait être une chose dégoûtante. Si elle avait lu le peu de lignes que je lui avais consacré, elle m’aurait proprement engueulé puis elle m’aurait dit que je ne l’aimais plus, elle aurait fait semblant de pleurer jusqu’à ce que lui promette que j’allais lui acheter des raviolis.
Nous nous étions rencontrés un soir d’automne durant les derniers jours de terrasse par un grand hasard ; un anniversaire avait réquisitionné l’entièreté de l’intérieur et le reste avait été placé sur les tables du dehors. Elle dégageait un truc qu’on ne retrouve que chez ces filles qu’on ne croise qu’à l’entrée du métro, en sens inverse, le temps d’une seconde, trop rapide pour un coup de foudre, terriblement belles. Sauf que l’apparition se trouvait en-face, une cigarette dans la bouche, les lèvres roses, les cheveux légèrement bouclés. Je lançais les chevaux : je brûlerais toute ma vie de ne pas avoir tenté ma chance.
Le courant passa et porté par mon audace, je fus assez à l’aise pour ne pas gaffer. J’appris qu’elle ne se sentait pas bien, qu’elle venait de rompre avec un crétin du nom de Chobyo qu’elle avait aimé et qu’elle souffrait d’aimer encore, alors je lui proposais un pansement si elle accepta un détour par mon côté et deux semaines plus tard après s’être revus, elle accepta.
La période de vie, puis l’appartement, qu’on partagea ensemble fut la plus belle de ma vie, de si loin. Notre relation explosa comme une grenade, dévasta en portée ce qui ne devait être qu’une parenthèse et je fus profondément heureux, comme Dieu avait prévu que les hommes le soient au premier jour où encore, il ne leur reprochait rien. Ce moment où on a envie de revivre tout ce qui tient pour simple dans une journée, mais avec l’autre : la chaleur du soleil, les caresses de l’herbe d’un parc, le roulis du métro la nuit… Elle me fit découvrir son quartier, son whisky et sa manière de mordre, je lui fis découvrir la meth, la poésie et le calme.
— Est-ce qu’on se tue ?
— Si je n’arrive plus à attraper cette bouteille de bière depuis le lit, ça me va, répondis-je en me dévissant l’épaule hors de la couette pour atteindre ma cible. Haaannnghhh…
— C’est mal engagé, tu veux que je t’apporte un revolver ?
Un juron claqua, mais il ne fut pas pour elle. Le bout de mes doigts attirèrent le verre jusqu’à moi et je pus enfin prendre une gorgée de taxe avant de le passer à Eirin.
— Et pourquoi tu voudrais qu’on se tue ? C’est le matin qui se lève qui te bourre ?
— Je sais pas. D’ennui. Je suis tellement heureuse aujourd’hui, je trouverais ça injuste que l’Incontestable n’en prenne pas compte. Est-ce qu’il y a vraiment besoin de lettres roses pour des gens qui s’aiment déjà ?
— Je pense que la compatibilité amoureuse n’est qu’une façade personnellement, dis-je en récupérant la cigarette que je rallumai. L’Incontestable nous met peut-être avec des gens qui nous sont complémentaires pour élever des enfants.
— Tu ferais quoi, si tu avais une lettre rose ? Les yeux noirs d’Eirin me pulvérisèrent le cœur. Je passai son bras sous sa tête et on se colla l’un à l’autre. A cette heure de l’aube, sa peau prenait la couleur grise des nuages au-dessus.
— Je ne sais pas. L’amour ne rend pas bête, il vous ment. J’imaginais que j’allais pleurer pendant des mois et que je n’accepterais pas la nouvelle relation, mais rien de digne quand on le comparait à l’amour que je ressentais pour Eirin, rien de puissant comme dans les opéras. Alors mon cerveau et mon cœur coupèrent le cordon, et je ne savais pas.
— T’es un nase, hein ?
— Bah oui, mais tu poses de ces questions, laisse-moi le temps d’y réfléchir. Toi, tu ferais quoi ?
— Je sais pas. Je lui envoyai une boutade dans le corps et on se mit à rire. Mais maintenant, je me dis que pour certaines personnes, c’est peut-être une bonne nouvelle. Celles qui n’ont connu que la solitude. Ou celles qui sont enfermées dans un couple toxique.
Je comprenais mieux d’où ses pensées naissaient.
— C’est toujours Chobyo ? lui demandais-je.
— Certains jours, j’étais si amoureuse de lui que je n’aurais pas supporter l’idée de recevoir une lettre rose. Puis le lendemain, je ne rêvais que de cette excuse pour m’en aller.
Je laissais le temps à ses soupirs d’évacuer les scories de ses pensées.
— Quand on ne maîtrise plus son humeur et qu’elle est dépendante d’un autre, là est le danger. On ne devrait pas attendre quelqu’un d’autre pour éprouver de la joie.
Elle buvait et ses yeux dardaient le poster en-face. Il y avait une résignation. Elle me passa la bouteille que je reposai loin sur le tabouret puis on se re-colla ensemble dans la moiteur de la couette. Ma main lui caressa tendrement son bras pour l’aider à se détendre.
— Assez parlé de Chobyo…
— Ça t'ennuie quand j’en parle ? s’inquiéta-t-elle.
— Pas du tout. Mais ça te retourne ton humeur quand tu y penses trop.
— Ça partira.
— Peut-être, peut-être pas, comment savoir. N’hésite jamais à en parler si ça te travaille.
— Merci, dit-elle en posant sa tête.
Le silence tomba, invitant le sommeil. En-bas, de l’autre côté, les moteurs de voiture se multipliaient.
— Dans vingt jours, il y aura le concours pour le Yomiuri Shimbun, bâilla-t-elle comme une lionne. Tu te sens prêt ?
— Pas vraiment… C’est un des examens les plus difficiles.
— Moi, je ramène des bières, et toi, tu passes pas ton concours ?, plaisanta-t-elle à moitié ensommeillée alors que les premiers rayons de soleil lui fermaient les yeux.
— Sérieusement, je ne sais pas ce que je ferais si j’avais une lettre rose. Sans toi, je ne saurais pas qui je serais. Peut-être que je ne serais pas allé aussi loin. Avec mes parents, je ne suis qu’à moitié moi, c’est comme ça qu’ils m’ont élevé. Pourquoi parmi toutes les personnes que je connais, tu es la seule auprès de qui je suis aussi bien, la seule qui me soulève ?
— Parce que je t’aime, répondit-elle simplement avant de s’éteindre et de s’endormir.
Après quatre ans ensemble où nous avions planifié à la suite de ses études à l’international nos vacances et pourquoi pas, si l’Incontestable nous laissait tranquilles, nos animaux et nos enfants, elle partit de l’autre côté du Pacifique pour deux années. Je promis de passer la voir si on me laissait des jours de congé. La solitude les premières semaines me pompa tout mais je me rappelais qu’elle n’était que l’ombre du grand amour. Aussi pathétique aie-je pu paraître ailleurs dans d’autres sections ou paragraphes, sachez qu’ici, jamais vous n’aviez vu Toson plus puissant, j’étais animé d’une volonté supérieure à toute dépression, même si toute dépression se trouvait aux pieds de mon fort. Et qu’elle savait se battre.
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Chapitre 5 : Une violente fusillade à Kabukicho fait un blessé grave
“Un déferlement de coups de feu a frappé l’est du boulevard d’Hanamichi-dori où deux boryokudan se sont affrontés, d’abord dans un appartement puis ensuite dans la rue. Onze coups de feu ont été entendus en tout et pour tout, puis après un crissement de pneus de voiture, un blessé grave a été reporté (son pronostic vital n’est à ce jour, plus engagé).
Selon des témoins sur place qui ont pu assister à la scène, l’effarouchée a été dûe à une violente dispute de territoire ; un des bars appartenant à l’Inagawa-Kai aurait été la cible d’un raid d’une équipe du Yamaguchi-gumi. Les premiers coups de feu auraient été tirés au premier étage au-dessus du bar puis ne se seraient pas poursuivis dans la rue, jusqu’à ce qu’en fuyant depuis une voiture, les hommes du Yamaguchi-gumi tentent de mitrailler une dernière salve, touchant un civil. Bien que le Yamaguchi-gumi dément toute implication dans cette affaire (et s’est dite prête à aider la police dans son enquête), des témoignages démentent cette version des faits.
“La fenêtre de la cuisine a explosé et je me suis accroupie. J’ai cru qu’ils allaient venir pour moi et j’ai attendu bien cinq minutes après leur départ pour oser me relever”, déclare une femme qui habitait au rez-de-chaussée dans la rue.
“Nous ne sommes jamais en paix !”, rapporte sa voisine, une grand-mère de soixante-dix ans excédée par la situation, “Il serait temps que la police arrête de fermer les yeux et que la justice se saisisse plus sérieusement des groupes criminels.
“Je demanderais à ce que l’Incontestable autorise la police à ouvrir les puces des gens dont on est certains de l’affiliation avec les yakuzas”, surenchérit son mari.
La police a précisé qu’elle ferait de cette affaire une priorité.”
Haiko se frotta les yeux après avoir posé l’article sur la table - Haiko, c’est le Comptable de la dernière fois, impeccable dans ses manières et le visage indéchiffrable. Sur sa gauche, sa femme Ayaka, d’une cinquantaine d’années que la jeunesse lointaine n’avait pas encore complètement abandonné, ses joues arrondies étirant les rides, se tordait la nuque pour lire, comme excitée. Elle lut la signature de l’article :
— Hiori Neru.
— C’est mon collègue, expliquais-je en récupérant le bout de papier par-dessus les différents plats. J’avais écrit mon propre article sur mon lit à l’hôpital. Mais il a été refusé. Ils ont récupéré mes précisions, cependant, et avec plaisir.
— Quelles précisions ? C’est un tissu de mensonges, commenta Izuru, un gars costaud de visage avec une sale cicatrice sur la gueule qui lui divisait la joue en deux et un menton pas bien quadrillé. Je le rencontrais ce soir, il ne semblait pas m’aimer ou alors il prenait le monde comme un champ de bataille et il ne connaissait pas l’uniforme de ses alliés, juste le son de son commandant derrière lui. Il avait cette obsidienne dans la pupille des gens qui n’avaient plus peur de rien, et un éclair dans ses mouvements qui rappelait le cobra.
— Des mensonges, ça retombe. Des emmerdes en perspective, boss ? demanda Inoue, le Gorille de la nuit dernière dont enfin j’entendais la voix. Il planta un troupeau de pâtes dans sa gueule en observant Haiko dont le visage ne laissait transparaître ni satisfaction, ni irritation, finalement rien d’autre qu’une pure neutralité qui chez certains philosophes s’apparentaient à la paix absolue. Pour lui-même seulement alors car sa paix absolue filait le bourdon à tous excepté sa femme qui resservait Inoue en anticipation.
— C’est passé, hors de notre contrôle.
— Une descente de police aura lieu dans plusieurs bastions du Yamaguchi-gumi, rajoutais-je, mais les émotions d’Haiko ne cédèrent pas plus au siège - il devait déjà être au courant. Sa femme par contre, eut un petit rire charmant comme si je venais de servir une blague délicieuse.
— Ils pourraient nous accuser, vous croyez ? se demanda Izuru, ils doivent savoir la vérité, eux ! Ils demanderont réparation, à coup sûr. Déchet. Difficile de savoir s’il insultait ces ennemis ou moi et mon idée de falsifier la vérité. Par modestie, je retirais un ‘s’ à l’écriture de son insulte.
— Izuru. Pas d’insulte autour de la table, tenta de le calmer le gorille.
— J’insulte ces dogues du Yamaguchi. Mais ses yeux noirs rectifiaient qu’il me visait moi.
Après la visite des deux yakuzas sur mon lit d’hôpital, j’avais pris ma décision d’enfoncer le clou jusqu’à ce qu’il ressorte de l’autre côté du mur : j’avais appelé Mashida et lui avais promis tout ce que je savais sur l’incident, ce dont il n’était pas contre. L’affaire eut pris pendant ma rapide convalescence un écho assez important entre les commissaires qui intervenaient, les inspecteurs qui attendaient que la justice enlève le plomb logé de son aile, et un léger tintouin politique dont se saisirent les différentes facettes de l’opposition. Si bien que même en retard de quelques jours, mon témoignage possédait encore de la valeur et j’imaginais que Mashida n’attendait qu’une chose, que je déballe tout ce que je savais et lancer le tout comme une exclusivité qui mettrait le point final de l’Asahi Shimbun à l’affaire. En sous-texte de ces mails, je comprenais qu’il trouvait chanceux qu’un de ses hommes ait été victime de la fusillade afin d’être aux premières loges et dans mes réponses, mon sous-texte à moi était un doigt d’honneur.
J’avais inversé les responsabilités et pesé le poids de ma blessure sur le camp adverse. Et comme personne ne créditait les yakuzas du moindre sérieux, les vociférations du Yamaguchi-gumi restèrent inaudibles pour les civils, risibles pour les flics.
Je pensais qu’ainsi, j’attirerais l’attention de mes bienfaiteurs mais ils m’avaient contacté ce matin avant que l’encre ne sèche pour m’inviter à dîner. Il n’était pas rare qu’Haiko mange avec ses subordonnés et il m’avait inclus au repas. Il m’avait ouvert lui-même quand j’étais arrivé au seuil de sa maison, à peine moins distingué qu’en public, puis en rentrant dans le hall en rapportant des sucreries, je fis la connaissance de sa femme qui se trouvait être d’une gentillesse chaleureuse étonnante. Et me voilà ici, heureux comme un chien qui avait rapporté un os plus grand que celui qu’on m’avait lancé et qui se rendait compte qu’il n’avait pas déchaîné les foules. Je pus ainsi constater que la présence joviale d'Ayaka me leurrait : la pièce était froide, les trois autres hommes ne me considéraient que comme un drôle d'invité et au moins deux auraient préféré que je sois absent. Le journal enfoncé de honte dans ma sacoche, j’attendis comme ses deux hommes, une réaction plus tranchée de la part d’Haiko pour savoir sur quel pied danser. Il ne fit que répéter ultimement, passant une serviette sur ses lèvres :
— On s’en fiche, ce n’est rien.
La main dans le sac, mes doigts caressèrent l’enveloppe que le Comptable m’avait filé en dédommagement. Je la ressortis d’un mouvement lent et la lui présentai ; elle était parfaite, elle me permettrait de changer de sujet.
— J’ai avec moi vos gros sous. Je n’ai pour le moment touché à rien, tant que nous ne sommes pas parvenus à un accord.
— On ne discute pas affaires pendant un repas, me corrigea-t-il. On en reparlera après. La puissance de ces mots, la certitude logée à l’intérieur, me rappelait qu’autour de cette tablée, je n’avais aucune épaule et que quiconque ici pouvait m’écraser de plusieurs manières différentes.
— Je suis désolé, Haiko-san, je ne voulais pas manquer de respect à la cuisine de votre femme.
Femme qui se mit à éclater de rire.
— Enfin, Hirai-san, ce n’est pas moi qui cuisine, c’est mon mari ! Elle lui toucha l’épaule puérilement et Haiko se mit enfin à bougonner, entre la gêne et la fierté. C’est un excellent cuisinier. Moi, j’ai deux mains gauches, je ne peux pas couper un radis sans me blesser.
— Ce n’est pas faute d’avoir essayé à lui apprendre. Mais pour le bien-être de ma femme, j’ai dû lui demander de quitter définitivement la cuisine, blagua-t-il en souriant. Jusqu’à ce que la bonne humeur qui commençait à bercer la tablée fut coupée par Izuru :
— Quel accord ? Je ne comprends pas. Il s’empara d’une main leste de l’enveloppe qui traînait sur la table et jaugea du doigt le montant à l’intérieur. Il est là, l’accord. Pourquoi il faut tortiller du c… Il claqua la langue et rectifia sa phrase à la volée : Pourquoi des blablas en plus ?
— Hirai-san a demandé une faveur à la place de l’argent.
— Quoi ? Sa question colérique manquait de surprise : il savait depuis le début où il voulait amener la discussion et j’étais bien content qu’il ne fut pas mon voisin direct. Il faudrait qu’il passe par le Gorille pour me toucher et la tranquillité de ce dernier m’apaisait légèrement ; ses épaules aussi. Comment oses-tu ?! Tu sais qui est Haiko-san ? Tu sais quelle position il occupe ?! Lui rendre son argent est une insulte ! Et il frappa du poing sur la table. Une insulte !
— Izuru, c’est nous qui lui avons tiré dessus, trancha nettement Haiko en n’admettant plus aucune réplique. Il a le droit de poser des conditions.
— Oui, très bien. Mais pourquoi ne pas prendre l’argent directement ?
— Je suis au début de ma carrière, j’ai besoin d’asseoir ma crédibilité en tant que journaliste.
— Pour quoi ? Assurer tes prochains salaires ?
— Oui, notamment.
— Ils sont déjà là, tes prochains salaires ! rugit-il en secouant l’emballage cartonné. Tu devrais être honoré qu’une figure comme Haiko te parle, tu comprends ça ?
— Es-tu sourd ? gronda pour la première fois Ayaka en plantant son regard de coutelas à Izuru. Elle n’eut pas besoin de plus de syllabe. Izuru se reposa sur sa chaise et chassa sa colère aussi vite qu’il put. Il tira deux cigarettes, une pour lui, et une surprise, qu’il me tendit directement à moi.
— La foudre et la pluie tombent ensemble au sol, déclama-t-il comme un proverbe dont je ne saisissais toujours pas le sens. Est-ce qu’il voulait mettre en emphase qu’au final, nous étions semblables car nous cherchions à la fin une somme confortable dans le compte en banque, ou se moquait-il à nouveau de mon choix ? Je le remerciais pour la cigarette et nous prîmes notre bouffée ensemble.
— Je m’excuse, Hirai-san, finit-il par dire, le bras jeté derrière le dossier de la chaise.
— C’est moi qui m’excuse, Izuru-san. Je suis encore jeune et je ne maîtrise pas encore toutes les politesses. Izuru me fit un geste de la main pour me dire que la conversation était terminée. Haiko décréta alors qu’il tirerait bien une cigarette devant les nôtres et proposa à chacun de le rejoindre dans le jardin.
Quatre hommes en costume éclairés seulement par les petits plants de lampes électriques se retrouvèrent debout sur une terrasse à échanger le briquet et à parler un peu concret, pendant vingt secondes écrasantes où je ne sus pourquoi l’Univers me servait sur le même plateau qu’eux. Puis d’un coup, les trois autres comme en pleine urgence s’échangeaient quelques mots et noms urgents auxquels je ne prêtais pas attention, par politesse. Ils inclinèrent des têtes et murmurèrent, puis Haiko d’un coup se tourna vers moi :
— C’est bon, pour la proposition Hirai-san. Nous collaborerons ensemble.
Sa phrase eut un profond effet sur moi et qu’on n’y voie aucun aspect tendancieux, mais je reconnaissais cette pulsation où pendant les années de lycée votre crush venait d’accepter votre demande de rendez-vous. Vous aviez réussi une importante chose, mais qui se payait en une appréhension terrible. Je m’inclinais bas devant la figure.
— Merci beaucoup. Vous ne le regretterez pas.
— Il faut bien évidemment que je pose quelques conditions. Tu ne parleras à aucun autre membre de l’Ingawa-kai sinon moi, pas même mes subordonnés. Nous avons le droit de réfuter tout article que nous n’estimons pas assez bien et avons le droit de changer d’avis sur sa publication si on le souhaite.
— Compris. Rien de très excessif jusque-là, rien d’imprévisible.
— Si un autre membre de l’Inagawa-kai vient à te parler sans que je n’ai accepté l’entrevue, tu dois refuser l’échange. Et interdiction d’avoir le moindre contact avec d’autres clans. Si tu y es obligé par ton patron, préviens-nous du lieu et de l’heure, puis enregistre toute la conversation à l’avance.
— Je ne vois aucun souci à ça.
— Un ami t’enverra une liste de plusieurs sociétés. Si tu dois réaliser une enquête sur l’une d’entre elles, tu dois nous prévenir à l’avance.
Je n’avais même pas besoin de demander si c’était pour qu’on quadrille le reportage ou qu’on m’accompagne. Ce serait les deux, bien sûr. Et j’imagine que la liste ne comportait que les entreprises qui leur appartenaient publiquement. Maintenant que j’avais accepté toutes ces demandes, le Comptable se mit à sourire sincèrement et leva sa cigarette comme s’il allait trinquer.
— A défaut de whisky… Puis après un petit rire sérieux d'actionnaire : Nous en prendrons un après le dessert. Il faut toujours célébrer le début d’un partenariat.
Inoue et Izuru levèrent à leur tour leur cigarette par politesse et me regardèrent comme si j’étais devenu un joyau ancien dont la valeur restait à estimer.
— Est-ce que tu as déjà une idée d’article ? s’amusa Haiko.
— Je n’ai pas osé réfléchir jusque-là, avouais-je en pure modestie de ma voix rauque. Puis une légère idée me traversa : A la limite, un meurtre est resté inélucidé. C’était il y a quelques mois, un meurtre brutal, un féminicide dans un couple marié par l’Incontestable, Mr et Mme Okamoto. Il y a eu pas mal de bruit à l’époque.
Cela me renvoyait longtemps en arrière, la première fois que je chinais à Kabukicho et que je m’étais fait humilier par Lucy. Quand j’y repensais encore maintenant, une vague d’embarras me perçait le cœur. Mon surnom d’Ambonnay courrait encore largement dans les bureaux.
Je doutais sur ce sujet que mes nouveaux compagnons puissent m’aider. Et je n’étais pas certain qu’il y ait assez pour faire un article viable. A part une information primordiale qui pourrait happer le public, je ne voyais pas l’intérêt d’y consacrer un article à part pour combler un trou.
Un regard énigmatique d’Haiko à ses deux subordonnés, il les interrogeait sans syllabe. Inoue, sans plus parler, lui adressa une négation de la tête. Izuru dégaina son portable et agita le doigt jusqu’à une information.
— C’est ça, c’est un furtif.
— Ah, oui, je me disais que ce nom me disait quelque chose, annonça bizarrement Haiko, comme s’il parlait d’une chose tout à fait banale.
— Un furtif, c’est-à-dire ?
— Quand tu as envie de percer sur les réseaux sociaux, tu as le droit d’acheter des bots, des suivis, des likes pour te donner de la visibilité, répondit Izuru. Il avait le regard légèrement fou et des manières brusques, mais il semblait plus intellectuel qu’un profil comme Inoue qui lui avait été moulé par la rue et les violences de jeunesse. Izuru avait le poignet vif et présentait bien ; comme il semblait aussi jeune que moi, on pouvait prévoir qu’il ne se contenterait pas de son poste actuel dans l’Inagawa-kai. Ca, c’est connu, tu le sais. Cela se passe grâce à des API ou des IA. Il tira une bouffée de sa clope et traça des ronds avec le bout braisé. Tu as des bots de mauvaise ou de bonne qualité, qui sont plus ou moins détectables. Les moins bons se font éliminer à chaque mise à jour de l’application. Mais les meilleurs subsistent : ils ont un vrai profil, de vraies photos et des posts réguliers. Puis l’idée s’est développée et les intelligences artificielles ont pu créer de véritables identités virtuelles qui pouvaient communiquer dans des discussions et entretenir une vie cohérente sur plusieurs réseaux.
Je commençais à comprendre où il voulait en venir mais la vérité était encore un morceau trop large pour que je puisse l’avaler d’un coup.
— Ton Okamoto n’existe pas.
Bon, au moins, il me l’enfonçait à coup de poing dans la gorge ; j’eus le bruit de gorge de ma métaphore.
— C’est la dernière étape de la création d’une fausse identité ?
— C’est ça, exactement, confirma Izuru d’un geste de main. Très italien de sa part. Les intelligences artificielles savent si bien imiter n’importe quelle personnalité virtuellement, via des drones, des éditeurs de vidéos, de voix et d’images, qu’il suffit de commander à quelques personnes, qu’on appelle des furtifs, pour jouer des rôles dans la vraie vie afin d’apporter la touche finale, le contact avec d’autres personnes.
— Quel genre de rôles ? questionnais-je en me retenant fermement de ne pas enregistrer la conversation tant j’en apprenais. Est-ce que mes collègues étaient au courant que des méthodes pareilles existaient ?
— Cela dépend de ce dont vous avez besoin. Ici, il devait servir de couverture de meurtre potentiel. Mme Okamoto avait dû tomber dans le collimateur de quelqu’un, ou devait savoir des choses. T’embauches un furtif qui jouera son amant auprès des voisins ou d’autres personnes, tu lances une IA qui lui donnera du crédit et paf, tu as créé quelqu’un de toute pièce. Et c’est très difficile pour le public de comprendre la vérité. Avant qu’il ne soit trop tard.
Il serait astucieux pour quelqu’un de si peu protégé des balles comme moi de ne pas demander à Izuru pourquoi l’Inagawa-kai connaissait l’existence de cette fausse personnalité et si ce n’était pas contre le clan que la victime tenait quelques bourses. Je grinçais des dents et partis du principe que je ne saurais pas plus de leur part.
Sinon, je traçais les liens et dû réécrire toute la vérité que je posais à cette affaire. On avait potentiellement payé un homme pour venir voir Lucy, potentiellement payé un autre pour jouer l’amant devant les voisins. Un coup de maître. Et il devait exister un paquet de civils dans les rues, des furtifs dormants, jouant leur rôle jusqu’à ce que leur mission se termine, loin de toute implication.
— Attendez, je ne comprends pas bien. Donc le mariage Okamoto n’existe pas ? Sinon, il y aurait eu obligation familiale.
— Le mariage devait aussi faire partie de la supercherie. C’est un terreau fantastique pour un faux crime passionnel.
Je ne pouvais que être d’accord avec lui. Le motif était universel, mais c’est surtout sa diffusion qui en faisait le meurtre parfait : j’étais bien placé pour savoir que ce genre de crimes ne passionnait pas les lecteurs, majoritairement pro-Incontestables. Et le gouvernement ne donnait aucune consigne pour qu’on s’y intéresse particulièrement (et les plus complotistes craignaient pire encore, que le gouvernement demandait aux rédactions de balayer ce genre d’affaires sous le tapis). Un serial-killer, à la limite un yakuza, voilà une histoire qui méritait de payer quelques pièces, voilà les frissons. Mais un crime passionnel, c’était du bateau, à la limite, c’était de l’intime, pas plus important que de savoir le repas des voisins de palier ou leur position préférée. S’ils se tuaient, ça les regardait.
