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14/05/2019


Les plus du perso :
Je suis: neutre.
Époux/se : Mikhaïl ♥
Autre: Remerciements, big up, infos à savoir ?
Louis Raskolnikov
Louis Raskolnikov
Louis MORGENSTERN
"Never have I been a calm blue sea, I have always been a storm" 

Généralités
Nom ;; Morgenstern.
Prénoms ;; Sur tes papiers, tu es Louis, mais parfois tu te sens Louisa, à d’autres moments Louis.a. Tu es une charade.
Âge ;; Quasiment 24 ans ( 2 juin 2087)
Genre ;; Officiellement, tu es un homme. Officieusement, c’est plus compliqué que ça.
Origines ;; Australienne, des ancêtres allemands, une nouvelle famille islandaise, un futur qui se veut japonais.
Activité ;; Égérie d’une marque de sous-vêtements de charme, PDG de la start-up «Hea(r)t».
Sexualité ;; Bisexuel.le
Avatar ;; Prince Legolas Greenleaf, fils de Thandruil, roi de la forêt de…
Règlement ;;
Chemin ;;  Familier. Par deux fois emprunté.
Commentaire ;; Tout est la faute de mes husbands. Tout.   Merci vous deux :hearts:
Histoire


Il est des rencontres fertiles qui valent bien des aurores.  - René Char


- 2087, Canberra, Australie - Tu es encore tout neuf, tu as 5 jours.

Tu pleures.
A ta naissance, quand ta mère essaye de dormir, quand elle te nourrit, quand elle te câline : tu pleures. Tu ne t’arrêtes que lorsque tu dors et même alors, tu te réveilles toutes les heures, pour pleurer. Pourtant selon les médecins, tu vas bien. Et les tests le confirment, tu es un beau bébé, en parfaite santé. Mais un bébé qui pleure. Quand il vient te rencontrer, toi, son fils : tu pleures et tu le fais fuir. C’est la première et la dernière fois que tu le verras, ce père absent. Il faut le comprendre, sa femme ne sait pas que tu existes. La seule chose qu’il aura fait pour toi, c’est d’accepter d’apposer son nom sur ton certificat de naissance et de signer un beau chèque à ta mère. De l’argent à défaut d’un père, pour vous effacer de sa vie.
Ce n’est pas grave, vous êtes bien tous les deux.
Tu grandis et tu cesses de pleurer. Tu permets enfin à ta mère de dormir sans la réclamer, puis de retourner au travail bien reposée. Elle n’a jamais été femme à fuir, ta mère. Elle aurait pu. M.Ehrlich dirige le service des relations publiques où elle travaille. M.Ehrlich, c’est ce père à qui tu n’as pas su plaire. Si côtoyer ta mère ne lui a jamais posé de problème, tu en es après tout la preuve, il ne se fait pas prier pour appuyer sa demande de mutation. 5 ans plus tard, il s’en mordra sûrement les doigts quand elle obtint le poste que lui-même convoitait au service de l’ambassade de Reykjavik.


- 2092, Reykjavik, Islande - Tu as 5 ans. Tu découvres le froid, la neige et tu ne comprends rien à ce que l’on te dit.

De tes premières semaines à Reykjavik, tu ne gardes que des impressions. Tu te souviens que le voyage a été long, interminable dans ton esprit d’enfant. Tu te souviens avoir boudé les murs immaculés de ta nouvelle chambre, toi habitué à ton papier peint habité par une ribambelle de poissons et autres créatures aquatiques. Vous êtes passés d’une maison à un appartement mis à disposition par l’ambassade mais c’est la fraîcheur de la mer qui t’as le plus marqué. Comme il a été compliqué de te faire des amis au départ ! Pas que tu n’as jamais été timide. Mais tu ne comprenais rien aux sons désagréables que les autres baragouinaient. Tes petits camarades à l’école parlaient tous Islandais. Seule la maîtresse parlait anglais comme tout le monde. Tu as eu vite faite d’apprendre les basiques. ‘ Tu me prêtes ?’, ’ Tu joues… ?’, ‘ Tu veux… ?’ et le plus important : ‘Non.’, ‘ à moi.’.

Puis la nuit est arrivée et n’est jamais repartie. Maman se mit à te réveiller et à t’envoyer à l’école alors que le soleil ne s’était pas encore levé ! Puis vint le froid qui te mordit le nez et les oreilles, qui engourdit tes doigts. Tu appris l’importance de ne plus perdre tes gants et de toujours enfiler ton cache-nez. Puis vint la neige, en abondance avec ses anges et ses batailles, ses glissades et ses chocolats chauds au bord de la fenêtre. C’est alors que s’enchaînèrent ses rhumes qui n’en finissaient pas. Tu semblais guérir pour mieux tomber malade à nouveau. Ils laissèrent place aux bronchites, à ces poumons qui refusaient de fonctionner correctement.
Le froid voulait ta peau.
Puis, tu eus ta première crise.

En ce moment, tu es fatigué. Des cernes creusent tes joues et la maîtresse te demande régulièrement si tu dors bien comme il faut. L’après-midi, tu es le dernier à te réveiller de la sieste. À chaque fois. Et ça ne lui plait pas à ta maîtresse. Elle a convoqué maman deux fois déjà. Et pourtant, tu lui as bien expliqué qu’elle était très occupée ta maman par son nouveau travail.
C’est tout serré dans ta gorge depuis ce matin. Mais c’est pas comme quand tu es malade et que tu as le droit de croquer ces cachets rouges comme des bonbons que tu adores. Tant pis. Toi ce que tu veux, c’est jouer. Comme il n’y a pas trop de vent aujourd’hui, vous voilà si bien emmitouflés que vous ressemblez à une joyeuse bande de chamallows : votre récréation se passe dans la cour.
Tu fuis Finn en riant. Tu veux pas être le chat. Et d’ailleurs, tu détestes perdre. Tu tousses. Une fois, deux fois. Ça se serre dans ta poitrine. Et soudain, tu es incapable de t’arrêter de tousser, et ça siffle dans ta gorge quand tu essaies de respirer. Finn se met à pleurer comme une madeleine. Sauf que ce n’est pas lui qui s’étouffe. Le tricheur. Tu le laisses gagner pour qu’il arrête alors que l’infirmier se penche sur toi.
C’est ton second séjour à l’hôpital. Mais cette fois-ci, personne ne te demande de choisir la couleur de ton attèle ou ne te gronde pour avoir sauté d’un arbre.
Tout le monde te demande de respirer. De souffler. De te calmer. Respire, Louis. Fais comme moi. Mais t’as oublié comment on fait.

Maman arrive, toute élégante, toute sérieuse en tailleur alors qu’elle traîne en jeans troués à la maison. Elle reste la plus jolie, même toute rouge, toute décoiffée d’avoir couru. Elle perd toutes ses couleurs quand elle te voit.  
On te pique, on t’examine, on te fait inspirer, souffler.
C’est de l’asthme. expliquent les docteurs. Ca se gère très bien avec le bon traitement. Vous verrez.
Tu découvres comment on se sert d’un inhalateur. On te retire des cours de sports. Au lieu de courir avec tes camarades, on te fait rester sur le banc. En attendant de trouver un traitement de fond efficace. Tu ne joues plus à chat. Et tu te mets à détester cet ‘asthme’ qui s’est installé dans tes poumons.

On t’explique que ça peut s’arranger en grandissant. En attendant, les crises s’enchaînent et les séjours à l’hôpital aussi.
L’été venu, tu respires à nouveau. Ce n’est pas parfait. De plus, Maman te crie toujours d’aller moins vite, de ralentir. Mais c’est mieux.

- 2093 - Tu as 6 ans et tu te laisses apprivoiser avec du chocolat chaud.

Le retour de l’hiver marque le retour de tes crises. À croire que l’hiver t’en veut réellement. Les bonhommes de neiges commencent à perdre leur intérêt. Heureusement, il y a Klemens. M. Lìnbergson ne parle pas très bien anglais tout comme toi tu ne parles pas très bien islandais. Il est le monsieur qui dirige les cuisines de l’ambassade. Il a plein de monde avec des grands chapeaux blancs, des ‘toques’ qui obéissent à ses ordres. Parfois, maman te laisse avec tes coloriages et tes peluches dans un coin de la salle de conférence, le temps qu’elle finisse.
Tu t’es perdu une fois en cherchant les toilettes. (Plus jamais tu ne feras confiance à Tik-tok, ta peluche crocro. D’ailleurs, elle n’a plus le droit de t’accompagner et reste bordée dans ton lit avec tes autres peluches depuis.) C’est M. Lìnbergson qui t’a trouvé et réconforté avec une tasse de chocolat chaud. Depuis, pas toujours mais souvent, il vient t’apporter à goûter quand tu attends. Il admire toujours tes coloriages. C’est quelqu’un de bien M. Lìnbergson. Il t’a même donné la permission de l’appeler ‘Klemens.’

Et voilà qu’un matin à ton réveil, Kitty, ta peluche panthère rose coincée sous le bras, pouce encore dans la bouche, tu butes contre le pantalon à carreaux de M. Lìnbergson. Il ne porte pas sa grande blouse blanche. Et il a plein de poils roux tout frisés sur le torse. Il ne porte pas ses lunettes non plus et ça lui donne un air un peu bizarre. Tu ne comprends pas ce qu’il fait dans ta cuisine. Est-ce que ça va t’empêcher de manger tes céréales Hula Hoops ? Parce que t’es pas prêt à partager ton petit-déjeuner.
M. Lìnbergson paraît aussi pris au dépourvu que toi.
« …Ah…Louis. » Il pose sa grosse main sur ta tête. « Je vais chercher Jenna, d’accord ? »
Jenna, c’est ta maman. Mais il n’y a que les adultes pour l’appeler ainsi. « …Vous avez pas fini les Hula Hoops , pas vrai ?» C’est important.

Ce n’est pas le dernier matin où tu le croises, M. Lìnbergson. En vérité, tu le croises de plus en plus souvent. Mais le voir fait sourire maman et il te prépare toujours à goûter. Il te fait même du lait chaud avec du miel quand tu es malade. Et malade, tu l’es souvent. Alors tu t’en accommodes.
Puis M. Lìnbergson est là aussi quand tu te couches. Il mange avec vous le soir, quand il travaille pas. Parfois, il vient même te chercher à l’école et plus d’une fois, c’est lui qui t’y a accompagné aussi, qui vérifie que tu n’as pas oublié ton inhalateur ou ton écharpe. Tu finis par comprendre que M. Lìnbergson n’est pas prêt de partir de vos vies.
Quand il épouse maman, il te demande si tu veux l’appeler « Klemens » ou « papa ». Tu choisis ‘Klemens’. T’as pas besoin de papa quand t’as maman.


L’hiver suivant est mauvais. Il fait humide et froid, il pleut tout le temps, il y a du vent. L’hiver t’en veut. Tu as beau te couvrir, tu as beau rester à l’intérieur, tu tombes malade. Bien sûr. Tu te retrouves à l’hôpital à nouveau et tu apprends qu’on peut avoir de l’eau dans les poumons mais que c’est pas bon du tout. Kitty et Tik-Tok sont bordés contre toi et ta veilleuse diffuse des étoiles rassurantes sur le mur. Tu es tellement fatigué que tu n’arrives pas à dormir. La voix de maman te parvient à travers la porte. Elle gronde.
« …Écoutez, ça peut pas continuer comme ça ! Ça fait deux fois en un an qu’il finit à l’hôpital ! Et je ne compte pas ses crises. Vous aviez dit que le traitement l’aiderait, mais il est toujours malade !
- Je comprends que ce soit difficile à entendre mais trouver le bon dosage prend parfois du temps. Votre fils est particulièrement sensible au froid. C’est l’un des principaux déclencheurs de ses crises.
- Vous me l’avez déjà dit ça et je pensais que l’intérêt de ces déclencheurs c’est qu’on puisse mieux contrôler ses crises. » Tu ne l’as jamais entendu aussi agacée et impatiente.
Tu as envie d’écouter la suite, même si tu ne comprends pas tous les mots. Tu as progressé en Islandais mais c’est encore un jeu de devinettes par moment. Malgré toi, tes paupières se ferment.


- 2095, Perth, Australie - Tu as 8 ans quand on se débarrasse de toi.

