Alphard, la solitaire

Nuit noire, étoiles mortes


- Elles sont jolies, les étoiles. Quand je serai grand, je voudrais être astronaute pour les voir de plus près.
- Je crois bien que tu te contenteras toute ta vie d'être dans la lune, lui avait lâché son père, comme pour le faire redescendre sur terre.

Sa mère n'ajouta rien, bien qu'elle trouvait une fois de plus que son mari était beaucoup trop direct avec leur enfant. Après tout, il avait raison, et autant que Nocturne s'en rende compte au plus vite, comme là, maintenant, le jour de son sixième anniversaire par exemple. Une nouvelle fois, l'enfant explosa en larmes, à bout des paroles de son père. Une nouvelle fois, ce dernier leva la voix, l'accusant d'être trop naïf, pleurer pour un rien, puis blâmant sa mère pour ne pas intervenir. Et une nouvelle fois, leurs parents s'embrouillèrent, pour la fête de leur enfant.

Il n'avait rien eu, lui. Ni l'argent qui te faisait vivre correctement, ni la famille aimante qui était présente pour toi. Celle-ci se contentait de survivre au jour le jour.
Il était plus qu'évident que ses parents n'avaient pas accepté leur union. Ils n'aimaient pas l'Incontestable, et ne s'aimaient pas non plus. Pourtant, ils se ressemblaient en tous points. Ils enchaînaient des petits boulots, ils râlaient toujours pour un rien, n'avaient aucun véritable centre d'intérêt. Puis un autre point les lia. Leur fils, qu'ils n'avaient pas vraiment désiré, en fait. Ils n'arrivaient pas à s'aimer eux-mêmes, comment arriveraient-ils à donner un peu d'amour à cet enfant ? Malheureusement, ils n'eurent pas d'autre choix que de le garder. Dans le fond, le père s'en moquait un peu : sa vie était déjà fichue au moment même où il avait été marié à cette femme. Cette dernière par contre, aurait préféré ne pas avoir cet enfant pour éviter de répandre davantage leur chagrin. Mais qu'importe. Le mal était fait. Et il fallait lui donner un nom, à présent. Elle y réfléchit seule. Et un mot à la sauce française sortant de ses anciennes études lui vint en tête : ayant accouché en pleine nuit, la mère proposa le nom de « Nocturne ». Le père ne contesta pas. Il ne savait même pas de quelle langue cela pouvait provenir.

C'est ainsi que commençait cette vie de famille, toute aussi animée que lorsqu'ils n'étaient que deux.
S'ils s'occupaient correctement de leur fils, ils ne semblaient pas savoir quoi en faire. Il fera sa vie, de la même façon qu'eux, sûrement. Il la ratera, comme ils l'avaient fait. La pomme ne tombait jamais très loin de l'arbre, après tout.

- Il est où papa ?
- Et si tu consultais tes astres pour me le dire ? se railla sa mère de lui.

Le père avait disparu du jour au lendemain. Il partit la nuit pour un énième travail, mais ne revint jamais. A bout de cette vie vide de sens, il aurait mis fin à son existence dans un coin. Un départ dans le plus grand silence. Pour une fois que ça ne gueulait pas.
Nocturne fut presque surpris de voir qu'il n'avait pas pleuré une seule fois sa disparition. Non, il n'était pas plus triste que ça. Blasé peut-être. Dégoûté, sûrement. De ne pas avoir ressenti l'envie de pleurer. On ne pleure pas les gens que l'on n'a pas aimés.
Plus tard, après que le duo restant avait refait leur vie, c'était le calme absolu. Il y en avait, de l'ambiance dans la maison, lorsque le père était encore là. Ils criaient sans cesse, la journée. On avait au moins l'impression qu'il y avait de la vie dans cette maison. Mais une fois que la mère et le fils partirent pour un plus petit appartement dans un quartier isolé, il n'y eut plus le moindre son, pas la moindre parole.
La nuit était tombée sur eux. Cela dit, la maison était bien trop silencieuse. Alors l'enfant sortait le soir, écouter le chant des étoiles. Elles semblaient scintiller et danser, dans les cieux. Cela valait bien toutes les discussions du monde.
De son côté, ne profitant plus d'un instant de répit, la mère travaillait toute la journée pour pouvoir payer l'appartement et ce qui pourrait les faire survivre toujours quelques jours de plus.