Les souvenirs de notre enquête à la rédaction me sautèrent au visage alors que je tissais les liens. Une fausse alliance avait pu être mise en place au doigt de la victime. Mais les inspecteurs auraient dû s’en rendre compte qu’il avait été placé ici depuis peu, un anneau longtemps porté mordait la peau jusqu’à la déformer… Ah mais bien sûr… J’expulse la fumée de mon museau d’un regard sinistre :
— Les flics doivent déjà être au courant de tout ça. Ils ont pu vérifier avec leurs archives que le couple n’existait pas et ont laissé les journalistes patauger pour ne pas qu’on se fourre dans leurs pattes.
— Alors, est-ce que c’est une information digne d’intérêt ? demanda gentiment Haiko en penchant sa tête. Il était plus petit que moi ; sa clope aussi, il l’avait carbonisé.
— Elle est excellente. Je sais comment je pourrais l’exploiter sans vous mettre dans le coup. Puis je répondis enfin au vrai sens de sa question : Je m’en fiche que la police soit déjà au courant. Ce que je veux, c’est une information qui ne soit pas encore tombée dans l’oreille du public.
Et là, j’avais pour ainsi dire, un scoop.
— Il faut que j’écrive.
Allumant sa seconde cigarette, Haiko rouvrit le bal des conspirations et d’un pas en arrière poli, je les laissais discuter tous les trois des nouvelles les plus pressantes. Puis sentant ma vessie gavée, je fis un pas en arrière pour m’éclipser et rejoindre l’intérieur.
Mon devoir accompli, le cyclope étanché, je fus attiré par des bruits de vaisselle : Ayaka préparait la table des desserts et anxieux à l’idée de retrouver les trois hommes d’affaire et entendre (ou pire d’interrompre) des propos impropres aux citoyens, je lui proposai mon aide en approchant une main pieuse des cuillères mais elle manqua de l’assommer avec une louche.
— Hirai-san. Elle me regardait comme si je venais de l’insulter. Vous êtes un invité, ici.
— Les trois autres parlent… Si vous voyez ce que je veux dire. Après, votre mari a accepté que je travaille avec lui, c’est une nouvelle excellente.
— Ah ! Très bien. J’aime bien ça. Je préfère quand il a des collaborateurs sérieux comme vous. Il doit bien vous aimer.
— Vous pensez ? Il est très… stoïque.
— Moi, je vous aime bien en tout cas, c’est plus important. Puis elle partit dans un rire adorable.
— Je suis ravi d’être dans vos petits papiers, Ayaka-san, m’inclinais-je en prolongeant la blague.
— Vous verrez, c’est très utile. Puis elle distribua à chaque assiette une légère cuillère en or minutieusement. Vous m’inspirez beaucoup de sympathie. Vous avez le sens de l’échange, de la modestie, un profil d’intellectuel. Puis… Enfin, moi, je dis qu’on naît ou on ne naît pas yakuza. C’est le sang, le destin à la naissance qui vous emmènera sur cette voie-là. Vous, vous n’êtes pas nés yakuza, bien sûr. Puis elle répartit les torchons et sa voix animée se posa dans des notes plus pensives. Vous n’êtes pas censés être ici. Et je ne vois aucune vie joyeuse qui vous rabatte de ce côté-là. Je ne sais pas quel mauvais coup vous avez traversé et à quel point les événements vous ont tordu. Alors j’espère que vous irez vite mieux.
A cela je ne répondis rien, sinon un remerciement poli. Je ne savais pas vraiment quoi répondre mais je comprenais mieux pourquoi Ayaka avait une réputation d’être appréciée parmi la troupe. Il n’y avait pas à dire, elle et Haiko formaient un couple comme on en voyait peu. J’aurais volontiers voulu connaître le début de leur relation et comment ils s’étaient apprivoisés. Mais à défaut de mieux, j’en connaîtrais la fin.
Je retournais chez moi avec l'envie d'écrire, la muse ravivée par l'odeur d'une gloire proche. Il était temps de se jeter à l'eau maintenant.
Je n’oserais pas faire de commentaires sur mes parents sans une indulgence prudente car il n’y avait aucune matière à se plaindre de la misère de mon enfance et je n’éprouvais aucun besoin d’y chercher des excuses pour enjoliver mes malheurs d’aujourd’hui. Cependant, j’oserais dire ceci même si certaines personnes sont affligées d’une surdité d’esprit particulière à ce genre de propos, qu’une enfance vide, creuse d’amour familial, pouvait laisser des traumatismes sur un enfant comme la pauvreté ne saurait le faire.
Si l’amour était la force principale qui faisait tourner le monde, alors qu’on me rejoigne qu’en manquer pouvait détruire ou aplanir au moins, la personnalité de n’importe qui, et qu’à moins d’avoir peu ou trop d’estime de soi, la détérioration se ferait sentir jusqu’au-delà de l’adolescence, empoisonnant tout le processus de développement et fissurant selon chacun, une face du cœur voire plus. Il m’est douloureux de parler de mes souvenirs car ils semblaient tous être éclairés par la lumière blanche de l’indifférence parentale malgré la portée excessive - au total cinq enfants dont j’étais le second - qui aurait pu assurer un brin de perspective. Un souvenir me coûte ce qu’il brûle dans ma mémoire comme énergie. Et ça ne vaut jamais le coup.
Mon père avait l’âme dure et rechignait toujours à attaquer la vie quand elle ne concernait pas son travail ; il n’avait que peu de hobbys et aucune passion, recevait du monde à la maison mais redoutait pourtant les fêtes et anniversaires. Le plus triste j’imaginais, semblait être qu’en dépit de son humeur froide et son empathie sèche, du vide de son esprit qui se témoignait par la caricature d’homme qu’il devenait au fil des années, effectuant une mue qui épluchait sa personnalité pour ne laisser qu’au fil des ans une coquille apathique, il était impossible de statuer qu’il était malheureux… Au moins, s’il avait éprouvé une forme de tristesse, on aurait pu le tirer de là, le définir comme humain. Les traits livides, creusés par la serpe du travail qui lui avait trop pris, la nuit devant la télé ou l’ordinateur, la tête avancée pour profiter du divertissement, on pourrait croire qu’il avait été empaillé. Il supportait moins la vie qu’elle le supportait, lui.
Ce qui m’avait choqué de sa part et avait dispersé le peu d’affection qu’on devait à un père, ce fut qu’en voyant dans mes dernières années d’étude du tronc commun, mis à part la littérature, je restais assez bien partout, il m’avait souhaité ceci :
— Tu pourrais faire un bon comptable.
Quelle gifle pour n’importe qui de voir son père l’estimer si peu qu’il lui prêtait une carrière si triste. Comptable, c’était avec soi-même que ça se décidait ! Mais à cet âge, on avait soit des doutes, soit de l’ambition, on voulait qu’on pose sur nous un regard perçant qui détecte la portée de notre potentiel et qu’on nous pousse vers des professions aussi percutantes que celles qu’on se donnait enfant. Non, moi, mon père, si diminué dans son jugement et son imagination, ayant pour moi des égards si basses qu’elles ne s’alourdissaient d’aucun fantasme et inconsciemment prenaient la forme d’insultes, son fils serait comptable et cela serait chic.
Deux autres actes hurlaient son insensibilité à la vie des autres, comme si dépourvu d’une partie des émotions et sentiments, il les amputait aussi à ses semblables. Je les sortirai au moment voulu.
Quant à ma mère, elle n’avait travaillé qu’à mi-temps comme cuisinière pour s’occuper de ses enfants une fois pondus. De nature passive et souvent les cheveux sales, elle semblait donner à tous et à tous les murs l’énergie et l’hygiène qu’elle ne s’accordait plus. Perdue dans ses écrans à se chercher une vie moins fatigante, nous aimant pourtant, mais de si loin, sympathiquement. Il y eut une chose de rien de tout et j’en avais pris grandement ombrage même s’il pouvait s’avérer qu’à ceux qui ne l’avaient pas vécu que cela n’était rien. Comme toutes les personnes qui aimaient un grand nombre de gens, tous leurs noms s’en trouvaient mélangés si bien que son grand toc était avant de trouver le prénom de n’importe qui, d’en citer au moins trois autres devant comme s’il lui était obligatoire de lâcher les patronymes en troupeaux. Et au bout de la quatrième tentative - toutes étant crachées à haut-débit - elle tombait enfin sur la solution. Mais pour moi, et seulement pour moi j’en avais bien peur, j’étais le seul pour qui elle trouvait mon nom dès la première ou seconde tentative, mais jamais choquée de m’avoir trouvé aussi vite, continuait l’énumération pourtant. Toson semblait être un prénom trop léger pour stopper son flux.
Quand vous étiez aussi nombreux, il vous fallait vous spécialiser et trouver une place certaine, on était contraints à la caractérisation. Moi, ce fut par l’écriture ; j’étais persuadé à l’époque que mon style concurrençait les grands auteurs (...) et assez rapidement pendant mes années de lycée j’avais posé une participation pour concourir à des compétitions de jeunes écrivains. Au premier essai, j’eus le droit à une critique rédigée à la main, une consécration réservée au haut-du-panier et qui me poussa à me surpasser l’année prochaine. La seconde année, je décrochais le gros lot et mes écrits finirent dans le compendium des vainqueurs de l’édition. Mes parents en furent impressionnés car mes notes n’avaient rien laissé deviner d’une grandeur pareille et ils demandèrent même à lire ce que j’avais fait. Je ne sus s’ils avaient lu le document que je leur avais envoyé. Au moins avais-je partagé la note qu’on m’avait adressée :
“Votre style maîtrise le rythme de la lecture à la perfection. [Le protagoniste] nous fait souffrir tous ses mots alors que l’échafaud approche et vous parvenez à créer l’effet que vous recherchiez : nous faire espérer malgré les faits qu’il sera finalement absous. Quelques grossièretés cependant, noircissent le tableau et nous devrons apporter quelques modifications pour la parution.”
Propulsé par cette palme, j’en perdis le nord et pensant la victoire prochaine acquise, visant le doublé, je perdis pied quand je ne reçus qu’une lettre triste, un petit retour critique qui me semblait très tiède sur un papier bête. Mon heure de gloire n’avait été qu’un pic très pointu.
Mais c’était mieux que rien ; alors petit à petit, j’épluchais les idées pour rester dans le domaine littéraire (et plus tard, je deviendrais journaliste, ce qui semblait être un bon compromis avec un peu de prose et… le marché de l’emploi, en général). Inutile de dire que j’avais tenté de me lancer dans l’écriture de romans, des drames historiques et même de l’anticipation autour de l’Incontestable… mais entre les projets qui ne trouvèrent jamais de fin, à bout de souffle de mon inspiration et les rejetés par les maisons, c’était une parenthèse de ma vie insipide sur laquelle je ne reviendrais pas plus. Au début de cette ambition, mon père m’avait offert pour mon anniversaire un charmant livre intitulé “Déboires du jeune auteur” ; il pensait que ça me ferait plaisir. Finalement, cela devint le signe astrologique de ma muse.
Ce dont je pouvais parler, c’était d’Eirin. Il me faudrait plus d’une centaine de pages pour décrire avec fidélité l’ensemble de notre histoire et raccourcir me semblait être une chose dégoûtante. Si elle avait lu le peu de lignes que je lui avais consacré, elle m’aurait proprement engueulé puis elle m’aurait dit que je ne l’aimais plus, elle aurait fait semblant de pleurer jusqu’à ce que lui promette que j’allais lui acheter des raviolis.
Nous nous étions rencontrés un soir d’automne durant les derniers jours de terrasse par un grand hasard ; un anniversaire avait réquisitionné l’entièreté de l’intérieur et le reste avait été placé sur les tables du dehors. Elle dégageait un truc qu’on ne retrouve que chez ces filles qu’on ne croise qu’à l’entrée du métro, en sens inverse, le temps d’une seconde, trop rapide pour un coup de foudre, terriblement belles. Sauf que l’apparition se trouvait en-face, une cigarette dans la bouche, les lèvres roses, les cheveux légèrement bouclés. Je lançais les chevaux : je brûlerais toute ma vie de ne pas avoir tenté ma chance.
Le courant passa et porté par mon audace, je fus assez à l’aise pour ne pas gaffer. J’appris qu’elle ne se sentait pas bien, qu’elle venait de rompre avec un crétin du nom de Chobyo qu’elle avait aimé et qu’elle souffrait d’aimer encore, alors je lui proposais un pansement si elle accepta un détour par mon côté et deux semaines plus tard après s’être revus, elle accepta.
La période de vie, puis l’appartement, qu’on partagea ensemble fut la plus belle de ma vie, de si loin. Notre relation explosa comme une grenade, dévasta en portée ce qui ne devait être qu’une parenthèse et je fus profondément heureux, comme Dieu avait prévu que les hommes le soient au premier jour où encore, il ne leur reprochait rien. Ce moment où on a envie de revivre tout ce qui tient pour simple dans une journée, mais avec l’autre : la chaleur du soleil, les caresses de l’herbe d’un parc, le roulis du métro la nuit… Elle me fit découvrir son quartier, son whisky et sa manière de mordre, je lui fis découvrir la meth, la poésie et le calme.
— Est-ce qu’on se tue ?
— Si je n’arrive plus à attraper cette bouteille de bière depuis le lit, ça me va, répondis-je en me dévissant l’épaule hors de la couette pour atteindre ma cible. Haaannnghhh…
— C’est mal engagé, tu veux que je t’apporte un revolver ?
Un juron claqua, mais il ne fut pas pour elle. Le bout de mes doigts attirèrent le verre jusqu’à moi et je pus enfin prendre une gorgée de taxe avant de le passer à Eirin.
— Et pourquoi tu voudrais qu’on se tue ? C’est le matin qui se lève qui te bourre ?
— Je sais pas. D’ennui. Je suis tellement heureuse aujourd’hui, je trouverais ça injuste que l’Incontestable n’en prenne pas compte. Est-ce qu’il y a vraiment besoin de lettres roses pour des gens qui s’aiment déjà ?
— Je pense que la compatibilité amoureuse n’est qu’une façade personnellement, dis-je en récupérant la cigarette que je rallumai. L’Incontestable nous met peut-être avec des gens qui nous sont complémentaires pour élever des enfants.
— Tu ferais quoi, si tu avais une lettre rose ? Les yeux noirs d’Eirin me pulvérisèrent le cœur. Je passai son bras sous sa tête et on se colla l’un à l’autre. A cette heure de l’aube, sa peau prenait la couleur grise des nuages au-dessus.
— Je ne sais pas. L’amour ne rend pas bête, il vous ment. J’imaginais que j’allais pleurer pendant des mois et que je n’accepterais pas la nouvelle relation, mais rien de digne quand on le comparait à l’amour que je ressentais pour Eirin, rien de puissant comme dans les opéras. Alors mon cerveau et mon cœur coupèrent le cordon, et je ne savais pas.
— T’es un nase, hein ?
— Bah oui, mais tu poses de ces questions, laisse-moi le temps d’y réfléchir. Toi, tu ferais quoi ?
— Je sais pas. Je lui envoyai une boutade dans le corps et on se mit à rire. Mais maintenant, je me dis que pour certaines personnes, c’est peut-être une bonne nouvelle. Celles qui n’ont connu que la solitude. Ou celles qui sont enfermées dans un couple toxique.
Je comprenais mieux d’où ses pensées naissaient.
— C’est toujours Chobyo ? lui demandais-je.
— Certains jours, j’étais si amoureuse de lui que je n’aurais pas supporter l’idée de recevoir une lettre rose. Puis le lendemain, je ne rêvais que de cette excuse pour m’en aller.
Je laissais le temps à ses soupirs d’évacuer les scories de ses pensées.
— Quand on ne maîtrise plus son humeur et qu’elle est dépendante d’un autre, là est le danger. On ne devrait pas attendre quelqu’un d’autre pour éprouver de la joie.
Elle buvait et ses yeux dardaient le poster en-face. Il y avait une résignation. Elle me passa la bouteille que je reposai loin sur le tabouret puis on se re-colla ensemble dans la moiteur de la couette. Ma main lui caressa tendrement son bras pour l’aider à se détendre.
— Assez parlé de Chobyo…
— Ça t'ennuie quand j’en parle ? s’inquiéta-t-elle.
— Pas du tout. Mais ça te retourne ton humeur quand tu y penses trop.
— Ça partira.
— Peut-être, peut-être pas, comment savoir. N’hésite jamais à en parler si ça te travaille.
— Merci, dit-elle en posant sa tête.
Le silence tomba, invitant le sommeil. En-bas, de l’autre côté, les moteurs de voiture se multipliaient.
— Dans vingt jours, il y aura le concours pour le Yomiuri Shimbun, bâilla-t-elle comme une lionne. Tu te sens prêt ?
— Pas vraiment… C’est un des examens les plus difficiles.
— Moi, je ramène des bières, et toi, tu passes pas ton concours ?, plaisanta-t-elle à moitié ensommeillée alors que les premiers rayons de soleil lui fermaient les yeux.
— Sérieusement, je ne sais pas ce que je ferais si j’avais une lettre rose. Sans toi, je ne saurais pas qui je serais. Peut-être que je ne serais pas allé aussi loin. Avec mes parents, je ne suis qu’à moitié moi, c’est comme ça qu’ils m’ont élevé. Pourquoi parmi toutes les personnes que je connais, tu es la seule auprès de qui je suis aussi bien, la seule qui me soulève ?
— Parce que je t’aime, répondit-elle simplement avant de s’éteindre et de s’endormir.
Après quatre ans ensemble où nous avions planifié à la suite de ses études à l’international nos vacances et pourquoi pas, si l’Incontestable nous laissait tranquilles, nos animaux et nos enfants, elle partit de l’autre côté du Pacifique pour deux années. Je promis de passer la voir si on me laissait des jours de congé. La solitude les premières semaines me pompa tout mais je me rappelais qu’elle n’était que l’ombre du grand amour. Aussi pathétique aie-je pu paraître ailleurs dans d’autres sections ou paragraphes, sachez qu’ici, jamais vous n’aviez vu Toson plus puissant, j’étais animé d’une volonté supérieure à toute dépression, même si toute dépression se trouvait aux pieds de mon fort. Et qu’elle savait se battre.
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Chapitre 5 : Une violente fusillade à Kabukicho fait un blessé grave
“Un déferlement de coups de feu a frappé l’est du boulevard d’Hanamichi-dori où deux boryokudan se sont affrontés, d’abord dans un appartement puis ensuite dans la rue. Onze coups de feu ont été entendus en tout et pour tout, puis après un crissement de pneus de voiture, un blessé grave a été reporté (son pronostic vital n’est à ce jour, plus engagé).
Selon des témoins sur place qui ont pu assister à la scène, l’effarouchée a été dûe à une violente dispute de territoire ; un des bars appartenant à l’Inagawa-Kai aurait été la cible d’un raid d’une équipe du Yamaguchi-gumi. Les premiers coups de feu auraient été tirés au premier étage au-dessus du bar puis ne se seraient pas poursuivis dans la rue, jusqu’à ce qu’en fuyant depuis une voiture, les hommes du Yamaguchi-gumi tentent de mitrailler une dernière salve, touchant un civil. Bien que le Yamaguchi-gumi dément toute implication dans cette affaire (et s’est dite prête à aider la police dans son enquête), des témoignages démentent cette version des faits.
“La fenêtre de la cuisine a explosé et je me suis accroupie. J’ai cru qu’ils allaient venir pour moi et j’ai attendu bien cinq minutes après leur départ pour oser me relever”, déclare une femme qui habitait au rez-de-chaussée dans la rue.
“Nous ne sommes jamais en paix !”, rapporte sa voisine, une grand-mère de soixante-dix ans excédée par la situation, “Il serait temps que la police arrête de fermer les yeux et que la justice se saisisse plus sérieusement des groupes criminels.
“Je demanderais à ce que l’Incontestable autorise la police à ouvrir les puces des gens dont on est certains de l’affiliation avec les yakuzas”, surenchérit son mari.
La police a précisé qu’elle ferait de cette affaire une priorité.”
Haiko se frotta les yeux après avoir posé l’article sur la table - Haiko, c’est le Comptable de la dernière fois, impeccable dans ses manières et le visage indéchiffrable. Sur sa gauche, sa femme Ayaka, d’une cinquantaine d’années que la jeunesse lointaine n’avait pas encore complètement abandonné, ses joues arrondies étirant les rides, se tordait la nuque pour lire, comme excitée. Elle lut la signature de l’article :
— Hiori Neru.
— C’est mon collègue, expliquais-je en récupérant le bout de papier par-dessus les différents plats. J’avais écrit mon propre article sur mon lit à l’hôpital. Mais il a été refusé. Ils ont récupéré mes précisions, cependant, et avec plaisir.
— Quelles précisions ? C’est un tissu de mensonges, commenta Izuru, un gars costaud de visage avec une sale cicatrice sur la gueule qui lui divisait la joue en deux et un menton pas bien quadrillé. Je le rencontrais ce soir, il ne semblait pas m’aimer ou alors il prenait le monde comme un champ de bataille et il ne connaissait pas l’uniforme de ses alliés, juste le son de son commandant derrière lui. Il avait cette obsidienne dans la pupille des gens qui n’avaient plus peur de rien, et un éclair dans ses mouvements qui rappelait le cobra.
— Des mensonges, ça retombe. Des emmerdes en perspective, boss ? demanda Inoue, le Gorille de la nuit dernière dont enfin j’entendais la voix. Il planta un troupeau de pâtes dans sa gueule en observant Haiko dont le visage ne laissait transparaître ni satisfaction, ni irritation, finalement rien d’autre qu’une pure neutralité qui chez certains philosophes s’apparentaient à la paix absolue. Pour lui-même seulement alors car sa paix absolue filait le bourdon à tous excepté sa femme qui resservait Inoue en anticipation.
— C’est passé, hors de notre contrôle.
— Une descente de police aura lieu dans plusieurs bastions du Yamaguchi-gumi, rajoutais-je, mais les émotions d’Haiko ne cédèrent pas plus au siège - il devait déjà être au courant. Sa femme par contre, eut un petit rire charmant comme si je venais de servir une blague délicieuse.
— Ils pourraient nous accuser, vous croyez ? se demanda Izuru, ils doivent savoir la vérité, eux ! Ils demanderont réparation, à coup sûr. Déchet. Difficile de savoir s’il insultait ces ennemis ou moi et mon idée de falsifier la vérité. Par modestie, je retirais un ‘s’ à l’écriture de son insulte.
— Izuru. Pas d’insulte autour de la table, tenta de le calmer le gorille.
— J’insulte ces dogues du Yamaguchi. Mais ses yeux noirs rectifiaient qu’il me visait moi.
Après la visite des deux yakuzas sur mon lit d’hôpital, j’avais pris ma décision d’enfoncer le clou jusqu’à ce qu’il ressorte de l’autre côté du mur : j’avais appelé Mashida et lui avais promis tout ce que je savais sur l’incident, ce dont il n’était pas contre. L’affaire eut pris pendant ma rapide convalescence un écho assez important entre les commissaires qui intervenaient, les inspecteurs qui attendaient que la justice enlève le plomb logé de son aile, et un léger tintouin politique dont se saisirent les différentes facettes de l’opposition. Si bien que même en retard de quelques jours, mon témoignage possédait encore de la valeur et j’imaginais que Mashida n’attendait qu’une chose, que je déballe tout ce que je savais et lancer le tout comme une exclusivité qui mettrait le point final de l’Asahi Shimbun à l’affaire. En sous-texte de ces mails, je comprenais qu’il trouvait chanceux qu’un de ses hommes ait été victime de la fusillade afin d’être aux premières loges et dans mes réponses, mon sous-texte à moi était un doigt d’honneur.
J’avais inversé les responsabilités et pesé le poids de ma blessure sur le camp adverse. Et comme personne ne créditait les yakuzas du moindre sérieux, les vociférations du Yamaguchi-gumi restèrent inaudibles pour les civils, risibles pour les flics.
Je pensais qu’ainsi, j’attirerais l’attention de mes bienfaiteurs mais ils m’avaient contacté ce matin avant que l’encre ne sèche pour m’inviter à dîner. Il n’était pas rare qu’Haiko mange avec ses subordonnés et il m’avait inclus au repas. Il m’avait ouvert lui-même quand j’étais arrivé au seuil de sa maison, à peine moins distingué qu’en public, puis en rentrant dans le hall en rapportant des sucreries, je fis la connaissance de sa femme qui se trouvait être d’une gentillesse chaleureuse étonnante. Et me voilà ici, heureux comme un chien qui avait rapporté un os plus grand que celui qu’on m’avait lancé et qui se rendait compte qu’il n’avait pas déchaîné les foules. Je pus ainsi constater que la présence joviale d'Ayaka me leurrait : la pièce était froide, les trois autres hommes ne me considéraient que comme un drôle d'invité et au moins deux auraient préféré que je sois absent. Le journal enfoncé de honte dans ma sacoche, j’attendis comme ses deux hommes, une réaction plus tranchée de la part d’Haiko pour savoir sur quel pied danser. Il ne fit que répéter ultimement, passant une serviette sur ses lèvres :
— On s’en fiche, ce n’est rien.
La main dans le sac, mes doigts caressèrent l’enveloppe que le Comptable m’avait filé en dédommagement. Je la ressortis d’un mouvement lent et la lui présentai ; elle était parfaite, elle me permettrait de changer de sujet.
— J’ai avec moi vos gros sous. Je n’ai pour le moment touché à rien, tant que nous ne sommes pas parvenus à un accord.
— On ne discute pas affaires pendant un repas, me corrigea-t-il. On en reparlera après. La puissance de ces mots, la certitude logée à l’intérieur, me rappelait qu’autour de cette tablée, je n’avais aucune épaule et que quiconque ici pouvait m’écraser de plusieurs manières différentes.
— Je suis désolé, Haiko-san, je ne voulais pas manquer de respect à la cuisine de votre femme.
Femme qui se mit à éclater de rire.
— Enfin, Hirai-san, ce n’est pas moi qui cuisine, c’est mon mari ! Elle lui toucha l’épaule puérilement et Haiko se mit enfin à bougonner, entre la gêne et la fierté. C’est un excellent cuisinier. Moi, j’ai deux mains gauches, je ne peux pas couper un radis sans me blesser.
— Ce n’est pas faute d’avoir essayé à lui apprendre. Mais pour le bien-être de ma femme, j’ai dû lui demander de quitter définitivement la cuisine, blagua-t-il en souriant. Jusqu’à ce que la bonne humeur qui commençait à bercer la tablée fut coupée par Izuru :
— Quel accord ? Je ne comprends pas. Il s’empara d’une main leste de l’enveloppe qui traînait sur la table et jaugea du doigt le montant à l’intérieur. Il est là, l’accord. Pourquoi il faut tortiller du c… Il claqua la langue et rectifia sa phrase à la volée : Pourquoi des blablas en plus ?
