The Man of Steel

Des flammes jaillissaient de mes mains. Ce n’était pas dangereux, au contraire, c’était devenu une routine. La lumière parvenait à mes yeux en une multitude de flashs irréguliers que filtraient mes lunettes de protection. Sur une note stridente et ininterrompue, une meuleuse découpait de l’acier dans un feu d’artifice, accompagnée par un marteau pneumatique qui rivetait une plaque d'aluminium en rythme parfait. Des flammes jaillissaient de mes mains. J’unissais les pièces alors que derrière moi, le contremaître haussait le ton. “Hinrich!” répétait-il. Mais je ne l’écoutais pas, je devais terminer mon soudage. “Hinrich!” recommença-t-il en posant sa main sur mon épaule. Je levai les yeux vers l’homme aux sourcils broussailleux et à la calvitie naissante. “C’est ton arrêt.” me fit-il savoir en me montrant l’écran juste au-dessus de nous. Je regardai tout autour de moi: j’étais dans le métro. Je me levai, mis mon sac sur les épaules et soulevai l’imposante glacière sur laquelle j’étais assis depuis le début du trajet. Une petite voix annonça le nom de la station, et les portes s’ouvrirent. Je jetai un dernier regard à Monsieur Takahashi, le contremaître, avant qu’il ne lançât. “Tu travailles trop mon p’tit. Prends des jours de repos, tu as une mine affreuse.” Il me donna une grande tape là où sa main était précédemment posée, et je me retrouvais dehors.

C’était un vendredi, et il pleuvait des cordes. Je voyais les passants courir se mettre à l'abri dans des cafés, sous les porches, dans les magasins, mais moi, j’avançais, une main dans la poche de ma veste de travail détrempée. La rue à gauche m'aurait mené directement à mon quartier, mais je l'ignorais. Il valait mieux prendre cinq minutes de plus pour rentrer, même en plein déluge, plutôt que de passer par ce coupe-gorge. Le contourner, voilà ce qu’il fallait faire. Je me fichais pas mal d’être dégoulinant, je l’étais déjà de sueur en sortant du travail et je comptais prendre une douche une fois rentré. Je passai près d’un parc parsemé de flaques puis tournai enfin à gauche, après le square. Enfin je retournai à gauche pour terminer mon mon détour et arriver sous le porche de l’immeuble. Il fallait pousser la vieille porte récalcitrante pour avoir accès au hall où se trouvaient toutes les boîtes aux lettres. Je récupérai le contenu de la mienne et entamai la montée des trois étages qui me séparaient de mon logement. Je croise la voisine du cinquième qui me sourit timidement alors que je la dévisageais sans but précis, puis le chat de mon voisin de palier, une petite minette toute noire très câline mais qui, ce jour-là, n’avait pas forcément envie d’être approchée par l’épave suintante d’eau que j’étais. Elle se contenta de filer entre mes jambes et disparut plus bas. Je continuais mon ascension en laissant une traînée humide derrière moi, jusqu’au moment où je tournai la clef dans la serrure.


Il n’y avait pas tant de choses à dire sur mon appartement. Il comprenait le minimum syndical pour y vivre: cuisine, salle à manger, toilettes et salle de bain. Rien de plus, et c’était mieux comme ça. Je vivais seul, que me fallait-il de plus ? Je ne restais jamais bien longtemps sur place à part pour manger et dormir. Autrement, j’étais dehors, à l’entraînement ou au travail. Et justement, j’étais là pour une douche. Je quittai alors mes vêtements imbibés d'eau de pluie et profitai de ce court instant sous l’eau chaude. Pour ce soir, je n’avais rien prévu à part manger et pioncer. Une fois tout propre et un peu plus frais, je me mis à fouiller le placard à la recherche d’un haut. Mais alors que je continuais de fouiller ma pile de vêtements pliés, mon regard s’arrêta sur un amas de cartons fermés. Si je savais ce à quoi ils renvoyaient, jamais je n’avais pris le temps, à raison, d’en examiner le contenu. Ce soir-là, happé par ma curiosité, je me surprenais à sortir les cartons du placard et à les ouvrir un à un. Je tombai sur quelques photos, que je remettais bien vite en place, des ouvrages de philosophie bien trop érudits pour ma petite personne et… Des carnets ? Il y en avait au moins une quinzaine. Tous verts, reliés avec une couverture rigide et un signet foncé. Certains étaient numérotés, allant du un au 8. Assis sur la table de la cuisine, j’ouvrais le premier pour découvrir une écriture soignée à l’encre noire.

“12 octobre 2109

Très chère Tomoko.