L’avion qui t’a conduit à Perth est plus petit et surtout moins confortable que celui qui vous amené jusqu’à Canberra. Tu es le seul avec cette correspondance. Le voyage a été terriblement long. Presque 23 heures en tout. Tu as lu dans un magazine qu’avant, on pourrait mettre jusqu’à deux jours pour faire le même trajet. Maintenant, les avions sont plus performants. Tu n’as pas pensé à ôter ton gilet. Sur le tarmac, la chaleur est oppressante pour toi qui as passé ces dernières années en Islande. Tu manques de te trouver mal mais l’hôtesse chargée de t’accompagner te tire gentiment à l’intérieur.
« Tes grands-parents doivent être impatients de te voir. Ça fait longtemps que vous ne vous êtes pas vus ? »
Elle est gentille cette hôtesse mais tu n’as qu’une envie, te rouler en boule sur l’un des fauteuils et dormir.
Aussi, tu marmonnes un « J’sais pas. » en réponse. Et c’est vrai, tu ne t’en souviens pas. Tu as oublié l’Australie où tu es né.
À cette seconde tu détestes l’Australie. Tu détestes aussi Klemens.
Tout est la faute de Klemens.

« Oh mon poussin !» s’écrie ta grand-mère Alice en te voyant. «Regarde-toi, comme tu es grand !»
Et pâle comme un cachet. Tu es maladif. C’est pour ça qu’ils t’ont envoyé ici. En tout, tu as passé presque 15 jours à l’hôpital l’hiver dernier. Tu connais toutes les infirmières du service. Tu sais que Kathy est celle qui te donnera un dessert en plus si tu complimentes sa coiffure.

Ton cœur est lourd alors que tu grimpes quand la jeep de tes grands-parents. Tu fais une crise d’asthme juste avant d’arriver, la nervosité peut-être. Ta déception, sûrement. Pour te consoler, Grand-mère te permet de commencer par le dessert et quand tu toussotes parce que tu as avalé de travers, elle te permet même de te resservir une part de tarte. Et oh. C’est comme une révélation. Il suffit que tu te dises fatigué pour que Grand-mère te couvre de faveurs qu’elle n’accorderait à aucun autre de ses petits-enfants. Oh.  
Suite à cela, tu es souvent fatigué.
Mais même ce nouveau savoir, ce nouveau pouvoir sur les autres ne suffit pas à effacer que ta mère t’a envoyé de l’autre côté du monde. Elle l’a fait pour ta santé, pour que tu puisses te reposer, te remettre dans un climat (relativement) plus sain. Tu te sens abandonné. Et tout est la faute de Klemens. C’est lui qui t’a annoncé la nouvelle, le traître. Et même la promesse que tu pourrais voir un vrai koala, voire même le toucher, n’avait pas suffit à te consoler. Traître.


~

Tu rencontres Tyler et Eli et leur petite sœur Maddy. Et Perth devient moins terne. Tyler et Eli sont jumeaux mais ils ne se ressemblent pas. Physiquement du moins, parce qu’ils étaient tous deux de vrais casse-cous. Oncle Travis, le grand-frère de maman est leur père.  Eli, Tyler et toi êtes inséparables. Jusqu’à ce que tu oublies ton inhalateur dans ta chambre et qu’une crise d’asthme affole Grand-mère. Elle t’interdit de les rejoindre dehors pour jouer. Et tu te retrouves à devoir surveiller Maddy qui n’a encore que 5 ans. Sa passion sont les perles. Elle passe des heures entières à fabriquer bracelets et colliers. Tu te retrouves rapidement à accumuler les bracelets et les colliers toi aussi. Mais tu t’amuses bien avec et tu souris quand tu vois ton reflet dans la glace. Maddy t’a fait des petites tresses dans les cheveux. Maman parle sans cesse de te les couper mais n’a jamais le temps. Ils sont assez longs maintenant.

« Tu ressembles à une fille comme ça, Louis ! » glousse Maddy.
« Ah regarde ! Louis se prend pour une fille ! » ricane Eli quand il te découvre assis avec elle au milieu de vos peluches, paré de tes colliers de perles. Maddy pleure quand tu lui lances sa peluche hippo’ à la figure.
Et même si tu jouais comme une fille, quel est le mal ? C’est pas différent que de jouer à Papa et à Maman.

Quand Grand-père te voit jouer à la dinette avec Maddy quelques jours plus tard, il ne dit rien. Il ne dit rien non plus quand vous vous confectionnez des jupes avec des chutes de tissus pour apprendre à faire la révérence, comme dans les dessins-animés. Mais le lendemain, il t’amène à la pêche. Sur le moment, tu n’y prêtes même pas attention. Tu gardes tes bracelets de perles.



- 2097, Reykjavik, Islande - Tu as 10 ans. L’été commence juste quand tu rentres enfin chez toi. Tu as raté la naissance de Brynja.

Brynja, c’est ta sœur. Tu as raté sa naissance. Tu as raté ses premiers mois. C’est à cause d’elle que maman n’est pas venue te voir pour Noël. Parce que Brynja est née le 21 décembre. Et avant ça, le trajet était trop long et fatiguant pour une femme enceinte. Ils t’ont remplacé pendant que tu n’étais pas là, Klemens et Jenna. Par une petite-sœur qui n’était pas malade, elle.
« Je te déteste. » Tu chuchotes penché sur son berceau. Elle n’est même pas jolie avec son visage bouffi et son corps potelé. Elle a les boucles rousses de Klemens et les yeux bleus de Jenna. Elle est vraiment vilaine, ta sœur.

« Je te déteste. » Tu répètes, alors qu’elle gazouille et tend les mains vers toi. Tu l’ignores. Elle comprendra bien assez bien vite. Son petit visage se crispe, se chiffonne. Ses lèvres se mettent à trembler.
« Non. » Tu la rabroues dans un murmure. « T’as pas le droit de pleurer. Tu m’as volé maman. » Mais déjà un premier cri s’élève. « Ça suffit ! » Tu te penches sur son berceau pour la prendre dans tes bras. Tu fais attention à sa tête, comme maman te l’a montré. « Tu vas réveiller, maman. » Tu la prévins en la berçant contre toi. Elle hoquète, émet des petits bruits mouillés ridicules avant que sa main se referme sur unes de tes mèches blondes. « Je te déteste. » Tu grommelles alors que des babillages curieux remplacent ses sanglots bruyants.

~

Tu reprends l’école. Tes amis ont grandi. Ton islandais est rouillé. Tu bouillonnes de frustration alors que tu buches sur des mots, des expressions que tu maîtrisais avant de partir. Tes crises s’espacent. Difficile de savoir si c’est parce que le nouveau dosage est efficace, si ton séjour en Australie t’a fait du bien ou si tu grandis, tout simplement. L’essentiel, c’est que tu ailles mieux. Tu n’as toujours pas le droit de faire du sport avec les autres mais Klemens t’inscrit à des cours de Taï-chi. Il parait que c’est recommandé pour les asthmatiques comme toi. Peu importe. Tu n’as pas oublié tes soirées à étouffer tes pleurs dans ton oreiller à Perth. Tu es rancunier, Louis. Tu ne pardonnes pas si facilement.

Ce n’est que bien plus tard que tu comprendras qu’ils ne t’ont pas envoyé si loin par désamour, bien au contraire. Tu ne percevras jamais la déchirure que cette séparation a été pour maman et Klemens. Ils l’ont fait pour toi. Pour ta santé. Pour que tu reprennes des forces avant que le froid ne t’achève. Tu leur as manqué chaque seconde.
C'était pour ton bien. Mieux valait t'envoyer dans ta famille, auprès des tiens, qu'en cure entouré d'inconnus. Mais ils ne t’ont rien expliqué. Tu n’étais pas sûr de revenir, tu n’es pas sûr de repartir. Tu gardes cette crainte, qui te ronge, au fond de toi. Tu doutes. Que se passera-t-il si tu tombes à nouveau malade ? Si tu n’es pas assez gentil ? Vont-ils t’abandonner à nouveau ? Tu ne comprends pas. Ils t’ont expliqué, sûrement. Mais tu n’as pas entendu ou plutôt pas compris.

Alors tu ne sais pas que ton retour est un test, pour voir si tu seras capable de supporter les hivers suivants, ou s’ils devront se résigner à se séparer, à t’envoyer reprendre des forces chez tes grands-parents. Au risque de mettre en danger votre petite famille. Tu ne sais pas que Jenna discute d’une possible mutation, pour revenir avec toi en Australie, si vraiment tu ne supportes pas l’Islande et son climat. Ce ne serait pas aussi simple pour Klemens. Mais il suivrait.
Tout ce que tu sais, Louis, c’est que lorsque tu t’es montré trop faible et souffrant, ils t’ont envoyé à Perth.

~  

Arrive le Carnaval. Jenna t’a donné carte blanche. Elle t’aide même à trouver une perruque pour parfaire ton costume. Après tout, Mercredi est brune et toi blond. Tu as la meilleure idée au monde. Tu sais déjà que tu vas gagner le concours de costume. Après tout, qui n’aime pas la Famille Adams ?  Secrètement, tu espères aussi impressionner le nouveau, Jens. Il est arrivé peu de temps après toi et même si tu ne lui as pas beaucoup parlé, tu l’aimes bien. Tu comptes sur l’inviter à faire un tour chez vous après le défilé. Klemens t’a offert un nouveau jeu pour ta console.
Les mouvements de ta jupe alors que tu marches, te fascinent mais moins que l’air qui caresse tes jambes. Tu apprécies moins la sensation des collants sur ta peau. Ça serre. T’as l’impression que ça glisse tout le temps. Mais Jenna a dit que c’était normal en l’aidant à s’habiller. Klemens l’a photographié sous tous les angles en riant avant de le laisser sortir.
Tu n’as pas besoin de chercher Jens. Il te trouve en premier. Il reste avec toi tout le long du défilé. Il vote même pour toi durant le concours. En même temps, son propre masque s’est cassé avant même le défilé. Tu décides que tu aimes le carnaval. Dommage que tu ne puisses pas porter des robes plus souvent, tu t’es bien amusé.

« Hey, Louisa, ça te dit de venir traîner chez moi après ? » Tu n’as même pas le temps de le corriger, lui dire que c’est ‘Louis’ et non ‘Louisa’, qu’une série de ricanements de hyènes s’élèvent et recouvrent ton ‘Oui’. Ce n’est pas la première fois qu’on te prend pour une fille. Tu as toujours eu les traits fins et maintenant que tu laisses pousser tes cheveux, c’est encore plus fréquent.
« Tu vas vraiment l’inviter à sortir ? Nan parce que c’est pas une fille, tu sais. »
Quelque chose se tord dans ton ventre. Tu ne sais pas pourquoi mais depuis que tu es revenu, Finn est vraiment pas sympa avec toi. Mais Jens se contente de rire. «Très drôle ! Alors, ça te dit ?»
« Oui, oui ! Laisse-moi juste me changer. » Tu désignes tes bas, ta robe d’un geste.
Jens rit à nouveau. « Ouais tu vas avoir froid. On se rejoint sur le parking ? »

Tu cours, de peur qu’il ne trouve le temps long et parte jouer avec Finn, t’oubliant au passage. Heureusement, vous n’habitez pas loin. Tu n’as même pas besoin d’utiliser ta Ventoline. Tu remplaces la robe de Mercredi par ton coll roulé crème et un jean. Et tu n’oublies pas d’attraper ton bonnet en partant. C’est ton préféré il a des oreilles de lapin roses et il est assorti à ton écharpe.  «J’suis là ! »

À vous deux, vous atomisez un paquet entier de petits chamallows. Tu l’écrases à Mario Kart mais il prend sa revanche à Super Smash Bros. La prochaine fois, vous décidez d’aller chez toi, tester ton nouveau jeu.

~

« Bunny ? » La voix de Jenna filtre à travers la porte de ta chambre. Oreiller plaqué sur ta tête, tu l’ignores. Tu ne veux voir personne. Qu’on te fiche la paix.
« Bunny, Klemens dit que tu n’es même descendu pour goûter. Tout va bien ? » Tu l’ignores. Tu entends la poignée tourner et même les larmes qui glissent sur tes joues semblent se figer.
« Je vais bien ! J’veux pas te voir ! Va-t’en ! Sors, sors ! » Ton oreiller s’écrase sur le mur, juste à côté de la porte.
Un jour, un autre moment, tu serais mortifié. À cet instant, tu ne veux voir personne. Tu veux rester dans le noir, avec tes peluches jusqu’à ce que tu sois gris et tout fripé. Tu veux jamais retourner à l’école.