Les années passèrent, et quelques moments de douceur finirent par arriver pour le jeune Daisuke dans son école. Nocturne s'était créé deux liens importants qui resteraient bien longtemps ; il y avait sa meilleure amie, Joséphine Vian. Sa seule étincelle de vie malgré les ténèbres qui rodaient autour d'eux. A plusieurs reprises, les rumeurs prétendaient que les deux enfants aspiraient à plus qu'une innocente amitié. Mais jamais, le jeune Daisuke n'aurait voulu souiller la réputation de cette autre personne. Et s'il avait pu des fois tenter de mettre un frein à leur relation, elle avait toujours tenu bon. Les gens se demandaient comment une élève aussi studieuse et joviale pouvait rester à ses côtés. Et lui aussi, secrètement.
Ensuite, il y eut son autre ami cher et confident, répondant au nom de Lenka Kamizuki. Ce dernier était également son opposé, préférant les choses simples et gaies. Il avait eu une situation compliquée dans son foyer, et si à force de le côtoyer, Nocturne avait eu des doutes, il n'en mit pas le moindre mot dessus. Égoïstement, cependant, notre brun était quelque part satisfait de sentir qu'il n'était pas le seul à avoir une famille brisée.
Ainsi, ce fut les deux proches qui étaient ses lueurs d'espoir, pour un temps, du moins.

Car ils finirent par ne plus être dans la même classe. Par ne plus avoir autant d'occasions à passer ensemble. Le temps, la déception et l'ennui firent que notre ténébreux commençait peu à peu à verser dans l'école buissonnière, pour faire n'importe quoi de son côté. Tout ça, en compagnie de camarades et gens pas très fréquentables. Car les amis, c'est important pour les enfants. Et jouer, aussi. Ses parents n'avaient pas été ses amis, et n'avaient pas non plus joué avec lui. Joséphine et Lenka étaient trop absents à son goût. Alors, il n'en faisait plus qu'à sa tête. Ou à celle des autres... Il sortait avec ses deux autres potes, qui avaient sans doute de près ou de loin eu le même genre de vie difficile que lui. Hiroki qui était dans sa classe se procurait des fois des produits illicites. L'autre, Akira, qui devait être plus âgé, fumait sans cesse et adorait se pointer dans des bars pour se taper tout ce qui bouge. Ou taper sur ce qui bouge tout simplement, des fois. Dans les deux cas, il avait souvent des problèmes. Nocturne, lui, préférait juste boire. Du coup, cela faisait un bon trio. Ils passaient leur temps à fumer, boire, aller dans des bars ou clubs en espérant pouvoir y partir avec de la compagnie pour le reste de la nuit. Mais la mère Daisuke se rendait très vite compte qu'il lui manquait des sous dans son portefeuille déjà bien maigre. Elle ne disputa pas son fils, ne lui en toucha pas même un mot. A quoi bon se parler après tout ce temps, pour se prendre la tête ? Elle se contenta de cacher ses économies.
Une fois ou deux, Joséphine avait tenté de raisonner son ami qui se perdait, en vain. Et ce dernier ne voulait à vrai dire pas trop la laisser le voir plonger dans sa propre déchéance. Ni elle, ni le peu de contacts plus sains qu'il avait pu avoir. Alors, il fuyait au mieux les confrontations.

Puis d'un autre côté, Nocturne, il ne voulait pas se faire exclure de la bande qu'il avait à présent, et il aimait bien, leurs petites soirées. Alors comme la monnaie commençait à manquer, il trouva un moyen. C'était venu du jour au lendemain, en traînant dans un vieux bar. Une personne lui proposait de l'argent en échange d'une nuit en sa compagnie. Pourquoi pas, il n'avait rien d'autre à foutre, Nocturne. Le terme n'avait jamais été aussi bien choisi.
Du coup, avec le peu d'argent qu'il pouvait avoir, il continuait à s'éclater avec ses potes.