Mon cœur est empli d’horreur. La ville a été touchée par un terrible raz-de-marée, et on estime d’importantes pertes civiles. J’ai peur pour tante Koga qui n’habite pas loin du bord de mer, et pour Minami et Yû. Je tremble rien qu’à l’idée d’apprendre une mauvaise nouvelle. Ma journée était déjà éprouvante, et maintenant ça. Moi, je suis à l’abri, en train d’assister à tout ça depuis la sécurité de mon nouvel appartement, bien loin de ce drame. J’ai reçu ma lettre rose hier, et j’ai décidé de me rendre aujourd’hui à l’adresse indiquée, autant pour moi que pour la personne qui va désormais partager ma vie. Je n’ai qu’un nom pour l’instant : Kirk. J’aimerais pouvoir en dire plus mais il n’est malheureusement pas présent, et maintenant que j’y pense, j’espère pour lui qu’il n’était pas sur le chemin du tsunami. Voilà que je dois m’inquiéter pour un inconnu maintenant. Autant dire que je n’ai pas avancé dans mes travaux alors que je dois donner un premier compte-rendu à ma directrice à la fin du mois, et comme une idiote j’ai oublié mes livres dans mon précédent studio. Je ne pense pas que je pourrai les récupérer d’ici un moment, alors je vais devoir faire avec ce que j’ai sur mon ordinateur.

A bientôt.

Tomoko Miyazaki Hinrich”

Elle ne le savait pas encore à ce moment-là, mais cette “idiote” m’avait sauvé la vie. Le fait de recevoir ma lettre m’avait tellement retourné l’estomac la veille que le lendemain je n’étais pas encore remis de mes émotions. J’avais donc évité deux jours de travail, et par conséquent le tsunami. Sans ça, on m’aurait très certainement retrouvé en train de nourrir les poissons dans le radoub. Mais à la place, j’étais chez mes parents, au lit et avec un mal de bide carabiné. Dire que je le vivais mal était un euphémisme, car c’était la chose que je redoutais le plus à l’époque. En termes de tuile, on était largement au-dessus de la fin de mes espoirs d’entrer en NBA, c’était dire à quel point ça m’avait retourné. J’avais quand même fini par me rendre au domicile pour ne pas finir en cage, mais j’y allais avec le même entrain qu’à un enterrement, et je devais bien avouer que je n’y avais pas mis du mien pour commencer cette cohabitation de la meilleure des manières. J’avais toujours été comme ça, et je ne comptais pas changer même pour une femme qu’on m’avait imposée de force. Je ne savais pas vraiment comment manifester mon désaccord envers le système sans pour autant m’attirer d’ennuis. Je disais toujours que c’était pour Mom et Maman, qu’elles n’eussent pas de souci à se faire pour moi, mais j’avais l’impression de me mentir à moi-même. J’avais juste peur de ce qui pouvait m’arriver, alors je faisais de la résistance à ma sauce. J’avais suivi le mouvement des Incontrôlables d’abord de loin pour au fur et à mesure tenter de m’en rapprocher. J’avais cet espoir qu’avec la pression d’une partie de la population, le gouvernement allait être obligé de céder à certaines revendications. Mais cela se révéla être un coup d’épée dans l’eau, et ce malgré des manifestations marquées par des attaques à la bombe ou un festival qui avait eu son petit succès. Les leaders du mouvement furent arrêtés, et tout s’estompa aussi rapidement que le mouvement prit vie. Toutefois, il subsistait en moi ce même sentiment de révolte qui avait animé tant d’autres pendant deux ans. Ce sentiment avait été renforcé par le fait que j’étais revenu des States à peine un an auparavant. Trois années passées à Duke, sur un autre territoire, ça faisait voir le monde différemment. J’avais toujours eu un côté rebelle dès le plus jeune âge, j’étais même un problème, alors après ce petit passage de trois ans dans un pays plus libre que celui qui m’avait vu naître n’avait certainement pas arrangé les choses.

“18 novembre 2109

Très chère Tomoko,

Ce matin j’ai demandé à mon mari de venir me chercher à la sortie de l’université. Si au début il a bien évidemment râlé et protesté, je ne lui ai pas laissé le choix. Il n’a même pas l’excuse d’être au travail puisqu’il est au chômage partiel depuis Shukumei. Je suis bien contente de voir qu’il a tenu parole, bien qu’il fasse toujours la tête. Franchement, je ne sais pas comment il peut avoir autant l’air bougon à longueur de journée, ça m’épuiserait. Toujours est-il qu’il est bien venu et m’a accompagnée au salon de thé. Je crois bien que c’est la première fois qu’il met les pieds dans un endroit pareil à en juger par la tête qu’il a tiré tout le long de notre petit rendez-vous. A moins que ce ne soit le fait qu’on ait un rendez-vous qui le gêne. Et pour lui tirer un mot de la bouche, ça relève de la performance sportive, parce qu’il n’est pas loquace du tout. Ça fait un peu plus d’un mois que nous sommes mariés et il n’a pas montré un signe de sympathie à mon égard, même pas un sourire. Quand est venu le moment de notre rapport, il a juste fait le strict minimum. Il n’y met aucunement du sien, et ça me complique la tâche, car je n’ai pas envie de vivre dans une espèce de relation bizarre où chacun fait ses obligations comme un robot sans même créer de lien. Pour en revenir au petit rendez-vous que j’ai organisé, Kirk a tout simplement dit qu’il n’est pas à l’aise dans des endroits où il détonne. Surprenant, d’autant plus que je n’ai pas franchement l’impression qu’il fasse tache dans un salon de thé, même si c’est vrai qu’on croise plus d’étudiants en sciences sociales que de soudeur/charpentier sur chantier naval.