Depuis quelques semaines, tu fais sport avec les autres. Ton nouveau docteur a dit que la course, la gym pouvait te faire du bien. T’aider à respirer, à te calmer afin de ne pas sombrer dans une crise. Toi, tu voulais jouer au basket mais ça ne t’est toujours pas permis. Ce n’est pas grave, parce que tu as un nouveau meilleur ami, Jens. C’est encore tout neuf mais vous êtes déjà inséparables. Tu t’étires avec les autres au milieu du gymnase. Tu ne remarques ton camarade que lorsque ses baskets noires entrent dans ton champ de vision.
« Hé. Pourquoi tu portes des bracelets de fille ? » Finn. Tu soupires. De Perth, tu as ramené le goût des perles. C’est d’ailleurs ce que tu as demandé pour ton anniversaire. Tu as une dizaine de bracelets à chaque poignet, Klemens et Jenna en ont autant. Klemens aime les perles noires et vertes. Jenna préfère l’orange et le jaune.
« Pourquoi pas ? C’est juste des bracelets. » Franchement, Finn est devenu vraiment bizarre.
« Ouais et ma petite sœur a les mêmes ! T’es bizarre tu le sais ça ? » Et voilà qu’il tire sur tes cheveux. T’arrives à faire une tresse avec maintenant. Tu te venges d’un bon coup de coude dans les côtes.
« Fiche-moi la paix, Finn. »


La lumière du couloir t’agresse soudain les yeux. « Louis. » Ta mère, encore. Tu tires la couette par-dessus ta tête, pour ne pas la voir, pour pas qu’elle te voit non plus. Tu entends le petit clic caractéristique d’une tasse qu’on pose sur ta table de nuit.
«Klemens t’a fait son fameux chocolat. » Elle murmure en s’asseyant au bord du lit. Tu sens sa main sur ton épaule à travers l’épaisseur de la couette. « Mrs Ackermann a appelé. Tu veux me raconter ce qui s’est passé à l’école ? »
Tu fermes les yeux. Tu fais encore plus petit sous la couette. « Non. »

Au final, Finn obtint une journée d’exclusion pour ce qu’il t’a fait. Toi, tu as écopé de trois heures de colles. Toi qui n’as jamais eu plus que des punitions pour bavardages. T’as jamais vu maman et Klemens aussi en colère, mais pas contre toi. Ils t’ont proposé de changer d’école. Tu sais pas. Tu n’arrives à penser qu’à Jens. Jens qu’ils ont embêté du début du cours de gym jusqu’au retour aux vestiaires. Des bruits de baisers qui vont vous poursuivis. Les « C’est ta copine alors ? Ou ton copain ? » de ce crétin de Finn.
Pourquoi est-ce qu’il t’a dans le nez, Finn ? T’en as aucune idée. Tu te souviens pas de ce que t’as pu lui faire. Il t’a volé ton pull au moment de vous changer. Debout sur le banc, il l’a agité comme si tu devais en avoir honte. Une licorne attaque un donut devant, sous la lumière on dirait qu’il brille à cause de ses paillettes. Il est cool ton teeshirt.  Finn trouvait marrant de tenir ton teeshirt hors de ta portée alors tu lui a sauté dessus. Vous vous êtes battus. Si on peut appeler vos gesticulations ainsi.
Ta crise d’asthme ? Elle valait complètement le coup.

Ce n’est qu’après, en sortant du bureau du principal, que tu réalises. Jens ne t’a pas aidé. Il a pris ta défense durant le cours. Mais où était-il dans les vestiaires ? Tu t’en souviens, il se changeait, juste en face de toi. Il n’est pas intervenu.
Et quand tu as fait remarquer que Finn s’était moqué de lui aussi, Jens…est resté muet, il a regardé ailleurs. Comme quand tu l’as approché.

« C’est vrai, que je suis bizarre, maman ? » Ta voix est à moitié étouffée par la couette.
« Oh, Bunny. Bien sûr que non, pourquoi ? »

Mais c’est trop tard. Le doute germe déjà.
Est-ce que tu es bizarre, Louis ? Es-tu si différent des autres ?
Tu enfiles ta casquette de détective. Tu observes tes camarades. Tu observes les adultes autour de toi.
Est-ce que tu es bizarre ? Tu te questionnes au point où tu regardes ta penderie comme si elle était pleine de pièges et de mauvaises réponses.

Tu attends le bon moment, que maman soit au travail, et tu abandonnes tes devoirs à peine entamés sur la table qui est devenue la tienne à l’ambassade. Tu te faufiles jusqu’aux cuisines. Comme prévu, Klemens est penché sur un cahier, à élaborer les menus de la semaine. Tu te racles la gorge.
« Klemens ? Je peux te parler ? Une minute ? »

Vous vous asseyez autour d’un chocolat chaud, c’est la tradition. Tu es penché au-dessus de ta tasse, tu la fixes comme si elle contenait les secrets de l’univers. « Klemens…Est-ce que je suis bizarre ?
- Qui t’as dit ça ? Qui a dit que tu étais bizarre ? C’est ce gamin, là, Clint ? Finn ? »
Tu hoches la tête. « Et d’autres à l’école. » Tu sens son regard sur toi, tu n’as pas besoin de lever les yeux. Tu l’entends passer une main sur sa nuque, rouler ses épaules, comme à chaque fois qu’il ne sait pas comment répondre.
« Ah… » Un soupir. Il n’a pas l’air surpris.
Tu te demandes si lui aussi voit quelqu’un de bizarre quand il te voit.

Au final, il ne s’est pas révélé d’une grande aide. Mais contrairement à ta mère, Klemens ne te baratine pas.
C’est pas ta faute, lui explique-t-il. Ce sont tes bracelets. Tes traits androgynes, tes cheveux longs. Ton bonnet lapin. Tes stylos à paillettes. Ton sac à dos rose. Les autres garçons ont des sacs avec des logos d’équipe sportive, des personnages de comiques. Ils se fichent de leurs vêtements et n’aiment pas porter du rose. Ils aiment encore moins les paillettes.
Pas tous les garçons, s’empresse-t-il de préciser. Mais une majorité quand même.
C’est donc ça, tu es bizarre.

Une paire de pantalon kaki, un couple de polos marron et bleu trouvent leur chemin vers ton lit. Pour t’aider à t’intégrer, à paraître moins bizarre. Tu essaies pendant quelques temps. Tu t’appliques, tu fais comme les autres. Et la plupart du temps, ça ne te dérange pas. Tu te sens parfois un peu coincé, un peu faux. Mais ça te dérange pas. Puis il y a ces jours, où tu te sens à l’étroit dans tes vêtements, il y a ces jours où tu veux autre chose. Maman propose de te couper les cheveux et tu ne dis pas non.
Tu commences à te demander si c’est vraiment normal. Est-ce normal d’admirer la nouvelle robe d’Eslie ? Pas parce qu’elle est joli dedans – même si elle l’est- mais parce que tu te demandes si elle est agréable à porter. Il y a des moments où tu t’étonnes quand tu croises ton regard dans le miroir. Où tu te demandes si c’est vraiment toi, parce que t’as l’impression que quelque chose manque.
Est-ce que tu es normal, Louis ? Tu n’es pas sûr. Peut-être pas.


- 2099, Tu as 12 ans. Tu as l’impression d’être un mensonge. La vis en trop dans un meuble Ikéa.

La chaise couine quand tu t’assoies. M. Lodge, le psychologue scolaire t’observe par-dessus ses petites lunettes. Il attend que tu cesses de remuer avant de prendre la parole.
« Est-ce que tu sais pourquoi tu es là, Louis ? »
Tu hausses les épaules. Tu frottes le bandage qui recouvre ton pouce. Hier, il était violet. « Parce que j’me suis battu. »
Tu passes ta langue sur tes lèvres et tu t’étonnes presque de plus y sentir ce mélange de sang et de cerise. Comme le rouge à lèvres de ta mère. La prochaine fois, tu n’oublieras pas de fermer correctement le poing avant de frapper. Jenna t’a montré comment.  
« Oui et pour la troisième fois ce mois-ci. Est-ce que tu peux m’expliquer pourquoi ? »
Nouvelle haussement d’épaule. « Parce que Tom voulait pas que je reste dans les toilettes. Il a dit que c’est pas pour les filles.» marmonnes-tu bien conscience de ta bêtise.

T’as pas réfléchi, c’est ta faute. C’est juste…il traînait dans ta poche depuis plusieurs jours, le rouge à lèvre de Jenna. Elle l’a oublié en partant au travail et tu l’as ramassé. Quand tu es entré dans les toilettes, ils étaient vides. C’était un mauvais jour. T’avais l’impression que tes vêtements étaient pas les tiens, t’avais la sensation d’étouffer. Et tu voulais voir ce que ça donnerait, le rouge sur tes lèvres. Il était trop foncé pour toi mais tu t’étais surpris à sourire à cette fille à la coupe garçonne dans le miroir. Comme on sourit à une vieille amie. Puis Tom était arrivé.

« Et donc… » La voix de M. Lodge dégouline de scepticisme. « Et la seule réponse possible, c’était de le frapper ?
- Il s’est défendu ! » Ton œil en est bien la preuve.
- Louis… J’ai bien conscience que ce ne doit pas être facile tous les jours au collège mais- »
Tu te crispes. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que ce ne serait pas facile ? « …ce n’est pas une manière acceptable de régler vos problèmes. » termine le psychologue scolaire.

Tu es bizarre, Louis. Bizarre, bizarre. C’est ta faute si Tom t’a embêté. C’est ta faute.

Et soudain, tu en as assez des regards, des jugements silencieux, des remarques que tu te prends dans les dents chaque jour. Tu bondis sur tes pieds.
« Rasseyez-vous, Louis.
- C’est pas ma faute ! Tom a dit que si je restais, je devais baisser mon pantalon pour lui prouver que j’étais bien un garçon ! Il l’a dit qu’il le ferait ! »

Mais tu t’essouffles tout seul.

~

Le soir, Jenna et Klemens te demandent de rester à la fin du repas pour parler. Leur malaise est palpable, la pile de livres et prospectus qu’ils déposent sur la table, inquiétante. Tu te sens pris au piège. Tu te demandes si M. Lodge a téléphoné pour expliquer ce qu’il s’est passé.
Jenna se jette à l’eau la première, elle prend ta main au creux des siennes. Tu as flâné devant assez de séries et de films pour savoir que ça n’augure rien de bon. Tu déglutis.
« Écoute, Louis…On comptait attendre un peu pour aborder le sujet, on voulait que ça vienne de toi…mais…on voit bien que tu ne vas pas bien. » Tu ravales les protestations qui affleurent à tes lèvres. Tu pensais être moins transparent. Soudain, leurs regards sont bien durs à supporter. Tu te sens coupable. Fautif.
Tu es bizarre, Louis. Bizarre.

« Je veux que tu saches, Louis, poursuit maman, que je t’aime. On t’aime, Klemens et moi. Peu importe…peu importe qui tu es…ou ce que tu aimes…ou…qui tu aimes. Tu comprends ? » Des paroles maladroites mais emplies de bienveillance. Ton regard accroche les livres qu’elle pousse vers toi. Vivre avec sa différence., Apprendre à s’accepter., Adam aime Steve, aimer sans complexes en 78 fiches..

Tu tressailles comme brûlé. D’un geste de la main, t’envoies tout voler. C’est maladroit, c’est beaucoup trop tôt, beaucoup trop précis. Tu n’as même pas commencé à poser des mots sur ce qui te trouble. Tu évites même d’y penser sauf que parfois, ça bouillonne, ça déborde et te dépasse.

Tu te sens agressé. « …Je suis pas…gay ! Je suis pas-…c’est des conneries ! Vous comprenez vraiment rien ! » Tu fuis et personne ne te suit.
Quand tu oses sortir à nouveau de ta chambre, la pile de livres et de prospectus est là, avec un plateau repas car tu as raté le dîner.
Vous n’en parlez plus.


Un mois plus tard, tu embrasses Jörgen de ton cours de Tai-chi dans les vestiaires. Il est nul à la console mais il embrasse bien. Donc tu supposes que tu es peut-être un peu gay.
Sauf qu’en mai, c’est la correspondante allemande, Hida que tu embrasses la veille de son départ, après avoir passé tout son séjour à vous tourner autour.
Bon. Tu es aussi un peu hétéro apparemment. Ce qui ne t’aide pas.
Quand tu te regardes dans le miroir, tu ne vois qu’un grand point d’interrogation qui te fixe.
Qui es-tu vraiment, Louis ?
Qui es-tu ?