— Hirai-san a demandé une faveur à la place de l’argent.
— Quoi ? Sa question colérique manquait de surprise : il savait depuis le début où il voulait amener la discussion et j’étais bien content qu’il ne fut pas mon voisin direct. Il faudrait qu’il passe par le Gorille pour me toucher et la tranquillité de ce dernier m’apaisait légèrement ; ses épaules aussi. Comment oses-tu ?! Tu sais qui est Haiko-san ? Tu sais quelle position il occupe ?! Lui rendre son argent est une insulte ! Et il frappa du poing sur la table. Une insulte !
— Izuru, c’est nous qui lui avons tiré dessus, trancha nettement Haiko en n’admettant plus aucune réplique. Il a le droit de poser des conditions.
— Oui, très bien. Mais pourquoi ne pas prendre l’argent directement ?
— Je suis au début de ma carrière, j’ai besoin d’asseoir ma crédibilité en tant que journaliste.
— Pour quoi ? Assurer tes prochains salaires ?
— Oui, notamment.
— Ils sont déjà là, tes prochains salaires ! rugit-il en secouant l’emballage cartonné. Tu devrais être honoré qu’une figure comme Haiko te parle, tu comprends ça ?
— Es-tu sourd ? gronda pour la première fois Ayaka en plantant son regard de coutelas à Izuru. Elle n’eut pas besoin de plus de syllabe. Izuru se reposa sur sa chaise et chassa sa colère aussi vite qu’il put. Il tira deux cigarettes, une pour lui, et une surprise, qu’il me tendit directement à moi.
— La foudre et la pluie tombent ensemble au sol, déclama-t-il comme un proverbe dont je ne saisissais toujours pas le sens. Est-ce qu’il voulait mettre en emphase qu’au final, nous étions semblables car nous cherchions à la fin une somme confortable dans le compte en banque, ou se moquait-il à nouveau de mon choix ? Je le remerciais pour la cigarette et nous prîmes notre bouffée ensemble.
— Je m’excuse, Hirai-san, finit-il par dire, le bras jeté derrière le dossier de la chaise.
— C’est moi qui m’excuse, Izuru-san. Je suis encore jeune et je ne maîtrise pas encore toutes les politesses. Izuru me fit un geste de la main pour me dire que la conversation était terminée. Haiko décréta alors qu’il tirerait bien une cigarette devant les nôtres et proposa à chacun de le rejoindre dans le jardin.
Quatre hommes en costume éclairés seulement par les petits plants de lampes électriques se retrouvèrent debout sur une terrasse à échanger le briquet et à parler un peu concret, pendant vingt secondes écrasantes où je ne sus pourquoi l’Univers me servait sur le même plateau qu’eux. Puis d’un coup, les trois autres comme en pleine urgence s’échangeaient quelques mots et noms urgents auxquels je ne prêtais pas attention, par politesse. Ils inclinèrent des têtes et murmurèrent, puis Haiko d’un coup se tourna vers moi :
— C’est bon, pour la proposition Hirai-san. Nous collaborerons ensemble.
Sa phrase eut un profond effet sur moi et qu’on n’y voie aucun aspect tendancieux, mais je reconnaissais cette pulsation où pendant les années de lycée votre crush venait d’accepter votre demande de rendez-vous. Vous aviez réussi une importante chose, mais qui se payait en une appréhension terrible. Je m’inclinais bas devant la figure.
— Merci beaucoup. Vous ne le regretterez pas.
— Il faut bien évidemment que je pose quelques conditions. Tu ne parleras à aucun autre membre de l’Ingawa-kai sinon moi, pas même mes subordonnés. Nous avons le droit de réfuter tout article que nous n’estimons pas assez bien et avons le droit de changer d’avis sur sa publication si on le souhaite.
— Compris. Rien de très excessif jusque-là, rien d’imprévisible.
— Si un autre membre de l’Inagawa-kai vient à te parler sans que je n’ai accepté l’entrevue, tu dois refuser l’échange. Et interdiction d’avoir le moindre contact avec d’autres clans. Si tu y es obligé par ton patron, préviens-nous du lieu et de l’heure, puis enregistre toute la conversation à l’avance.
— Je ne vois aucun souci à ça.
— Un ami t’enverra une liste de plusieurs sociétés. Si tu dois réaliser une enquête sur l’une d’entre elles, tu dois nous prévenir à l’avance.
Je n’avais même pas besoin de demander si c’était pour qu’on quadrille le reportage ou qu’on m’accompagne. Ce serait les deux, bien sûr. Et j’imagine que la liste ne comportait que les entreprises qui leur appartenaient publiquement. Maintenant que j’avais accepté toutes ces demandes, le Comptable se mit à sourire sincèrement et leva sa cigarette comme s’il allait trinquer.
— A défaut de whisky… Puis après un petit rire sérieux d'actionnaire : Nous en prendrons un après le dessert. Il faut toujours célébrer le début d’un partenariat.
Inoue et Izuru levèrent à leur tour leur cigarette par politesse et me regardèrent comme si j’étais devenu un joyau ancien dont la valeur restait à estimer.
— Est-ce que tu as déjà une idée d’article ? s’amusa Haiko.
— Je n’ai pas osé réfléchir jusque-là, avouais-je en pure modestie de ma voix rauque. Puis une légère idée me traversa : A la limite, un meurtre est resté inélucidé. C’était il y a quelques mois, un meurtre brutal, un féminicide dans un couple marié par l’Incontestable, Mr et Mme Okamoto. Il y a eu pas mal de bruit à l’époque.
Cela me renvoyait longtemps en arrière, la première fois que je chinais à Kabukicho et que je m’étais fait humilier par Lucy. Quand j’y repensais encore maintenant, une vague d’embarras me perçait le cœur. Mon surnom d’Ambonnay courrait encore largement dans les bureaux.
Je doutais sur ce sujet que mes nouveaux compagnons puissent m’aider. Et je n’étais pas certain qu’il y ait assez pour faire un article viable. A part une information primordiale qui pourrait happer le public, je ne voyais pas l’intérêt d’y consacrer un article à part pour combler un trou.
Un regard énigmatique d’Haiko à ses deux subordonnés, il les interrogeait sans syllabe. Inoue, sans plus parler, lui adressa une négation de la tête. Izuru dégaina son portable et agita le doigt jusqu’à une information.
— C’est ça, c’est un furtif.
— Ah, oui, je me disais que ce nom me disait quelque chose, annonça bizarrement Haiko, comme s’il parlait d’une chose tout à fait banale.
— Un furtif, c’est-à-dire ?
— Quand tu as envie de percer sur les réseaux sociaux, tu as le droit d’acheter des bots, des suivis, des likes pour te donner de la visibilité, répondit Izuru. Il avait le regard légèrement fou et des manières brusques, mais il semblait plus intellectuel qu’un profil comme Inoue qui lui avait été moulé par la rue et les violences de jeunesse. Izuru avait le poignet vif et présentait bien ; comme il semblait aussi jeune que moi, on pouvait prévoir qu’il ne se contenterait pas de son poste actuel dans l’Inagawa-kai. Ca, c’est connu, tu le sais. Cela se passe grâce à des API ou des IA. Il tira une bouffée de sa clope et traça des ronds avec le bout braisé. Tu as des bots de mauvaise ou de bonne qualité, qui sont plus ou moins détectables. Les moins bons se font éliminer à chaque mise à jour de l’application. Mais les meilleurs subsistent : ils ont un vrai profil, de vraies photos et des posts réguliers. Puis l’idée s’est développée et les intelligences artificielles ont pu créer de véritables identités virtuelles qui pouvaient communiquer dans des discussions et entretenir une vie cohérente sur plusieurs réseaux.
Je commençais à comprendre où il voulait en venir mais la vérité était encore un morceau trop large pour que je puisse l’avaler d’un coup.
— Ton Okamoto n’existe pas.
Bon, au moins, il me l’enfonçait à coup de poing dans la gorge ; j’eus le bruit de gorge de ma métaphore.
— C’est la dernière étape de la création d’une fausse identité ?
— C’est ça, exactement, confirma Izuru d’un geste de main. Très italien de sa part. Les intelligences artificielles savent si bien imiter n’importe quelle personnalité virtuellement, via des drones, des éditeurs de vidéos, de voix et d’images, qu’il suffit de commander à quelques personnes, qu’on appelle des furtifs, pour jouer des rôles dans la vraie vie afin d’apporter la touche finale, le contact avec d’autres personnes.
— Quel genre de rôles ? questionnais-je en me retenant fermement de ne pas enregistrer la conversation tant j’en apprenais. Est-ce que mes collègues étaient au courant que des méthodes pareilles existaient ?
— Cela dépend de ce dont vous avez besoin. Ici, il devait servir de couverture de meurtre potentiel. Mme Okamoto avait dû tomber dans le collimateur de quelqu’un, ou devait savoir des choses. T’embauches un furtif qui jouera son amant auprès des voisins ou d’autres personnes, tu lances une IA qui lui donnera du crédit et paf, tu as créé quelqu’un de toute pièce. Et c’est très difficile pour le public de comprendre la vérité. Avant qu’il ne soit trop tard.
Il serait astucieux pour quelqu’un de si peu protégé des balles comme moi de ne pas demander à Izuru pourquoi l’Inagawa-kai connaissait l’existence de cette fausse personnalité et si ce n’était pas contre le clan que la victime tenait quelques bourses. Je grinçais des dents et partis du principe que je ne saurais pas plus de leur part.
Sinon, je traçais les liens et dû réécrire toute la vérité que je posais à cette affaire. On avait potentiellement payé un homme pour venir voir Lucy, potentiellement payé un autre pour jouer l’amant devant les voisins. Un coup de maître. Et il devait exister un paquet de civils dans les rues, des furtifs dormants, jouant leur rôle jusqu’à ce que leur mission se termine, loin de toute implication.
— Attendez, je ne comprends pas bien. Donc le mariage Okamoto n’existe pas ? Sinon, il y aurait eu obligation familiale.
— Le mariage devait aussi faire partie de la supercherie. C’est un terreau fantastique pour un faux crime passionnel.
Je ne pouvais que être d’accord avec lui. Le motif était universel, mais c’est surtout sa diffusion qui en faisait le meurtre parfait : j’étais bien placé pour savoir que ce genre de crimes ne passionnait pas les lecteurs, majoritairement pro-Incontestables. Et le gouvernement ne donnait aucune consigne pour qu’on s’y intéresse particulièrement (et les plus complotistes craignaient pire encore, que le gouvernement demandait aux rédactions de balayer ce genre d’affaires sous le tapis). Un serial-killer, à la limite un yakuza, voilà une histoire qui méritait de payer quelques pièces, voilà les frissons. Mais un crime passionnel, c’était du bateau, à la limite, c’était de l’intime, pas plus important que de savoir le repas des voisins de palier ou leur position préférée. S’ils se tuaient, ça les regardait.
Les souvenirs de notre enquête à la rédaction me sautèrent au visage alors que je tissais les liens. Une fausse alliance avait pu être mise en place au doigt de la victime. Mais les inspecteurs auraient dû s’en rendre compte qu’il avait été placé ici depuis peu, un anneau longtemps porté mordait la peau jusqu’à la déformer… Ah mais bien sûr… J’expulse la fumée de mon museau d’un regard sinistre :
— Les flics doivent déjà être au courant de tout ça. Ils ont pu vérifier avec leurs archives que le couple n’existait pas et ont laissé les journalistes patauger pour ne pas qu’on se fourre dans leurs pattes.
— Alors, est-ce que c’est une information digne d’intérêt ? demanda gentiment Haiko en penchant sa tête. Il était plus petit que moi ; sa clope aussi, il l’avait carbonisé.
— Elle est excellente. Je sais comment je pourrais l’exploiter sans vous mettre dans le coup. Puis je répondis enfin au vrai sens de sa question : Je m’en fiche que la police soit déjà au courant. Ce que je veux, c’est une information qui ne soit pas encore tombée dans l’oreille du public.
Et là, j’avais pour ainsi dire, un scoop.
— Il faut que j’écrive.
Allumant sa seconde cigarette, Haiko rouvrit le bal des conspirations et d’un pas en arrière poli, je les laissais discuter tous les trois des nouvelles les plus pressantes. Puis sentant ma vessie gavée, je fis un pas en arrière pour m’éclipser et rejoindre l’intérieur.
Mon devoir accompli, le cyclope étanché, je fus attiré par des bruits de vaisselle : Ayaka préparait la table des desserts et anxieux à l’idée de retrouver les trois hommes d’affaire et entendre (ou pire d’interrompre) des propos impropres aux citoyens, je lui proposai mon aide en approchant une main pieuse des cuillères mais elle manqua de l’assommer avec une louche.
— Hirai-san. Elle me regardait comme si je venais de l’insulter. Vous êtes un invité, ici.
— Les trois autres parlent… Si vous voyez ce que je veux dire. Après, votre mari a accepté que je travaille avec lui, c’est une nouvelle excellente.
— Ah ! Très bien. J’aime bien ça. Je préfère quand il a des collaborateurs sérieux comme vous. Il doit bien vous aimer.
— Vous pensez ? Il est très… stoïque.
— Moi, je vous aime bien en tout cas, c’est plus important. Puis elle partit dans un rire adorable.
— Je suis ravi d’être dans vos petits papiers, Ayaka-san, m’inclinais-je en prolongeant la blague.
— Vous verrez, c’est très utile. Puis elle distribua à chaque assiette une légère cuillère en or minutieusement. Vous m’inspirez beaucoup de sympathie. Vous avez le sens de l’échange, de la modestie, un profil d’intellectuel. Puis… Enfin, moi, je dis qu’on naît ou on ne naît pas yakuza. C’est le sang, le destin à la naissance qui vous emmènera sur cette voie-là. Vous, vous n’êtes pas nés yakuza, bien sûr. Puis elle répartit les torchons et sa voix animée se posa dans des notes plus pensives. Vous n’êtes pas censés être ici. Et je ne vois aucune vie joyeuse qui vous rabatte de ce côté-là. Je ne sais pas quel mauvais coup vous avez traversé et à quel point les événements vous ont tordu. Alors j’espère que vous irez vite mieux.
A cela je ne répondis rien, sinon un remerciement poli. Je ne savais pas vraiment quoi répondre mais je comprenais mieux pourquoi Ayaka avait une réputation d’être appréciée parmi la troupe. Il n’y avait pas à dire, elle et Haiko formaient un couple comme on en voyait peu. J’aurais volontiers voulu connaître le début de leur relation et comment ils s’étaient apprivoisés. Mais à défaut de mieux, j’en connaîtrais la fin.
Je retournais chez moi avec l'envie d'écrire, la muse ravivée par l'odeur d'une gloire proche. Il était temps de se jeter à l'eau maintenant.
Toson Hirai
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Toson Hirai
Histoire - Citation
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[Afin d'éviter d'étaler une vulgarité gratuite, les mots les plus indélicats seront légèrement retouchés sous la baguette magique de la paronomasie]
[Afin d'éviter d'étaler une vulgarité gratuite, les mots les plus indélicats seront légèrement retouchés sous la baguette magique de la paronomasie]
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Chapitre 3 : Trois-quarts de soi en moins
L’obscurité de ma piaule s’épaississait de jour en jour, profitant de l’hiver pour mordre l’après-midi, puis de l’injustice pour me plonger en son sein plus profondément.
Dans mon studio sous les combles, j’encaissais encore mon entrevue avec les ressources humaines. Un an et demi que j’étais à l’Asahi Shimbun et je ne présentais pas les qualités requises pour être définitivement titularisé. L’homme chauve qui devait avoir un grand-parent indien, derrière son bureau blanc qui le sauvait du naufrage auquel il me condamnait doucement, me l’avait dit sans grand sentiment, sans froideur ni encouragement, comme si je n’étais qu’une somme de chiffres qui ne rendaient pas un résultat très égal ; pour moi qui cherchais de l’affectif, son ton avait été d’une brutalité implacable à plier des genoux. J’avais encore six mois pour prouver ma valeur avant qu’on ne me rende à la rue. J’avais bien dit que je m’entendais bien avec les policiers et que je passais beaucoup de temps à leur parler et prendre des nouvelles des uns et des familles, on me rétorqua un haussement d’épaules. Manifestement, ça manquait de conséquence.
Aujourd’hui, en pleine rédaction d’article cet après-midi, ma conseillère bancaire m’avait appelé, et avec un énorme sourire et une politesse qu’on servait aux grands dignitaires du monde, elle m’avait aimablement rappelé que mes dettes écroulaient mon plafond et que j’allais dans une semaine passer dans la zone rouge si je ne rectifiais pas vite la situation. Bref, qu'à tout jamais on me contrôlerait bien plus que d’autres quand je voudrais à l’avenir emprunter et qu’on pourrait me refuser tout service sans justification.
Je n’en pouvais plus, je perdais pied. Et depuis le sixième étage, je voyais mon avenir hors de l’Asahi… Ou hors de ma fenêtre. En un mot comme en cent, j’étais enfin devenu la personne que mon père voyait quand il me regardait. La chose minable sans grande portée, perclus de faiblesses, sans grande dignité, qui bataillait pour se tenir debout, qui n’avait les compétences que pour frôler du bout des doigts, en tendant son corps au maximum, la cloche de pollution de la ville. J’étais enfin remis à ma place, assis sur une couette minable, dans un appartement minable, des mauvais amis, des collègues qui n’en seraient bientôt plus. Je pensais à Eirin mais le quotidien avait aplani nos appels… À trop se parler sans se toucher, se dire “Je t’aime” sans se le prouver, nous n’avions fait qu’empoisonner l’eau du lac qui nous permettait pourtant de supporter la soif du manque. Nous affaiblissions nos promesses et nos joies en conditionnant l’autre trop longtemps à supporter des paroles et des verbes. Sans contact, on perd le goût de la chaleur de l’autre.
Cela faisait trois mois que je sentais que tout me filait entre les doigts, comme s’ils étaient trop grossiers pour maintenir la subtilité d’un équilibre de vie sain. Et chaque semaine coulant dans la même direction, j’étais avalé dans un maëlstrom où j’étais confronté tout simplement au fait que je n’étais pas assez bon. Je ne gérais plus rien…
— C’est injuste.
Qui rigole à cette phrase me fend le cœur de son indifférence… Nous savons dire beaucoup de phrases en tant qu’espèce mais leurs significations se rangeaient en des catégories plus épaisses qui ne comptaient pas selon moi, plus de dix occurrences. “Je t’aime”, “Regardez-moi”, “J’aurais voulu plus”, “C’est injuste”... Qu’un enfant ou un adulte utilise directement ces termes, revient alors jusqu’à la source des significations de nos communications, et j’y trouvais toujours un élan pur que je respecterais toujours. Mais là, je n’avais plus la force d’empathir avec qui que ce soit. J’avais déjà du mal avec moi-même.
Je retenais les larmes dans un combat perpétuel, le cerveau tournant en boucle jusqu’à me faire craquer puis je me consolais en disant que pas si loin, je pourrais trouver de l’alcool ou de la drogue. Deux amis qui adoucissaient mes peines tout en les renforçant ; avait-on vu quelqu’un s’envoler avec ce genre d’ailes ? Je savais que je précipitais ma chute mais quitte à descendre, autant profiter des caresses du vent.
A cette soirée qui n’était que la copie-carbone des cent autres avant, mon téléphone sonna et une faille vers le paradis s’ouvrit sous mes pieds. Un message d’Eirin. Mon coeur se mit à bondir à la lecture et mes jambes se mirent à trembler, me bloquant assis.
Eirin : Surprise !
Eirin : Je suis de retour à Tokyo, je voulais garder ça sous silence mais je n’ai pas pu m’empêcher de te le dire d’abord
Eirin : Est-ce qu’on peut se voir ce soir ?
Eirin : Désolé ! Je suis heureuse d’être de retour o/
Mon dieu mon dieu mon dieu ! Branle-bas le combat, haut-le-cœur, fanfare ! Eirin est revenue !
Sans calcul, je lui envoie l’adresse, puis des mots d’amour, puis je lance le téléphone sur le lit vérifier au miroir que mon visage était présentable. Je me prépare comme une tornade qui fleurit. Cheveux, eau de cologne, belle chemise, barbe de dix jours à barbe de trois jours. Je cache mes cernes derrière mes lunettes, je remets mes cheveux en place pour masquer les baies, je respire la bouche ouverte pour aérer le palais, je garde mon téléphone près de moi. Impossible. Est-ce que l’ange qui en-haut s’occupait de moi avait dû payer mes déboires pour m’offrir un miracle pareil ?
Vingt secondes après, ou vingt minutes, peut-être une heure, qui savait, j’ouvris la porte à la fille que j’aime et le monde se redressa droit alors que je la voyais. Ses cheveux étaient légèrement plus longs qu’avant et son visage accusait un début de patte d’oie. Ses bras s’enroulèrent derrière ma nuque et cinq minutes sur le seuil nous virent nous retrouver dans une étreinte plus solide que ma dépression.
— Je suis vraiment désolée de ne pas pouvoir rester. J’aurais dû te prévenir demain mais je ne pouvais pas attendre, me chuchota-t-elle dans le coin de l’oreille. Je dois partir. Puis elle défit sa posture d’un petit sourire timide. Je voulais juste te dire coucou.
— Mais tu vas où ?
— Je ne peux pas te le dire ! rigola-t-elle.
— Mais pourquoi ?
— Parce que c’est un cadeau, crétin !
Très bien, je me tus.
— Et bien, prépare bien tout ça, lui dis-je, surpris d’une telle préparation.
— Merci !
Elle finit par me demander un flacon de meth parce qu’elle se sevrait depuis trop longtemps et je lui donnais avec plaisir un flacon plein. Je lui dis que je l’aimais avant qu’elle ne disparaisse du couloir d’où elle s’était envolée. Puis comme si elle n’était jamais revenue, le rêve s’éteignit et je me retrouvai seul à nouveau sur le palier de ma porte. J’humais son parfum pour confirmer qu’elle avait bien été là, je cherchais les contours de la lumière au cas où son corps aurait laissé une empreinte. Sonné par l’uppercut, je rentrai chez moi et j’abandonnai toute idée de murge. Les promesses qu’on s’était dites au téléphone, voire encore avant quand nous étions collés l’un à l’autre dans le métro à attendre notre station, ces promesses de réussite, de croire en soi, revenaient avec la solidité d’une condensation renouvelée. Les six mois que m’avaient laissé les ressources humaines me semblaient trop longues et mon potentiel, trop large, pour juger impossible de sécuriser mon poste à l’Asahi. Une ardeur de renaissance fouettait mon esprit et le chariot tout entier de ma volonté se remit à avancer.
Il me fut impossible de dormir et je tins éveillé par les tambours du cœur. Une aubaine pour moi car Mashida me passa un appel alors que minuit approchait à grands pas, et je pris l’appel avec une énergie pleine.
— Les flics s’agitent Hirai ! Besoin de toi sur le terrain, t’as tes pompes, t’es dispo ? Plus ses questions avançaient et plus un semblant de décence le prenait.
— Je suis dispo, oui ! Mais je suis chez moi actuellement.
— C’est bien, c’est tant mieux, je craignais que tu sois à Kabukicho. Non, le souci se trouve près de ton logement, je me permettais de t’appeler. T’es à quinze minutes à pied.
— Donnez-moi l’adresse et je décolle. J’entendis à l’autre bout du portable un grand soupir de soulagement :
— Si t’as du grain à moudre pour un article, je te donne ta matinée !
Que Mashida dépense ainsi en demi-journées sous-entendait un remerciement inégalable. Voilà que ma vie se remettait magiquement sur les rails ! Mon smartphone vibra pour accueillir le SMS de mon boss qui me présentait l’adresse ; enfin, adresse, ça ressemblait plutôt à une direction générale et je devrais foncer.
La nuit, Tokyo vibrait encore du poids de sa fourmilière qui ne s’éteindra jamais. Ses voitures inarrêtables qui ne trouvaient jamais de place pour se garer et erraient sur toutes les routes sans jamais freiner. Ses habitants encore bien habillés, sentant le bureau et l’épuisement. Moi au trot volontaire, mes lentilles de travail bien installées même si la droite me grattait, à la recherche d’un futur plus illuminé. Je traversais les avenues sans regarder, sans prêter garde, à moitié ébloui par les constellations de néons et de phares de la ville, des fenêtres encore allumées par dizaine sur les façades des immeubles. Même le froid semblait arrêter de mordre ; tel un chien pris de remords, il me léchait agréablement la peau, soufflant sur les plaines au-dessus les boulevards et entre les bâtiments.
Je repris enfin mes esprits de cette cavalcade de minuit, poussé par les lèvres d’Eirin jusqu’au lieu du rendez-vous. Le quartier était aux frontières des résidences et de rues commerçantes, on y distinguait des boutiques entre des parcs d’habitation. Il était difficile dans toutes ces activités encore débordantes de monde de trouver les sirènes, mais je vis se découper dans une rue adjacente des halos bleus et rouges vomis sur les murs qui trahissaient des véhicules publics. Peut-être que c’était par ici, mais pas dit, il y avait du potentiel par-là, un brin d’intuition me laissait penser qu’au fond plutôt, je trouverais mon compte. Je scellais l’accord : un rapide coup d'œil et je décalerais si nécessaire. Pris de frénésie, j’accélérais la cadence.
Les badauds formaient un arc-de-cercle dessiné par les forces de l’ordre alors que deux voitures avaient été mobilisées ainsi qu’une ambulance sur le qui-vive. Mais j’avais mon angle et commençai à enregistrer depuis la lentille de deux clics sur les branches de mes lunettes. D’un troisième, j’envoyai directement la vidéo à Mashida qui s’il le voulait, pouvais suivre en temps réel la situation.
De ce que je comprenais, on assistait à une descente d’immeuble classique et une victime semblait déjà être présente. Trois policiers vêtus d’armures s’étaient infiltrés dans l’immeuble et on pouvait entendre le son des pas des chars sur pattes. Toute la foule semblait hypnotisée par les étages supérieurs bien qu’il n’y ait aucun spectacle visible ; un son d’ordres et de portes claquées stimulait les imaginations. Je m’approchais discrètement de l’inspecteur en charge, un inconnu comme je n’étais pas dans mon quartier, mais je le sentais détendu et peu inquiet, ouvert certainement à la discussion. Il portait son badge bien en vue et un bonnet gris. Je me présentais et lui proposais une clope qu’il accepta volontiers et marqua sa surprise de me voir.
— Je ne pensais pas que l’Asahi enverrait quelqu’un. Ce n’est pas une affaire très importante.
— Hm, indiquais-je de la tête les différents véhicules sur le côté qui le trahissaient.
— Oui, admit-il, enfin bon. Suicide et drogue, rien de fou.