Et puis une nuit, alors qu'ils étaient un peu trop torchés, ils s'étaient perdus dans le quartier. Ils arrivèrent dans un patelin de maisons si petites que les occupants devaient avoir autant de moyens que ses parents lorsqu'ils étaient encore là tous les deux. Et une porte était entrouverte. Peut-être trop ivre, ou juste à l'idée de pouvoir en retirer quelque chose, Nocturne s'y dirigea. Sous les regards et les encouragements de ses amis qui n'osaient pas le rejoindre. Il s'était comme donné le défi d'entrer, de ressortir avec quelque chose, n'importe quoi. Sans se faire capter. Ou, dans le pire des cas, en courant au plus vite.
Il entra dans cette maison aux lumières éteintes. Malgré le fait que l'alcool le rendait bien calme, il sentait son cœur battre à toute allure. Il était conscient des risques cela dit. Mais c'était drôle quand même. Car voilà. Tes potes s'enjaillent, tu vois l'appât du gain, t'as l'impression même de posséder ce que tu vois juste d'un simple regard, comme si les vies et souvenirs des occupants t'appartenaient... Et en plus, c'est dangereux. C'est le genre de sensation marrante, qui te rappelle que tu es en vie. Le danger, c'est pas si mal, s'il te procure quelque chose.

Il ressortit dehors, quelques broutilles dans les bras. Il n'avait pas dépassé deux pièces dans la maison, de peur de tomber sur quelqu'un. Et forcément le noir quasiment complet ne le rassurait pas, mais il aurait été plus qu'idiot d'allumer les lumières. Il s'était fait un chemin hasardeux vers des meubles, avait fouillé la première commode dans le plus grand silence possible, avait pris une boîte à l'aveuglette et avait filé immédiatement. Le tout n'avait duré que deux ou trois minutes, mais cela lui avait semblé être une éternité.
Et la bande fila très vite, étouffant des rires. Il semblait être bien tard, ils n'entendirent aucun agent arriver. Peut-être que les propriétaires revenaient eux-mêmes d'une soirée trop arrosée ! Nocturne semblait avoir touché le gros lot ; il avait embarqué avec lui une boîte à bijoux. Bon, du genre vieillot et assez cheap, cela n'allait pas leur valoir une grosse somme, mais ces trouvailles n'étaient pas trop mal, pour le coup.
Le lendemain, Nocturne accepta de donner tout son butin à leur pote aîné, à l'exception de deux jolis pendentifs en verre, l'un formant un soleil, l'autre une lune. L'ami se débrouilla pour vendre ces petites marchandises. Et le trio se partagea le butin, en accordant une plus grande partie à celui qui avait fait tout le travail, évidemment. Il en était presque touché, ses potes étaient loyaux, quand même.
Et aussi fous que lui.

Ce fut pourquoi quelques temps après, ils étaient comme amenés à le refaire, ce genre de cambriolage improvisé. C'était pendant une période de vacances, Hiroki avait appris en côtoyant les bars qu'un propriétaire d'une vieille maison délabrée et isolée allait s'absenter quelques temps. Le moment propice, non ? Ce n'était qu'un délire, mais pourquoi pas ? Akira, voulant aller vraiment loin dans le délire s'était même préparé en apprenant diverses techniques pour crocheter une serrure. Seul Nocturne n'était pas au courant, car s'il s'était visiblement amusé la dernière fois, de légers remords l'empêchaient de vouloir refaire cela.
Mais ce fut sous la forte insistance, l'influence de ses potes, qu'ils étaient tous là ce soir, devant la porte de cette maison inconnue. Lorsque Akira avoua ne pas réussir à se débrouiller pour ouvrir cette entrée, Nocturne avait laissé un souffle s'échapper de ses lèvres, comme rassuré finalement, de ne pas devoir aller plus loin... Mais son cœur manqua un battement lorsque Hiroki avait, à l'aide d'une bonne pierre, brisé le carreau de la fenêtre de cette maison.
« J'ai trouvé un autre passage, les gars. »