~

Halloween et le carnaval sont tes fêtes préférées. Ces jours-là, tout le monde porte un masque, tout le monde est costumé. Tu peux t’habiller comme tu l’entends, personne ne fait attention à ton costume. Sauf que tu n’es pas sûr, d’être déguisé. Tu es la plus parfaite des Alice.
Tu ne vas pas bien, Louis. Est-ce normal que ces costumes t’aillent si bien ? Est-ce normal que tu te sentes aussi bien en talons qu’avec tes Doc Martens ?
T’es fatigué d’être bizarre, Louis. T’es fatigué de cette angoisse qui habite dans ton ventre et te quitte jamais. T’es fatigué de te sentir à l’étroit dans ta propre peau, de ne plus savoir quoi penser, quoi t’autoriser, quoi éviter.
Tu ne vas pas bien.
Tu enchaines les crises. Tu penses trop, trop fort. C’est ce que t’explique le Dr Lahey. Elle pense que ce ne sont pas des crises d’asthmes mais plutôt des crises de panique. Ce qui te vexe légèrement. L’asthme au moins tu sais le gérer. Si tu as accepté de voir le docteur Lahey, c’est bien parce qu’elles te font peur tes pensées.
C’est Klemens qui a abordé l’idée en premier, que tu ailles parler à quelqu’un pour faire un peu de tri dans ta tête. Plus précisément à un psychiatre spécialisé dans les troubles des adolescents.

Lors de votre première séance, le Dr Lahey a promis, qu’à moins que cela mette ta vie et ta santé en danger, rien ne sortirait jamais de son bureau. Pas même si Jenna lui demandait.
Elle promet de ne pas te juger. Alors tu lui dis. Tu lui expliques, comme tu peux, que tu te sens mal dans ta peau. Pas tout le temps. Mais souvent. Que t’aimes porter des jupes, que t’aimes avoir les cheveux longs et que tu vois pas, tu comprends pas pourquoi ça gêne. Pourquoi ça fait forcément fille. Tu lui expliques que tu t’aimes les jeux de baston, les films avec des explosions. Tu lui racontes que tu aimerais faire du skate mais que tu passes ton temps à te ramasser. Que tu aimes le rose mais le vert aussi, que tu as aussi des goûts, des loisirs de garçon. C’est important qu’elle comprenne que tu n’es pas bizarre.

Puis, elle a ces mots qui résonnent en toi. « …Pourquoi est-ce qu’un garçon ne pourrait pas aimer le rose, Louis ? Ou encore porter des jupes ? Comment t’es-tu senti… » Elle consulte brièvement ses notes. « …déguisé en Alice ? »
Tu repenses au rouge sur tes lèvres, tu repenses à la caresse aérienne du tissu sur ta peau. « Je sais pas… » Tu frottes le coin de ta basket contre le parquet. « … Normal ? C’était un déguisement mais… j’étais bien en robe. » Tu hausses les épaules.

À la fin de la séance, elle te tend un papier. La liste de plusieurs sites internet et forums. « Tu devrais aller y faire un tour. Regarde un peu ce qui se dit. S’il y a des choses dans lesquelles tu te reconnais. » Une pause. « Tu n’as pas à avoir les réponses de suite, Louis. Tu as le droit de ne pas être sûr ou de changer d’avis. » Elle te rassure.


Petit à petit, tu apprends à faire la paix avec toi-même et surtout, avec le regard des autres. Tu passes des heures à parcourir ces sites, étudier les fils de conversations des forums. Tu te reconnais, parfois, dans ce qui est dit. Tu te sens moins bizarre. C’est comme mener une enquête sur ta propre identité.



Tu passes un mauvais hiver. Il est loin d’être aussi terrible que ceux qui t’ont mené en Australie, mais tu es cloué une semaine au lit à cause d’une mauvaise bronchite. Klemens et Jenna restent à ton chevet, les yeux emplis d’inquiétudes. Peut-être que tu devrais passer la mauvaise saison à Perth. Tu ne veux même pas en entendre parler. T’es plus aussi fragile qu’à 8 ans.

Et puis, enfin, tu as trouvé un assez bon dosage pour ton traitement de fond.



- 2100, Tu as 13 ans. Tu découvres que contrairement à la pub, tout ne se trouve pas dans les rayons de ton supermarché.


A la suggestion du docteur Lahey, tu as commencé modestement. Tu as acheté du gloss à lèvres teinté. Tu as essayé des ballerines avec Jenna quand elle t’a demandé si tu avais besoin de nouvelles chaussures. Tu as ressorti la jupe plissée de ton dernier costume d’Halloween de son carton. Le weekend, quand l’envie te prend, tu la portes à l’intérieur. La première fois que Klemens t’a vu, il a marqué un long d’arrêt. Tu as senti ta peau s’embraser sous le poids de son regard. Mais il s’est contenté d’un bonjour et de tapoter ton épaule quand il est passé à portée.

Au fond, tu es presque déçu de leur absence de réaction, de leur acceptation beaucoup trop facile. Ça te fait peur, comme si leur rejet n’était qu’une bombe à retardement. Le docteur Lahey te rappelle qu’ils te connaissent, t’ont vu grandir. Ça ne te rassure pas vraiment.

~  

Ce soir-là, malgré la nausée qui t’étreint le ventre, tu prépares à manger. Le temps que Klemens et Jenna rentrent du travail, la table est mise, la salade de quinoa prête. Tu as été bien formé mais tu n’aimes pas cuisiner. Vous mangez dans un quasi silence. Tu les sens t’observer, s’interroger et leurs regards nourrissent les angoisses qui te nouent la gorge.

« …J’ai…J’ai quelque chose à vous dire. » Tu inspires. « Je suis pas gay. J’aime…les filles et les garçons. Et…il y a des jours où j’aime…porter des robes et du maquillage. Il y a…il y a des jours…où je me sens plus…fille que garçon. » Tu finis par avouer avec maladresse.
Ces jours-là, tu te sens plus Louisa que Louis. Parfois, aucun des deux ne te convient, tu es coincé dans un étrange entre-deux.

À la fin de ton explication, tu sens leurs regards, peser sur toi. Klemens fronce les sourcils, comme pour mieux comprendre.
« Donc…tu veux qu’on t’appelle ‘Louisa’ ? » Il n’y a aucun jugement dans sa voix, juste de l’hésitation mais ta respiration s’accélère déjà. Maman couvre ta main. Elle te sourit, même ses yeux se font doux. « Détends-toi, Bunny, avant de te déclencher une crise. On est là pour toi, d’accord ? »
Tu hoches la tête, déglutis. Et finalement, tu réponds à leur question.
« Pas toujours. C’est juste…parfois. Parfois c’est pas…juste. »
Tu leur expliques et tu vois bien sur leurs visages qu’ils ne comprennent pas tout. Tu te crispes quand Klemens te demande si tu veux devenir ‘Louisa.’ Non. Tu ne sais pas. Ça ne t’est jamais venu à l’idée. C’est maman qui brise le silence pensif qui s’en suit : « Et aujourd’hui…on peut t’appeler ‘Louis’, aujourd’hui ? » Il y a tant de prudence, de précaution dans sa question que tu sens les larmes te monter.
« Oui. Oui, aujourd’hui, c’est…ça me va.
- D’accord. N’hésite pas à le dire si…si ça change. » Et tu vois bien qu’ils ne prennent toujours pas. Ils ne comprennent la position d’équilibriste que tu leur as dépeinte.
« Tu sais que…si jamais un jour ça change…ou si tu veux…faire plus, devenir Louisa pour toujours nous te soutiendrons, Bunny. D’accord ? Toujours. »

Klemens est le premier à se lever. Bientôt, maman vous rejoint et tu te retrouves pris dans la meilleure des étreintes.
Ça va aller. Et cette fois-ci, tu peux y croire.
Louis(a) est né.e .

(La plus heureuse dans l’histoire, c’est Brynja. Si elle ne comprend pas tout du haut de ses 4 ans, elle se révèle déjà une redoutable négociatrice. Puisque c’est comme ça, Louis.a n’aura plus aucun excuse pour ne pas jouer à la princesse et au ninja avec elle.)
 


- 2101, tu as 14 ans. Tu adoptes un poussin nommé : « Haven ».


Ça ne fait pas longtemps que tu oses. Tu gagnes en confiance au fil des jours. Tu t’es fait plusieurs amis sur ce forum recommandé par le Dr Lahey. La plupart sont plus âgés que toi, mais tu supposes que les autres de ton âge sont comme toi. Paumés.
En lisant leurs histoires, leurs mésaventures, tu réalises que tu as de la chance. Tous les parents ne sont pas Klemens et Jenna. Tu as 14 ans, ton corps est en pleine transformation. Tu as peur de ce que ça pourrait dire. Que se passerait-il s’il décidait de s’acquitter de ce statu quo androgyne, ce corps qui est le tien ? Tu investis dans un rasoir, dans une multitude de crèmes et tu t’efforces de ne pas y penser. Tu ne t’es pas encore complètement réconcilié avec ton miroir, tu ne sais pas si un jour tu seras enfin complètement en accord avec ce que tu y vois. Parce que toi-même, il y a des moments où tu ne sais pas exactement ce que tu y cherches.

~

Pour Halloween, une fois de plus, tu te dépasses. Aux infos, ils ont annoncé un nouveau remake de La famille Adams. Forcément, tu n’as pas résisté à l’attrait de ta famille préférée. Avec ton teint pâle, tes lèvres rouges, ta silhouette longiligne, tu fais la parfaite Morticia. Tu es assez grande, assez mature pour te le permettre. L’inventeur des soutien-gorges rembourrés est un saint à tes yeux, mais tu te serais bien passée de l’embarras de demander à Jenna comment régler ces diaboliques bretelles.

Cette année, parmi les jeunes ressortissants australiens invités par l’ambassade, il y a un adorable petit Casper. Un petit fantôme que tu viens d’arroser de punch, parce que tu ne regardais pas où tu allais. Pourtant, comment manquer cette nappe hideuse sur deux jambes qui se cachait à côté du buffet ? Au départ, tu penses que son costume est une plaisanterie.  Puis tu comprends entre deux bredouillements timides que ce drap troué est son déguisement. C’est ainsi que tu fais connaissance avec Haven. Avec le recul, tu ne sais pas s’il t’a suivi parce qu’il était terrifié ou s’il était vraiment d’accord pour que tu l’aides à améliorer sa tenue. Mais quand tu as sorti ta petite panoplie de maquillage de ton sac, il ne t’a pas regardé étrangement, il ne s’est pas évanoui sous l’effet du stress. Tu l’as de suite repérée dans ses yeux, cette lueur d’intérêt. Cette envie presque vorace d’essayer.

Il est facile, si facile d’oublier ses propres doutes à côté d’Haven. Si facile d’oser à côté de quelqu’un qui a peur de tout. Quand tu le croises à nouveau, tu portes un de tes vieux jeans troués avec ton blouson militaire. T’as coincé tes cheveux longs sous une casquette. Tu es à des lieux de Morticia.
« Hé, Haven ! » Ton sourire te mange les joues. « Tes parents ont rien dit pour le drap ?
-…Louisa ? » Tu vois le doute sur son visage, sent son regard s’attarder, troublé, sur ta tenue. Tu as oublié qu’il ne te connaissait pas. Il ne t’a pas vu osciller entre plusieurs styles, plusieurs identités, puis plusieurs pronoms. Tu t’es présenté comme Louisa. Et ça t’a été si naturel sur le moment, que tu n’y pas prêté attention.
- C’est moi ! Ça te dit de faire un tour à la maison ? Y’a personne pour le moment et je pourrais te montrer les trucs stylés qu’on peut faire avec du crayon. »

Haven est la première personne à qui tu te présentes comme tu l’as toujours souhaité. Il est la meilleure personne à qui tu aurais pu choisir de faire confiance, parce qu’il se contente d’hocher la tête et d’accepter ce que tu lui dis. Comme Klemens, comme Jenna, il est confus mais tellement soucieux de bien faire. Il met un sourire dans ton cœur. Ses réactions sont si maladroites et pourtant parfaites, que tu oublies que tout le monde n’est pas aussi ouvert d’esprit.
Quand tu rencontres son père, c’est une autre histoire. Une déception.

Tes ongles sont parés d’un verni nacré dont les paillettes accrochent la lumière mais aussi le regard de M. Thorne, le père d’Haven. Lui, n’est pas aussi admiratif que son fils. Tu vois son visage se fermer alors qu’il vous demande de bien garder la porte de la chambre ouverte.
« Je rêve, où ce garçon porte une jupe » ? Tu l’entends demander à Mme Thorne. Et tu n’as jamais vu une femme aussi fragile. Elle t'inquiète un peu en vérité tant elle semble sur le point de se briser. La voix de M. Thorne reprend : «Tu trouves ça normal, toi? »
Le visage d’Haven se brouille, se décompose. « J’suis désolé. » Il chuchote, serre ton bras comme si ça pouvait tout effacer. Alors tu hausses les épaules.
« On ira chez moi la prochaine fois. Si Klemens est là, faut que t’essayes un de ces chocolats. » Et il te sourit, timide, comme si tu venais de lui faire le plus grand des cadeaux. S’il savait. C’est fichu. Haven vient de s’ancrer dans ton cœur. Tu le laisseras plus jamais en partir. Pas sans te battre.
Il est si fragile Haven, que tu ne peux que le prendre sous ton aile.