— 'Rien de fou' ? Vous en voyez de belles dans votre métier, répliquais-je avec une grimace cynique.
— Les mêmes que les vôtres. Mais les cadavres sont plus chauds.
Quatre personnes sortirent enfin de l’immeuble directement dans la cour, trois policiers et un menotté torse nu qui à la vue du public, le supplia :
— SAUVEZ-MOI ! JE NE SAVAIS PAS ! JE SUIS PAS COUPABLE, JE VOUS PRIE DE ME CROIRE.
— Notre coupable, m’indiqua du bout de sa clope le gus.
— JE NE SAVAIS PAS, continuait-il de crier en ne se débattant pas. Ou plus.
— Et derrière… il n’osa pas continuer car le brancard recouvert d’une bâche noire se suffisait à lui-même. Deux infirmiers masqués le poussaient maintenant sans hâte, arrivés trop tard.
Alors l'Arctique me glaça l’estomac, l’hiver entier se nicha dans ma tête. Ce type torse poil, légèrement grotesque, le crâne rasé et les yeux rouges, ne l’avais-je pas vu avant ?
C’était Chobyo.
Non impossible.
— JE NE SAVAIS PAS !
Si, c’était Chobyo. Son visage en pleurs disparut sous une portière de voiture qu’on fit claquer. Que foutait Chobyo dans cette histoire. Que foutait ce crétin de Chobyo dans cette histoire ?! L’inspecteur commenta quelque chose, mais sa voix se fit de plus en plus éloigné, comme s’il me parlait depuis un tunnel qui gagnait en longueur à chaque syllabe.
— Je le plains, ce type. Pris la main dans le sac.
— Le sac..., réussis-je à prononcer la voix blanche comme la mort alors que le brancard allait bientôt passer devant nous.
— Bah, j’ai dit que nous étions là pour suicide et drogue. Si la petite mariée avait pas couché avec, la police ne serait pas intervenue.
Pourquoi ce connard de Chobyo se trouvait dans la voiture d’un flic ? Mais il ne savait pas, il avait beuglé. Alors il avait embrassé ou fait l’amour avec une personne mariée, ceci se tenait. Mais pourquoi le suicide, pourquoi la drogue ?
— Elle avait dû tout calculer depuis le début, elle ne lui a laissé aucune chance. Enfin...
Plus mon cerveau posait et répondait aux questions, plus il faisait face à une absurdité totale contre laquelle il préférait se dérégler. Le temps s’était arrêté en-dehors ; et dedans, je ne sentais plus les secondes, elles passèrent toutes d’un coup comme tressées ensemble. L’hiver se prolongea et je crus que j’allais dégueuler sur place, pris à la gorge par ce brancard noir corbeau dont les roues se heurtaient aux vieux pavés de l’allée, qui passait devant moi sans me regarder.
— Après l’acte, elle s’est claquée une overdose absolue, fatale, un flacon entier de gélules de meth. Une dose pareille emporterait un éléphant en moins d’une heure. Il devra répondre à pas mal de questions.
Mon cerveau savait le nom du cadavre encore chaud qui était promené à la vue de tous, il ne parvenait juste pas à l’exprimer. L’horreur m’éclata au visage dans un sanglot qui avait la force d’une éruption volcanique et je me tordis le corps quand dans un sursaut, je crus reconnaître les boucles noires d’une fille que j’avais aimée. Une pluie imparable fuita de mes yeux alors que je tentais de régurgiter mon estomac tout entier qui comprimé dans ma gorge m’étouffait totalement. Je n’entendais plus l’inspecteur, je ne comprenais plus, je sentais à peine sa main et lui me demandant si je connaissais la victime. Je hurlai blanc, aucun son ne sortait de ma bouche mais j’étais pris d’un rouge du visage, d’un tremblement, que je ne distinguais plus rien et qu’il me semblait, l’émotion trop forte, que j’allais la rejoindre. Ils l’avaient forcée à quitter les Etats-Unis avec une lettre rose. Et elle avait craqué.
Sans le faire exprès, mon téléphone avait appelé Mashida pour lui signaler que ce n’était rien, d’une voix écrasée par le poids de l’ambulance qui partait sans urgence. Juste une histoire de suicide et de drogue, pensais-je alors que la police à son tour décampait. Seul restait la petite foule hagarde qui échangeait leurs témoignages, ces gens dégueulasses qui dressaient des théories pour faire mousser un drama auxquels ils étaient étrangers.
— Les Japonais n’ont plus aucune couille de nos jours, c’est à la mode de se suicider.
J’aurais dû trouver ces mots qui rien qu’en les prononçant, assassinaient la personne en-face. J’aurais dû retrouver mon courage et ramasser le RH, Mashida, mon futur et les jeter dans la même poubelle de mon mépris afin d’y lancer une allumette. J’aurais dû partir en explosions et grandir. Mais je n’étais plus Toson, je n’étais même pas le quart de moi. Je laissais couler son insulte et pire, je l’excusais. Cela n’avait aucune importance. Face à la mort, tout n’était que caprice.
— Désolé de t’avoir fait bouger pour ça.
— La personne qui est décédée était une amie chère.
— Ah bon ? jeta-t-il comme si je lui parlais du temps qu’il faisait.
— Est-ce que je pourrais prendre la journée de demain ?
— Quoi ? ... Je t’avais parlé de ta matinée, prends-la alors, me grogna-t-il dessus en me reprochant mon ingratitude. T’es dans le viseur des pontes Hirai, c’est un service que je te rends de ne pas te laisser trop chez-toi. Puis on fait bien mieux son deuil en bossant qu’en se lamentant à ne rien faire, je parle d’expérience.
On coupa la conversation et encore une fois, j’avais été resté civil et je n’en souffrais point. Comment subir plus ? Tout me faisait si mal et m’éviscerait les entrailles pour les enrouler autour de mon cœur et étouffer tout ce qui comptait d’organes, que de n’adresser aucun trouble à Mashida semblait être la seule insulte que j’étais capable de proférer. Le visage inquiet de Chyobo qui ne se rendait pas compte de l’amour ultime qu’elle lui avait témoigné me dégoûta proprement. Je reçus un SMS :
Mashida : Envoie-nous les enregistrements si ce n’est pas déjà fait, Takakazu en fera un article, il connaît quelques personnes. On est mercredi soir, prends ton jeudi et vendredi, reviens en forme lundi.
— Ta gueule.
Je ne pensais pas qu’on pouvait ressentir tant de peines sans s’effondrer inconscient ou mort. Qu’un autre être humain pouvait nous faire aussi mal. Encore maintenant et malgré les déboires accumulées dans ma vie, rien ne comparait avec la nuit que je passais aux enfers.
Le lendemain, mon âme versée dans les pleurs, je ne pensais à rien et tentais de rationnaliser la perte d’Eirin ou de trouver une autre sortie. Mais mes réflexions ne m’apportaient aucune force sinon de saboter les meilleurs souvenirs que j’avais eus avec elle. Je sentais les fossiles de bonheur se fissurer pour enfin se transformer en sable et laisser derrière eux une histoire sans morale ni signification que l’absurdité de l’amour et moi qui en étais comme d’habitude, la victime principale. Toute ma relation avec elle, la colonne vertébrale d’un Toson bienveillant et prêt à se déployer, n’avait maintenant de valeur que les paroles qu’elle avait répétées sans cesse, des paroles dans les airs, s’effaçant peu à peu au fur et à mesure que je les retrouvais et leur assignais leur nouveau poids.
J’eus en fin de soirée la présence d’esprit de me débarrasser de toute trace de méthamphétamine chez moi au cas où une brigade irait chercher l’âme du crime ; sans cela, dès vendredi, la police m’aurait coffré sur le tas et je partirai avec Chobyo en prison avec peine aggravée. Depuis ce jour, je me fis le serment d'arrêter de toucher à ce truc. Eirin avait pris notre dose pour la vie à nous deux...
Car la police vint, pour ne rien arranger, et alors que je voyais mon appartement comme un tombeau, il fut entièrement retourné de fond en comble par le commandement d’une légère feuille d'autorisation de perquisition. Cinq personnes en uniforme bien costaudes ne m’adressant que la plus sèche des courtoisies et me demandant de stationner près du chef dans le couloir, pénétrèrent dans mon intimité et la profanaient sans ambage ni intérêt quelconque. J’entendais les bruit des couverts dérangés, des portes claquées, des armoires violées et je ne savais faire qu’encaisser, le visage vide, sans savoir ce que je redoutais le plus qu’ils détruisent mon appartement pour être certain de ne rien me laisser, ou qu’ils me laissent de nouveau seul avec moi-même et ma fenêtre qui depuis le sixième, me susurrait une fin sale, mais fulgurante.
En début de semaine prochaine, je fus invoqué au commissariat afin de poser ma déposition. Dans une pièce fermée, un petit policier qui portait de maigres épaules pinçait la bouche en rédigeant ma déclaration et en me demandant de répéter mes phrases les plus importantes pour qu'on soit certains tous deux, de ce que je venais rapporter.
Que vouliez-vous que je fasse, je mentis bien sûr. Et quand on me demanda si en passant me voir, j'avais aperçu le fameux flacon qu'elle avait absorbé d'une bouchée totale, je dis que non. Une paranoïa instillée en moi depuis quelques jours croyait voir dans les yeux éteints de l'inspecteur une suspicion. Ses doigts lents semblaient avancer douloureusement sur le clavier, comme s'ils détectaient inconsciemment une fourberie. Pourtant, je sortis dehors trente minutes après, respirant l'air libre. Mais ma gorge ressentait un goût vicié. J'avais une envie soudaine qu'on me tire dessus pour m'abattre.
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Chapitre 6 : Grimper vers le bas
Pour marquer la différence avec les idées populaires qui rabaissaient les yakuzas au rang de racailles organisées anti-police, je décidais d'aborder un angle nouveau, nourri de mes entretiens. Je défendais l'idée que certains yakuzas n'adhéraient pas de facto aux idées révolutionnaires des Incontrôlables et qu'une frange discrète soutenait même l’Incontestable avec une ferveur religieuse qui dépassait de loin celle du patriote moyen. Je rappelais d'ailleurs que parmi les parents des premières vagues de yakuza, on retrouvait énormément de citoyens d’extrême-droite qui s'étaient vus en défenseurs ultimes de la patrie, le dernier rempart des valeurs japonaises qui à défaut de faire l’unanimité parmi les citoyens, sauvaient leurs faces (et les mœurs) en tabassant les autres rats qui n’avaient pas prêté allégeance à un daimon, ainsi que les immigrés coréens que leur guerre de fracture avait amené en masse sur notre île (jusqu’à ce qu’ils deviennent une manne principale et féroce des clans de yakuzas eux-mêmes, la logique contrairement à la vie, ne trouvait manifestement pas de chemin).
J'arguais que malgré le schisme entre le gouvernement et les yakuzas bien plus avéré aujourd’hui qu’il ne l’était à la fin du XXème siècle, ce n’était pas forcément encore le cas avec l’Incontestable qui quelque part, représentait un totem totalitaire devant lequel les Japonais les plus nationalistes ne pouvaient que s’incliner. La mentalité de quelques yakuzas, fermement raccrochée même si difforme, à l’importance de leur rôle social et se sentant les représentants du pays plus que du peuple, il était alors normal de considérer les relations asymétriques entre le rebelle, sa nation et ses politiques. L’Incontestable ne rendait en rien ces yakuzas plus émeutiers, au contraire, il en faisait la fierté, et en leur donnant une femme qui généralement avait des prises plus robustes avec la société civile, une légitimité.
Tout cela plus des témoignages, j’en parlais dans mon premier article qui eut l’honneur de faire la une de l’Asahi un jour en été où les nouvelles restaient chez elles, échaudées par le temps. J’eus des félicitations de l’équipe, plus un applaudissement revêche et une bouteille de champagne de Mashida. Cela marquait officieusement la confirmation de ma titularisation, ce qui allait avec un salaire dont le cachet dépassait de loin ce que je touchais avant, de nombreux avantages en nature (des tickets pour des matchs de base-ball et de foot, un véhicule de transport - pour moi un scooter - ou encore des réductions dans certains restaurants). On m’appelait encore Ambonnay mais ce souvenir s’altérait petit à petit sous la chaleur de la reconnaissance de mes collègues, et cette trappe odieuse qui avait maudit mes débuts à l’Asahi s’était bombée sous la succès de mon parcours, pour devenir la première marche vers le journaliste accompli que je devenais. Mon analyse minutieuse et mes interviews exclusives me valurent des compliments jusqu’au quartier général. Oh, je n'avais pas encore eu le droit de couvrir le Big Bang Kiss, le coup de poker le plus délirant contre l'Incontestable jamais fait en plus de cinquante ans d'existence - dieu que j'aurais donné pour y être - mais les articles importants me passeraient bientôt sous la main.
Pendant quatre années depuis le dîner où Haiko avait accepté notre collaboration, l’accumulation de mes misères avait arrêté de s’engraisser sur mon dos, et peu à peu, avait même commencé à s’évaporer vaincue par les circonstances. Grâce à mes témoignages exclusifs d'un côté, et surtout le modeste réseau de sources donné à travers tout le quartier de Kabukicho construit petit à petit par des suggestions d'Haiko quand il estimait que ses hommes n'étaient pas assez "pertinents" pour répondre, j’étais bien plus sollicité qu’auparavant et plus rapidement. Mes succès avaient garanti mon poste, et mon poste, mon compte en banque.
Quand je tenais l'idée d'un article, suite à l'actualité brûlante ou quand elle faisait défaut, un sujet plus général et qu'il me fallait l'aide des ressources d'Haiko, voilà comment cela se passait. Déjà, je passais un coup de fil et lui expliquais ce que j'avais en tête. Soit il m'orientait vers des bons contacts que je gardais dans mon répertoire, soit il sélectionnait parmi ses différentes équipes les hommes appropriés. Généralement, les interviews se faisaient par téléphone (et j'imaginais qu'un supérieur écoutait tout l'échange) mais il était arrivé de faire d'en faire cinq fois en entrevue directe, toujours avec la participation d'Haiko qui sirotait un café à-côté en faisant mine de ne rien entendre. Jamais il ne s'était désigné lui-même pour répondre aux questions.
Si Haiko, dont le statut de général de l’Inagawa-kai m’avait abordé comme tel, avec l’aura d’un homme puissant pour qui le monde n’était qu’un terrain de jeux, il devint au fur et à mesure de mes visites et des contrôles sur mes articles, une chaleureuse connaissance qui savait accueillir avec honneur et sympathie, en n'omettant jamais une politesse flegmatique pour garder une forme de distance entre nous. Même si ce fut rare, ce fut toujours un plaisir de retrouver sa sérénité bouddhiste le soir quand son travail le lâchait, à partager le café ensemble et à échanger des petits mots avec Ayaka dont la joie de vivre illuminait la pièce. Je me plaisais à me dire qu’elle était le soleil du foyer quant Haiko était la lune… derrière des nuages. Lui préférait rester discret sur ses affaires mais il me parlait de son passé où il avait commencé dans les rares postes de lieutenant de la marine, avant de céder après dix ans de service, à un destin plus fructueux. De mon côté, je lui racontais ma vie plus en détails même si je restais confus sur tout ce qui me touchait véritablement, avec la même pudeur que lui quand il esquivait son travail. Finalement, je lui appris l’entièreté de l’histoire avec Eirin et par un geste d’une prévenance rare, pour me remercier d’avoir réussi à m’ouvrir autant, il dégoupilla une bouteille de saké. Depuis ce moment, je sentis qu'un lien de confiance s'était établi, bien qu'il était difficile de l'affirmer complètement : son visage impassible restait une forteresse impénétrable.
Eirin, à qui mes pensées volaient des fois et revenaient avec un goût amer à même de creuser un trou dans la poitrine, ne pouvait pas plus ressusciter que l’Incontestable faire l’unanimité dans le monde, et je ne trouvais aucune fille qui dans mes pérégrinations, trouva en moi l’écho qu’elle eut, ou pu bâtir une terre, un pays, encore moins un continent comme Eirin l’avait fait en moi. Le procès de Chobyo se tiendrait bientôt ; j’étais appelé par la Justice afin de raconter mon rôle aux juges cette nuit, et même si j’avais payé les conseils d’un avocat et qu’il m’avait expliqué que je ne serais là qu’en tant que témoin et qu'aucune accusation ne me serait portée, je ne pouvais pas prétendre que j’étais parfaitement serein. J’attendais la date sans impatience et pourtant, je voulais refermer cette porte à tout prix. En sachant bien sûr qu’un deuil de cette ampleur pouvait éteindre ses flammes les plus brusques, mais les braises resteraient chaudes à jamais.
Mon autre grande réussite était intérieure : à rafler les victoires, je pouvais, moi pourtant si mal parti, humer l’atmosphère des traders, des rentiers ou des yakuzas eux-mêmes, dont la vie pavée d’or prenait en largeur comme en hauteur jusqu’à conduire au-dessus des simples mortels. Je prenais une confiance oxydée en moi et voyais s'épanouir le Toson adulte, une des figures du quartier qui connaissait les bons tuyaux et les mauvaises personnes, à qui l’on devait au minimum la politesse. Je prenais enfin ma place dans le monde et comme je l’avais décrété, ce fut à coups de dynamite.
Il me fallut avoir les épaules solides pour supporter un milieu qui m'écrasait souvent sous une pression constante, sans compter une volonté inflexible et savoir parler à des hommes qui avaient souvent perdu pied avec la société. Peut-être que si Eirin avait été avec moi, elle se serait rendue compte de ma transformation et l’aurait arrêtée avant que mon âme n’en fut retournée, avant que mes mains ne deviennent noires des miasmes de vice dans lesquels je plongeais. Mais elle était morte, et j'appliquais dans ma frénésie à fréquenter mes ordures, ma vengeance.
J’avais le droit dans la plupart des bars à un shot au comptoir et une discussion aimable avec le serveur, on s’inclinait devant moi poliment quand je venais prendre les nouvelles, on me chuchotait en sus quelque rumeurs suspectes qu’on entendait souffler dans les ruelles du quartier que même les néons ne recouvraient pas, le spectacle sulfureux de vingt heures, pour peu que je ne sois pas encore à traîner dans les bureaux, m’ouvrait ses portes gratuitement si une place proche de la scène était vide.
J'appris à mieux connaître Inoue et Izuru, les deux hommes les plus proches d'Haiko, bien que je ne les croisais que rarement. Il y avait chez Inoue une force brute élevée au goudron et à la moto, une manière de vivre et de parler qui ne me parlait pas. C’était un homme intéressant qui semblait avoir perdu depuis des années sa boussole et qui se jetait à corps perdu dans la loyauté et le respect des règles. Ce n’était pas par conviction qu’il endossait le rôle du yakuza pieux comme l’avait dicté la volonté d’Haiko, mais plutôt par soumission complaisante avec l’autorité.
Quant à Izuru, je l’avais croisé quelques fois en repas chez Haiko mais jamais on ne s’était adressé la parole plus que la politesse ne l’exigeait. Les années ne dégrossissaient pas son humeur et on m’avait fait comprendre que si la décision lui appartenait, il me virerait de leur entourage aussi vite que possible. Il me voyait dans leur cercle que comme une drôle de mascotte civile, un petit singe qui faisait des tours et qui distrayait leur boss le temps d’un apéro, tout comme l’année dernière il s’était mis aux mots croisés.
Pour le reste, ma vie filait comme un coup de tonnerre. Je marchais enfin au rythme des jours, je ne me sentais à la traîne de personne et si j’engrangeais des ennemis ici et là et des disputes, si les colères montaient, je continuais à avancer. Je me gavais de vie comme un ours de miel. Plein d'alcool, j’étais persuadé de faire partie de ces demi-héros que l’on rencontrait dans les mythes ou les romans les plus enflammés, qui semblaient avoir de l’or qui coulait à la place du sang et qui laissait derrière leur pas une trace enflammée. Ma vie était comme une succession de beuveries enchaînées qui m’empêchaient de subir une gueule de bois, je vivais au-dessus de la mortalité. Ce fut un temps où je ne m’introspectais plus et où je ne me posais plus, comme si j’avais peur de provoquer une malédiction qui me renverrait à ces moments éperdus où je pleurais trop.
Quand je tournais la tête en arrière pour y retrouver le pauvre que j’étais après la mort d’Eirin, endetté et terminé, je n’avais pas plus de sentiment qu’en regardant un mur sale un jour de brouillard. Les bonnes journées, je dominais ce pauvre spectre. Mais certains mauvais soirs… comment pourrais-je le dire, j’avais l’impression de le fuir. J’avais changé d’appartement pour un avec un velux, qu’il ne fasse plus jamais sombre, même si j’y passais très peu de temps. Ma vie tournait glorieusement entre mon travail où mes articles étaient enfin appréciés et les rues qui m’accueillaient en leur sein. Je me faisais des amis, je soignais mes relations, j’avais toujours un verre au bec et une histoire à raconter ou à entendre. Voilà ce que je pensais : j’étais enfin devenu quelqu’un que je respectais.
L’obscurité de ma piaule s’épaississait de jour en jour, profitant de l’hiver pour mordre l’après-midi, puis de l’injustice pour me plonger en son sein plus profondément.
Dans mon studio sous les combles, j’encaissais encore mon entrevue avec les ressources humaines. Un an et demi que j’étais à l’Asahi Shimbun et je ne présentais pas les qualités requises pour être définitivement titularisé. L’homme chauve qui devait avoir un grand-parent indien, derrière son bureau blanc qui le sauvait du naufrage auquel il me condamnait doucement, me l’avait dit sans grand sentiment, sans froideur ni encouragement, comme si je n’étais qu’une somme de chiffres qui ne rendaient pas un résultat très égal ; pour moi qui cherchais de l’affectif, son ton avait été d’une brutalité implacable à plier des genoux. J’avais encore six mois pour prouver ma valeur avant qu’on ne me rende à la rue. J’avais bien dit que je m’entendais bien avec les policiers et que je passais beaucoup de temps à leur parler et prendre des nouvelles des uns et des familles, on me rétorqua un haussement d’épaules. Manifestement, ça manquait de conséquence.
Aujourd’hui, en pleine rédaction d’article cet après-midi, ma conseillère bancaire m’avait appelé, et avec un énorme sourire et une politesse qu’on servait aux grands dignitaires du monde, elle m’avait aimablement rappelé que mes dettes écroulaient mon plafond et que j’allais dans une semaine passer dans la zone rouge si je ne rectifiais pas vite la situation. Bref, qu'à tout jamais on me contrôlerait bien plus que d’autres quand je voudrais à l’avenir emprunter et qu’on pourrait me refuser tout service sans justification.
Je n’en pouvais plus, je perdais pied. Et depuis le sixième étage, je voyais mon avenir hors de l’Asahi… Ou hors de ma fenêtre. En un mot comme en cent, j’étais enfin devenu la personne que mon père voyait quand il me regardait. La chose minable sans grande portée, perclus de faiblesses, sans grande dignité, qui bataillait pour se tenir debout, qui n’avait les compétences que pour frôler du bout des doigts, en tendant son corps au maximum, la cloche de pollution de la ville. J’étais enfin remis à ma place, assis sur une couette minable, dans un appartement minable, des mauvais amis, des collègues qui n’en seraient bientôt plus. Je pensais à Eirin mais le quotidien avait aplani nos appels… À trop se parler sans se toucher, se dire “Je t’aime” sans se le prouver, nous n’avions fait qu’empoisonner l’eau du lac qui nous permettait pourtant de supporter la soif du manque. Nous affaiblissions nos promesses et nos joies en conditionnant l’autre trop longtemps à supporter des paroles et des verbes. Sans contact, on perd le goût de la chaleur de l’autre.
Cela faisait trois mois que je sentais que tout me filait entre les doigts, comme s’ils étaient trop grossiers pour maintenir la subtilité d’un équilibre de vie sain. Et chaque semaine coulant dans la même direction, j’étais avalé dans un maëlstrom où j’étais confronté tout simplement au fait que je n’étais pas assez bon. Je ne gérais plus rien…
— C’est injuste.
Qui rigole à cette phrase me fend le cœur de son indifférence… Nous savons dire beaucoup de phrases en tant qu’espèce mais leurs significations se rangeaient en des catégories plus épaisses qui ne comptaient pas selon moi, plus de dix occurrences. “Je t’aime”, “Regardez-moi”, “J’aurais voulu plus”, “C’est injuste”... Qu’un enfant ou un adulte utilise directement ces termes, revient alors jusqu’à la source des significations de nos communications, et j’y trouvais toujours un élan pur que je respecterais toujours. Mais là, je n’avais plus la force d’empathir avec qui que ce soit. J’avais déjà du mal avec moi-même.
Je retenais les larmes dans un combat perpétuel, le cerveau tournant en boucle jusqu’à me faire craquer puis je me consolais en disant que pas si loin, je pourrais trouver de l’alcool ou de la drogue. Deux amis qui adoucissaient mes peines tout en les renforçant ; avait-on vu quelqu’un s’envoler avec ce genre d’ailes ? Je savais que je précipitais ma chute mais quitte à descendre, autant profiter des caresses du vent.
A cette soirée qui n’était que la copie-carbone des cent autres avant, mon téléphone sonna et une faille vers le paradis s’ouvrit sous mes pieds. Un message d’Eirin. Mon coeur se mit à bondir à la lecture et mes jambes se mirent à trembler, me bloquant assis.
Eirin : Surprise !
Eirin : Je suis de retour à Tokyo, je voulais garder ça sous silence mais je n’ai pas pu m’empêcher de te le dire d’abord
Eirin : Est-ce qu’on peut se voir ce soir ?
Eirin : Désolé ! Je suis heureuse d’être de retour o/
Mon dieu mon dieu mon dieu ! Branle-bas le combat, haut-le-cœur, fanfare ! Eirin est revenue !
Sans calcul, je lui envoie l’adresse, puis des mots d’amour, puis je lance le téléphone sur le lit vérifier au miroir que mon visage était présentable. Je me prépare comme une tornade qui fleurit. Cheveux, eau de cologne, belle chemise, barbe de dix jours à barbe de trois jours. Je cache mes cernes derrière mes lunettes, je remets mes cheveux en place pour masquer les baies, je respire la bouche ouverte pour aérer le palais, je garde mon téléphone près de moi. Impossible. Est-ce que l’ange qui en-haut s’occupait de moi avait dû payer mes déboires pour m’offrir un miracle pareil ?
Vingt secondes après, ou vingt minutes, peut-être une heure, qui savait, j’ouvris la porte à la fille que j’aime et le monde se redressa droit alors que je la voyais. Ses cheveux étaient légèrement plus longs qu’avant et son visage accusait un début de patte d’oie. Ses bras s’enroulèrent derrière ma nuque et cinq minutes sur le seuil nous virent nous retrouver dans une étreinte plus solide que ma dépression.