Car oui, j’ai réussi à lui soutirer cette information. Je me suis demandée dans un premier temps la raison pour laquelle il ne va pas travailler et surtout pourquoi il a des marques de coupures et de brûlures sur les avant-bras. Il m’a brièvement fait comprendre que l’opération de soudage est quelque chose de dangereux selon le procédé utilisé. J’aurais souhaité en savoir plus, mais il s’est contenté de me dire que ces marques ne sont pas dues au soudage, mais aux étincelles de meuleuse ou à des “petites” coupures sur des débris métalliques. Quand j’y pense, ce métier ne doit pas être facile, mais du coup je comprends mieux pourquoi il est aussi costaud.

J’ai aussi eu un premier retour de ma directrice de recherches sur mon introduction. Elle me conseille de me tourner vers les écrits de Peter Johnston dont le propos sur Marx serait plus qu’intéressant à confronter avec mes lectures précédentes. Je vais devoir me procurer ces ouvrages, mais pour l’instant quelqu’un les emprunte déjà, je vais attendre un peu et aviser. J’aimerais me les procurer pour les ajouter à ma bibliothèque, mais avec le petit pécule que mes recherches me rapportent et le chômage partiel de mon époux, je ne suis pas convaincue que prendre plusieurs livres à plus de 6000 ¥ soit la meilleure des choses à faire. Peut-être plus tard quand la situation se sera stabilisée.

J’avance et je fais au mieux. J’espère que le futur sera meilleur.

A bientôt.

Tomoko Hinrich.”

Tomoko et moi avions eu des débuts pour le moins compliqués. Ce qu’elle disait était vrai, je ne m’investissais pas, mais à cette époque j’avais également la sensation que nous ne parlions pas la même langue, que nous ne nous comprenions pas. Les quelques échanges que nous avions étaient de véritables dialogues de sourds. Elle, elle me parlait de faire en sorte de rendre le tout agréable et sain malgré nos orientations anti-système, et moi je disais que je ne voulais pas de relation comme elle l’entendait, avant de l’insulter car c’était toujours un recours facile quand je me retrouvais dans une dispute ou une confrontation d’idées. Ca avait pour objectif assumé de clore la discussion et de maintenir le statu quo qui me paraissait rassurant. Je ne me pensais pas capable de m’investir ne fusse qu’un peu dans une relation qui avait été montée de toute pièce par un ordinateur mis au point par un système oppressif qui implantait des puces dans le cerveau de ses sujets et les surveillait ainsi depuis le berceau. J’étais dur avec Tomoko, au point où elle allait s’enfermer seule dans la chambre pour pleurer et revenir en prétendant que rien ne s’était passé pour faire les devoirs que l'Incontestable nous imposait quotidiennement. Je me demandais bien ce qui l’avait poussée à persister, à ne pas abandonner.

“24 novembre 2109.

Très chère Tomoko,

Hier soir j’ai décidé de suivre Kirk, sans son autorisation bien évidemment. J’ai bien conscience que chacun a le droit à son jardin privé, mais le fait de le voir repartir de l’appartement aussitôt rentré du travail, et ce quatre fois par semaine, a piqué ma curiosité. Je n’ai pas cherché à être discrète, alors évidemment il a râlé, pesté et m’a grondé comme si j’étais une enfant qui sortait à une heure trop tardive pour son âge. Déjà pour qui il se prend ? Et ensuite si j’ai envie de le suivre, je le fais, que ça lui plaise ou non. Après quelques minutes à grogner, il a fini par le laisser le suivre, non sans mettre une certaine distance entre nous. De toute manière, il marche bien trop vite pour moi. Quand il fait un pas, j’en fais deux, donc inutile de me fatiguer s’il ne fait pas l’effort de ralentir pour que je puisse marcher à sa hauteur. Je me suis contentée de ça et je n’ai pas été déçue. Ma petite “traque” m’a directement menée dans une salle omnisport où j’ai assisté à un entraînement de basket-ball. Etant donné le gabarit de Kirk j’aurais pu m’en douter, mais comme il ne me dit jamais rien, je ne peux que supposer. Hier j’ai constaté, et il a quelque chose quand il joue. Sans parler de son niveau, il semble libéré, heureux. Il sourit tout en envoyant des petites piques ça et là. C’est tout simplement un autre homme, il donne tout ce qu’il a et prend beaucoup de plaisir. J’ai tout suivi depuis les gradins sous les regards parfois interrogateurs des autres joueurs de l’équipe, mais personne n’est venu me mettre dehors.