~

Les fils de militaires vont et viennent. Ça te ne surprend pas qu’Haven parte à son tour mais tu ne pensais que ça se ferait si vite. Tu fixes le plafond, étalé en travers du lit, Tik-Tok serré contre ton ventre. Tu entends des bruits dans le couloir, trop légers pour être ceux d’un d’homme. Ça ne rate pas, tu l’entends toquer contre ta porte entrouverte.
« Ça va, Bunny ? Oh. » Le parfum acidulé de Jenna t’enveloppe, elle sort de la douche, ses cheveux sont encore entortillés dans une serviette.  Tu la sens tirer sur une patte de ton croco en peluche. « Tu as sorti Tik-Tok ? »
Tu marmonnes sans rien dire. Tik-Tok est toujours là en cas de coup dur.
« C’est à cause d’Haven ? »
Tu hoches la tête.
« Il te manque n’est-ce pas ? »
Tu daignes baisser la tête pour lui décocher un regard torve. « …Il est jamais connecté en même temps que moi. » Tu finis par confesser. « Je déteste le Pérou. C’est paumé en plus là-bas. » Tu la sens caresser tes cheveux, rassurante. « Et quand il répond, il ne fait que parler de cet ‘Anton’. Anton par-ci, Anton par-là… » Tu pestes. Haven est ton ami, tu l’as trouvé en premier. C’était déjà suffisant de devoir le partager avec ses autres amis Ayane et Keith. Tu as dû accepter les groupes de conversations communs. Un anglais, une japonaise et un islandais au sein d’une même convo’ : il fallait parfois être créatif pour vous entendre et encore plus vous comprendre. Tu n’as jamais aimé partager. Haven est ton poussin mais il est aussi l’ami d’Ayane et de Keith. Et tu as appris à faire avec. Bien malgré toi.
Mais voilà qu’il y avait cet ‘Anton’ dont Haven chantait les louanges à chaque opportunité. Stupide Anton.

« Oh Bunny. Tu l’aimes beaucoup cet Haven, n’est-ce pas ?
- C’est mon ami.
- Rien ne vous empêche de rester amis malgré la distance. Et il a le droit de se faire d’autres amis. Tu ne veux pas qu’il reste tout seul, n’est-ce pas ?
- Non, bien sûr que non. » Tu soupires à contre-cœur. Mais tout de même. Quand il était ici, il n’avait pas besoin de cet Anton. Vous vous amusiez bien ensemble.
« Bunny…tu sais que tu peux nous parler, n’est-ce pas ? Tu peux nous le dire, si Haven et toi… »
Tu te redresses d’un bond, ton pauvre Tik-Tok écrasé contre ton torse. Tu la fixes, outré. « Quoi ? Non ! Eow, non ! Maman.  En plus, je sors avec Lucinda !  »
Jenna lève les mains en signe d’apaisement. Elle se relève non sans déposer un baiser sur ta tempe au passage. « Je dis seulement, que si c’était le cas…ça ne changerait rien, d’accord ? Klemens et moi, on t’aimerait tout autant. »

Un peu plus tard. «…Donc, cette Lucinda, c’est ta nouvelle copine, c’est ça ? Tu nous en as jamais parlé. Ça fait longtemps ?»


~

Quelques mois plus tard, Klemens t’attrape au vol alors que tu te rues dehors. Ta respiration s’affole, un maigre reflet de ta panique intérieure. Tu te débats comme un forcené et il te sert contre lui. « Calme-toi, Louis. Qu’est-ce que tu comptes faire, y aller à la nage ? Qu’est-ce que tu pourrais faire de plus ? »
Tu t’acharnes, tu hoquettes alors que l’air t’échappe. « Tu – Laisse-moi, laisse-moi ! Il faut que-. » T’étouffes, t’étouffes !
C’est Klemens qui presse ta Ventoline contre tes lèvres. « Respire, Louis. De longues inspirations. Tu peux le faire. Fais comme moi. »
Tu te calmes. Tu ne vas pas au Pérou à la nage. Tu finis, roulé en boule sur le canapé, comme un gosse.  Alors que tu fixes les informations qui défilent sur l’écran, Klemens passe sa main sur ton dos, lentement.

Il fait nuit dehors, quand la porte s’ouvre, suivit du cliquetis des clés que Jenna dépose toujours dans le petit bol à l’entrée. Elle s’approche, à pas feutré. Mais tu ne dors pas. « Des nouvelles ?
- Non, il est pas sorti de chirurgie. » Tu réponds à la place de son époux d'une voix morte.
« Bunny… »  
Exceptionnellement, ils te laissent veiller toute la nuit quand tu refuses d’aller te coucher. Ils restent à tes côtés. Mais ce n’est qu’au matin qu’Ayane t’envoie un sms pour te dire que Haven est dans le coma. Tu la détestes tout comme tu maudis les parents de ton ami qui ne t’auraient jamais prévenu. Mais tu détestes encore plus le Pérou et ses séismes.
Tu n’as jamais été aussi effrayé de toute ta vie.
Haven s’en sort.


Avec Ayane et Keith, vous vous chargez de lui changer les idées, de lui remonter le moral. ( Ayane n’est pas aussi terrible que tu le pensais. Mais elle reste une peste.) Ils sont les amis de Haven avant tout. Tu détestes qu’ils l’aient connu en premier. Tu te sens bêtement en concurrence.
C’est différent avec Keith. Tu développes le plus gros des béguins pour ses remarques pince-sans-rire, son humour caustique so british.



- 2102, tu as 15 ans. Trahison, disgrâce. L’esprit du mal est marqué sur sa face.

« Il a refusé ! Re-fu-sé ! » Tu fais les cents pas sur le tapis du Docteur Lahey. Elle te laisse pester, en silence. Tu sais qu’elle n’interviendra pas, elle ne le fait jamais. Elle attend.
« Pourquoi es-tu si en colère, Louisa ? » Elle te demande enfin quand tu te laisses retomber dans ton fauteuil, vidé.
« L’école l’avait accepté ! J’en suis sûr qu’il était pris, c’est moi qui ai rempli les papiers pour lui. Il n’avait qu’à accepter !
- Et pourquoi est-ce que ça te met si en colère ?
- C’est son rêve. Il rêve de faire du make-up. Je comprends pas. L’école était parfaite pour lui. » Le docteur Lahey te regarde à nouveau, en silence. Tu le reconnais ce silence. Elle a toujours ce regard quand elle pense que tu es capable de trouver les paroles toute seule. Tu n’as pas envie de les trouver ces réponses. Finalement, tu soupires, tu passes une main dans tes cheveux tressés. « …c’est pas à moi de décider ce qu’il veut faire plus tard...c’est ça ?
- C’est gentil de ta part de lui avoir offert cette opportunité, Louisa. Je sais que tu veux l’aider. Mais ton ami est le seul qui peut l’accepter. » Tu émets un simple bruit en guise d’assentiment. Tu sais qu’elle a raison, en théorie mais t’es en colère, t’es frustrée que Haven gâche cette chance. S’il ne te le dit pas clairement, tu le sens bien qu’il étouffe avec ses parents, auprès de sa mère.
« Laisse le temps à ton ami, il faut qu’il fasse ses propres choix, comme toi. D’ailleurs…la période des stages arrive, n’est-ce pas? Est-ce que tu en as trouvé un qui t’intéresse ? »
Tu te crispes, ta ballerine frotte le tapis. « Non. J’sais pas encore ce que je veux faire. Maman et Klemens m’ont proposée de me prendre avec eux mais…ce sont mes parents ce serait la honte ! Et ça... me dit rien.
- Ce n’est qu’un stage, tu sais. Tu as le droit de te tromper, de changer d’avis. »
Ces mots, elle te les répète régulièrement, comme un mantra quand tes pensées se coincent.

Mais est-ce que quelqu’un comme toi peut faire tout ce qu’il veut ? Tu peux pas vraiment devenir mécano (pas que ça t’intéresse.), tu veux pas devenir coiffeur non plus. Bonjour le cliché. Mais quoi alors ? Tu as tellement peur de faire le mauvais choix que tu n’arrives pas à te projeter.
En ce moment, tu n’arrives pas te concentrer. Tu as pris 5 centimètres en un an. Tu scrutes ton reflet à la recherche de la moindre différence, la moindre anomalie. Tu as peur de te voir pousser une pomme d’Adam monstrueuse ou de te retrouver couvert de poils. Pourtant, ça mettrait un terme à tes doutes, n’est-ce pas ? Ça t’imposerait une réponse.
Mais il ne te pousse ni corne ni fourrure durant la nuit, aucune réponse ne t’apparaît non plus. Aussi, tu atterris à la librairie avec Connor, un de tes camarades. Un choix par défaut. Tu n’as pas l’âme d’un libraire. En revanche, tu t’amuses beaucoup avec Connor.
A la fin de ton stage, tu ne sais toujours pas ce que tu veux faire plus tard. Peut-être que le docteur Lahey a raison. Peut-être que ce n’est pas si grave. Tant que tu as les baisers de Connor pour te distraire.

[…]

Louis Raskolnikov
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Autre: Remerciements, big up, infos à savoir ?
Louis Raskolnikov
Louis Raskolnikov
Histoire


Partie 2



Dehors les étoiles font d'la corde à sauter
Déjà cinq heures que minuit a sonné
Le jour se lève, il te reste une vie à danser
― Hyacinthe



- 2105, tu as 18 ans. Tu es une boussole qui a perdu son nord.


Celui qui a dit qu’avec l’âge viennent les réponses, a menti. Tu n’as toujours aucune certitude, que ce soit dans ta vie ou concernant ton avenir. Tu te débrouilles en mathématiques et en anglais (sans aucune surprise) mais rien ne t’attire vraiment. Pour être honnête, à cette seconde, tu t’en fous. Toi, pourtant si soucieux des apparences, si coquet, tu portes un de tes vieux pulls délavés. T’as même pas pris le temps de te coiffer, tu t’es contenté de cacher la misère sous ta capuche. C’est la première chose qu’il t’a demandé de retirer le docteur Gellers. Gellers, c’est le remplaçant du docteur Lahey. Il porte des petites lunettes rectangulaires par-dessus lesquels il te regarde. Son costume gris le rend terne.

« Bien…Voyons voir…Louis. Qu’est-ce qui vous emmène ici, expliquez-moi ?
- Je…je préfère Louisa aujourd’hui.
- Hm… » Le front plissé, il pianote sur son ordi, se penche comme pour mieux déchiffrer ton dossier. « Je vois ici que vous vous appelez Louis Morgenstern, pas d’erreur. »
Tu grimaces, serres tes mains écorchées. « …Je sais mais… » Tu fermes les yeux une seconde. «…Je suis Louisa. » Le docteur Lahey est absente. Elle ne revient que dans 3 semaines. Le docteur Gellers est son remplaçant, si un psychiatre peut réellement avoir de remplaçant. Ça ne t’a pas inquiété quand elle te l’a annoncé. Tu avais apprécié, qu’elle prenne le temps de te prévenir. Au cas où. Mais à ce moment-là, tu allais bien. Venir le voir, lui, un étranger qui n’avait pas gagné ta confiance, était impensable. Il n’est pas le Dr Lahey, il n’est pas ton psy. Et pourtant, te voilà, à rechercher son aide.

Tu inspires. Ton inhalateur, toujours présent, pèse de plus en plus lourd dans ta poche.
« Je…je préfère quand même Louisa. » Tu tentes une dernière fois.
Et il soupire, soupire comme si tu lui fais perdre un temps précieux. « Bon. Louis. Je vais être clair, je n’ai pas du tout les mêmes méthodes et la même…formation que ma collègue. Je vois dans votre dossier que vous êtes suivis depuis quoi…6 ans maintenant ? Donc, si vraiment vous désiriez changer de sexe vous auriez largement eu le temps de commencer votre traitement. Et il n’est indiqué nulle part que vous avez commencé un traitement hormonal. » Il arrange son bloc de prescription sur son bureau. Et toi, tu encaisses chaque mot décoché en silence. Sans trop y croire. « Ça peut vous paraître un peu sec, mon garçon mais si vous avez demandé un rendez-vous en urgence à ma secrétaire, ce n’est pas pour un simple problème de confusion. Alors dites-moi. »

Inspire, expire. Inspire, inspire, inspire.