— Je suis vraiment désolée de ne pas pouvoir rester. J’aurais dû te prévenir demain mais je ne pouvais pas attendre, me chuchota-t-elle dans le coin de l’oreille. Je dois partir. Puis elle défit sa posture d’un petit sourire timide. Je voulais juste te dire coucou.
— Mais tu vas où ?
— Je ne peux pas te le dire ! rigola-t-elle.
— Mais pourquoi ?
— Parce que c’est un cadeau, crétin !
Très bien, je me tus.
— Et bien, prépare bien tout ça, lui dis-je, surpris d’une telle préparation.
— Merci !
Elle finit par me demander un flacon de meth parce qu’elle se sevrait depuis trop longtemps et je lui donnais avec plaisir un flacon plein. Je lui dis que je l’aimais avant qu’elle ne disparaisse du couloir d’où elle s’était envolée. Puis comme si elle n’était jamais revenue, le rêve s’éteignit et je me retrouvai seul à nouveau sur le palier de ma porte. J’humais son parfum pour confirmer qu’elle avait bien été là, je cherchais les contours de la lumière au cas où son corps aurait laissé une empreinte. Sonné par l’uppercut, je rentrai chez moi et j’abandonnai toute idée de murge. Les promesses qu’on s’était dites au téléphone, voire encore avant quand nous étions collés l’un à l’autre dans le métro à attendre notre station, ces promesses de réussite, de croire en soi, revenaient avec la solidité d’une condensation renouvelée. Les six mois que m’avaient laissé les ressources humaines me semblaient trop longues et mon potentiel, trop large, pour juger impossible de sécuriser mon poste à l’Asahi. Une ardeur de renaissance fouettait mon esprit et le chariot tout entier de ma volonté se remit à avancer.
Il me fut impossible de dormir et je tins éveillé par les tambours du cœur. Une aubaine pour moi car Mashida me passa un appel alors que minuit approchait à grands pas, et je pris l’appel avec une énergie pleine.
— Les flics s’agitent Hirai ! Besoin de toi sur le terrain, t’as tes pompes, t’es dispo ? Plus ses questions avançaient et plus un semblant de décence le prenait.
— Je suis dispo, oui ! Mais je suis chez moi actuellement.
— C’est bien, c’est tant mieux, je craignais que tu sois à Kabukicho. Non, le souci se trouve près de ton logement, je me permettais de t’appeler. T’es à quinze minutes à pied.
— Donnez-moi l’adresse et je décolle. J’entendis à l’autre bout du portable un grand soupir de soulagement :
— Si t’as du grain à moudre pour un article, je te donne ta matinée !
Que Mashida dépense ainsi en demi-journées sous-entendait un remerciement inégalable. Voilà que ma vie se remettait magiquement sur les rails ! Mon smartphone vibra pour accueillir le SMS de mon boss qui me présentait l’adresse ; enfin, adresse, ça ressemblait plutôt à une direction générale et je devrais foncer.
La nuit, Tokyo vibrait encore du poids de sa fourmilière qui ne s’éteindra jamais. Ses voitures inarrêtables qui ne trouvaient jamais de place pour se garer et erraient sur toutes les routes sans jamais freiner. Ses habitants encore bien habillés, sentant le bureau et l’épuisement. Moi au trot volontaire, mes lentilles de travail bien installées même si la droite me grattait, à la recherche d’un futur plus illuminé. Je traversais les avenues sans regarder, sans prêter garde, à moitié ébloui par les constellations de néons et de phares de la ville, des fenêtres encore allumées par dizaine sur les façades des immeubles. Même le froid semblait arrêter de mordre ; tel un chien pris de remords, il me léchait agréablement la peau, soufflant sur les plaines au-dessus les boulevards et entre les bâtiments.
Je repris enfin mes esprits de cette cavalcade de minuit, poussé par les lèvres d’Eirin jusqu’au lieu du rendez-vous. Le quartier était aux frontières des résidences et de rues commerçantes, on y distinguait des boutiques entre des parcs d’habitation. Il était difficile dans toutes ces activités encore débordantes de monde de trouver les sirènes, mais je vis se découper dans une rue adjacente des halos bleus et rouges vomis sur les murs qui trahissaient des véhicules publics. Peut-être que c’était par ici, mais pas dit, il y avait du potentiel par-là, un brin d’intuition me laissait penser qu’au fond plutôt, je trouverais mon compte. Je scellais l’accord : un rapide coup d'œil et je décalerais si nécessaire. Pris de frénésie, j’accélérais la cadence.
Les badauds formaient un arc-de-cercle dessiné par les forces de l’ordre alors que deux voitures avaient été mobilisées ainsi qu’une ambulance sur le qui-vive. Mais j’avais mon angle et commençai à enregistrer depuis la lentille de deux clics sur les branches de mes lunettes. D’un troisième, j’envoyai directement la vidéo à Mashida qui s’il le voulait, pouvais suivre en temps réel la situation.
De ce que je comprenais, on assistait à une descente d’immeuble classique et une victime semblait déjà être présente. Trois policiers vêtus d’armures s’étaient infiltrés dans l’immeuble et on pouvait entendre le son des pas des chars sur pattes. Toute la foule semblait hypnotisée par les étages supérieurs bien qu’il n’y ait aucun spectacle visible ; un son d’ordres et de portes claquées stimulait les imaginations. Je m’approchais discrètement de l’inspecteur en charge, un inconnu comme je n’étais pas dans mon quartier, mais je le sentais détendu et peu inquiet, ouvert certainement à la discussion. Il portait son badge bien en vue et un bonnet gris. Je me présentais et lui proposais une clope qu’il accepta volontiers et marqua sa surprise de me voir.
— Je ne pensais pas que l’Asahi enverrait quelqu’un. Ce n’est pas une affaire très importante.
— Hm, indiquais-je de la tête les différents véhicules sur le côté qui le trahissaient.
— Oui, admit-il, enfin bon. Suicide et drogue, rien de fou.
— 'Rien de fou' ? Vous en voyez de belles dans votre métier, répliquais-je avec une grimace cynique.
— Les mêmes que les vôtres. Mais les cadavres sont plus chauds.
Quatre personnes sortirent enfin de l’immeuble directement dans la cour, trois policiers et un menotté torse nu qui à la vue du public, le supplia :
— SAUVEZ-MOI ! JE NE SAVAIS PAS ! JE SUIS PAS COUPABLE, JE VOUS PRIE DE ME CROIRE.
— Notre coupable, m’indiqua du bout de sa clope le gus.
— JE NE SAVAIS PAS, continuait-il de crier en ne se débattant pas. Ou plus.
— Et derrière… il n’osa pas continuer car le brancard recouvert d’une bâche noire se suffisait à lui-même. Deux infirmiers masqués le poussaient maintenant sans hâte, arrivés trop tard.
Alors l'Arctique me glaça l’estomac, l’hiver entier se nicha dans ma tête. Ce type torse poil, légèrement grotesque, le crâne rasé et les yeux rouges, ne l’avais-je pas vu avant ?
C’était Chobyo.
Non impossible.
— JE NE SAVAIS PAS !
Si, c’était Chobyo. Son visage en pleurs disparut sous une portière de voiture qu’on fit claquer. Que foutait Chobyo dans cette histoire. Que foutait ce crétin de Chobyo dans cette histoire ?! L’inspecteur commenta quelque chose, mais sa voix se fit de plus en plus éloigné, comme s’il me parlait depuis un tunnel qui gagnait en longueur à chaque syllabe.
— Je le plains, ce type. Pris la main dans le sac.
— Le sac..., réussis-je à prononcer la voix blanche comme la mort alors que le brancard allait bientôt passer devant nous.
— Bah, j’ai dit que nous étions là pour suicide et drogue. Si la petite mariée avait pas couché avec, la police ne serait pas intervenue.
Pourquoi ce connard de Chobyo se trouvait dans la voiture d’un flic ? Mais il ne savait pas, il avait beuglé. Alors il avait embrassé ou fait l’amour avec une personne mariée, ceci se tenait. Mais pourquoi le suicide, pourquoi la drogue ?
— Elle avait dû tout calculer depuis le début, elle ne lui a laissé aucune chance. Enfin...
Plus mon cerveau posait et répondait aux questions, plus il faisait face à une absurdité totale contre laquelle il préférait se dérégler. Le temps s’était arrêté en-dehors ; et dedans, je ne sentais plus les secondes, elles passèrent toutes d’un coup comme tressées ensemble. L’hiver se prolongea et je crus que j’allais dégueuler sur place, pris à la gorge par ce brancard noir corbeau dont les roues se heurtaient aux vieux pavés de l’allée, qui passait devant moi sans me regarder.
— Après l’acte, elle s’est claquée une overdose absolue, fatale, un flacon entier de gélules de meth. Une dose pareille emporterait un éléphant en moins d’une heure. Il devra répondre à pas mal de questions.
Mon cerveau savait le nom du cadavre encore chaud qui était promené à la vue de tous, il ne parvenait juste pas à l’exprimer. L’horreur m’éclata au visage dans un sanglot qui avait la force d’une éruption volcanique et je me tordis le corps quand dans un sursaut, je crus reconnaître les boucles noires d’une fille que j’avais aimée. Une pluie imparable fuita de mes yeux alors que je tentais de régurgiter mon estomac tout entier qui comprimé dans ma gorge m’étouffait totalement. Je n’entendais plus l’inspecteur, je ne comprenais plus, je sentais à peine sa main et lui me demandant si je connaissais la victime. Je hurlai blanc, aucun son ne sortait de ma bouche mais j’étais pris d’un rouge du visage, d’un tremblement, que je ne distinguais plus rien et qu’il me semblait, l’émotion trop forte, que j’allais la rejoindre. Ils l’avaient forcée à quitter les Etats-Unis avec une lettre rose. Et elle avait craqué.
Sans le faire exprès, mon téléphone avait appelé Mashida pour lui signaler que ce n’était rien, d’une voix écrasée par le poids de l’ambulance qui partait sans urgence. Juste une histoire de suicide et de drogue, pensais-je alors que la police à son tour décampait. Seul restait la petite foule hagarde qui échangeait leurs témoignages, ces gens dégueulasses qui dressaient des théories pour faire mousser un drama auxquels ils étaient étrangers.
— Les Japonais n’ont plus aucune couille de nos jours, c’est à la mode de se suicider.
J’aurais dû trouver ces mots qui rien qu’en les prononçant, assassinaient la personne en-face. J’aurais dû retrouver mon courage et ramasser le RH, Mashida, mon futur et les jeter dans la même poubelle de mon mépris afin d’y lancer une allumette. J’aurais dû partir en explosions et grandir. Mais je n’étais plus Toson, je n’étais même pas le quart de moi. Je laissais couler son insulte et pire, je l’excusais. Cela n’avait aucune importance. Face à la mort, tout n’était que caprice.
— Désolé de t’avoir fait bouger pour ça.
— La personne qui est décédée était une amie chère.
— Ah bon ? jeta-t-il comme si je lui parlais du temps qu’il faisait.
— Est-ce que je pourrais prendre la journée de demain ?
— Quoi ? ... Je t’avais parlé de ta matinée, prends-la alors, me grogna-t-il dessus en me reprochant mon ingratitude. T’es dans le viseur des pontes Hirai, c’est un service que je te rends de ne pas te laisser trop chez-toi. Puis on fait bien mieux son deuil en bossant qu’en se lamentant à ne rien faire, je parle d’expérience.
On coupa la conversation et encore une fois, j’avais été resté civil et je n’en souffrais point. Comment subir plus ? Tout me faisait si mal et m’éviscerait les entrailles pour les enrouler autour de mon cœur et étouffer tout ce qui comptait d’organes, que de n’adresser aucun trouble à Mashida semblait être la seule insulte que j’étais capable de proférer. Le visage inquiet de Chyobo qui ne se rendait pas compte de l’amour ultime qu’elle lui avait témoigné me dégoûta proprement. Je reçus un SMS :
Mashida : Envoie-nous les enregistrements si ce n’est pas déjà fait, Takakazu en fera un article, il connaît quelques personnes. On est mercredi soir, prends ton jeudi et vendredi, reviens en forme lundi.
— Ta gueule.
Je ne pensais pas qu’on pouvait ressentir tant de peines sans s’effondrer inconscient ou mort. Qu’un autre être humain pouvait nous faire aussi mal. Encore maintenant et malgré les déboires accumulées dans ma vie, rien ne comparait avec la nuit que je passais aux enfers.
Le lendemain, mon âme versée dans les pleurs, je ne pensais à rien et tentais de rationnaliser la perte d’Eirin ou de trouver une autre sortie. Mais mes réflexions ne m’apportaient aucune force sinon de saboter les meilleurs souvenirs que j’avais eus avec elle. Je sentais les fossiles de bonheur se fissurer pour enfin se transformer en sable et laisser derrière eux une histoire sans morale ni signification que l’absurdité de l’amour et moi qui en étais comme d’habitude, la victime principale. Toute ma relation avec elle, la colonne vertébrale d’un Toson bienveillant et prêt à se déployer, n’avait maintenant de valeur que les paroles qu’elle avait répétées sans cesse, des paroles dans les airs, s’effaçant peu à peu au fur et à mesure que je les retrouvais et leur assignais leur nouveau poids.
J’eus en fin de soirée la présence d’esprit de me débarrasser de toute trace de méthamphétamine chez moi au cas où une brigade irait chercher l’âme du crime ; sans cela, dès vendredi, la police m’aurait coffré sur le tas et je partirai avec Chobyo en prison avec peine aggravée. Depuis ce jour, je me fis le serment d'arrêter de toucher à ce truc. Eirin avait pris notre dose pour la vie à nous deux...
Car la police vint, pour ne rien arranger, et alors que je voyais mon appartement comme un tombeau, il fut entièrement retourné de fond en comble par le commandement d’une légère feuille d'autorisation de perquisition. Cinq personnes en uniforme bien costaudes ne m’adressant que la plus sèche des courtoisies et me demandant de stationner près du chef dans le couloir, pénétrèrent dans mon intimité et la profanaient sans ambage ni intérêt quelconque. J’entendais les bruit des couverts dérangés, des portes claquées, des armoires violées et je ne savais faire qu’encaisser, le visage vide, sans savoir ce que je redoutais le plus qu’ils détruisent mon appartement pour être certain de ne rien me laisser, ou qu’ils me laissent de nouveau seul avec moi-même et ma fenêtre qui depuis le sixième, me susurrait une fin sale, mais fulgurante.
En début de semaine prochaine, je fus invoqué au commissariat afin de poser ma déposition. Dans une pièce fermée, un petit policier qui portait de maigres épaules pinçait la bouche en rédigeant ma déclaration et en me demandant de répéter mes phrases les plus importantes pour qu'on soit certains tous deux, de ce que je venais rapporter.
Que vouliez-vous que je fasse, je mentis bien sûr. Et quand on me demanda si en passant me voir, j'avais aperçu le fameux flacon qu'elle avait absorbé d'une bouchée totale, je dis que non. Une paranoïa instillée en moi depuis quelques jours croyait voir dans les yeux éteints de l'inspecteur une suspicion. Ses doigts lents semblaient avancer douloureusement sur le clavier, comme s'ils détectaient inconsciemment une fourberie. Pourtant, je sortis dehors trente minutes après, respirant l'air libre. Mais ma gorge ressentait un goût vicié. J'avais une envie soudaine qu'on me tire dessus pour m'abattre.
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Chapitre 6 : Grimper vers le bas
Pour marquer la différence avec les idées populaires qui rabaissaient les yakuzas au rang de racailles organisées anti-police, je décidais d'aborder un angle nouveau, nourri de mes entretiens. Je défendais l'idée que certains yakuzas n'adhéraient pas de facto aux idées révolutionnaires des Incontrôlables et qu'une frange discrète soutenait même l’Incontestable avec une ferveur religieuse qui dépassait de loin celle du patriote moyen. Je rappelais d'ailleurs que parmi les parents des premières vagues de yakuza, on retrouvait énormément de citoyens d’extrême-droite qui s'étaient vus en défenseurs ultimes de la patrie, le dernier rempart des valeurs japonaises qui à défaut de faire l’unanimité parmi les citoyens, sauvaient leurs faces (et les mœurs) en tabassant les autres rats qui n’avaient pas prêté allégeance à un daimon, ainsi que les immigrés coréens que leur guerre de fracture avait amené en masse sur notre île (jusqu’à ce qu’ils deviennent une manne principale et féroce des clans de yakuzas eux-mêmes, la logique contrairement à la vie, ne trouvait manifestement pas de chemin).
J'arguais que malgré le schisme entre le gouvernement et les yakuzas bien plus avéré aujourd’hui qu’il ne l’était à la fin du XXème siècle, ce n’était pas forcément encore le cas avec l’Incontestable qui quelque part, représentait un totem totalitaire devant lequel les Japonais les plus nationalistes ne pouvaient que s’incliner. La mentalité de quelques yakuzas, fermement raccrochée même si difforme, à l’importance de leur rôle social et se sentant les représentants du pays plus que du peuple, il était alors normal de considérer les relations asymétriques entre le rebelle, sa nation et ses politiques. L’Incontestable ne rendait en rien ces yakuzas plus émeutiers, au contraire, il en faisait la fierté, et en leur donnant une femme qui généralement avait des prises plus robustes avec la société civile, une légitimité.
Tout cela plus des témoignages, j’en parlais dans mon premier article qui eut l’honneur de faire la une de l’Asahi un jour en été où les nouvelles restaient chez elles, échaudées par le temps. J’eus des félicitations de l’équipe, plus un applaudissement revêche et une bouteille de champagne de Mashida. Cela marquait officieusement la confirmation de ma titularisation, ce qui allait avec un salaire dont le cachet dépassait de loin ce que je touchais avant, de nombreux avantages en nature (des tickets pour des matchs de base-ball et de foot, un véhicule de transport - pour moi un scooter - ou encore des réductions dans certains restaurants). On m’appelait encore Ambonnay mais ce souvenir s’altérait petit à petit sous la chaleur de la reconnaissance de mes collègues, et cette trappe odieuse qui avait maudit mes débuts à l’Asahi s’était bombée sous la succès de mon parcours, pour devenir la première marche vers le journaliste accompli que je devenais. Mon analyse minutieuse et mes interviews exclusives me valurent des compliments jusqu’au quartier général. Oh, je n'avais pas encore eu le droit de couvrir le Big Bang Kiss, le coup de poker le plus délirant contre l'Incontestable jamais fait en plus de cinquante ans d'existence - dieu que j'aurais donné pour y être - mais les articles importants me passeraient bientôt sous la main.
Pendant quatre années depuis le dîner où Haiko avait accepté notre collaboration, l’accumulation de mes misères avait arrêté de s’engraisser sur mon dos, et peu à peu, avait même commencé à s’évaporer vaincue par les circonstances. Grâce à mes témoignages exclusifs d'un côté, et surtout le modeste réseau de sources donné à travers tout le quartier de Kabukicho construit petit à petit par des suggestions d'Haiko quand il estimait que ses hommes n'étaient pas assez "pertinents" pour répondre, j’étais bien plus sollicité qu’auparavant et plus rapidement. Mes succès avaient garanti mon poste, et mon poste, mon compte en banque.
Quand je tenais l'idée d'un article, suite à l'actualité brûlante ou quand elle faisait défaut, un sujet plus général et qu'il me fallait l'aide des ressources d'Haiko, voilà comment cela se passait. Déjà, je passais un coup de fil et lui expliquais ce que j'avais en tête. Soit il m'orientait vers des bons contacts que je gardais dans mon répertoire, soit il sélectionnait parmi ses différentes équipes les hommes appropriés. Généralement, les interviews se faisaient par téléphone (et j'imaginais qu'un supérieur écoutait tout l'échange) mais il était arrivé de faire d'en faire cinq fois en entrevue directe, toujours avec la participation d'Haiko qui sirotait un café à-côté en faisant mine de ne rien entendre. Jamais il ne s'était désigné lui-même pour répondre aux questions.
Si Haiko, dont le statut de général de l’Inagawa-kai m’avait abordé comme tel, avec l’aura d’un homme puissant pour qui le monde n’était qu’un terrain de jeux, il devint au fur et à mesure de mes visites et des contrôles sur mes articles, une chaleureuse connaissance qui savait accueillir avec honneur et sympathie, en n'omettant jamais une politesse flegmatique pour garder une forme de distance entre nous. Même si ce fut rare, ce fut toujours un plaisir de retrouver sa sérénité bouddhiste le soir quand son travail le lâchait, à partager le café ensemble et à échanger des petits mots avec Ayaka dont la joie de vivre illuminait la pièce. Je me plaisais à me dire qu’elle était le soleil du foyer quant Haiko était la lune… derrière des nuages. Lui préférait rester discret sur ses affaires mais il me parlait de son passé où il avait commencé dans les rares postes de lieutenant de la marine, avant de céder après dix ans de service, à un destin plus fructueux. De mon côté, je lui racontais ma vie plus en détails même si je restais confus sur tout ce qui me touchait véritablement, avec la même pudeur que lui quand il esquivait son travail. Finalement, je lui appris l’entièreté de l’histoire avec Eirin et par un geste d’une prévenance rare, pour me remercier d’avoir réussi à m’ouvrir autant, il dégoupilla une bouteille de saké. Depuis ce moment, je sentis qu'un lien de confiance s'était établi, bien qu'il était difficile de l'affirmer complètement : son visage impassible restait une forteresse impénétrable.
Eirin, à qui mes pensées volaient des fois et revenaient avec un goût amer à même de creuser un trou dans la poitrine, ne pouvait pas plus ressusciter que l’Incontestable faire l’unanimité dans le monde, et je ne trouvais aucune fille qui dans mes pérégrinations, trouva en moi l’écho qu’elle eut, ou pu bâtir une terre, un pays, encore moins un continent comme Eirin l’avait fait en moi. Le procès de Chobyo se tiendrait bientôt ; j’étais appelé par la Justice afin de raconter mon rôle aux juges cette nuit, et même si j’avais payé les conseils d’un avocat et qu’il m’avait expliqué que je ne serais là qu’en tant que témoin et qu'aucune accusation ne me serait portée, je ne pouvais pas prétendre que j’étais parfaitement serein. J’attendais la date sans impatience et pourtant, je voulais refermer cette porte à tout prix. En sachant bien sûr qu’un deuil de cette ampleur pouvait éteindre ses flammes les plus brusques, mais les braises resteraient chaudes à jamais.
Mon autre grande réussite était intérieure : à rafler les victoires, je pouvais, moi pourtant si mal parti, humer l’atmosphère des traders, des rentiers ou des yakuzas eux-mêmes, dont la vie pavée d’or prenait en largeur comme en hauteur jusqu’à conduire au-dessus des simples mortels. Je prenais une confiance oxydée en moi et voyais s'épanouir le Toson adulte, une des figures du quartier qui connaissait les bons tuyaux et les mauvaises personnes, à qui l’on devait au minimum la politesse. Je prenais enfin ma place dans le monde et comme je l’avais décrété, ce fut à coups de dynamite.
Il me fallut avoir les épaules solides pour supporter un milieu qui m'écrasait souvent sous une pression constante, sans compter une volonté inflexible et savoir parler à des hommes qui avaient souvent perdu pied avec la société. Peut-être que si Eirin avait été avec moi, elle se serait rendue compte de ma transformation et l’aurait arrêtée avant que mon âme n’en fut retournée, avant que mes mains ne deviennent noires des miasmes de vice dans lesquels je plongeais. Mais elle était morte, et j'appliquais dans ma frénésie à fréquenter mes ordures, ma vengeance.
J’avais le droit dans la plupart des bars à un shot au comptoir et une discussion aimable avec le serveur, on s’inclinait devant moi poliment quand je venais prendre les nouvelles, on me chuchotait en sus quelque rumeurs suspectes qu’on entendait souffler dans les ruelles du quartier que même les néons ne recouvraient pas, le spectacle sulfureux de vingt heures, pour peu que je ne sois pas encore à traîner dans les bureaux, m’ouvrait ses portes gratuitement si une place proche de la scène était vide.
J'appris à mieux connaître Inoue et Izuru, les deux hommes les plus proches d'Haiko, bien que je ne les croisais que rarement. Il y avait chez Inoue une force brute élevée au goudron et à la moto, une manière de vivre et de parler qui ne me parlait pas. C’était un homme intéressant qui semblait avoir perdu depuis des années sa boussole et qui se jetait à corps perdu dans la loyauté et le respect des règles. Ce n’était pas par conviction qu’il endossait le rôle du yakuza pieux comme l’avait dicté la volonté d’Haiko, mais plutôt par soumission complaisante avec l’autorité.
Quant à Izuru, je l’avais croisé quelques fois en repas chez Haiko mais jamais on ne s’était adressé la parole plus que la politesse ne l’exigeait. Les années ne dégrossissaient pas son humeur et on m’avait fait comprendre que si la décision lui appartenait, il me virerait de leur entourage aussi vite que possible. Il me voyait dans leur cercle que comme une drôle de mascotte civile, un petit singe qui faisait des tours et qui distrayait leur boss le temps d’un apéro, tout comme l’année dernière il s’était mis aux mots croisés.
Pour le reste, ma vie filait comme un coup de tonnerre. Je marchais enfin au rythme des jours, je ne me sentais à la traîne de personne et si j’engrangeais des ennemis ici et là et des disputes, si les colères montaient, je continuais à avancer. Je me gavais de vie comme un ours de miel. Plein d'alcool, j’étais persuadé de faire partie de ces demi-héros que l’on rencontrait dans les mythes ou les romans les plus enflammés, qui semblaient avoir de l’or qui coulait à la place du sang et qui laissait derrière leur pas une trace enflammée. Ma vie était comme une succession de beuveries enchaînées qui m’empêchaient de subir une gueule de bois, je vivais au-dessus de la mortalité. Ce fut un temps où je ne m’introspectais plus et où je ne me posais plus, comme si j’avais peur de provoquer une malédiction qui me renverrait à ces moments éperdus où je pleurais trop.
Quand je tournais la tête en arrière pour y retrouver le pauvre que j’étais après la mort d’Eirin, endetté et terminé, je n’avais pas plus de sentiment qu’en regardant un mur sale un jour de brouillard. Les bonnes journées, je dominais ce pauvre spectre. Mais certains mauvais soirs… comment pourrais-je le dire, j’avais l’impression de le fuir. J’avais changé d’appartement pour un avec un velux, qu’il ne fasse plus jamais sombre, même si j’y passais très peu de temps. Ma vie tournait glorieusement entre mon travail où mes articles étaient enfin appréciés et les rues qui m’accueillaient en leur sein. Je me faisais des amis, je soignais mes relations, j’avais toujours un verre au bec et une histoire à raconter ou à entendre. Voilà ce que je pensais : j’étais enfin devenu quelqu’un que je respectais.