Une fois l’entraînement terminé, j’ai attendu M. Hinrich à la sortie pour faire le chemin du retour. Je l’ai peut-être bombardé de questions, il est vrai, mais de toute manière, je n’ai eu aucune réponse de la part de cette sale tête de mule. Il n’a pas décroché un mot de tout le retour malgré mes compliments et mes remarques, tellement imperméable à mes paroles qu’il s’est même fendu d’une remarque désobligeante une fois arrivés à l’appartement.

Ce soir, il m’a juste dit qu’il allait à son cours d’arts martiaux mixtes. Je n’y suis pas allée car je déteste les sports de combats, en particulier le MMA qui est d’une brutalité sans nom. A quoi bon vivre dans un monde civilisé si c’est pour avoir des pratiques où l’on se tape dessus comme des sauvages? Ça me dépasse complètement. Je note toutefois qu’il m’a déjà préparé à manger. C’est une bien belle attention dont je prends bonne note car je ne me fais pas d’illusion, ce repas gracieusement offert n’est qu’une étoile filante. Je m’attends à un retour à la normale dès demain. En attendant, il est très bon son poulet frit.

J’ai enfin récupéré tous mes livres, et donc envahi tout le salon avec mes piles d’ouvrages, mes feuilles volantes et mon ordinateur. Je me fiche bien de savoir si ça dérange ou non, car c’est dans cette configuration que je suis la plus efficace pour travailler, et puis je ne risque pas d’embêter quiconque puisque je suis seule presque la plupart du temps hormis la nuit, le matin au petit-déjeuner et lors de la courte activité quotidienne. J’investis l’espace puisque lui ne le fait pas, et ça n’a pas l’air de le déranger à part quand il fait le ménage. On s’est déjà disputé à ce propos. Je tiens le coup, mais je ne pense pas pouvoir tenir longtemps dans la même configuration.

A bientôt.

Tomoko Hinrich.”

Cette soudaine découverte de ma passion pour la balle orange avait donné des idées à Tomoko. Dès la semaine suivante, elle était venue me voir avec un grand sourire, de ceux qui vous faisaient accepter n’importe quoi.

“Apprends-moi à jouer au basket, m’avait-elle dit.”

Sur le moment, je n’avais pas bougé, ni même prononcé un mot. J’étais fatigué par ma journée de travail, à porter des charges lourdes et elle venait me demander de lui apprendre à jouer au basket. Sur le moment je m’étais moqué d’elle car Tomoko n’était pas grande et n’avait pas du tout l’allure d’une sportive. Mais elle insista tellement que pour avoir la paix, j’acceptai de lui apprendre un peu. Nous nous retrouvions sur le petit city stade du quartier qui venait tout juste d’être rénové. Équipé d’une tenue adaptée au basket, je donnai le ballon à Madame qui me montra toute l’étendue de son inaptitude dans ce sport. Le ballon rebondissait constamment sur son pied, elle tirait n’importe comment et passait son temps à faire des marchés. Mais je la laissai s’amuser, à essayer de mettre le référentiel dans l’arceau. Ce qui m’étonnait le plus chez elle, c’était qu’elle semblait s’amuser même en ratant plus qu’elle ne réussissait. Elle riait, disait qu’elle allait y arriver à la prochaine tentative, échouait, et recommençait sans jamais perdre sa bonne humeur. Pour elle, c’était un jeu, un petit défi alors que pour moi, le basket n’était plus tout ça depuis le collège. Même à ce moment-là, alors que je ne jouais que dans un petit club départemental, le basket n’était plus vraiment un jeu, ou du moins plus le même jeu que pour Tomoko. C’était sûrement parce que nous n’évoluions pas au même niveau. Je n’avais plus cette candeur, cette nouveauté qui m’animait, mais la rage de vaincre et l’instinct de compétition. C’était ce que je me disais en voyant cette jeune femme aux boucles brunes essayer de réaliser les gestes fondamentaux avec son bagage d’ultra-débutante. Puis elle me tendit la balle à deux mains, un grand sourire aux lèvres.

“Tu me montres ce que tu sais faire ?

Je m’exécutai, d’abord sans dire un mot comme à mon habitude, puis je me tournai vers elle alors que je m’amusais à dribbler dans mon dos.

- Et tu veux que je fasse quoi ? Double-pas ? Shoot ?

Elle était surprise que je lui pose cette question, bien entendu, mais elle ne mit pas longtemps avant de faire sa proposition.