« …Je… » Tu croasses, tu t’étouffes.
Tu ignores le fracas de ta chaise qui se renverse alors que tu te lèves.
Connard. Connard. Connard.
Tu ne sais même pas s’il essaie de te retenir. T’as besoin de fuir ce cabinet, ce charlatan, la pression atroce dans ta poitrine. Les portes à peine franchies, tu cours. Tu cours malgré le souffle qui te manque, malgré les vertiges, les taches noires devant des yeux. Asthme ou crise de panique ? Tu ne sais pas.
Tu cours pour ne pas t’arrêter. Pour ne pas penser. Ne pas regarder le pont à deux pas de l’immeuble, les voitures qui te dépassent dans la rue.  Ce serait si facile, de traverser la rue, enjamber la rambarde et fuir.
La course n’a jamais été ton sport. Manque de souffle, manque de motivation. Et te voilà, qui cours sans arriver à semer les pensées qui te hantent. Tu ne peux pas t’arrêter. La dernière fois que tu l’as fait, c’était hier en rentrant de l’hôpital. Et t’as explosé. Tu as cassé tous les miroirs de ta chambre. Avec tes mains. Ces miroirs avec lesquels tu t’étais réconciliée. Tu as été incapable de supporter ton regard hanté, ton inutilité, ta peine.
Tu crevais d’envie de tout détruire, toi avec.

La sonnerie de ton portable a interrompu ta ferveur destructive : un rappel de ton agenda. Un rappel pour ton rendez-vous avec le docteur Lahey. Sauf qu’elle n’était pas là, qu’il n’y avait pas de rendez-vous possibles avant plusieurs semaines. Tu as hésité. Mais tu t’es appelé du nom du docteur Gellers. « Je ne pense pas que tu en auras besoin, avait-elle souri. Tu as fait de beaux progrès, Louis. Mais sache que même si je ne peux pas assurer d’entretien, tu ne seras pas seul.»
Grâce à vos sessions, à vos nombreuses discutions, le docteur Lahey a réussi à te faire comprendre l’importance de chercher de l’aide quand ça ne va pas. Alors, comme la dernière des idiotes, tu as appelé. Tu as demandé un rendez-vous avec le remplaçant. S’il travaillait avec le Dr Lahey, ça ne pouvait pas être un incapable.  Sauf que maintenant, tu le regrettes, tu le regrettes tellement.

Tu rentres.
Tu ne sais pas comment. La maison est vide. Mais ça, tu le savais. Tu rampes plus que tu ne montes les escaliers et t’effondres dans ta chambre dévastée. Ton regard tombe sur tes bracelets. Tes bracelets de filles. T’es pas une fille Louis, t’es juste bizarre. Bizarre et incapable de choisir, incapable d’être normal, comme tout le monde. Tu te sens à l’étroit dans ton corps, dans ta tête, t’agonises. Ton inhalateur ne suffit pas à te rendre ton souffle. Tes bracelets volent. Puis tes baskets roses et blanches. Tu croises ton regard dans les brisures de miroir encore attachées à leur cadre.
T’as l’air d’un épouvantail avec tes cheveux tout hirsutes. T’arraches ton élastique, une poignée de cheveux avec. C’est pas suffisant. Tu t’y agrippes, tires dessus comme si ça pouvait extirper ces pensées de ta tête. Ces ongles que tu as laissé pousser t’écorchent mais ça ne fait que renforcer ta frénésie.
Tu ne réalises même pas que tu pleures au milieu de tes hoquets. De grosses larmes qui coulent sans discontinuer sur tes joues.
T’es à gerber, Louis. A gerber.

Hier matin, Klemens s’est effondré devant toi. Il avait passé tout le petit-déjeuner à se frotter la poitrine, à regretter votre soirée pizzas qu’il peinait à digérer. Tu t’es moqué. Tu l’as traité de papi, de petite nature. Et Klemens s’est écroulé, le visage tout crispé de douleur. Infarctus.
C’est toi qui as appelé l’ambulance, toi qui as appelé maman.
Les docteurs l’ont emmené directement en chirurgie.
Une opération facile. Une simple angioplastie. Sauf que ça ne s’est pas passé comme prévu. Ils ont dû l’ouvrir à l’ancienne, le charcuter, au lieu d’utiliser une simple sonde. Une opération beaucoup plus compliquée, beaucoup plus risquée qu’elle n’aurait due.
L’opération s’est bien passée. Mais les médecins vous interdisent d’approcher. Les médecins sont incapables de vous dire si ça va aller. «  Les premières 24h sont déterminantes. » Mais vous n’avez pas le droit de rester. Pas encore.
Tu flippes.
Tu sais ce que ça veut dire : Klemens n’est pas tiré d’affaires. L’opération s’est bien passée mais ils ne veulent plus rien dire ces mots.
Tu ne voulais pas rentrer. Mais vous n’aviez pas le droit de lui rendre visite, pas encore. Klemens s’est réveillé pour se rendormir aussitôt. Aussi, maman a insisté.  Elle voulait que tu rentres te reposer, pour être en forme au moment de le voir.
Tu t’es senti couler. Et tu as eu ta magnifique idée. Tu t’es senti malin sur le coup, mature, responsable. Klemens serait fier de toi, fier que tu prennes les devants et admettes que tu as besoin d’aide. Et à cet instant, tu avais besoin, plus que jamais, de conserver son approbation.
Stupide idée. Qui va voir un psy, insiste, juste parce qu’on a un coup de blues ? C’est la dernière fois où tu réclames un rendez-vous avec un psy quand tu sens que ça va pas. Surtout si c’est pas le Dr Lahey.

Un bip.

Le son de cette sonnerie réservée à Haven te surprend et interrompt ta spirale infernale. Tu baisses les yeux et es accueilli par la vision de ton ami peinturluré comme le plus adorable des pandas. Son craintif : « Qu’est-ce que t’en penses ? Pas trop raté ? » T’arrache l’ombre d’un sourire triste.
Tes mains retombent à tes côtés et d’un coup tu te sens tout simplement…vidé.
Tu es pathétique avec tes cheveux arrachés, tes mains écorchées alors que ce n’est pas toi qui as besoin d’aide mais Klemens. T’as fait n’importe quoi, Louis. Regarde ce désastre. T’aurais dû refuser de partir.
Tu enfouis ta tête au creux de tes bras. Tu pleures.
Klemens.

Tu as beau remettre ta chambre, la maison en état, il y a des marques que tu n’as pu effacer. Mais tu souris quand Jenna te regarde, un pâle sourire parce que tu te sens encore écorché et stupide après ta crise. Vous vous occupez de préparer un sac pour Klemens, puis plus tard, elle vient de voir, ses yeux emplis d’inquiétudes.
«…Ca va Louis- » Son regard étudie ta silhouette à la recherche de la bonne réponse. Elle cache mal sa surprise. Évidemment, qu’elle a remarqué ta tenue brouillonne, ton absence de bracelets et accessoires. Elle a peut-être même remarqué le retour de Tik-Tok et Kitty, tes peluches fétiches, bordées contre tes oreillers, comme si tu avais encore 6 ans.

Jenna s’assoit à côté de toi, si près que vos genoux se touchent.« …Louis ? Tu veux me raconter ?»
Et tu lui dis. Pas tout, parce que ça lui briserait le cœur, parce que tu assumes pas, que tu comprends pas comment t’as pu en arriver là. Comment te foutre en l’air t’as paru la meilleure idée au monde, même pour quelques minutes. Comment te faire du mal t’as fait du bien. Mais tu lui confies le plus important. Et surtout, toi, pourtant si fier, tu t’excuses pour tes bêtises, tes fêlures, ta destruction. T’as l’impression de lui faillir, de l’avoir laissée tomber, au pire des moments. Tu es le seul surpris qu’elle te pardonne si facilement.

En revanche, maman n’oublie pas. Tu la sens t’observer, t’inviter à l’accompagner plus souvent que d’ordinaire. Elle s’inquiète et essaie de te garder près d’elle. Tu refuses, sans surprise, d’aller voir quelqu’un d’autre. À son retour, tu reprends des rendez-vous hebdomadaires avec le Dr. Lahey. Toi qui n’allais plus la voir que lorsque tu le jugeais nécessaire. Pour faire le point. Pour parler. Pour exorciser ce qui te pèse sur le cœur.



- 2107, Londres, Angleterre - Tu as 20 ans. Tu découvres que ‘Pretty Woman’ n’est pas qu’un film.

Tu quittes la maison, tu quittes même l’Islande, et c’est Klemens qui t’y pousse. Klemens dont la convalescence a été longue et pénible mais qui a pu retourner au travail il y a tout juste un mois. Sous surveillance étroite de son médecin traitant et avec une impressionnante cicatrice, mais il est sur pieds. Il est vivant, en bonne santé.
« Pars. Profite. Vois du monde, voyage. T’es jeune, c’est l’occasion. Et puis tu seras toujours le bienvenu ici, tu le sais. » Lui qui n’a jamais quitté son Islande natale, t’encourage à franchir le pas.

Tu choisis l’Angleterre. Parce que ce n’est pas trop loin. Parce que tu connais déjà Keith là-bas et que tu crèves d’envie de le rencontrer. Il est plus l’ami de Haven que le tiens. Mais ça n’amoindrit pas ta fascination.
Ce n’est pas une raison suffisante pour te déraciner mais tu n’as que 19 ans. À ton âge, les béguins ont autant d’importance qu’une vague future carrière quand il s’agit de faire un choix. Tu t’inscris en Droit. Ça fait sourire Maman, ça rend fier tes grands-parents et surtout, tu aimes avoir raison. Tu te dis que c’est la filière parfaite pour ça. Heureusement, tu as des résultats suffisants. Brynja louche déjà sur ta chambre. Elle souhaite la repeindre en bleu. Elle t’a même montré les étoiles phosphorescentes qu’elle souhaite accrocher à ton plafond. (Jamais de la vie.)
Tu as déjà une colocataire potentielle qui t’attend, une connaissance de Keith. Enfin, l’amie d’un ami etc. Mais tu fais confiance à Keith. La seule chose qui te retient, c’est le docteur Lahey. Elle reste ta béquille, ton soutien le plus sûr. Et après l’indicent avec le Dr Gellers… Mais elle accepte de consulter par téléphone le temps que tu t’installes et que tu trouves un autre psychiatre en qui tu pourras avoir confiance.

Sans surprise, le climat en Angleterre est humide et froid mais ce n’est pas ça qui va t’effrayer. Tu as survécu aux hivers Islandais après tout. Une fois de plus, tu es désorienté par ce soleil qui se couche et qui se lève régulièrement. Ce qui fait rire Siwan, ta colocataire galloise. Tu découvres les soirées étudiantes, tout ce qui n’a aucun rapport avec tes cours. Il faut dire que personne n’a pensé à te prévenir : il n’y a pas plus rébarbatif que la première année de Droit. Tu ne t’attendais pas à faire de grandes plaidoiries dès ton premier trimestre. Tu te doutais que vous alliez devoir avaler pas mal de théories, de dates, de lois. Mais personne ne t’a jamais parlé de tous ces philosophes grecs archaïques et fossilisés qui sont au programme. Pourquoi étudier l’origine des lois ? À leur époque, ils pensaient tous que pour réussir dans la vie, il fallait sacrifier des moutons. Non vraiment, on ne peut pas dire que tu es passionné par ton cursus.
Heureusement, tu as réussi à te forger une vie sociale bien remplie.
En plus, à l’université, tu es loin d’être le plus bizarre ou le plus excentrique. (Excepté peut-être parmi ceux de ta classe, tous étrangement allergiques aux couleurs. Certains portaient même carrément cravates et costumes.) Au final tu ne seras peut-être pas avocat, qui sait, mais tu gagnes en confiance, en assurance et en paillettes aussi.

~


Siwan n’est peut-être pas la meilleure des colocataires ou des étudiantes. Tu ne l’as encore jamais vue ouvrir un de ses livres. Mais vous avez les mêmes goûts en chaussures, vous ragez devant les mêmes émissions de Téléréalité et elle fait les meilleurs daïquiri fraises. Comme celui dans lequel tu tentes de te noyer pour essayer d’ignorer son rire.