L'horreur et la pression de la culpabilité ne le quitteraient pas ce soir. Il savait pourtant, qu'ils pouvaient être un peu dérangés, ses potes. Ce n'était que maintenant, alors qu'ils pouvaient risquer de se faire arrêter à tout moment, qu'il en prenait véritablement conscience. Il avait bien plus peur, cette fois. Peut-être le manque d'alcool dans le sang lui faisait défaut. Ou le manque de couilles, simplement, selon ses confrères. Pourtant... Quelque chose en lui, lui disait aussi d'avancer, dans ces pièces inconnues, de toucher ces objets semblant avoir de la valeur, de s'en mettre un peu les poches juste pour pouvoir finir torché une nuit ou deux de plus. Et le pas franchi, il ne regrettait presque plus sur le moment. Car il avait cette drôle de sensation, lorsque ses yeux se posaient sur les lieux. Il imaginait des histoires derrière les photos encadrées, il imaginait des souvenirs en voyant cette peinture, cette affiche, ces divers biens, là où ses potes ne faisaient qu'estimer leurs prix. Quelle vie pouvait avoir le propriétaire ? Nocturne se sentait presque dans la peau d'une autre personne, en entrant dans ces lieux inconnus. C'était presque rassurant, de sentir qu'il était quelqu'un d'autre. Quelqu'un d'autre que lui.
Ils prirent cette fois un peu plus de temps avant de partir. Personne ne surveillait cet endroit pourri, où il n'y avait pas grand-chose. D'ailleurs, leur butin aussi, n'était pas très élevé. Au moins, c'était un autre pari de gagné.

Et ils avaient recommencé encore une autre fois, depuis. Puis encore. Toujours sur une petite maison qui ne semblait pas sécurisée, et assez éloignée des autres. Le trio ne perdait jamais de temps. Le Daisuke était décidément le plus rapide, le plus discret. On lui avait toujours filé la sale et dangereuse tâche de partir en premier pour évaluer les lieux. Des fois, tout seul, même. Il avait flippé, des moments. Et cachait ses larmes, toujours. Nocturne ne se sentait jamais véritablement à l'aise en se disant qu'ils pourraient se faire attraper d'une minute à l'autre. Sa vie ne comptait pas tellement, il le savait. Mais il s'en voudrait presque un peu, s'il compliquait les choses pour sa mère. Et s'il faisait honte à Joséphine, si tant était qu'elle pensait encore à lui.
Jusque là, il s'arrangeait toujours pour se défiler, ou forcer sa troupe à partir dès que possible. Il suffirait qu'un passager arrive, ou qu'un voisin ne se rende compte de quelque chose, et la police serait très rapidement sur place. Il savait que cela arriverait un jour. Et il priait pour arrêter avant cela.

Et pourtant, Nocturne se sentait mieux, à cette époque. Il ne pouvait pas avoir pire que de se sentir seul dans sa maison délabrée. Là, il vivait quelque chose. Il vivait dans le danger. Il pouvait faire chier ce monde à sa façon. C'était le minimum, vu que ce dernier l'emmerdait de toutes les manières possibles. D'ailleurs, c'était pas plus mal, niveau équité. A défaut de pouvoir cambrioler des riches, vu leurs maisons bien sécurisées, ils avaient volé aux pauvres, pour donner aux plus pauvres encore. Eux, en l'occurrence. Et il se sentait utile quelque part aussi. Ses potes avaient des moyens et des projets en tête. Cependant, lui, non. Juste celui de survivre quelques nuits de plus, pour bien se bourrer la gueule et finir dans le parc, la tête la première. Il pourrait regarder les étoiles, c'était déjà cool. C'était même l'essentiel.