- Tu sais marquer en t’accrochant à l’anneau ?
- Tu veux dire dunker ?
- Ouais! Je trouve ça cool ! En plus t’es grand, tu devrais pouvoir y arriver si tu sautes assez haut !

Je regardai l’arceau, puis Tomoko. Elle avait l’air d’y tenir. Mais pourquoi devais-je lui faire ce plaisir au risque d’échouer et de passer pour un gros nul ? Cela faisait bien trois ou quatre ans que je n’avais pas marqué un vrai beau dunk. Depuis l’université en fin de compte. Et même à cette époque-ci, je n’étais pas un grand voltigeur, notamment à cause de ma taille, ce qui ne m’empêchait pas de marquer des paniers après contacts grâce à ma détente. Je n’étais vraiment pas certain d’y arriver après tout ce temps.

- Mouais. Je suis presque sûr que si je me rate, tu vas en profiter pour te foutre de ma gueule, et je ne vois pas pourquoi je te ferais ce plaisir.

La jeune femme me dévisagea, visiblement déçue et même outrée.

- Je viens de passer les 20 dernières minutes à faire de la merde devant toi qui sait jouer. Comment pourrais-je me moquer de toi ? S'il y en un de nous deux qui devrait se moquer, c’est toi, pas moi!”

Et elle avait raison, quelque part. Mais quand je me jugeais, c’était toujours à travers ce prisme d’excellence qui m’avait fermé les portes de la NBA. Pas assez talentueux, déjà en surrégime à l’université, tout juste bon à faire briller les futures nouvelles stars lors de leur année de passage. Mais là, on n’était que tous les deux, juste une novice et un ancien joueur universitaire. Les exigences n’avaient pas lieu d’être, l’amusement devait être roi.

Je regardais alors l’arceau avec un petit rictus confiant. Libéré de mes doutes, je pris mon élan et fonçai en dribblant vers le panier. Une fois la balle entre mes deux mains, j’effectuai un pas et bondis au deuxième, ma main tendue vers le ciel, prêt à smasher ce ballon dans le panier et à faire mal à l’arceau. Mais j’étais trop court, et la structure se courba légèrement quand mes doigts s’accrochèrent pour ralentir ma chute. La sphère bleue rayée rebondit sur l’anneau orangé, puis sur le panneau de bois avant de retomber sur le bitume en même temps que je me réceptionnais juste à côté. Il m’avait manqué quelques centimètres.

“Oh tu y étais presque !”

Tomoko s’enthousiasmait alors que je ruminais mon échec. Elle me répétait que c’était pour la prochaine fois, qu’il fallait que je réessaye un jour où j’étais peut-être plus en forme. Peut-être… Elle me passa la balle et je terminai cette soirée basket par des tirs et des doubles pas plutôt simples mais qui semblaient faire leur effet sur Tomoko qui applaudissait, me demandait comment j’arrivais à effectuer ces gestes pourtant basiques. Nous rentrâmes ensuite pour manger alors que cela faisait déjà une heure que la nuit était tombée et que nous étions seulement éclairés par le lampadaire du parc. Je m’étais bien amusé.

“26 décembre 2109

Très chère Tomoko,

Noël est passé et j’en profite pour m'empiffrer de chocolats. Kirk et moi sommes allés chez ses parents, drôle de façon de fêter Noël. D’après lui, sa famille a gardé la tradition occidentale de réunir la famille pour le 24 et le 25 décembre, contrairement à moi qui espérais un petit tête à tête afin de mieux nous connaître. Mais il a tellement insisté pour aller chez ses parents que je ne me suis pas sentie capable de refuser. Je suppose qu’il veut conserver ses petites habitudes malgré notre vie commune. Au moins, ce repas de fête m’a permis de faire la connaissance de toute sa petite famille. J’ai été étonnée de voir qu’il n’était entouré presque que de femmes: ses mamans, Jenny et Yukinoshita, ses sœurs, les jumelles Asami et Megumi, et son grand-père, Frank. Si j’étais au départ très intimidée par tout ce petit monde, j’ai très rapidement été mise à l’aise par Yukinoshita, une vraie maman poule avec son fils mais aussi une personne adorable !

Je dois dire que j’ai découvert une nouvelle facette de Kirk à travers les relations qu’il entretient avec chacun des membres de sa famille. Avec ses mères, il y a vraiment quelque chose de mignon, car il veut toujours les aider ou faire quelque chose pour elles. Des deux, Jenny est clairement celle que j’ai identifiée comme la plus “cool”, son fils lui ressemble tellement physiquement et dans l’attitude, bien qu’elle ne soit pas bien plus grande que moi. Yukinoshita a vraiment ce côté très maternel qui entre un peu en conflit avec la maturité de Kirk. S’il devait l’écouter, il resterait assis à ne rien faire, donc ils se chamaillent gentiment, avant de tirer dans le même panier.