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Toson Hirai
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[Afin d'éviter d'étaler une vulgarité gratuite, les mots les plus indélicats seront légèrement retouchés sous la baguette magique de la paronomasie]
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Chapitre 7 : Sale loutre
Peut-être que l’un des plus grands mythes que le cinéma avait intégré à notre imaginaire se situait dans le format de la salle de procès, dont la taille s’accordait magiquement à la magnificence du thème de la justice, et lui rendait hommage par un style baroque emprunté aux grandes églises où seuls les juges derrière leur bureau surélevé semblaient encore à leur taille normale. La grandiloquence des films américains où le terrain n’était que la forme des concepts en jeu… Ou alors aux Etats-Unis, on avait un penchant pour le premier degré qui manifestait l’âge bambin du pays…
Ici, dans le monde réel, les salles au Japon étaient étonnamment modernes, sans grande âme et tout le monde s’en fichait bien. La grandiloquence japonaise se moussait dans le dépouillement, comme pour provoquer les alliés américains en leur montrant qu'une salle de procès avec un peu de bois joli et de la pierre en toc rendait aussi efficacement un jugement que dans la demeure de Zeus. Il suffisait de sortir dehors pour tâter un peu de cette philosophie : le tribunal ressemblait lui-même à une brique blanche oubliée par un maçon gigantesque. Décoré de plusieurs rangées de fenêtres minables, il ne valait même pas le coup d'être regardé.
Parmi ceux qui observaient le procès, et il y avait un peu de monde, je reconnus les deux parents d’Eirin dont l’air grave était pénétré d’une profonde fatigue. Je leur avais dit bonjour sans âme et ils avaient trouvé dans ma présence quelque chose de réconfortant, un écho de souvenir quand la vie filait un train doux. Je les trouvais démolis, sans vraiment savoir ce qu’ils attendaient du jugement. Ils connaissaient Chobyo aussi, peut-être même mieux qu’ils me connaissaient moi ! et ne parvenaient pas à décider s’ils seraient plus heureux de le voir puni ou acquitté. Peut-être que c’était juste le deuil de leur fille unique qu’ils poursuivaient aveuglément sans comprendre où il les emmenait… En plus d’eux, sous le jour gris d’un automne déprimé aux portes absolument communes du bâtiment, je reconnus quelques amis à elle qui soutenaient les parents à ma place, ainsi que des amis à Chobyo, en grande quantité, qui eux avaient de quoi s’inquiéter.
Moi, appelé en témoin deux mois de ça via une convocation, je ruminais mes pensées et tentais de faire abstraction de la gueule de bois essuyée la veille. La scène me rendait profondément nostalgique et rouvrait en grand les douleurs qu’Eirin avait plantées en moi… Mais j’y mijotais aussi une vengeance secrète. Depuis des mois déjà que j’attendais ce procès et que je me disais qu’avec tout ce qu'elle m’avait fait subir, toute cette trahison, son départ, je méritais de me soigner. J’avais trouvé un médicament.
— Merci Mme Urata. Très bien, nous avons entendu les deux partis. Nous vous offrirons un droit de réponse à chacun juste après l’appel des témoins à la barre.
Mon nom sonna dans la pièce... J'étais le premier appelé. Je me levai du second banc où j’étais assis et me plantai en-face des juges, incapable de savoir quoi faire de mes bras, à attendre devant le micro qu'on me donne l'autorisation de parler. Quelques murmures et raclements de gorge m’accompagnèrent, attendant que la présidente trouve le bon papier dans le classeur et pose un index inquisiteur dessus. Elle me demanda de confirmer que j'étais bien le petit ami actuel d'Eirin au moment des faits.
— J’ai ici la déclaration que vous avez faite à la police pour expliquer l’affaire. Pouvez-vous nous raconter tout ce qu’il s’est passé durant cette soirée-là afin que nous comprenions le déroulé des événements ?
— Bien sûr, bien sûr, acquiesçais-je en baissant la tête. La juge enleva ses lunettes un bref instant et concocta d’une voix plus douce :
— Je vous demande de vous replonger dans des souvenirs qui sont difficiles. Si vous avez du mal à parler, n’hésitez pas à nous prévenir et nous pourrons faire une pause.
J’opinais respectueusement en balbutiant un merci mais son amabilité n’aurait aucun retour : je fantasmais depuis si longtemps de rendre ma version des faits publique que cela prenait le pas sur le déchirement que j’avais de revoir ces figures familières… Ne serait-ce que d’entendre le nom d’Eirin me plongeait dans une nostalgie abyssale. Sans le faire exprès, mon regard croisa celui de Chobyo, assis derrière son avocate. En comptant son arrestation, c’était la première fois qu’on se voyait en chair et en os. Il avait une gueule bien dessinée et irradiait d’un charme qui pouvait faire succomber n’importe qui. Je le haïssais d’autant plus. Ses cheveux avaient légèrement poussé et je tentais de percer ce qu’il me demandait en secret… Peut-être qu’il n’y avait aucune valeur, aucun message. Il regardait piteusement l’homme qu’il avait finalement battu, au bout du compte. Ma voix était posée et lourde.
— Le soir, je reçois des messages surprise d’Eirin. Elle me dit qu’elle est de retour sur Tokyo et qu’elle souhaite qu’on se voie. J’accepte avec grand plaisir. Une heure plus tard enfin, elle revient, on s’enlace sur le seuil de la porte. Elle n’ose pas vraiment m’embrasser mais ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus, je pouvais comprendre. Je l’invite à rentrer.
— Hmhm, commenta la juge en relisant mon rapport. Mais elle n’est pas restée longtemps.
— Pas longtemps du tout. Elle me semblait étrange alors qu’on s’échangeait de nos nouvelles. Elle ne voulait rien boire de ce que je lui proposais, elle me regardait constamment, d’une manière qui ne lui ressemblait pas. Puis elle s’était levée et a commencé à vouloir m’embrasser soudainement. Je la repousse immédiatement.
— Vous la repoussez, intervint la présidente. Pourquoi cela, n’étiez-vous pas heureux de la retrouver ?
— Très heureux, votre Honneur. Heureusement que j'avais déjà prévu cette question, je croisais les mains derrière mon dos pour soutenir tout entier ma justification. Mais comme je vous l’ai dit, elle ne me semblait pas dans son état normal et cela faisait plus d’un an après nos dernières vacances ensemble que nous nous étions vus. Elle m’avait semblé éteinte. Je l’ai repoussé assez gentiment, en plus, je voulais juste comprendre. Je lui ai demandé ce qui se passait. Elle esquiva d’abord puis abdiqua. Quand elle me répondit, sa voix sonnait faux, ce qui a fait que je lui ai reposé la question plus fermement. Il y avait bien quelque chose qui coinçait. Au bout d’un moment, elle m’avoue qu’elle était revenue au Japon car elle avait reçu une lettre rose, et qu’elle voulait… Enfin, provoquer une infidélité avant de… partir…
Les mots arrivèrent difficilement… J’avais tant et tant savouré mon texte que j’avais oublié de l’édulcorer pour le public délicat. Les autres prendraient peut-être ça pour une vague de mélancolie…
— Je la prends par les bras et la secoue, je l’engueule. Je lui dis “Ne fais pas ça, tu vas t’en tirer ! Tu peux le faire !” et j’ai tenté de la rassurer. Puis sans un mot elle s’est dégagée, m’a dit au revoir à la porte et est partie de l’appartement. Et c’est la dernière fois que je l’ai vu.
Ma voix chavire légèrement dans cette dernière phrase. Je ne pouvais pas dire moi-même si je jouais de l’émotion ou si celle-ci m’avait submergé.
— Ou qu’on s’est envoyé un message. Je passai ma main sur ma bouche, pour solidifier le barrage des pleurs. Qu’on a communiqué, quoi. Je comprends maintenant qu’elle avait tenté sa chance avec quelqu’un d’autre.
Avec son plan B, qui lui ahuri, n’avait rien vu venir.
— Et je suis là, maintenant. Seul. Si j’avais su qu’elle avai…
— Merci, coupa la dame d’un signe de tête pourtant compatissant. Avez-vous aperçu sur elle des signes de consommation de drogue ?
— Non, votre Honneur.
— Vous souvenez-vous avoir vu un flacon entier ou tout autre récipient lors de sa visite ?
— Non, votre Honneur, même si je pense qu’elle devait l’avoir sur elle à ce moment-là vu qu’elle avait prévu d’en finir dans mon appartement. Ou alors elle n'avait rien et aurait utilisé un autre moyen.
— Merci. Est-ce que vous avez des choses à rajouter ?
— Aucune. Tout est dans le document.
Voilà. Je l’avais fait. J’avais réécrit toute l’histoire à la face des familles et amis d’Eirin et de Chobyo. C’était moi à la fin, le champion final. Qu’Eirin était allée voir en premier ; que je fus assez habile pour déjouer sa tentative de suicide n’était qu’un minuscule bonus que je savourais rapidement. Ce que je voulais, c’est que tout le monde aie le souvenir qu’à la fin, ce fut moi, l’amoureux. Puis le temps me tissera ce mensonge dans le crâne jusqu’à ce que j’y croie à mon tour. Mon histoire était imparable, personne ne pouvait douter de l’authenticité des actions d’Eirin… Cela en disait long sur sa trahison réelle.
Chobyo avait tourné sa nuque vers moi. Il semblait m’interroger du regard, ou me prévenir qu’il connaissait la vérité. A nouveau, j’expirai très lentement en retour d’une gifle assourdissante où il pourrait apporter la preuve qu’elle n’avait été de passage que pour récupérer la drogue mais j’en doutais : c’était son arme finale pour en finir, bien sûr qu’elle n’en avait parlé à personne. Je me frottais les mains de ton regard, bouffon, reste assis écouter ta sentence.
Une heure plus tard, on nous fit sortir de la salle pour laisser aux juges de délibérer mais à cet instant, j’avais lâché ma bombe et le sort de Chobyo ne m’intéressait plus. Je n’y trouverais aucune satisfaction ou déception, seule la déclaration de mon témoignage avait de la valeur. Dans le grand hall où des autoroutes d’hommes et de femmes en costume se croisaient, je repliai mon col de chemise.
— Merci pour être venu et avoir parlé, dit la mère d’Eirin qui était bien plus petite que moi. Elle avait prit mes mains dans les siennes et les frottait pour s’empêcher de pleurer.
— C’est normal.
— Vous avez toujours été là pour elle.
— Vous êtes quelqu’un de bien, surenchérit son père d’un coup de menton solide mais frippé par le temps. Vous avez toujours été le plus grand amour d’Eirin.
Il semblait en vouloir énormément à Chobyo et mon rapport n’avait fait qu’envenimer son ressenti. Moi, doucement, je me disais qu’Eirin aussi, avait eu un père qui ne la connaissait pas bien.
Je respirais l’air extérieur et trouvais repos sur un banc dans la rue juste à-côté de la grande brique blanche ainsi que dans le grésillement d’une cigarette neuve, sous un ciel gris lumière, quand les nuages recouvraient tout le ciel mais était trop fins pour bâillonner le soleil. Mon devoir était terminé. Je pouvais me reposer et refermer le livre d’Eirin petit à petit.
Et pourtant…
Et pourtant…
Miné par la journée, un électrochoc lent et glacial me parcourait le corps. Je ne ressentais aucune culpabilité pour avoir menti devant la justice, les amis ou les parents d’Eirin. Absolument aucune et à la limite, une fierté légère, l’équivalent d’une flamme de bougie… Mais ce fut cette vision, cette insensibilité à mes torts, qui me paralysait l’esprit. Je compris alors la vérité la plus odieuse : pendant cinq ans, je n’étais jamais devenu une personne meilleure. Au contraire, j’avais juste exacerbé la médiocrité abyssale dont j’avais fait preuve avant.
Cette pensée acheva la création d’un frisson gigantesque qui eut des remous jusqu’aux tréfonds de mes parties les plus inconscientes et qui avaient le pouvoir de changer des vies dans les trois secondes de leur existence.
J’étais toujours une merde. Les yakuzas, Kabukicho, mon travail… Rien n’avait changé en moi sinon le regard et les réactions d’un monde extérieur mais en vérité, j’avais juste masqué ma nullité. J’étais maintenant encore plus seul que je ne l’avais jamais été, j’étais un menteur, j’avais intimidé des gens pour me sentir supérieur, je profitais de la renommée d’autres et croyais que cela faisait quelqu’un de haut. Je n’étais en rien un semi-héros, je n’étais qu’un parasite qui n’avait trouvé sa chance que quand on lui avait tiré dessus. Une raclure à qui on avait laissé une opportunité en or et qui en avait fait une trousse de maquillage pour se leurrer qu’il pourrait faire quelque chose de bien. Rien n’avait changé… Je n’avais pas mûri, je m’étais replié dans les puissances les plus animales de ma personne sans chercher à devenir un homme. Ne restait maintenant qu’un déchet aux odeurs des égouts dans lesquels il vomissait.
Même devant mon plus grand amour avec qui j’aurais partagé ma vie, j’avais trouvé chaque excuse pour déformer la réalité afin qu’elle m’aime encore. J’avais souillé la mémoire d’Eirin avec la puérilité d’un gosse affreux, parce que pendant cinq années, je n’avais pas voulu avancer ou mûrir. J’avais juste vécu à corps perdu dans les illusions et les vices. Je retrouvai mon regard d’avant, bousculé par les soupirs et le temps passé, meilleur en tout point de vue, épuisé d’être moi-même, abasourdi par l’effort sisyphéen qu’il fallait déployer pour avoir le droit ne serait-ce que d’être si minuscule. Tout ce temps perdu à tourner en rond. Je n’avais jamais eu l’esprit en paix… Je l’avais juste occupé à des fantaisies délirantes
Malgré les fêtes, le compte en banque rempli, les nouvelles liaisons et les commanditaires, malgré le respect des collègues et les paillettes, le nouvel appartement et maintenant le procès de Chobyo et la déclaration publique qu’Eirin m’avait toujours placé au centre de son cœur… Eirin n’était pas revenue. Chaque pinte bue puis abaissée ne masquait pas son visage qui serait de retour brusquement. Pareil pour la fumée de cigarette. Chaque porte que je poussais pour sortir dans la rue et où j’aurais pu la croiser par inadvertance ne menait qu’à une foule d’inconnus… Aucune connerie produite ne provoquait son retour. J’étais toujours seul…
— Allo Hirai-san ? Qu'est-ce que je foutais à l'appeler, lui ? J'étais bien désespéré...
— Haiko-san, le temps va ?
— Ce n’était pas le jour du procès aujourd’hui ? Si. Tout s’est passé correctement ?
— Elle me manque toujours autant. Et le monde s’en fiche de ce que j’ai dit. Au final, c’est toujours Chobyo qu’elle aime.
— Toson... de là où elle est est, Eirin n’aime plus personne, asséna Haiko d’un ton brut. Je comprenais qu’il tentait de me rassurer. Mais il n’eut en retour qu’un soupir qui suggérait un peu de patience avant que je ne puisse écouter.
— Haiko-san… prononçais-je dans un semblant de voix poussé par un vent nouveau déjà épuisé, est-ce que je peux demander d’arrêter notre collaboration ?
Ce fut par cette figure de comptable mystique que je saisis mon opportunité d’avancer et de provoquer le destin. Ça serait le premier averti de mon humeur nouvelle. Haiko serait le pivot de mes mouvements finalement, la porte d’entrée et de sortie.
Mais sa réponse fut sans appel.
— Impossible.
— Ah ? Désarçonné, tout le monde est con.
— Je suis embêté, avoua-t-il d’un ton qui suggérait à l’inverse qu’aucune gêne ne le contraignait, ce n’est pas vraiment le moment pour ce genre de manœuvres. Ce n’est pas bien grave, tu n’es pas obligé de pondre un article avec notre aide. Mais il faudrait continuer les échanges quelques temps encore.
— Vous dîtes ça à cause des informations qui sont sorties sur Fujimoto ?
La dernière fanfare en date provenait du grand quotidien Yomiuri Shimbun qui avait lancé, preuves à l’appui, de graves accusations contre une figure importante de l’Inagawa-kai (à statut égal avec Haiko, soit un lieutenant). Il avait fait l'objet d'un mandat d’arrêt et la police lui avait mis le grappin dessus moins de quarante-huit heures après. Fujimoto se trouvait actuellement derrière les barreaux et son frère, aussi bien placé que lui dans l’organisation, fulminait à la recherche de la taupe qui avait fait sortir les secrets hors du clan. De manière générale, bien qu’on ne m’en parla peu, je savais que les dernières semaines à l’Inagawa-kai étaient le terrain d'une enquête interne pour séparer le grain de l’ivraie.
— Si tu coupes les ponts maintenant, Fujimoto te verra comme un rat qui quitte le navire après avoir sabordé la cale.
— Je ne fais pas déjà partie des suspects ? m’enquis-je d’un ton terne.
Ce fut cette fois-ci à Haiko de tenir un léger silence coupable.
— Je te protège, fut tout ce qu’il répondit.
— Sinistre…
— Ce n’est pas une bonne journée, hein ? plaisanta-t-il et je me joignis à ses ricanements jaunes.
— Bonne journée de merde. Bonne grosse journée de merde.
— Il y en a eu, il y en aura d’autres. Il faut trouver la force quand il fait beau de se protéger de la pluie.
— Ce crétin de Fujimoto s’en branle que je travaille pour l’Asahi et pas pour Yomiuri. Il cherche juste un coupable sur lequel il pourra brailler son incompétence.
— Hirai-san, on se calme. Il n’y a rien de grave, je t’ai dit que tu étais sous ma protection. Il ne t’arrivera rien de ce côté-là. Je pense même qu'il ne sait pas qui tu es, mais je ne voudrais pas qu'il apprenne ton existence alors que tu coupes les ponts. Je te promets que dès que la situation sera apaisée, on mettra fin à notre accord. Ça te laissera le temps de réfléchir. C’est une question de mois, et peut-être si la chance te sourit enfin, de semaines. Et Ayaka me rappelle que c’est le jour du procès - je sais, chérie, merci beaucoup, on en parle. Elle a tenté de faire de la pâte glacée, elle voudrait que tu goûtes - écoute, il a une journée assez difficile comme ça en plus de risquer à manger un de tes desserts... aïe.
Dix secondes de discussion de couple à laquelle je laissais un peu d’intimité en séparant le téléphone de mon oreille. D’un côté, j’avais envie d’être en présence d’amis ; de l’autre, les voir était la chose que je voulais le plus éviter, celle qui me plaçait le plus intimement sous le nom de l’Inagawa-kai.
— Je suis désolé, s’excusa le Comptable en ayant retrouvé sa solennité de prêtre.
— Vous avez une complicité avec votre femme qui dénote de votre grade, lieutenant, notais-je gentiment pour le charier.
— Ayaka n’est pas une yakuza. Elle mérite un vrai mari, je m’y applique.
Sa réponse étrangement me rassura, elle fut telle le vent doux qui m’amena à accepter peu à peu ma situation.
— J’arrive, alors.
— Je préviens que ça n’a pas l’air d’être mangeable.
— Que votre femme aie réussi à cuisiner quelque chose de potable sera le seul miracle qui pourra rendre cette journée belle.
Le rire d’Haiko fut d’une sincérité touchante. J'avais besoin d'un peu de calme et d'amis. Ma transition pouvait souffrir d'une journée de plus.
La communication s’arrêta bien vite après et je repris une nouvelle clope. Maintenant que cette sale loutre d’Eirin avait fini par me secouer, je devrais remettre toute ma vie en branle. Quelque part, j’éprouvais un certain réconfort à me dire que je pouvais encore arranger les choses. La tête dans la merde, je pouvais trouver de l’espoir qu’une douche était toujours autorisée. Il était temps de faire du grand changement et de m'arroser.
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Chapitre 8 : L’histoire
L’océan mordit mortellement Tokyo à trois reprises. La nature avait rappelé à tous qu’il lui suffisait d’un éternuement pour éradiquer une nation. Et traumatiser une civilisation.
Parmi mes contacts, ce fut étrangement la perte d’Haiko qui m’affecta le plus. Haiko n’était plus de ce monde, il avait trouvé son dieu. Il n’avait jamais cru qu’il le rejoindrait dans les cieux avec sa carrière de malfrat, alors il avait décidé de vivre modestement pour faire amende honorable le restant de sa vie. Dehors, dans son jardin, sur une chaise en terrasse pleurait Hayaka encore en kimono. Au-dessus de nous, les nuages eux-mêmes imitaient la mousse des vagues et le ciel semblait être raturé d’un pinceau céleste qui lui donnait l’air d’un océan grondant arrêté.
Sans ma boule au ventre, je lui aurais rendu un meilleur hommage en piochant dans des émotions dignes d’un fracas pareil. L’effarement, la détresse, une tristesse profonde envers l’injustice. Aurais-je versé des larmes catastrophées, si le Shukumei n’avait pas déjà étourdi même les âmes les plus solides ? Peut-être pas, peut-être aurais-je respecté son flegme légendaire et mon visage n’aurait été secoué que d’un air grave qui se lavait aux bons souvenirs. Mais un élan national ne prenait jamais mieux cœur dans ses citoyens que durant une catastrophe, et face à un phénomène patriote, les émotions personnelles ne passaient plus. On avait juste l’impression d’être pris dans cette immense fin du monde tel que nous le connaissions ensemble et cela nous dépassait tant que les vivants et les morts n’étaient ni le sujet du jour, ni tant séparés que ça. Il restait un choc immense qui anéantissait les entrailles et unissait ce qui restait d’âmes dans une contemplation impuissante de la force de Dieu.
Inoue et Izuru, les deux fidèles, avaient escorté la dame jusqu’à chez elle et ne pipaient pas grand-chose : après tout, leurs mots avaient-ils la moindre valeur aujourd’hui ? Nous avions tous perdu des êtres chers. Être vivant maintenant n’avait plus la même valeur qu’hier. Tous les révolutionnaires attendaient cet instant, ce schisme historique entre le passé et le présent où le futur semblait être à la portée de n’importe quel rêve. Mais peut-être qu’eux aussi étaient en deuil. À la fin, nous n’étions que des animaux qui pleurions.
Il devait être la moitié de l’après-midi, quatre cafés cardinaux sur la table et une conversation plus modeste avait lieu ; nous discutions tranquillement de la pluie, du beau temps... des catastrophes. Ayaka éteignait quelques fois au coin de ses yeux sa tristesse alors que nous échangions des banalités comme si nous vivions une semaine à peu près normale. Puis la dame endeuillée me demanda ce que je comptais faire maintenant et je répondis ceci :
— J’avais passé un contrat avec Haiko. Je pense que je vais enfin pouvoir me retirer.
Je m’attendais à ce qu’Inoue et Izuru poussent quelques cris d’exclamation et des soupirs satisfaits pour saluer ma décision mais ils laissaient au contraire, peser autour de la table une pesante ambiance, un silence qui préparait la guerre. Ce fut Izuru qui se lança enfin :
— Le moment est compliqué, Hirai. Très compliqué.
— On m’a prévenu. Fujimoto.
Cela faisait deux semaines que le procès de Chobyo avait eu lieu et déjà, Haiko m’avait mis en garde. Mais les deux semaines portaient le poids d’un siècle au vu des destructions. Mes réflexions, mes envies, ma philosophie désiraient un changement intense vers une vie plus douce et rien qu’à entendre les réserves d’Izuru, une lassitude terrible me saisissait. J’imaginais encore devoir jouer le rôle du chien tenu en laisse. Mon départ serait symbolique mais après avoir perdu tous mes repères dans le monde matériel, je reportais le poids de mes ancres aux symboles.
— Enfin, pars, Toson, lâcha soudainement Ayaka comme s’il n’y avait aucune matière à faire du chichi. Tu n’as jamais été dans ce monde-là.
— C’est dangereux, intervint Inoue d’une voix grave.
— Fujimoto a d’autres chats à fouetter. Et s’il a un mot à dire, c’est moi qu’il trouvera. Elle s'était parée d'une voix tranchante d'impératrice qui se savait le pouvoir d'altérer la réalité et de commander au monde ; devant ce ton, un jour de deuil, Fujimoto me paraissait minuscule. Et j'e n'entendrais de toute manière, jamais parler de lui après ce jour.
Je fus fasciné par une bravoure qui après avoir perdu ce qui lui tenait le plus à cœur, avait renforcé des qualités inédites. Engoncé dans mon aigreur, matraqué depuis des années maintenant par la rancœur et les ultimes souvenirs d’Eirin et mon impuissance à les recracher, ma recherche absolue de tordre le passé, je pouvais maintenant avoir un aperçu de la route vers une puissance de bonté qui m’aveuglait. Moi, j’avais menti en-face de la justice de la plus pathétique des manières, et elle… Enfin, j’espérais que quand Tokyo irait mieux, quand je trouverais la paix, je pourrais ressembler un peu plus à ce dont j’avais été témoin ce dernier quart d’heure. C’était terminé de courir en rond : j’allais marcher au rythme de ce bout de femme. Je ne placerais ni main ni argent sur cette épiphanie si j’étais vous : j’avais plus foi en elle que moi. Mais sans avoir les jambes pour arpenter ce sentier vers un Toson meilleur, au moins maintenant pouvais-je le voir.
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En attendant que l’âge ou l’amour me donneraient au choix l’expérience ou la confiance pour trouver mon soi ultime, la délivrance d’un potentiel que chacun fantasmait qui se cachait dans les tréfonds de mes défauts, ou que je cesse d’attendre des excuses pour réhausser mon humeur et devenir enfin la bonté que j’avais trouvé chez Ayaka, cela faisait cinq ans que j’avais changé de vie et que j’étais redevenu quelqu’un de plus anonyme, de moins explosif et que Kabukicho ne prêtait plus réellement attention à moi. Allant au milieu de la rue et prenant de la place, j’étais devenu une de ces figures qui collaient au mur, qu’on retrouvait à certains endroits comme l’affiche d’un film attendu, qui sentait la même odeur que la ville. Comme toutes les histoires de réincarnation et de renaissance qu’on puisait dans les mythes et les religions où l’eau prenait une place prépondérante, ce fut par le Shukumei que je me sentis enfin adulte, en larguant peu à peu les poids puérils que mon adolescence ou mes faiblesses avaient amassé, en cessant d’errer dans les marécages de ma vie pour devenir ce qu’on appelait un citoyen fonctionnel. Dans le pire, au cas où j’oubliais que j’étais censé être devenu sérieux, une petite visite chez l’héroïque Ayaka, qui elle aussi avait coupé tout pont avec l’Inagawa-kai, ou un passage devant mon miroir qui projetait une face que les rides empruntaient, me le rappelait vite.