Oui... Il pouvait regarder les étoiles pendant des heures, seul. Car ses potes, ils ne comprenaient pas. Qu'est-ce qu'il pouvait bien avoir à foutre à regarder la nuit éternelle ? Un putain de ciel sombre où tu peinais presque à voir les astres tant la pollution avait tout ravagé ? Y'avait rien, rien du tout.
Mais Nocturne, il y voyait son avenir, sa vie, lui. Même son passé. Lorsqu'il était assez défoncé, il se demandait si son père trouvait le repos là-haut, s'il était devenu une petite lueur parmi les autres, lui aussi.
Si, à défaut d'avoir réussi à l'aimer lorsqu'il était sur terre, il arriverait à le considérer ou avoir pitié de lui, de là où il se trouvait.
Et le schéma finissait par se répéter. Nocturne fermait les poings. En laissait les premières larmes couler, réprimant les prochaines. Puis, la gorge nouée, avait presque du mal à respirer dans ses sanglots. Il tuait le silence de la nuit et il s'en voulait, même pour ça. Car à chaque fois qu'il était quelque part, il foutait tout en l'air. Ses parents avaient été en guerre sûrement par sa faute. Son père était parti par sa faute. Sa mère était dans la misère par sa faute. Ses potes et lui finissaient mal car il s'était fait un délire en volant un premier soir, et c'était ce qui les poussait toujours plus loin. Ça aussi, c'était sa faute. Même la nuit maintenant avait perdu son calme car le pauvre misérable qu'il était ne pouvait retenir ses larmes. Tout ne pouvait être que de sa faute.

Tant pis. La vie continuait. Avec, ou sans lui.
Lorsqu'il parviendrait à se calmer, il se disait qu'il finirait un jour par être vraiment heureux. Peut-être.

Alors, il enchaînait ses conneries. Ses amis aussi.
Il voulait continuer les vols. Rafler quelque chose discrètement dans les marchés ou au konbini, par exemple, ça pouvait se faire. Si cela pouvait être pour ses potes, pourquoi pas. Il avait l'impression d'être important et utile, dans ces moments. Pareil d'ailleurs, lorsqu'une personne voulait acheter ses services, son corps, le temps d'une passade. Il ne prenait pas forcément de plaisir, surtout lorsqu'il s'agissait de laisser un homme s'amuser avec lui. Mais l'argent, c'était important. Et cette sensation de se sentir aimé d'une certaine façon, aussi.
Il essayait de se convaincre que quelque part, il rendrait service aux gens.

Puis, cette existence continuait, dans ces moments troubles. Attendrissants, quelques rares fois. Le destin fit qu'il recroisait ses deux anciens meilleurs amis. Si les soirées étaient toujours plus animés avec ses potes habituels, jamais notre brun n'avait pu oublier la douceur de sa Joséphine et la positivité de Lenka. Les choses prirent leur temps, mais ils finirent par se côtoyer quelque peu, de nouveau. Comme si les sentiments ne partaient jamais vraiment avec de vrais amis. Quelque part, cela insufflait presque l'envie de se reprendre en main, à notre étoile déchue.
D'un autre côté, il remarquait que sa mère avait toujours les traits tirés lorsqu'elle rentrait se reposer à la maison. Et il se sentait responsable d'être une charge en plus pour elle. Alors, sa génitrice ne se rendait compte que le soir, de retour du travail, que quelques billets étaient posés sur sa table, des fois. Ce n'était pas grand-chose, mais avec ces quelques sous accumulés, cela l'aidait bien assez. Ce qui la touchait le plus, c'était lorsqu'il y avait un petit mot qui accompagnait cet argent où on pouvait lire des choses banales mais douces, venant de Nocturne, comme « Bonne nuit » ou « Bon courage pour demain ». C'était les seuls contacts indirects qu'ils s'accordaient. Ils n'avaient pas beaucoup d'occasions pour se croiser, l'une partant dès l'aube, et l'autre disparaissant tôt, la nuit. Et lorsqu'ils étaient ensemble, ils n'avaient rien à se dire.
Le lendemain de son dix-huitième anniversaire, il rentra comme à son habitude, tard chez lui. Sa mère dormait déjà. En entrant dans sa chambre, il aperçut ce qui semblait être un télescope installé, tourné vers la fenêtre. Sa mère avait réuni assez d'argent pour le lui offrir. Un simple « bon anniversaire » sur un post-it était collé sur l'appareil. Son parent avait sans doute dû rentrer plus tôt pour le chercher et réussir à le monter.
Nocturne, les étoiles dans les yeux, ne dormit pas cette nuit là. Il passa la nuit à explorer cet océan noir avec l'aide de son nouveau jouet. Un jour, il invitera sa mère à regarder avec lui, quand ils partiront en vacances, loin d'ici... ça sera plus facile pour voir les étoiles. Voilà un premier objectif.