Avec ses sœurs, Kirk joue plus le rôle de grand frère à la limite du gendarme. Il faut dire que le caractère des jumelles n’a rien à voir avec celui bien trempé de leur aîné. Il les cadre et les arrête quand celles-ci commencent à dépasser les bornes, car ce sont des piles électriques montées sur ressorts. On m’a dit que leur relation a toujours été ainsi depuis la naissance des jumelles. Kirk était un peu leur modèle, le grand frère qui les protège, mais qui les martyrise un peu aussi.

Enfin il y a Frank, “le Patriarche”, comme le surnomme Kirk. Un monsieur grisonnant qui s’aide d’une canne pour marcher et qui ne mâche pas ses mots. Pas besoin de chercher d’où vient le franc parlé du petit-fils, les deux aiment se lancer dans des joutes verbales très divertissantes, certes, mais aussi très épicées. Tout comme Jenny, il ne peut pas renier son lien de parentalité avec Kirk.

Enfin, tout ce beau monde m’a bien vite accueilli, à part mon époux qui reste encore distant malgré tout. Le repas s’est très bien passé et je me suis régalée. Il va falloir que je me remette au sport pour perdre les kilos pris durant cette seule soirée. Nous avons ensuite échangé nos cadeaux avant de nous quitter.

Joyeuses fêtes et à bientôt !

Tomoko Hinrich”

Après ce repas de Noël, une forme de routine s’était installée. Tous les samedis, Tomoko et moi allions au city stade pour faire une à deux heures de basket pour me préparer au match du week-end dans un premier temps, mais aussi pour jouer un peu à deux. Elle progressait lentement, mais s’en satisfaisait. Elle avait bien raison. Cela ne servait à rien de se prendre la tête pour quelque chose qui ne relevait que d’un jeu. Je commençais à comprendre son point de vue. C’était simple mais agréable. Tomoko était une femme intelligente, très ouverte et surtout très tendre, ce que j’avais toujours considéré comme mon exact opposé. J’avais pleinement conscience de mon sale caractère, car il m’avait tellement fait défaut, mais j’étais incapable de changer radicalement, car il était aussi mon moteur pour avancer. Ma hargne et ma combativité étaient mon carburant. Pendant longtemps j’avais pensé qu’avec tout ça je pouvais tout faire, vivre comme je l’entendais sans me soucier des autres et tracer ma route à ma manière. Puis Tomoko était arrivée. A ses côtés, j’apprenais une autre manière d’avancer, à faire confiance aux autres, à mettre ma combativité et ma compétitivité de côté pour faire plus de place à la bienveillance. Peut-être en avais-je besoin pour vivre différemment, dépasser mes limites. Ca avait fonctionné au collège, au lycée et surtout à l’université aux Etats-Unis, sur les parquets comme en dehors. On ne venait pas me chercher des noises, au risque de se prendre un retour de bâton. Et à mesure que je m’autorisais un peu plus de douceur et d’ouverture, je laissais Tomoko devenir mon amie, une confidente avec qui je pouvais parler sans craintes de mes problèmes au boulot, comme après cette triste visite lors des commémorations de Shukumei, où nous étions tous allés rendre hommage au camarades qui étaient morts sur le chantier ce jour-là. Elle était celle avec qui je pouvais plaisanter avec quelques piques bien senties. J’apprenais à cohabiter, à l’écouter me parler de sa thèse, même si je n’y comprenais rien. Tomoko prenait place dans ma vie. J’arrivai à un équilibre et une tranquillité qui m’étaient jusque-là inconnus. Peut-être qu’elle ne le ressentait pas forcément mais en sa présence, je n’étais pas comme d’habitude, je me sentais différent, au point de ne rien faire quand le moniteur de notre appartement avait affiché “SYSTEM ERROR” en rouge. J’aurais pu, et le Kirk de 2109 aurait très certainement essayé de retrouver une once de sa vie d’avant mariage, mais en ce printemps 2111, je n’étais plus ce Kirk.

“24 août 2111.

Très chère Tomoko.

Le grand-père de Kirk est décédé aujourd’hui. Victime de l’épidémie qui touche le pays, sa santé fragile ne lui a pas permis de tenir. C’est la première fois que je vois Kirk dans un état pareil. Il ne dit pas un mot, et se contente de regarder dans le vide. Je sais qu’il tenait beaucoup à lui, et qu’il avait été une de ses sources d’inspiration, alors je ne peux qu’imaginer le vide qu’il ressent suite à cette triste nouvelle. Cette journée est bien morne, donc je ne vais pas écrire beaucoup, car il a besoin de moi. Il n’a pas encore pleuré, mais ça ne saurait tarder. Il doit encore être sous le choc.

A très bientôt.

Tomoko Hinrich.”