Au moins avais-je conversé dans mon quartier un réseau si efficace et habile que jamais on ne me déplaça dans un autre bureau, et que même si on continuait de m’appeler “Ambonnay”, ce n’était plus qu’un lointain souvenir d’une grosse décennie, une cicatrice de guerre à laquelle même moi je riais et avec m’amusais à terroriser les stagiaires pour les inciter à la prudence. Oh, ne croyez pas que mon job était devenu plus simple : j’étais à peine à la hauteur, m'agrippant chaque soir aux deadlines comme à une prise au-dessus du vide et Kabukicho ne me traitait jamais avec tendresse deux soirs d’affilée. Plus que je dormais, je succombais après minuit et ressuscitais. Mais je tenais, je tenais bon et Mashida, que la vieillesse ne calmait pourtant pas, m’avait accepté comme une de ses armes les plus fidèles et quelques fois, me laissait travailler seul ou sauter les réunions qui m’enlisaient hors de mon trot.
J’avais posé un an après sa perte, un chrysanthème sur la tombe publique d'Haiko. Ma relation avec lui me semblait bien étrange : c'était bien sa proposition qui avait enfoncé ma fierté au fond du trou mais il ne m'avait pourtant jamais lâché. Et maintenant, regardez-moi, je m'occupais de couvrir le grand mystère du "System Error" de l'Incontestable du printemps 2011 avec une de mes collègues pour l'Asahi ! Même si tout le monde se fichait du nom sous l'article, je me sentais pourtant comme une star dans la rue. J'allais voir ma caissière pour mes courses hebdomadaires, titillant ma conscience pour savoir si je pouvais lui dire ou non, la réputation que j'avais maintenant.
Si je n’avais été victime d’aucune déboire dans l’épidémie et la chasse à l’homme qui l’avait suivi, j’en fus cependant un des journalistes qui explora le mieux l’affaire. Si une partie de mes articles ne furent pas acceptés car ils flirtaient insidieusement vers les Incontrôlables (ce que j’avais tenté de réfuter), notamment en posant la question des philosophies hors-Incontestable qui avaient pu émerger chez les fugitifs et les sensations de relative liberté qu’ils m’avaient rapporté, ce furent bien par des interviews de ces derniers, cachés dans Kabukicho par des connaissance, que je m’en tirais avec des lettres de noblesse. Je pus approcher au plus près des hommes et femmes traqués et après quelques retouches “du dessus” qu’on pourrait qualifier de censure si on doutait de leurs intentions à découvert de ne pas ennuyer le lecteur, j’écrivis des articles sur eux, leur manière de vivre, les émotions qui les traversaient, l’espoir de revenir dans les rangs ou que d’autres citoyens fussent frappés par le même mal.
Bien entendu, le papier ne sortit pas sans remous : trois miliciens s'étaient pointés au building pour échanger quelques mots avec moi. Ils s'installèrent dans mon bureau après avoir pris un verre de café à la main et deux s'assirent en-face. Je savais déjà ce qu'ils voulaient et heureusement, ils ne cherchèrent pas à tourner autour du pot, ils voulaient me demander poliment où se trouvaient les fugitifs que j'avais interviewés.
— Je ne peux rien vous dire, puis ils sont certainement partis à l’heure qu’il est.
— Je vous promets qu'il ne leur arrivera rien, c'est pas notre but ; on peut juste pas les laisser se balader dans la nature, me dit un des gus.
— Les supérieurs sont à cran, vous pouvez imaginer, dit l'autre inspecteur.
Ce qu'on vous dit, c'est que sur ce coup-là, vous nous soutenez sur ce coup, vous pouvez être certain que vous aurez un retour d'ascenseur avec intérêt.
Heureusement, je possédais maintenant le bagage nécessaire pour rétorquer avec efficacité, me permettant ainsi de ne céder ni à la panique, ni à l’emportement :
— Messieurs, chaque corps de métier dispose de sa logique interne qui passe souvent très proche de l’illégalité, et traverse la morale. Vous par exemple, tenez, c’est la solidarité entre vous, qui prévalez, malgré les bourdes. Vous ne laissez jamais tomber un collègue même quand vous savez qu’il est coupable. Moi, c’est de ne jamais citer mes sources. Au grand jamais. C’est ce qui me permet d’être respecté dans le quartier et d’avoir de quoi me nourrir le soir. Et c’est ce qui vous permet à tous, vous peut-être un jour, quand vous avez la bonté de nous transmettre des informations, de ne jamais avoir vos noms balancés en place publique.
Le troisième homme qui touillait son café sans rien dire, acquiesça du menton en écoutant mon discours. Il comprenait que la conversation n'irait pas au-delà. Et moi, je comprenais que j'étais enfin devenu un vrai journaliste de terrain.
Je laissais tomber l’amour. Sentant la lettre rose bientôt menacer le trentenaire avancé que j’étais, nouer une idylle ne finirait que dans la douleur, dans les mauvais moments. Je me tenais éloigné des belles et de toute manière, le travail ne m’offrait que peu d’opportunités de tisser une liaison, en tout cas, qui durerait plus d’une nuit. Puis un jour, Chobyo sortit de prison, j’appris la nouvelle par les réseaux sociaux et je n’eus aucune réaction. J’aurais préféré ne jamais le savoir, quitte à choisir. Je n’aimais pas quand les ordures sortaient sans que je ne leur demande, de la poubelle de la honte où je les avais jetés.
Je guérissais petit à petit, sans gaieté ou impatience, mal installé dans un rythme de vie féroce. Mes fougues d’avant muselées par ma crainte de replonger dans mes frénésies, mon esprit impavide aux horreurs que je croisais mensuellement dans mon travail, ma dévotion à mon réseau qui me prenait mon temps libre, m’aiguisaient pour une vie ardue mais monotone. Le cerveau engourdi par les jours qui se ressemblaient, j’en oubliais de savoir comment j’allais. Ma carcasse était embarquée dans un train où je n’étais qu’un simple passager, à observer ma vie qui défilait à la même vitesse sans que je ne puisse ni toucher à l’accélérateur, ni descendre. Le but au final à chacun, c’était de trouver le meilleur train possible, dans la meilleure classe, le meilleur service avec les meilleurs paysages. Il me semblait que j’avais arraché du bout de doigt un voyage éternel dans le Transsibérien. Une certaine stature, du poids historique sur les épaules, beaucoup de froid.
Est-ce que je pouvais être fier de moi ? Aucune idée, je ne pensais plus à ça. Mon père était décédé l’année dernière sans que je n’aie eu une vraie conversation avec lui ; à quoi bon ? Le temps l’avait oedipé pour moi. Ma mère depuis, était devenu un trésor. Et Eirin au final, restait peut-être la seule personne dont je craignais le jugement, même encore maintenant, devant ce trois-quarts de Toson, ce qui était déjà mieux qu’avant. Et Kabukicho continuait à dégueuler dans ses rues tous les vices humains qui servaient de rails à mon Transsibérien. Je notais tout, fouillais dans le détail, retenant tout jugement et frôlant du mieux que je le pouvais l'objectivité journalistique ; peu à peu, je devins sans m'en rendre compte un des grands spécialistes de la vie du quartier, car j'y comprenais aussi bien la tapisserie que les volontés individuelles qui la coloraient. Observateur de ce grand chaos qui n'interférait jamais dans ses affaires, j'étais tel l'arbitre d'un match qui n'avait aucun pouvoir.
Peut-être que l’un des plus grands mythes que le cinéma avait intégré à notre imaginaire se situait dans le format de la salle de procès, dont la taille s’accordait magiquement à la magnificence du thème de la justice, et lui rendait hommage par un style baroque emprunté aux grandes églises où seuls les juges derrière leur bureau surélevé semblaient encore à leur taille normale. La grandiloquence des films américains où le terrain n’était que la forme des concepts en jeu… Ou alors aux Etats-Unis, on avait un penchant pour le premier degré qui manifestait l’âge bambin du pays…
Ici, dans le monde réel, les salles au Japon étaient étonnamment modernes, sans grande âme et tout le monde s’en fichait bien. La grandiloquence japonaise se moussait dans le dépouillement, comme pour provoquer les alliés américains en leur montrant qu'une salle de procès avec un peu de bois joli et de la pierre en toc rendait aussi efficacement un jugement que dans la demeure de Zeus. Il suffisait de sortir dehors pour tâter un peu de cette philosophie : le tribunal ressemblait lui-même à une brique blanche oubliée par un maçon gigantesque. Décoré de plusieurs rangées de fenêtres minables, il ne valait même pas le coup d'être regardé.
Parmi ceux qui observaient le procès, et il y avait un peu de monde, je reconnus les deux parents d’Eirin dont l’air grave était pénétré d’une profonde fatigue. Je leur avais dit bonjour sans âme et ils avaient trouvé dans ma présence quelque chose de réconfortant, un écho de souvenir quand la vie filait un train doux. Je les trouvais démolis, sans vraiment savoir ce qu’ils attendaient du jugement. Ils connaissaient Chobyo aussi, peut-être même mieux qu’ils me connaissaient moi ! et ne parvenaient pas à décider s’ils seraient plus heureux de le voir puni ou acquitté. Peut-être que c’était juste le deuil de leur fille unique qu’ils poursuivaient aveuglément sans comprendre où il les emmenait… En plus d’eux, sous le jour gris d’un automne déprimé aux portes absolument communes du bâtiment, je reconnus quelques amis à elle qui soutenaient les parents à ma place, ainsi que des amis à Chobyo, en grande quantité, qui eux avaient de quoi s’inquiéter.
Moi, appelé en témoin deux mois de ça via une convocation, je ruminais mes pensées et tentais de faire abstraction de la gueule de bois essuyée la veille. La scène me rendait profondément nostalgique et rouvrait en grand les douleurs qu’Eirin avait plantées en moi… Mais j’y mijotais aussi une vengeance secrète. Depuis des mois déjà que j’attendais ce procès et que je me disais qu’avec tout ce qu'elle m’avait fait subir, toute cette trahison, son départ, je méritais de me soigner. J’avais trouvé un médicament.
— Merci Mme Urata. Très bien, nous avons entendu les deux partis. Nous vous offrirons un droit de réponse à chacun juste après l’appel des témoins à la barre.
Mon nom sonna dans la pièce... J'étais le premier appelé. Je me levai du second banc où j’étais assis et me plantai en-face des juges, incapable de savoir quoi faire de mes bras, à attendre devant le micro qu'on me donne l'autorisation de parler. Quelques murmures et raclements de gorge m’accompagnèrent, attendant que la présidente trouve le bon papier dans le classeur et pose un index inquisiteur dessus. Elle me demanda de confirmer que j'étais bien le petit ami actuel d'Eirin au moment des faits.
— J’ai ici la déclaration que vous avez faite à la police pour expliquer l’affaire. Pouvez-vous nous raconter tout ce qu’il s’est passé durant cette soirée-là afin que nous comprenions le déroulé des événements ?
— Bien sûr, bien sûr, acquiesçais-je en baissant la tête. La juge enleva ses lunettes un bref instant et concocta d’une voix plus douce :
— Je vous demande de vous replonger dans des souvenirs qui sont difficiles. Si vous avez du mal à parler, n’hésitez pas à nous prévenir et nous pourrons faire une pause.
J’opinais respectueusement en balbutiant un merci mais son amabilité n’aurait aucun retour : je fantasmais depuis si longtemps de rendre ma version des faits publique que cela prenait le pas sur le déchirement que j’avais de revoir ces figures familières… Ne serait-ce que d’entendre le nom d’Eirin me plongeait dans une nostalgie abyssale. Sans le faire exprès, mon regard croisa celui de Chobyo, assis derrière son avocate. En comptant son arrestation, c’était la première fois qu’on se voyait en chair et en os. Il avait une gueule bien dessinée et irradiait d’un charme qui pouvait faire succomber n’importe qui. Je le haïssais d’autant plus. Ses cheveux avaient légèrement poussé et je tentais de percer ce qu’il me demandait en secret… Peut-être qu’il n’y avait aucune valeur, aucun message. Il regardait piteusement l’homme qu’il avait finalement battu, au bout du compte. Ma voix était posée et lourde.
— Le soir, je reçois des messages surprise d’Eirin. Elle me dit qu’elle est de retour sur Tokyo et qu’elle souhaite qu’on se voie. J’accepte avec grand plaisir. Une heure plus tard enfin, elle revient, on s’enlace sur le seuil de la porte. Elle n’ose pas vraiment m’embrasser mais ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus, je pouvais comprendre. Je l’invite à rentrer.
— Hmhm, commenta la juge en relisant mon rapport. Mais elle n’est pas restée longtemps.
— Pas longtemps du tout. Elle me semblait étrange alors qu’on s’échangeait de nos nouvelles. Elle ne voulait rien boire de ce que je lui proposais, elle me regardait constamment, d’une manière qui ne lui ressemblait pas. Puis elle s’était levée et a commencé à vouloir m’embrasser soudainement. Je la repousse immédiatement.
— Vous la repoussez, intervint la présidente. Pourquoi cela, n’étiez-vous pas heureux de la retrouver ?
— Très heureux, votre Honneur. Heureusement que j'avais déjà prévu cette question, je croisais les mains derrière mon dos pour soutenir tout entier ma justification. Mais comme je vous l’ai dit, elle ne me semblait pas dans son état normal et cela faisait plus d’un an après nos dernières vacances ensemble que nous nous étions vus. Elle m’avait semblé éteinte. Je l’ai repoussé assez gentiment, en plus, je voulais juste comprendre. Je lui ai demandé ce qui se passait. Elle esquiva d’abord puis abdiqua. Quand elle me répondit, sa voix sonnait faux, ce qui a fait que je lui ai reposé la question plus fermement. Il y avait bien quelque chose qui coinçait. Au bout d’un moment, elle m’avoue qu’elle était revenue au Japon car elle avait reçu une lettre rose, et qu’elle voulait… Enfin, provoquer une infidélité avant de… partir…
Les mots arrivèrent difficilement… J’avais tant et tant savouré mon texte que j’avais oublié de l’édulcorer pour le public délicat. Les autres prendraient peut-être ça pour une vague de mélancolie…
— Je la prends par les bras et la secoue, je l’engueule. Je lui dis “Ne fais pas ça, tu vas t’en tirer ! Tu peux le faire !” et j’ai tenté de la rassurer. Puis sans un mot elle s’est dégagée, m’a dit au revoir à la porte et est partie de l’appartement. Et c’est la dernière fois que je l’ai vu.
Ma voix chavire légèrement dans cette dernière phrase. Je ne pouvais pas dire moi-même si je jouais de l’émotion ou si celle-ci m’avait submergé.
— Ou qu’on s’est envoyé un message. Je passai ma main sur ma bouche, pour solidifier le barrage des pleurs. Qu’on a communiqué, quoi. Je comprends maintenant qu’elle avait tenté sa chance avec quelqu’un d’autre.
Avec son plan B, qui lui ahuri, n’avait rien vu venir.
— Et je suis là, maintenant. Seul. Si j’avais su qu’elle avai…
— Merci, coupa la dame d’un signe de tête pourtant compatissant. Avez-vous aperçu sur elle des signes de consommation de drogue ?
— Non, votre Honneur.
— Vous souvenez-vous avoir vu un flacon entier ou tout autre récipient lors de sa visite ?
— Non, votre Honneur, même si je pense qu’elle devait l’avoir sur elle à ce moment-là vu qu’elle avait prévu d’en finir dans mon appartement. Ou alors elle n'avait rien et aurait utilisé un autre moyen.
— Merci. Est-ce que vous avez des choses à rajouter ?
— Aucune. Tout est dans le document.
Voilà. Je l’avais fait. J’avais réécrit toute l’histoire à la face des familles et amis d’Eirin et de Chobyo. C’était moi à la fin, le champion final. Qu’Eirin était allée voir en premier ; que je fus assez habile pour déjouer sa tentative de suicide n’était qu’un minuscule bonus que je savourais rapidement. Ce que je voulais, c’est que tout le monde aie le souvenir qu’à la fin, ce fut moi, l’amoureux. Puis le temps me tissera ce mensonge dans le crâne jusqu’à ce que j’y croie à mon tour. Mon histoire était imparable, personne ne pouvait douter de l’authenticité des actions d’Eirin… Cela en disait long sur sa trahison réelle.
Chobyo avait tourné sa nuque vers moi. Il semblait m’interroger du regard, ou me prévenir qu’il connaissait la vérité. A nouveau, j’expirai très lentement en retour d’une gifle assourdissante où il pourrait apporter la preuve qu’elle n’avait été de passage que pour récupérer la drogue mais j’en doutais : c’était son arme finale pour en finir, bien sûr qu’elle n’en avait parlé à personne. Je me frottais les mains de ton regard, bouffon, reste assis écouter ta sentence.
Une heure plus tard, on nous fit sortir de la salle pour laisser aux juges de délibérer mais à cet instant, j’avais lâché ma bombe et le sort de Chobyo ne m’intéressait plus. Je n’y trouverais aucune satisfaction ou déception, seule la déclaration de mon témoignage avait de la valeur. Dans le grand hall où des autoroutes d’hommes et de femmes en costume se croisaient, je repliai mon col de chemise.
— Merci pour être venu et avoir parlé, dit la mère d’Eirin qui était bien plus petite que moi. Elle avait prit mes mains dans les siennes et les frottait pour s’empêcher de pleurer.
— C’est normal.
— Vous avez toujours été là pour elle.
— Vous êtes quelqu’un de bien, surenchérit son père d’un coup de menton solide mais frippé par le temps. Vous avez toujours été le plus grand amour d’Eirin.
Il semblait en vouloir énormément à Chobyo et mon rapport n’avait fait qu’envenimer son ressenti. Moi, doucement, je me disais qu’Eirin aussi, avait eu un père qui ne la connaissait pas bien.
Je respirais l’air extérieur et trouvais repos sur un banc dans la rue juste à-côté de la grande brique blanche ainsi que dans le grésillement d’une cigarette neuve, sous un ciel gris lumière, quand les nuages recouvraient tout le ciel mais était trop fins pour bâillonner le soleil. Mon devoir était terminé. Je pouvais me reposer et refermer le livre d’Eirin petit à petit.
Et pourtant…
Et pourtant…
Miné par la journée, un électrochoc lent et glacial me parcourait le corps. Je ne ressentais aucune culpabilité pour avoir menti devant la justice, les amis ou les parents d’Eirin. Absolument aucune et à la limite, une fierté légère, l’équivalent d’une flamme de bougie… Mais ce fut cette vision, cette insensibilité à mes torts, qui me paralysait l’esprit. Je compris alors la vérité la plus odieuse : pendant cinq ans, je n’étais jamais devenu une personne meilleure. Au contraire, j’avais juste exacerbé la médiocrité abyssale dont j’avais fait preuve avant.
Cette pensée acheva la création d’un frisson gigantesque qui eut des remous jusqu’aux tréfonds de mes parties les plus inconscientes et qui avaient le pouvoir de changer des vies dans les trois secondes de leur existence.
J’étais toujours une merde. Les yakuzas, Kabukicho, mon travail… Rien n’avait changé en moi sinon le regard et les réactions d’un monde extérieur mais en vérité, j’avais juste masqué ma nullité. J’étais maintenant encore plus seul que je ne l’avais jamais été, j’étais un menteur, j’avais intimidé des gens pour me sentir supérieur, je profitais de la renommée d’autres et croyais que cela faisait quelqu’un de haut. Je n’étais en rien un semi-héros, je n’étais qu’un parasite qui n’avait trouvé sa chance que quand on lui avait tiré dessus. Une raclure à qui on avait laissé une opportunité en or et qui en avait fait une trousse de maquillage pour se leurrer qu’il pourrait faire quelque chose de bien. Rien n’avait changé… Je n’avais pas mûri, je m’étais replié dans les puissances les plus animales de ma personne sans chercher à devenir un homme. Ne restait maintenant qu’un déchet aux odeurs des égouts dans lesquels il vomissait.
Même devant mon plus grand amour avec qui j’aurais partagé ma vie, j’avais trouvé chaque excuse pour déformer la réalité afin qu’elle m’aime encore. J’avais souillé la mémoire d’Eirin avec la puérilité d’un gosse affreux, parce que pendant cinq années, je n’avais pas voulu avancer ou mûrir. J’avais juste vécu à corps perdu dans les illusions et les vices. Je retrouvai mon regard d’avant, bousculé par les soupirs et le temps passé, meilleur en tout point de vue, épuisé d’être moi-même, abasourdi par l’effort sisyphéen qu’il fallait déployer pour avoir le droit ne serait-ce que d’être si minuscule. Tout ce temps perdu à tourner en rond. Je n’avais jamais eu l’esprit en paix… Je l’avais juste occupé à des fantaisies délirantes
Malgré les fêtes, le compte en banque rempli, les nouvelles liaisons et les commanditaires, malgré le respect des collègues et les paillettes, le nouvel appartement et maintenant le procès de Chobyo et la déclaration publique qu’Eirin m’avait toujours placé au centre de son cœur… Eirin n’était pas revenue. Chaque pinte bue puis abaissée ne masquait pas son visage qui serait de retour brusquement. Pareil pour la fumée de cigarette. Chaque porte que je poussais pour sortir dans la rue et où j’aurais pu la croiser par inadvertance ne menait qu’à une foule d’inconnus… Aucune connerie produite ne provoquait son retour. J’étais toujours seul…
— Allo Hirai-san ? Qu'est-ce que je foutais à l'appeler, lui ? J'étais bien désespéré...
— Haiko-san, le temps va ?
— Ce n’était pas le jour du procès aujourd’hui ? Si. Tout s’est passé correctement ?
— Elle me manque toujours autant. Et le monde s’en fiche de ce que j’ai dit. Au final, c’est toujours Chobyo qu’elle aime.
— Toson... de là où elle est est, Eirin n’aime plus personne, asséna Haiko d’un ton brut. Je comprenais qu’il tentait de me rassurer. Mais il n’eut en retour qu’un soupir qui suggérait un peu de patience avant que je ne puisse écouter.
— Haiko-san… prononçais-je dans un semblant de voix poussé par un vent nouveau déjà épuisé, est-ce que je peux demander d’arrêter notre collaboration ?
Ce fut par cette figure de comptable mystique que je saisis mon opportunité d’avancer et de provoquer le destin. Ça serait le premier averti de mon humeur nouvelle. Haiko serait le pivot de mes mouvements finalement, la porte d’entrée et de sortie.
Mais sa réponse fut sans appel.
— Impossible.
— Ah ? Désarçonné, tout le monde est con.
— Je suis embêté, avoua-t-il d’un ton qui suggérait à l’inverse qu’aucune gêne ne le contraignait, ce n’est pas vraiment le moment pour ce genre de manœuvres. Ce n’est pas bien grave, tu n’es pas obligé de pondre un article avec notre aide. Mais il faudrait continuer les échanges quelques temps encore.
— Vous dîtes ça à cause des informations qui sont sorties sur Fujimoto ?
La dernière fanfare en date provenait du grand quotidien Yomiuri Shimbun qui avait lancé, preuves à l’appui, de graves accusations contre une figure importante de l’Inagawa-kai (à statut égal avec Haiko, soit un lieutenant). Il avait fait l'objet d'un mandat d’arrêt et la police lui avait mis le grappin dessus moins de quarante-huit heures après. Fujimoto se trouvait actuellement derrière les barreaux et son frère, aussi bien placé que lui dans l’organisation, fulminait à la recherche de la taupe qui avait fait sortir les secrets hors du clan. De manière générale, bien qu’on ne m’en parla peu, je savais que les dernières semaines à l’Inagawa-kai étaient le terrain d'une enquête interne pour séparer le grain de l’ivraie.
— Si tu coupes les ponts maintenant, Fujimoto te verra comme un rat qui quitte le navire après avoir sabordé la cale.
— Je ne fais pas déjà partie des suspects ? m’enquis-je d’un ton terne.
Ce fut cette fois-ci à Haiko de tenir un léger silence coupable.
— Je te protège, fut tout ce qu’il répondit.
— Sinistre…
— Ce n’est pas une bonne journée, hein ? plaisanta-t-il et je me joignis à ses ricanements jaunes.
— Bonne journée de merde. Bonne grosse journée de merde.
— Il y en a eu, il y en aura d’autres. Il faut trouver la force quand il fait beau de se protéger de la pluie.
— Ce crétin de Fujimoto s’en branle que je travaille pour l’Asahi et pas pour Yomiuri. Il cherche juste un coupable sur lequel il pourra brailler son incompétence.
— Hirai-san, on se calme. Il n’y a rien de grave, je t’ai dit que tu étais sous ma protection. Il ne t’arrivera rien de ce côté-là. Je pense même qu'il ne sait pas qui tu es, mais je ne voudrais pas qu'il apprenne ton existence alors que tu coupes les ponts. Je te promets que dès que la situation sera apaisée, on mettra fin à notre accord. Ça te laissera le temps de réfléchir. C’est une question de mois, et peut-être si la chance te sourit enfin, de semaines. Et Ayaka me rappelle que c’est le jour du procès - je sais, chérie, merci beaucoup, on en parle. Elle a tenté de faire de la pâte glacée, elle voudrait que tu goûtes - écoute, il a une journée assez difficile comme ça en plus de risquer à manger un de tes desserts... aïe.
Dix secondes de discussion de couple à laquelle je laissais un peu d’intimité en séparant le téléphone de mon oreille. D’un côté, j’avais envie d’être en présence d’amis ; de l’autre, les voir était la chose que je voulais le plus éviter, celle qui me plaçait le plus intimement sous le nom de l’Inagawa-kai.
— Je suis désolé, s’excusa le Comptable en ayant retrouvé sa solennité de prêtre.
— Vous avez une complicité avec votre femme qui dénote de votre grade, lieutenant, notais-je gentiment pour le charier.
— Ayaka n’est pas une yakuza. Elle mérite un vrai mari, je m’y applique.
Sa réponse étrangement me rassura, elle fut telle le vent doux qui m’amena à accepter peu à peu ma situation.
— J’arrive, alors.
— Je préviens que ça n’a pas l’air d’être mangeable.
— Que votre femme aie réussi à cuisiner quelque chose de potable sera le seul miracle qui pourra rendre cette journée belle.
Le rire d’Haiko fut d’une sincérité touchante. J'avais besoin d'un peu de calme et d'amis. Ma transition pouvait souffrir d'une journée de plus.