Ainsi, peu à peu, le temps les rapprocha timidement. Il n'y eut jamais de longues discussions. Pouvait-on déjà parler de discussions ? La mère et le fils se saluaient, s'échangeaient des nouvelles, où Nocturne faisait de son mieux pour mentir en ce qui concernait ses occupations et projets. Il continuait ce qu'il faisait pour avoir de l'argent. Il avait essayé deux ou trois petits jobs, comme pour se soulager la conscience lorsqu'il prétendait en avoir eu à sa mère, et comme pour avoir de la crédibilité dans ses propos lorsqu'il parlait de ces derniers. Mais il ne gagnait vraiment rien, comparé à ce qu'il pouvait avoir lors de ses sorties, le soir. Il savait cependant que dans le fond, elle avait aussi besoin d'une épaule, ou juste de sentir qu'il y avait quelqu'un dans sa vie. Donc il ferait au mieux. Une nuit, il n'avait pas d'argent à donner, alors il avait posé sur la table de chevet de sa mère son pendentif avec un soleil en verre. Si elle le vendait, elle gagnerait au moins un peu d'argent. Il espérait juste qu'elle ne demande pas la façon dont il s'était procuré une telle chose.
Les jours suivants, lorsqu'il la croisait, il fut surpris mais heureux... Heureux de l'apercevoir avec ce pendentif autour du cou. En fait, tout avait pris sens.
C'était elle son soleil.

Plus tard, il offrit le pendentif de lune à sa meilleure amie Joséphine. Pour Lenka ? Eh bien... Il mettrait tôt ou tard la main sur une babiole dérisoire à lui fournir, symboliquement.

Puis... A part ça ? Il en avait vécu, des embrouilles, avait échappé à pas mal de merdes aussi. Ou eut quelques regrets également. Car le mouvement des Incontrôlables, le Big Bang Kiss, il était trop jeune et l'avait simplement suivi de loin. Le Shukumei ? Les seuls qui avaient toujours compté pour lui étaient toujours là, à ses côtés, et ça lui suffisait. Dans le cercle de contacts qu'ils avaient, personne n'avait été touché, heureusement.
Ensuite, ce System Error qui ne lui paraissait être qu'une immense blague, là encore, personne de son entourage ne fut concernée.
Cependant... Même si dans un premier temps, il avait été heureux d'avoir échappé plus tard à une soudaine épidémie... Il aurait vraiment voulu que sa mère ou lui ait eu la chance d'avoir été victime du fameux Soosaku et ce problème de puce défaillante ; ils auraient eu l'opportunité – probablement vaine – de fuir ce pays en folie. Mais nada, et ils ne s'étaient que contentés de voir les malheureux fuir pour se faire attraper à peine plus tard.
Pour continuer, il y eut également l’événement politique où Sakai et Kikuchi étaient à la tête. Bien que les deux partis avaient leurs points, le cœur du ténébreux avait plus facilement vacillé pour celle se considérant comme anti-Incontestable, naturellement. A sa plus grande déception, vu les résultats...

Et maintenant ? Quelle sera la suite... ? Il l'attendait, la redoutait. Toutefois, l'esprit rêveur et ravagé, en compagnie de sa mère pourtant bien distante, et de ces deux plus proches et fidèles amis, il savait qu'il tiendrait. Du moins, il l'espèrait.
Les nuits passaient, Nocturne survivait, continuant à vaquer à ses occupations avec son groupe, et à rêver seul, la tête dans les étoiles.

Puis, la malédiction tomba, milieu 2114 en ce mois d'août. Quoi de pire que d'annoncer l'arrivée du trou noir, pendant la période des étoiles filantes ? Aucun vœu, aucun miracle, cela dit, ne parviendrait à le sauver.
Nous y voici donc. Une étoile déchue liée à une autre. Mais maintenant, Nocturne ne serait plus seul à présent, à broyer du noir. Il allait s'en assurer.
… Jusqu'à ce qu'il finisse timidement à penser que peut-être. Peut-être... Elle, Spica, parviendrait à lui accorder une douce lueur d'espoir ?

Nuit blanche, étoiles scintillantes.