« …attends…attends…Raconte-moi encore comme tu as réussi à te payer le seul poteau du parking ? » Elle se prépare à sortir, drapée dans une robe qui te semble sortir d’une cérémonie des Oscars.
« Je pensais que ça passait ! » Tu gémis entre deux gorgées de ton cocktail. Tu presses une main contre tes yeux. T’as merdé.
Étrangement, ton excuse la fait rire de plus belle. « Sweetheart…explique-moi encore comment t'as faire pour ne pas réussir à te garer avec une voiture pas plus grande qu'un dé à coudre ?
- J’ai mal jugé la distance, d’accord ! » Tu es mortifié.e, pas tant à cause de ta maladresse. Même si réussir à bousiller une voiturette sans permis est un art que tu te serais bien passé de maîtriser. Il y a pire. Comme la caution de 400 livres que tu as signé pour la location, sans jamais imaginer que tu serais assez stupide pour bousiller le véhicule que tu louais pour la soirée.
Bravo, Louis.a .
« Calme, tout le monde fait des erreurs. Ça arrive. C’est pas la fin du monde. » intervint-elle, s’observant dans le miroir de l’entrée. « Qu’est-ce que tu en dis ? » Elle te montre un premier sac. «Celui-ci ? » Puis elle le remplace par un autre que tu n’avais jamais vu. « Ou celui-là ?
- Le bleu va bien avec tes chaussures. …Est-ce que c’est un Chanel ?
- Longchamps, apprends à reconnaître tes classiques, Sweetheart. »
Sweetheart c’est toi, sa technique pour ne pas se tromper dans ton prénom. Elle fait la moue devant la glace. « Hm…Tu as raison. Pourquoi est-ce que tu demandes pas de l’aide à tes parents?
- Parce qu’ils paient déjà mon loyer et mes études. Et que je viens pas vraiment d’une famille où l’on s’achète des Longchamps.» Tu fixes le fond de ton verre. Tu ne te souviens pas de l’avoir fini, tels sont les dangers du daïquiri.
« Et alors ? Moi non plus. Mon père est un petit gratte-papier à Glasgow et ma mère est instit. » Tu sens son regard petit sur toi, pensif. « …Et si je te disais que je connais un moyen de te faire 200 livres en une soirée ?
- J’deale pas et je tiens à mes reins.
-…Il s’agit pas de drogue, Louis. » Elle soupire, agacée. « C’est parfaitement légal. C’est toi qui chouines parce que t’as besoin d’argent non ?
- J’ai pas dit que j’étais prêt à coucher pour autant non plus hein. » Parce que tu vois pas d’autres moyens pour te faire autant de billets en une soirée.
Siwan ne répond pas de suite, occupée à refaire ton rouge à lèvre. Du Chanel, cette fois tu en es sûr. Tu reconnais le tube. « Je ne t’imaginais pas aussi coincé. Personne te demande de coucher. Je le fais pas moi. »
Merde. Elle est sérieuse.

Donc, si Siwan peut se permettre toutes ses robes et parures, ses sacs de marques – et payer les 3/4 de votre loyer- , ce n’est pas parce que ses parents sont riches. Elle est une escort. Elle tient à ce terme. Elle moyenne son temps, pas son corps. D’autres, elle l’admet, ont franchi cette ligne, ont trébuché dans les bras de leurs clients. Pas Siwan. Pas toi non plus si tu suis ses conseils.

Il existe une plate-forme, pas si différente de tous ces sites de rencontres, où des clients qui désirent qu’on les accompagne le temps d’un dîner, d’un gala, d’une sortie, rencontrent des jeunes gens capables de les aider. Les riches hommes ou femmes d’affaires ne manquent pas dans Londres. Il y a pas mal de clients simplement de passage qui n’ont pas envie de passer leur soirée seuls dans une ville d’escale. Ce sont les seules offres que tu te permets de consulter.
Ça te paraît tellement facile. Le site web est sobre, élégant et te promet de protéger tes données personnelles. Naïvement, tu y crois, à l’anonymat magique d’Internet. Personne n’aura à le savoir. En quelques clics, tu es inscris. Siwan t’aide à monter ton profil. Tu cèdes à la tentation. Juste le temps de gagner assez.
Juste pour dépanner.
Tu n’es pas escort, pas vraiment. Toi, t’es juste victime d’une mauvaise passe. Tu es juste débrouillard.e.
En trois rendez-vous, ta dette est remboursée.
Il y a tout d’abord Diana Oswald et un opéra durant lequel tu as failli t’endormir. Puis Kathleen Delaware et une soirée d’affaires pour rendre son ex jaloux. Et José Cortez avec ce restaurant de fruits de mer hors de prix. Aucun ne te touche en dehors d’un baiser sur la joue ou d’une main sur ton bras. Personne ne te demande plus. Et si vous n’avez pas forcément d’atomes crochus, ils te traitent tous avec respect. Ils sont tous reconnaissants pour ta compagnie.

« Tu vois ? » sourit Siwan beaucoup trop fière, parée de toutes nouvelles boucles d’oreilles d’émeraude, cadeau de son régulier du moment. « C’était pas si terrible, n’est-ce pas ? Tu manges dans les meilleurs restaurants et on te paie pour ça. »
Tu ne réponds pas, tu observes la petite icône qui clignote, t’indique un nouveau message, une nouvelle demande de rendez-vous.
C’est facile, tellement facile, de pousser tes doutes dans un recoin de ton esprit, de fermer les yeux. C’est tellement agréable de plaire, de ne plus avoir à compter ses verres en soirée.
Tu tombes dans le piège le plus vieux du monde, celui de l’appât du gain, celui de ta cupidité, Louis.a .  Il n’y a pas de mal à aimer le confort et l’argent, n’est-ce pas ?
Ce n’est l’affaire que de quelques rendez-vous.



- 2108, tu as 21 ans. Tu es Batman. Si Batman passait ses soirées à divertir des riches en quête de distractions au lieu de combattre le crime.


La lente progression de ses doigts sur ta cuisse recouverte d’un voile de satin te tire de tes songes. Tu sens la caresse de son regard sur ta silhouette à demi-nue. Quand Isamu t’a offert ta première paire de bas, accompagnée de la plus délicate paire de shorty que tu aies jamais vue : tu as fermé le poing, te rappelant le conseil de Jenna. Attention au pouce, Bunny. C’est comme ça que tu te fais mal.
Mais il ne se moquait pas de toi.
Depuis votre première rencontre, Isamu n’a jamais caché la fascination que ton androgynie soigneusement entretenue exerce sur lui. Ce pervers assumé. Et ton seul client depuis plusieurs mois. Tu ne t’imaginais pas exactement te prélasser entre les draps d’un luxueux hôtel, exhibant la lingerie fine qu’Isamu aimait tant te voir porter quand tu l’as rencontré.
Isamu Sasaki, veuf, riche homme d’affaires japonais. Vieux.
Tu te rappelles encore clairement ta déception, quand tu es allé le retrouver au pied du British Museum, cet homme d’affaires de passage.  Tu as pris note de ces marques de l’âge, ses tempes grisonnantes, les rides au coin de ses yeux, absentes de sa photo de profil. Le menteur. Cependant, Isamu ne manquait pas de charisme ou d’assurance. Il savait aussi exactement ce qu’il recherchait en s’inscrivant sur ce site. Il se révéla un homme généreux, suffisamment pour retenir ton attention une rencontre de plus et une autre et…
Au lieu de te faire sentir cheap, Isamu traita chacune de vos rencontres comme une chance, pour lui. Comme si tu lui faisais une faveur en acceptant de sortir avec lui en échange d’une somme rondelette.

« Je me sens presque égoïste de ne pas partager cette vision… »
Tu te crispes, chasses sa main d’un geste sec. « Il y a des fantasmes que tu ferais mieux de garder pour toi, Isamu. » Tu te redresses, dos contre la tête de lit, loin de lui.
« J’ai un ami qui paieraient cher pour avoir le privilège de t’habiller des plus fines pièces… »
N’oublie pas : pouce hors du poing, Bunny. « Isamu… »
Mais l’autre homme continue, aveugle face à ta colère grandissante. « …je sais que tu as…tes affaires à côté…tu es à l’université, c’est ça ? » Parfois, sa condescendance te fait l’effet d’ongles que l’on racle sur un tableau. Cependant, il n’a pas tout à fait tort. Tu te focalises si peu sur tes examens, que sans surprise : tu coules. « …mais tu n’as jamais pensé à changer de carrière, hm ? »
Tu vas lui casser le nez. C’est décidé. Tu n’as pas le temps de bouger qu’il conclue. « Tu as le physique pour faire une belle carrière sur les podiums tu sais ? T’as les jambes parfaites pour ça et si tu travailles ton japonais…
- Isamu…Tu éructes entre tes dents serrées, poing serré contre les draps. Je jure que si tu la fermes pas bient-…quoi ? Quel podium ? »

Apparemment, l’amour d’Isamu pour la lingerie de charme (particulièrement portée par ses amants) l’avait amené à faire connaissance avec un designer dont c’était justement la spécialité.

Tu n’as jamais prêté attention au Japon avant. Ta connaissance du pays s’arrêtait aux sushis. Puis tu as rencontré Isamu et il a fallu que tu étendes un peu ta culture. Ton vocabulaire aussi.
À tes yeux, le Japon n’était qu’une vague notion : un pays d’introvertis cachés derrière leurs écrans, dont la vie était gouvernée par le site de rencontre local et donc la langue était aussi lisible que des hiéroglyphes.
Le Japon t’apporta Isamu et t’offrit la plus inattendue des carrières, celle de modèle et bientôt d'égérie pour une marque de lingerie fine. Devenir un cliché ambulant, tout ce que tu avais redouté adolescent. Mais tu étais doué. Vraiment doué.
Les japonais t’adorèrent. Si le pays s’était modernisé, s’il accueillait plus d’étrangers qu’à une autre époque, ils n’avaient pas totalement perdu leur fascination pour les occidentaux. Particulièrement les blonds aux yeux bleus au physique si délicat. Ton accent atroce parut même les charmer.
Alors, tu es loin d’être une idole (ou de vouloir l’être) mais c’était un avantage. Ça te donna la petite impulsion nécessaire pour te lancer.


(Tu es nouveau dans le monde de l’érotisme, pas naïf mais inexpérimenté. C’est pourquoi, quand tu décides de donner un coup de main à Haven dans sa carrière de Make-Up Artist, tu négliges deux choses. De vérifier exactement les références que tu lui transmets et l’étendue de …l’ignorance de ton ami. Autrement dit, tu envoies ton poussin maquiller des acteurs pornos par erreur et tu n’es pas certain qu’il s’en remette un jour.
Tu ne lui dis pas quand tu es de passage au Japon. Pas par culpabilité ou par peur de sa rancune, Haven t’a déjà pardonné. Mais parce que tu n’as jamais confié à personne les détails de ta nouvelle carrière.
C’est un de tes plus grands regrets.)



- 2109 - Tokyo, Japon - Tu as 22 ans.  « Je t’aime, moi non plus. Tu m’aimes, je te fuis. »


Isamu et toi, ça fait deux ans. C’est de loin ta plus longue relation et elle est basée sur un contrat et ne survit que grâce à l’excellente santé de son compte en banque. Tu l’oublies parfois, jamais plus de quelques instants. Par moment, tu n’es pas certain que ton client s’en rappelle. Tu pourrais lui rappeler, gentiment. Tu devrais.
Tu es en pleine séance maquillage avec une séance photos quand vient l’appel. La maison. Ta première réaction est l’inquiétude.
« Est-ce que je peux… ? » Tu montres ton portable avec une moue d’excuse.
« Oui mais fais vite et ruine pas ton rouge-à-lèvres ! »
Tu t’éclipses dans le couloir, tu te trouves un coin un peu à l’écart de toute la cohue qui va avec un shooting photos. Tu es en shorty sous ton peignoir. Tu te les pèles.
« Louis… ? » Tu émets un petit bruit d’assentiment pour indiquer que c’est le bon choix. Tu n’as pas entendu la voix de Jenna depuis plusieurs semaines.
« Tout va bien, maman ?
- Oui…Écoute, on a reçu un papier de ton université, apparemment tu as raté plusieurs modules obligatoires ? »
Mince. Tu grimaces. Tu ne sais même pas pourquoi tu continues de t’inscrire. Peut-être parce que tu n’as pas le courage de tout envoyer bouler pour une carrière dans la lingerie sponsorisée par ton client. Mais ça allait changer. Normalement, à la suite de ce shoot, si les photos convenaient aux clients, tu signerais un contrat exclusif avec une grande marque. Tu n’en avais jamais entendu parler avant mais l’O.M.G. fait fureur au Japon dans les milieux spécialisés.