Elle ne croyait pas si bien dire. Papy, c’était mon modèle masculin, celui qui croyait le plus en moi, celui qui m’avait permis d’aller à l’université, celui qui m’avait appris à me servir de ma langue comme d’une arme. Mes mères lui en voulaient un peu à ce propos car il avait fait de moi un gamin turbulent très difficile à contrôler, ce qui m’avait vallu beaucoup de problèmes durant ma scoarité, surtout au collège. Et après on se demandait pourquoi on m’avait envoyé dans des clubs de sport…  Imaginer que je n’allais plus être en mesure de me lancer dans de grandes joutes verbales m’attristait profondément. Ça touchait également Mom qui perdait son seul parent. Pas un jour ne passait sans que nous nous appelions au téléphone. Cela avait duré deux mois. Tous les deux, nous ne pleurions pas. Mom disait que Papy était déjà très affaibli par sa maladie et que ses jours étaient déjà comptés avant l’épidémie. En l’écoutant, j’avais l’impression qu’elle essayait de me rassurer, non, de se rassurer, de se dire que mon grand-père n’était pas parti trop tôt et que finalement il n’avait pas souffert. Elle m’avait presque convaincu. Mais je le savais, les plus belles années de Papy étaient certes bien loin derrière lui, mais il pouvait encore profiter de quelques unes supplémentaires, malgré sa fragilité. Il nous avait été enlevé prématurément, et tout le monde le savait, sans vouloir l’admettre. L’automne avait été déprimant. Quand j’appelais Mom, je sentais, à sa voix, qu’elle accusait encore le coup. Nous étions, par la suite, tous allé nous faire repucer, comme on nous l’avait intimé. N’ayant pas attrapé la maladie, je n’avais pas disparu des radars de l’Incontestable comme certains qui en avaient profité pour fuir. J’en parlais à Tomoko. J’étais tiraillé par deux sentiments contraires. Car quelque chose au fond de moi espérait que ça m'arrivait afin de saisir cette chance pour partir, disparaître une bonne fois pour toute de ce système que je haïssais tant. Cependant, une partie de moi ne voulait qu’une seule chose: rester, être auprès de Tomoko et de ne plus me soucier du reste. Et quand j’y pensais, je réalisais que je me laissais volontiers enfermer dans cette cage dorée qu’était mon mariage avec Tomo-chan. Et finalement, cette cage n’était pas si mal. Il m’avait fallu plus de deux ans pour m’en rendre compte.

“20 décembre 2113.

Très chère Tomoko.

Mon écographie s’est bien passée et bébé Jun est en parfaite santé. J’ai encore du mal à réaliser qu’il sera là dans moins de trois mois. Je suis un peu stressée, Kirk l’est énormément. Jamais il n’a été ainsi, il court partout, plus que d’ordinaire. Il bricole dans la chambre du bébé, monte le lit, fait de la peinture. Heureusement qu’il a des mains, je serais incapable de faire le tier de ce qu’il fait là. On a opté pour du vert pastel avec des décorations inspirées de la nature et de la jungle. Vu comment il bouge, il n’est pas improbable que notre fils soit de la graine d’aventurier ! Alors autant que son éveil se fasse dans une jungle rien que pour lui. Il y a déjà tellement de peluches d’animaux. Entre mes parents et ceux de Kirk, je crois que ce petit bout ne manquera de rien. Mon congé maternité commence bientôt, il faut que j’en avertisse l’université. Kirk compte le prendre plus tard, car il tient à être présent après la naissance de Jun. Comme je l’aime quand il me dit ça. Il prend très à cœur son rôle de futur papa, même s’il réfléchit trop et qu’il en fait trop. Je ne peux même plus essuyer deux assiettes sans qu’il m’ordonne d’aller me reposer. Je reconnais bien là sa maman, Yukinoshita, qui est pareille. J’ai donc l’impression d’être une larve à juste préparer mes cours et à manger. J’ai pris du poids. C’est peut-être normal, mais c’est relativement nouveau pour moi qui ne prends pas un gramme d’habitude. Tout ça, c'est la faute de Kirk ! Heureusement qu’il me fait des massages.

Demain, je vais en ville. Je dois acheter des cadeaux pour Noël, des vêtements pour bébé et de nouveaux vêtements de grossesse car je ne rentre plus dans ceux qui m’allaient encore. Quand je pense qu’il y a 4 ans, on se parlait à peine. Aujourd’hui je suis très heureuse et je ne pense pas l’être plus sans mon homme. Il n’est pas facile à tenir, mais quand il le veut bien, c’est un amour, et le voir aussi épanoui en ma présence, et bientôt celle de bébé Jun, suffit à mon bonheur.

A bientôt.

Tomoko Hinrich.”