La communication s’arrêta bien vite après et je repris une nouvelle clope. Maintenant que cette sale loutre d’Eirin avait fini par me secouer, je devrais remettre toute ma vie en branle. Quelque part, j’éprouvais un certain réconfort à me dire que je pouvais encore arranger les choses. La tête dans la merde, je pouvais trouver de l’espoir qu’une douche était toujours autorisée. Il était temps de faire du grand changement et de m'arroser.
__
Chapitre 8 : L’histoire
L’océan mordit mortellement Tokyo à trois reprises. La nature avait rappelé à tous qu’il lui suffisait d’un éternuement pour éradiquer une nation. Et traumatiser une civilisation.
Parmi mes contacts, ce fut étrangement la perte d’Haiko qui m’affecta le plus. Haiko n’était plus de ce monde, il avait trouvé son dieu. Il n’avait jamais cru qu’il le rejoindrait dans les cieux avec sa carrière de malfrat, alors il avait décidé de vivre modestement pour faire amende honorable le restant de sa vie. Dehors, dans son jardin, sur une chaise en terrasse pleurait Hayaka encore en kimono. Au-dessus de nous, les nuages eux-mêmes imitaient la mousse des vagues et le ciel semblait être raturé d’un pinceau céleste qui lui donnait l’air d’un océan grondant arrêté.
Sans ma boule au ventre, je lui aurais rendu un meilleur hommage en piochant dans des émotions dignes d’un fracas pareil. L’effarement, la détresse, une tristesse profonde envers l’injustice. Aurais-je versé des larmes catastrophées, si le Shukumei n’avait pas déjà étourdi même les âmes les plus solides ? Peut-être pas, peut-être aurais-je respecté son flegme légendaire et mon visage n’aurait été secoué que d’un air grave qui se lavait aux bons souvenirs. Mais un élan national ne prenait jamais mieux cœur dans ses citoyens que durant une catastrophe, et face à un phénomène patriote, les émotions personnelles ne passaient plus. On avait juste l’impression d’être pris dans cette immense fin du monde tel que nous le connaissions ensemble et cela nous dépassait tant que les vivants et les morts n’étaient ni le sujet du jour, ni tant séparés que ça. Il restait un choc immense qui anéantissait les entrailles et unissait ce qui restait d’âmes dans une contemplation impuissante de la force de Dieu.
Inoue et Izuru, les deux fidèles, avaient escorté la dame jusqu’à chez elle et ne pipaient pas grand-chose : après tout, leurs mots avaient-ils la moindre valeur aujourd’hui ? Nous avions tous perdu des êtres chers. Être vivant maintenant n’avait plus la même valeur qu’hier. Tous les révolutionnaires attendaient cet instant, ce schisme historique entre le passé et le présent où le futur semblait être à la portée de n’importe quel rêve. Mais peut-être qu’eux aussi étaient en deuil. À la fin, nous n’étions que des animaux qui pleurions.
Il devait être la moitié de l’après-midi, quatre cafés cardinaux sur la table et une conversation plus modeste avait lieu ; nous discutions tranquillement de la pluie, du beau temps... des catastrophes. Ayaka éteignait quelques fois au coin de ses yeux sa tristesse alors que nous échangions des banalités comme si nous vivions une semaine à peu près normale. Puis la dame endeuillée me demanda ce que je comptais faire maintenant et je répondis ceci :
— J’avais passé un contrat avec Haiko. Je pense que je vais enfin pouvoir me retirer.
Je m’attendais à ce qu’Inoue et Izuru poussent quelques cris d’exclamation et des soupirs satisfaits pour saluer ma décision mais ils laissaient au contraire, peser autour de la table une pesante ambiance, un silence qui préparait la guerre. Ce fut Izuru qui se lança enfin :
— Le moment est compliqué, Hirai. Très compliqué.
— On m’a prévenu. Fujimoto.
Cela faisait deux semaines que le procès de Chobyo avait eu lieu et déjà, Haiko m’avait mis en garde. Mais les deux semaines portaient le poids d’un siècle au vu des destructions. Mes réflexions, mes envies, ma philosophie désiraient un changement intense vers une vie plus douce et rien qu’à entendre les réserves d’Izuru, une lassitude terrible me saisissait. J’imaginais encore devoir jouer le rôle du chien tenu en laisse. Mon départ serait symbolique mais après avoir perdu tous mes repères dans le monde matériel, je reportais le poids de mes ancres aux symboles.
— Enfin, pars, Toson, lâcha soudainement Ayaka comme s’il n’y avait aucune matière à faire du chichi. Tu n’as jamais été dans ce monde-là.
— C’est dangereux, intervint Inoue d’une voix grave.
— Fujimoto a d’autres chats à fouetter. Et s’il a un mot à dire, c’est moi qu’il trouvera. Elle s'était parée d'une voix tranchante d'impératrice qui se savait le pouvoir d'altérer la réalité et de commander au monde ; devant ce ton, un jour de deuil, Fujimoto me paraissait minuscule. Et j'e n'entendrais de toute manière, jamais parler de lui après ce jour.
Je fus fasciné par une bravoure qui après avoir perdu ce qui lui tenait le plus à cœur, avait renforcé des qualités inédites. Engoncé dans mon aigreur, matraqué depuis des années maintenant par la rancœur et les ultimes souvenirs d’Eirin et mon impuissance à les recracher, ma recherche absolue de tordre le passé, je pouvais maintenant avoir un aperçu de la route vers une puissance de bonté qui m’aveuglait. Moi, j’avais menti en-face de la justice de la plus pathétique des manières, et elle… Enfin, j’espérais que quand Tokyo irait mieux, quand je trouverais la paix, je pourrais ressembler un peu plus à ce dont j’avais été témoin ce dernier quart d’heure. C’était terminé de courir en rond : j’allais marcher au rythme de ce bout de femme. Je ne placerais ni main ni argent sur cette épiphanie si j’étais vous : j’avais plus foi en elle que moi. Mais sans avoir les jambes pour arpenter ce sentier vers un Toson meilleur, au moins maintenant pouvais-je le voir.
__
En attendant que l’âge ou l’amour me donneraient au choix l’expérience ou la confiance pour trouver mon soi ultime, la délivrance d’un potentiel que chacun fantasmait qui se cachait dans les tréfonds de mes défauts, ou que je cesse d’attendre des excuses pour réhausser mon humeur et devenir enfin la bonté que j’avais trouvé chez Ayaka, cela faisait cinq ans que j’avais changé de vie et que j’étais redevenu quelqu’un de plus anonyme, de moins explosif et que Kabukicho ne prêtait plus réellement attention à moi. Allant au milieu de la rue et prenant de la place, j’étais devenu une de ces figures qui collaient au mur, qu’on retrouvait à certains endroits comme l’affiche d’un film attendu, qui sentait la même odeur que la ville. Comme toutes les histoires de réincarnation et de renaissance qu’on puisait dans les mythes et les religions où l’eau prenait une place prépondérante, ce fut par le Shukumei que je me sentis enfin adulte, en larguant peu à peu les poids puérils que mon adolescence ou mes faiblesses avaient amassé, en cessant d’errer dans les marécages de ma vie pour devenir ce qu’on appelait un citoyen fonctionnel. Dans le pire, au cas où j’oubliais que j’étais censé être devenu sérieux, une petite visite chez l’héroïque Ayaka, qui elle aussi avait coupé tout pont avec l’Inagawa-kai, ou un passage devant mon miroir qui projetait une face que les rides empruntaient, me le rappelait vite.
Au moins avais-je conversé dans mon quartier un réseau si efficace et habile que jamais on ne me déplaça dans un autre bureau, et que même si on continuait de m’appeler “Ambonnay”, ce n’était plus qu’un lointain souvenir d’une grosse décennie, une cicatrice de guerre à laquelle même moi je riais et avec m’amusais à terroriser les stagiaires pour les inciter à la prudence. Oh, ne croyez pas que mon job était devenu plus simple : j’étais à peine à la hauteur, m'agrippant chaque soir aux deadlines comme à une prise au-dessus du vide et Kabukicho ne me traitait jamais avec tendresse deux soirs d’affilée. Plus que je dormais, je succombais après minuit et ressuscitais. Mais je tenais, je tenais bon et Mashida, que la vieillesse ne calmait pourtant pas, m’avait accepté comme une de ses armes les plus fidèles et quelques fois, me laissait travailler seul ou sauter les réunions qui m’enlisaient hors de mon trot.
J’avais posé un an après sa perte, un chrysanthème sur la tombe publique d'Haiko. Ma relation avec lui me semblait bien étrange : c'était bien sa proposition qui avait enfoncé ma fierté au fond du trou mais il ne m'avait pourtant jamais lâché. Et maintenant, regardez-moi, je m'occupais de couvrir le grand mystère du "System Error" de l'Incontestable du printemps 2011 avec une de mes collègues pour l'Asahi ! Même si tout le monde se fichait du nom sous l'article, je me sentais pourtant comme une star dans la rue. J'allais voir ma caissière pour mes courses hebdomadaires, titillant ma conscience pour savoir si je pouvais lui dire ou non, la réputation que j'avais maintenant.
Si je n’avais été victime d’aucune déboire dans l’épidémie et la chasse à l’homme qui l’avait suivi, j’en fus cependant un des journalistes qui explora le mieux l’affaire. Si une partie de mes articles ne furent pas acceptés car ils flirtaient insidieusement vers les Incontrôlables (ce que j’avais tenté de réfuter), notamment en posant la question des philosophies hors-Incontestable qui avaient pu émerger chez les fugitifs et les sensations de relative liberté qu’ils m’avaient rapporté, ce furent bien par des interviews de ces derniers, cachés dans Kabukicho par des connaissance, que je m’en tirais avec des lettres de noblesse. Je pus approcher au plus près des hommes et femmes traqués et après quelques retouches “du dessus” qu’on pourrait qualifier de censure si on doutait de leurs intentions à découvert de ne pas ennuyer le lecteur, j’écrivis des articles sur eux, leur manière de vivre, les émotions qui les traversaient, l’espoir de revenir dans les rangs ou que d’autres citoyens fussent frappés par le même mal.
Bien entendu, le papier ne sortit pas sans remous : trois miliciens s'étaient pointés au building pour échanger quelques mots avec moi. Ils s'installèrent dans mon bureau après avoir pris un verre de café à la main et deux s'assirent en-face. Je savais déjà ce qu'ils voulaient et heureusement, ils ne cherchèrent pas à tourner autour du pot, ils voulaient me demander poliment où se trouvaient les fugitifs que j'avais interviewés.
— Je ne peux rien vous dire, puis ils sont certainement partis à l’heure qu’il est.
— Je vous promets qu'il ne leur arrivera rien, c'est pas notre but ; on peut juste pas les laisser se balader dans la nature, me dit un des gus.
— Les supérieurs sont à cran, vous pouvez imaginer, dit l'autre inspecteur.
Ce qu'on vous dit, c'est que sur ce coup-là, vous nous soutenez sur ce coup, vous pouvez être certain que vous aurez un retour d'ascenseur avec intérêt.
Heureusement, je possédais maintenant le bagage nécessaire pour rétorquer avec efficacité, me permettant ainsi de ne céder ni à la panique, ni à l’emportement :
— Messieurs, chaque corps de métier dispose de sa logique interne qui passe souvent très proche de l’illégalité, et traverse la morale. Vous par exemple, tenez, c’est la solidarité entre vous, qui prévalez, malgré les bourdes. Vous ne laissez jamais tomber un collègue même quand vous savez qu’il est coupable. Moi, c’est de ne jamais citer mes sources. Au grand jamais. C’est ce qui me permet d’être respecté dans le quartier et d’avoir de quoi me nourrir le soir. Et c’est ce qui vous permet à tous, vous peut-être un jour, quand vous avez la bonté de nous transmettre des informations, de ne jamais avoir vos noms balancés en place publique.
Le troisième homme qui touillait son café sans rien dire, acquiesça du menton en écoutant mon discours. Il comprenait que la conversation n'irait pas au-delà. Et moi, je comprenais que j'étais enfin devenu un vrai journaliste de terrain.
Je laissais tomber l’amour. Sentant la lettre rose bientôt menacer le trentenaire avancé que j’étais, nouer une idylle ne finirait que dans la douleur, dans les mauvais moments. Je me tenais éloigné des belles et de toute manière, le travail ne m’offrait que peu d’opportunités de tisser une liaison, en tout cas, qui durerait plus d’une nuit. Puis un jour, Chobyo sortit de prison, j’appris la nouvelle par les réseaux sociaux et je n’eus aucune réaction. J’aurais préféré ne jamais le savoir, quitte à choisir. Je n’aimais pas quand les ordures sortaient sans que je ne leur demande, de la poubelle de la honte où je les avais jetés.
Je guérissais petit à petit, sans gaieté ou impatience, mal installé dans un rythme de vie féroce. Mes fougues d’avant muselées par ma crainte de replonger dans mes frénésies, mon esprit impavide aux horreurs que je croisais mensuellement dans mon travail, ma dévotion à mon réseau qui me prenait mon temps libre, m’aiguisaient pour une vie ardue mais monotone. Le cerveau engourdi par les jours qui se ressemblaient, j’en oubliais de savoir comment j’allais. Ma carcasse était embarquée dans un train où je n’étais qu’un simple passager, à observer ma vie qui défilait à la même vitesse sans que je ne puisse ni toucher à l’accélérateur, ni descendre. Le but au final à chacun, c’était de trouver le meilleur train possible, dans la meilleure classe, le meilleur service avec les meilleurs paysages. Il me semblait que j’avais arraché du bout de doigt un voyage éternel dans le Transsibérien. Une certaine stature, du poids historique sur les épaules, beaucoup de froid.
Est-ce que je pouvais être fier de moi ? Aucune idée, je ne pensais plus à ça. Mon père était décédé l’année dernière sans que je n’aie eu une vraie conversation avec lui ; à quoi bon ? Le temps l’avait oedipé pour moi. Ma mère depuis, était devenu un trésor. Et Eirin au final, restait peut-être la seule personne dont je craignais le jugement, même encore maintenant, devant ce trois-quarts de Toson, ce qui était déjà mieux qu’avant. Et Kabukicho continuait à dégueuler dans ses rues tous les vices humains qui servaient de rails à mon Transsibérien. Je notais tout, fouillais dans le détail, retenant tout jugement et frôlant du mieux que je le pouvais l'objectivité journalistique ; peu à peu, je devins sans m'en rendre compte un des grands spécialistes de la vie du quartier, car j'y comprenais aussi bien la tapisserie que les volontés individuelles qui la coloraient. Observateur de ce grand chaos qui n'interférait jamais dans ses affaires, j'étais tel l'arbitre d'un match qui n'avait aucun pouvoir.
Toson Hirai
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Toson Hirai
[Message tout à fait inutile, cicatrice d'une fiche en chantier]
Toson Hirai
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Modération de fiche
Le staff de Just Married te souhaite la bienvenue sur le forum !
Introduction
La bienvenue à ce nouveau personnage ! :3
Histoire
chapitre 1 :
Il y a un problème avec l’emploi de ton “ni” (1ère phrase)
Par rapport à ton deuxième paragraphe, attention, l’estime de soi est aussi développée par l'environnement social de l'enfant
Chapitre 3:
Ce n’est pas une demande de perquisition qui lui sera présenté (ca c’est qui est transmis par la police au procureur, il n’y a aucune raison pour qu’il la voit), mais une autorisation de perquisition
“Y en avait dans ce flacon pour des dizaines de milliers de balles” elle est conditionnée dans des petits flacons, ca ne montera certainement pas aussi haut
J’ai un problème avec ton audition. Déjà sur la forme, ils ne vont pas s’adresser à lui comme ca, elle fait l’objet d’un procès verbal qui retranscrit tout et il sera également enregistré (audio-vidéo). Passons outre l’importance de la politesse chez les japonais, le sujet de la drogue y est extrêmement sensible, ils ne prendront pas le risque de faire quoi que ce soit qui puisse les desservir. D’autant que ce n’est pas une garde à vue, vu le peu d’éléments à charge, il sera certainement entendu comme témoin (je doute qu’il y ait assez pour qu’il passe comme témoin assisté, vu les éléments), ce qui signifie qu’il est libre de partir comme il veut ; ils ont bien meilleur compte à le faire coopérer qu’à l’insulter. Par ailleurs sur le fond, si un accord doit être fait, ca passera par le procureur. La police n’a pas de lettre à écrire et elle ne peut rien faire du tout (de toute manière il ne risque pas grand chose à ce stade). Elle effectue l’enquête sous la direction du Parquet, c’est tout. Sachant que si les taux de condamnation japonais sont si élevés, c’est parce que le procureur ne poursuit pas sans être sûr à 90% d’une condamnation, vu le dossier, les policiers savent très bien ce qu’il en est (c’est à dire qu’il n’aura rien du tout), et Toson aussi certainement puisque son milieu doit lui permettre un minimum de connaissances sur le domaine.
“des portes claquer” vu l’énumération ce serait plutôt “claquées”
L’histoire avec Eirin n’a pas de sens, pourquoi est-ce qu’il y aurait une enquête pour homicide involontaire en raison d’une infidélité alors qu’elle s’est suicidée par overdose (et n’a donc pas été exécutée) ?
Chapitre 6 :
Concernant les premiers paragraphes, il te sera demandé de ne pas formuler de généralité sur les yakuzas si elles ne sont pas liées à une réalité actuelle. En l’occurence, sur les relations yakuzas-Incontestables.
Ta vengeance au Sixth Chamber est à revoir voire à effacer, ce bar à hôtesse peut appartenir au clan adverse, ce qui engendrerait des gros problèmes; et si ce n’est pas à un clan adverse, ils n’ont pas de raison de l’accompagner se venger d’une fille qui n’a fait que son travail, c’est exactement le principe de l’hôtesse, d’inciter à consommer plus, et ils n’ont pas de souci non plus à tabasser si tu ne payes pas.
D’ailleurs les yakuzas ne viendraient pas avec des battes pour une affaire si minime
Chapitre 5
Toson est certes proche des yakuzas mais à tout moment ces derniers peuvent se retourner contre lui, l'utiliser à leurs dépends et l'envoyer balader il ne sera plus le journaliste chaleureusement accueilli. Son rapport avec la mafia est trop prononcée et il n'est pas réaliste que la police se retrouve à le hisser à un rang si élevé
Dans l'état actuel, il peut avoir été invité pour des repas ne serait-ce que pour que Haiko s'assure de sa fidélité et son engagement. Toson est devenu trop confiant, et ce point est bien justifié, mais il oublie très vite qu'il a affaire à des yakuzas quand il dit qu'il devient une “chaleureuse connaissance”. Toson n'est pas devenu un yakuza, il n'a pas passé le rituel d'intégration, cela reste et doit rester une personne étrangère à la famille
chapitre 7
Il y a une description du tribunal dans le topic. Sinon tu en trouveras des images dans une simple recherche internet.
“Il n’y avait bien sûr, pas de barre. “ pourquoi “bien sûr”, ca dépend des salles. En général, il y a quand même un micro (sur pieds), voire un petit pupitre avec chaise et micro intégré
On n’appelle pas les juges votre Honneur, mais “monsieur/madame le/la juge”, ou bien “monsieur/madame le/la président(e)”.
Les juges interviennent rarement eux-mêmes d’ailleurs, c’est plutôt le président de la séance qui parle.
La juge ne va pas balayer comme ca une question sans réponse.
Je vais être pointilleuse (mais tu as voulu faire dans le détail, donc… ) mais d’une part la présidente ne va pas parler du droit de réponse comme ca, d’une autre en appelant Toson elle commencerait par les éléments d’identité puis lui demander soit sa relation avec la victime, soit de confirmer sa relation avec la victime. Il s’agit de tout vérifier avant de commencer à entendre une personne.
“me sentir supérieure”
“Il avait subi un mandat d’arrêt “ on ne subit pas un mandat d’arrêt, on “fait l’objet de” ou on “est visé par” un mandat d’arrêt
Chapitre 8 :
Il contient quoi exactement ce fameux disque dur pour créer autant de problèmes ?
C’est Shukumei, ils ont clairement autre chose que courser Toson, entre leurs propres dommages humains et matériels, se réorganiser et aider la population comme ils le font régulièrement pendant les catastrophes. Ils n’ont pas non plus besoin qu’un journaliste leur en parle pour le faire. Par ailleurs il te sera demandé de ne pas créer d’intrigue importante telle que celle ci, d’autant que nous avons encore des membres yakuzas dont certains font partie de l’Inagawa-kai.
Les yakuzas mettent un point d’honneur à respecter leurs règles (c’est en partie ce qui les mène à leur perte d’ailleurs).
Chapitre 9 :
Pourquoi est ce qu’il serait convoqué au commissariat ? C’est la milice qui est en charge de retrouver les fugitifs, la police n’a rien à voir avec. Et au niveau pénal, ils n’ont rien à lui reprocher non plus, c’est un journaliste, il a le droit de ne pas divulguer l’identité de ses sources.
—
Il me semble qu’il manque le Big Bang Kiss et le projet Izanagi
Il n’est pas intégré à la moindre famille (il le dit lui même d’ailleurs), mais tu lui as donné un degré d’implication beaucoup trop fort pour que ce soit de l’ordre de l’exceptionnel. D’ailleurs, vu le lien actuellement décrit dans la fiche, il ne pourrait pas s’en défaire si facilement
Physique
opinel (c’est un nom propre, il manque une majuscule)
“comme un cent”
C’est un journaliste, pas un policier, il n’a pas “d’indics” mais des sources.
S’il a consommé des drogues dures, sans compter l’alcool, ca doit se répercuter sur son physique (mémoire, palpitations, etc. mais aussi vieillissement prématuré)
Caractère
A noter que Roppongi est presque aussi mal famé que Kabukicho
“ pre mais inflexible”
Conclusion
Pas mal de changements mais la fiche est longue, j’espère que ca ne te découragera pas ! Attention à ne pas aller trop dans le sensationnel (la réalité est moins fun que l’art ne la présente), ce sera certainement plus facile pour toi aussi à jouer ensuite. Il n’en est pas moins un personnage intéressant, je reste dispo en pv si besoin ! Je t’ajoute une semaine pour les corrections, à bientot ! :3
Bon courage pour les modifications ! En cas de problème, de doute, n'hésite pas à contacter un des membres de l'administration, nous serions ravis de te venir en aide ! :)
Analyse : 1/3
Nous analysons au maximum trois fois une fiche, après cela, si nous ne pouvons toujours pas la valider, nous serons malheureusement obligés de la refuser. Nous ne pouvons nous permettre de reprendre chaque fiche dix ou vingt fois, cela serait autant pénible pour vous que pour nous. Merci de votre compréhension.
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Toson Hirai
Merci pour la lecture !
C'est noté, je change tout ça ^^
C'est noté, je change tout ça ^^
Toson Hirai
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Laïs Matarese
Welcome ! Quand tu es validé et si ça te chauffe hésite pas à slide dans mes DM que la petite Laïs qui trempe dans des trucs pas trop légaux et ton Toson se rencontrent
Laïs Matarese
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Autre: Remerciements, big up, infos à savoir ?
Ji Kusaka
Alors... Je t'aime de tout mon coeur, tu le sais... Mais désolée, je ne lirai pas ta fiche dans l'immédiat!
A très vite en jeu, peut-être, et bienvenue à cette nouvelle tête!
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Ji Kusaka
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Toson Hirai
Laïs > C'est parti, faisons les quatre cent coups ensemble o/
Kohaku > J'ai viré un petit quart de l'histoire pour rentrer dans les clous, n'est-ce pas plus adéquat pour ton amour ?
Michiko > Voilà Michiko, j'ai fait plein de corrections (en rouge), supprimé pleins de scènes de paragraphes ou de phrases (en barré) et j'ai même apporté quelques modifications à la relecture pour éviter des répétitions (en orange) ; je suis même tombé sur des erreurs de conjugaison, je les ai corrigées aussi.
En gros, j'ai considérablement réduit l'importance de la collaboration de Toson avec les yakuzas ainsi que la relation avec ces derniers, supprimé les scènes (voire les chapitres) qui les mettaient en scène et appliqué toutes les corrections et précisions demandées !
Je me tiens prêt pour une seconde vague possible de modifications à apporter s'il y a !
Et si tout te convient, je pourrais supprimer la mise-en-page des corrections avant la validation de la fiche pour qu'elle soit toute propre !
Kohaku > J'ai viré un petit quart de l'histoire pour rentrer dans les clous, n'est-ce pas plus adéquat pour ton amour ?
Michiko > Voilà Michiko, j'ai fait plein de corrections (en rouge), supprimé pleins de scènes de paragraphes ou de phrases (en barré) et j'ai même apporté quelques modifications à la relecture pour éviter des répétitions (en orange) ; je suis même tombé sur des erreurs de conjugaison, je les ai corrigées aussi.
En gros, j'ai considérablement réduit l'importance de la collaboration de Toson avec les yakuzas ainsi que la relation avec ces derniers, supprimé les scènes (voire les chapitres) qui les mettaient en scène et appliqué toutes les corrections et précisions demandées !
Je me tiens prêt pour une seconde vague possible de modifications à apporter s'il y a !
Et si tout te convient, je pourrais supprimer la mise-en-page des corrections avant la validation de la fiche pour qu'elle soit toute propre !
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Modération de fiche
Le staff de Just Married te souhaite la bienvenue sur le forum !
Histoire
Chapitre 5 :
*Comme indiqué plus haut, il te sera demandé de ne pas présenter les rapports entre Incontestable et yakuzas par de telles affirmations. C’est l’idée qu’il défend, mais ça reste son idée, (après tout, la thèse contraire peut également tout à fait se défendre selon le journal et le public visé) il faut l’indiquer comme telle et non pas comme une vérité.
Chapitre 9 :
*je m'occupais de couvrir le projet Izanagi avec une de mes collègues pour l'Asahi
>Le nom du projet est strictement confidentiel, il ne peut pas le connaitre
fait l'objet un mandat d’arrêt
Ok pour moi pour les parties barrées/orange/rouge qui n'ont pas été relevées, tu peux les supprimer / remettre en forme
Physique
Validé
Caractère
Validé
Conclusion
Pas grand chose à redire, tu as bien pris en compte tout ce qui a été soulevé, bon travail ! Je te laisse modifier ca et ce sera bon pour moi :3 à très vite ! Bon courage pour les modifications ! En cas de problème, de doute, n'hésite pas à contacter un des membres de l'administration, nous serions ravis de te venir en aide ! :)
Analyse : 2/3
Nous analysons au maximum trois fois une fiche, après cela, si nous ne pouvons toujours pas la valider, nous serons malheureusement obligés de la refuser. Nous ne pouvons nous permettre de reprendre chaque fiche dix ou vingt fois, cela serait autant pénible pour vous que pour nous. Merci de votre compréhension.
Invité
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