Des flammes jaillissaient de mes mains. Je joignais deux pièces parfaitement calibrées lorsque la sonnerie retentit dans le radoub. Le contremaître se redressa et cria. “Pause déjeuner, les gars ! Rangez ce que vous êtes en train de faire et remettez les équipements de protection au vestiaire !” Une fois mon soudage terminé, je relevai la visière de mon masque pour vérifier si je n’avais pas fait de fausse manipulation. Tout semblait en ordre. Je remontai et me rendis au vestiaire. Après avoir retiré ma combinaison, mes gants et mon masque de protection, j'en profitai pour regarder mon téléphone. 20 appels en absence. Quoi ?

Bienvenue sur votre messagerie, vous avez six nouveaux messages, et zéro messages sauvegardés.
Nouveau message reçu aujourd’hui à 10h32. *Bip*
“...”

Je n’entendais rien, à part les bruits de la rue, des voitures et des passants. Ca devait être Tomo-chan, qui parfois, par inadvertance, appelait et laissait des messages de 15 minutes avec pour seul bruit, ses pas, sa respiration, les klaxons et autres, avant de s’excuser et de raccrocher quand elle s’en rendait compte. Je le passai.

“Nouveau message, reçu aujourd’hui à 11h17 *Bip*
“Bonjour Kirk, c’est Misuzu Miazaki. L’hôpital Aiiku vient juste d’appeler. Ils ont admis Tomoko en urgence et “dans un état critique”. Avec Gouro, nous nous y rendons immédiatement et on prévient tes parents par la même occasion. Viens vite !”

Nouveau message, reçu aujourd’hui à 11h46 *Bip*
“Kirk, c’est Gouro. Nous sommes arrivés à l’hôpital. Tomoko s’est faite agressée au couteau. Elle… Elle a perdu le bébé… Et son état est très critique. Réponds, s’il-te plaît.”

Nouveau message, reçu aujourd’hui à 11h49 *Bip*
“Kirk, tu vas répondre, bordel !”

Nouveau message, reçu aujourd’hui à 11h57 *Bip*
“Mon chat? C’est Maman… Tu es où ? Tomoko… Elle…”

Nouveau message, reçu aujourd’hui à 12h01 *Bip*
“Kirk… Tomoko… est morte.”

Mom… Quand elle m’avait appelé pour m’annoncer le décès de Papy, elle était triste mais avait gardé la tête haute. L’entendre peiner à prononcer ces terribles mots entre ses sanglots était insupportable. Jusqu’au bout j’avais espéré me réveiller, ouvrir les yeux dans mon lit avec Tomoko à mes côtés. J’avais beau secouer la tête, le gifler, seul dans le vestiaire, j’étais toujours là avec ces mots qui résonnaient jusqu’à mon cœur. J’avais envie de tout détruire, mon portable, le vestiaire, le chantier, la ville, le monde. Je voulais être Shukumei, tout raser pour répandre cette douleur qui était trop intense pour moi. Ce jour-là, j’avais pleuré, moi aussi.



Un soupir passa mes lèvres face à cette page horriblement blanche. J’étais terrifié.

“25 août 2114.

Très chère Tomoko.

J’ai mis du temps avant de t’écrire ces mots à la suite des tiens. Pour être honnête, je ne sais pas ce que je recherche par là. Un moyen de continuer à te parler ? Tu as laissé un grand vide dans nos cœurs. Je vois souvent tes parents, on parle très régulièrement. Tu nous manques.”

Les mots s’arrêtèrent là car, comme un con, j’avais mouillé le papier et l’encre. Une fois séchés, je ne me souvenais plus de ce que je voulais écrire.

“13 septembre 2114.

Très chère Tomoko,

Je viens de passer au cimetière pour nettoyer vos haka, à Papy et à toi, et remettre des encens. Je ne suis pas resté plus longtemps car il pleuvait. Je fais ça toutes les semaines. J’aurais aimé que Jun ait aussi son nom à vos côtés. Je pense à vous tous les jours.

J’ai arrêté le basket. C’est le cas depuis 9 mois désormais. Je ne me sens plus capable de repasser au city stade sans penser au heures que nous avons passé tous les deux à enchaîner les H.O.R.S.E, ni même au club car à chaque fois que je tourne la tête vers les tribunes, c’est pour constater que ta place est vide ou prise par quelqu’un d’autre. J’ai déménagé dans un petit appartement bien assez grand pour moi, histoire de changer un peu d'air.

Asami et Megumi entrent bientôt à l’université, elles veulent étudier la philosophie. Quant à moi, j’ai commencé à lire Marx. Comme tu me le disais, c’est facile à lire, et je comprends un peu mieux ce dont tu me parlais. J’ai encore un long chemin avant de bien tout comprendre de ta thèse. Elle est avec moi, dans un carton, sous un tas de souvenirs. Il y a tellement de photos. Je n’ai pas le courage de les regarder, ni de les jeter.

J’ai peur de la suite, Tomoko. Je ne peux pas t’oublier.

Tu me manques.

Kirk”