« …et ta sœur m’a dit que tu lui as envoyé une photo du Japon ? » Jenna ne te laisse pas le temps de te justifier. « …Est-ce que tout va bien, Bunny ? »
Tu grimaces. Idiot Bien sûr que Brynja a cafté. « Oui, oui. Ah…Je vous en ai parlé parce que j’étais pas sûr… » Et que tu préférerais mourir que leur expliquer en quoi consistait ta relation avec Isamu. « …mais j’ai eu une offre, pour un travail. C’est…pas ce que j’attendais…c’est pas du Droit mais…mais ça me plaît et…je pense que je suis bon. Vraiment bon. »
Une longue pause.
Tu es capable de percevoir le poids de son inquiétude et de son scepticisme malgré la distance. « … Bien…Écoute, si c’est ce que tu veux. Tu sais que Klemens et moi on te soutiendra toujours. On préférerait que tu continues tes études, que tu aies un diplôme…mais tu es un adulte maintenant.
- Je crois…je crois que je vais arrêter l’université, maman. » Tu t’en veux, de pas l’avoir dit avant. Au moins, tu paies ton loyer et une partie des frais depuis que tu as commencé ton travail. S’ils savaient quel travail exactement t’a permis de payer les factures…
« Prends le temps de réfléchir.
-Promis.
- Tu as besoin d’argent ? Combien de temps est-ce que tu vas rester là-bas ?
- Ah non, c’est bon. Mes frais sont...pris en charge. » Tes demi-vérités ont un goût amer dans ta bouche. « Et si tout va bien, je resterai peut-être …2 mois, 2 mois et demi. Ça dépend vraiment. » Tu perçois ton maquilleur, du coup de l’œil qui te fait signe. « Écoute, je dois te laisser.
-Bien sûr, pense à appeler la maison de temps en temps. Tu nous manques. Oh et…Bunny…tu m’as pas dit, c’est quoi ce travail exactement ? »
Tu te figes. « …photo, de la photo ! On me prend en photo ! Jedoisyaller, byemaman. » Tu finis à toute vitesse, paniqué.

~

Tu décroches le contrat.
Tu quittes l’université et ton nouveau patron t’oblige à prendre des cours de Japonais, des cours d’étiquette aussi car la dernière fois que tu as planté tes baguettes dans le riz et oublié de retirer tes chaussures, on t’a regardé comme si tu n’étais qu’un sauvage. Après tout, ta clientèle cible est là-bas. Tu rayonnes beaucoup plus au pays du soleil levant, qu’à l’international malheureusement, pour le moment.
À terme, si tu veux prospérer, il faudrait peut-être que tu songes à y emménager. C’est là que se trouve la plupart de tes contacts, là que tes photos se vendent, là où l’on commence à te connaître. Mais tu n’y es pas encore. (Et on parle tout de même d’aller volontairement vivre sous une dictature. Certes, la dictature de l’amour où l’État s’intéresse d’un peu trop près du succès de votre vie amoureuse et du nombre de bambins que vous êtes capable de pondre…mais quand même.)
Mais au Japon, il y a aussi Isamu. Un Isamu que tu serais amené à voir beaucoup plus souvent. Tu ne devrais pas te sentir aussi mal à l’aise et coupable à cette idée.

Pourtant, quand il propose de t’offrir, pour ton anniversaire, ce stage payant de stylisme dont tu rêves tant ? ( Surtout maintenant que tu as mis le pied dans ce milieu.) Ça ne t’empêche pas de dire oui. Il est le premier à t’encourager à penser à ton avenir. On ne reste pas mannequin, surtout de lingerie, toute sa vie.
Tu le laisses aussi d’offrir ce petit studio, sûrement hors de prix, en centre-ville pour que tu aies ton chez toi. (Et sûrement, pour éviter que sa famille découvre ton existence. Mais tout de même.)
En fait, tu n’as pas d’excuses.

~

Tu es en route vers le Japon quand le séisme frappe. La dernière partie de ton stage de stylisme t’attend. Tu as des pansements plein les doigts parce que tu ne sais pas encore tenir une aiguille. Si tu arrives à valider ce stage, il existe encore 3 autres niveaux : tu comptes bien tous les passer. Tu batailles avec le sommeil quand soudain, le commandant vous annonce que vous allez devoir atterrir en Corée. Aucun avion n’est autorisé à atterrir au Japon avant que les autorités ne soient certaines que tout danger de répliques et de second tsunami soit écarté. Mesure de sécurité. Tu fais la queue pour trouver un café, n’importe quoi pour tenir, pour t’occuper, perdu.e au milieu de cet océan de passagers aussi désemparés que toi. Vos regards sont fixés sur les écrans qui relaient les nouvelles.
Tu as du mal à y croire.

Seul Keith est actif sur votre groupe de discussion. Pas de nouvelle de ton poussin, de ton ami Haven, pas de nouvelle d’Ayane et de son époux. D’ordinaire, l’un d’entre vous est toujours actif. Il y en a toujours un pour partager, photos, memes, ou anecdotes. Tu te demandes si tu n’as pas perdu deux amis. Haven, cet imbécile fini, mettra deux jours avant de se manifester, de vous rassurer.
Tu t’inquiètes pour ces visages que tu croises régulièrement au travail : Taiki, un couturier, Kenta, un des maquilleurs, Yune l’assistante du photographe… Tu réalises qu’à force de les côtoyer, de vous retrouver pour un verre, une soirée karaoké après le travail, tu t’es attaché bien malgré toi. Tu espères qu’ils vont bien eux aussi.

Ton téléphone vibre. La maison. Ils doivent être morts d’inquiétude.
« Est-ce que tu vas bien ? » C’est la voix douce de Klemens qui retentit.
« Oui, oui. J’étais en vol quand ça s’est produit. On est à Séoul là. On attend de voir quand on peut repartir. On passera sûrement la nuit ici, je pense.
- Ah…bien, bien…Ta mère et moi on s’inquiète tu sais. » Et tu perçois les murmures de Jenna qui doit être à côté.
« Je vais bien. » Tu insistes.
« Tu comptes y aller ? Malgré le séisme ? »
-…Je pense, oui. A moins qu’on me dise que c’est trop dangereux. Mais…pour mon travail, c’est ce qu’il y a de mieux, tu sais. C’est important. » Stupide peut-être sûrement, de regarder ces images horrifiantes de pure destruction et de ne pas profiter de cette main tendue pour faire demi-tour.
Tu ne sais même pas si ton job t’attend encore là-bas. C’est stupide. Mais, à cet instant, tu ne sais pas non plus si Haven ou Ayane (ou même Isamu) sont encore vivants, encore entiers…et tu n’es plus qu’à quelques heures d’avions. Rien que pour ça, même si tu ne serviras pas plus sur place, tu veux y aller. Tu as besoin d’être là.
Tu te racles la gorge.
« …Je ferai attention tu sais. C’est pas comme si…j’allais aller sur place. Mais, tu sais…je commence à bien m’y plaire, là-bas. » C’est vrai. Ton japonais est encore branlant, tu t’appuies toujours beaucoup trop sur les connaissances d’anglais de tes collègues. Mais tu progresses, t’as pas le choix. Tu as fini par t’y faire à cette culture si différente de la sienne. Tu t’y es habitué.e . Ton seul regret est ce que tu leur fais subir, à tes parents.
« Et ce voyage…c’est important pour mon travail. » Tu te répètes, tu te justifies pour qu’ils comprennent. Comment le peuvent-ils alors que tu les maintiens dans l’ignorance la plus complète depuis le début ?
Tu perçois un soupir résigné. « Reste prudent d’accord ? Et si tu veux reporter ton voyage ou même l’écourter notre porte t’est toujours ouverte. Si c’est une question d’argent pour l’avion, on s’arrangera. »
Ta gorge se noue. « Ça marche. Je vous appelle demain de toute façon. Bye. »

Naïvement, tu t'imaginais toucher le sol japonais le lendemain ou le surlendemain au plus tard. Après tout, le Japon était réputé pour son efficacité. Ça ne pouvait pas être si gave, n'est-ce pas? Quelle erreur. Même devant les images du drame, tu ne réalisais pas, pas vraiment, en décalage avec la réalité, avec l'ampleur réelle de la catastrophe et ses conséquences. S'en suivirent plusieurs jours, qui s'étirèrent en de trop longues semaines de galères, où tu as du te résoudre à accepter l'aide proposé par Jenna. Avant d'enfin, pouvoir embarquer sur un vol en direction du Japon.
~


Il te faut plusieurs semaines de plus pour réaliser que toi aussi, tu as été touché par Shukumei. Il ne s’agit pas simplement de ton avion retardé. Ce n’est qu’un détail. Tes défilés sont reportés ou annulés les uns après les autres. Le local où devait se tenir ton stage est sous l’eau. Isamu est absent, lui aussi, sûrement auprès de cette famille dont il ne parle jamais. Tu réalises soudain à quel point tu es dépendant de tes deux jobs. A quel point ta position est fragile.
Au lendemain de la catastrophe, rares sont ceux dont la libido et l’envie de plaire sont intacts. Ta filière est la première impactée. Durant plusieurs mois, tes collèges et toi, car tu n’es pas le seul touché, vous peinez à garder la tête hors de l’eau.
Puis les affaires reprennent.

Tu mets encore plus longtemps à réaliser, que ces collègues sont devenus bien plus que cela au fil des contrats. Que la plupart de tes amis, de tes connaissances, à présent, vivent au Japon. Tu as ta pharmacie, ton konbini préféré. Voir les fruits emballés individuellement sur les étalages ne choque plus. Tu prends tes marques.



- 2110- Tu as 23 ans.  Tu as les ailes rouillées et on vient de te jeter du nid.


Tu t’agrippes au rebord de la lourde table en chêne. Ta respiration sifflante transperce le silence. Tu ignores les inquiétudes du notaire. Voilà presque deux ans que tu n’as pas fait de vraie crise, que tu n’emploies ton inhalateur que par précaution.
Isamu est mort.  
Ça fait presque 25 jours. C’est cruel à dire, mais tu t’y es fait. Un anévrisme. Tu l’as appris dans la presse locale. T’aurais préféré tester ta maîtrise des kanjis autrement. Tu as l’impression d’avoir perdu un ami même si c’était ton client. Un de tes repères après tout ce temps passé à vous fréquenter.
Tu ne t’attendais pas à recevoir une notification de son notaire pour t’informer de ta présence sur son testament.
Tu ne t’attendais pas à la lettre au sein de laquelle il te donne le studio au centre-ville et 2% des parts de sa société.
Tu ne t’attendais pas à l’y voir confesser son amour, de la manière si concise et presque impersonnelle qui était la sienne. Pas après l'avoir passé sous silence durant tout ce temps.
Isamu possédait l’une des plus grandes sociétés de crémation du Japon. Une filière pas très glamour mais extrêmement lucrative. Il ne t’en a jamais parlé autrement qu’en passant.
Il vient de t’en donner 2%, à toi, l’escort qu’il a ramassé sur internet.

« …C’est beaucoup ? » Tu finis par demander, mortifié par la cupidité et l’ignorance dégoulinants de cette phrase.
« Ce sont des parts, pas de l’argent. Mais…on peut dire que vous êtes riche M. Morgenstern. »
Tu agrippes ta Ventoline.
C’est pour ton futur, explique Isamu dans sa lettre. Que tu puisses bâtir un futur digne de tes rêves.
Tu croises sa famille en sortant de la salle du bureau du notaire. Sa fille et sa sœur et leurs maris respectifs. Tu es plus reconnaissant que jamais que la lecture ne se soit pas faite en même temps, dans la même salle.

Trois jours plus tard, tu reçois une lettre de leur avocat. Ils contestent le testament. Ils veulent tout te reprendre et plus encore.

~


« Qu’est-ce que tu vas faire ? » Te demandes Taiki, la bouche pleine d’épingles agenouillé à tes pieds pour faire quelques retouches. Taiki Nanako est l’une des petites mains, l’un des nombreux couturiers grâce à qui les magnifiques pièces que tu portes voient le jour. Il est devenu ton ami dans le milieu. Lui aussi a des envies de grandeurs, d’indépendance. Lui aussi rêve de plus. Et tu n’as pas eu besoin de lui expliquer pour Isamu. T’es pas le premier. Il est connu pour ça dans le milieu. Il a toujours été l’un des plus généreux et je l’ai jamais vu rester aussi longtemps avec un de ses amants. Il devait t’apprécier. t’a-t-il révélé, désinvolte. Il fait partie de la petite bande d’amis que tu t’es trouvé au Japon.
« …Je sais pas. Je pense pas que j’ai le droit de tout garder.
- N’importe quoi ! T’es sur son testament, non ? Qu’est-ce que tu vas faire de ces parts ? Ça vaut beaucoup d’argent en vrai, non?»
Tu ne réponds pas.
« Si leur avocat me démolit pas…Je pense…Que je monterai ma propre boite.
- De quoi ? » A sa question, tu jettes un regard éloquent sur la tenue que tu portes. Il éclate de rire, fait tomber la moitié de ses épingles. Il a de la chance que tu l’apprécies.
« Tu ne sais même pas coudre ! » Sentant venir le danger, il s’empresse de se corriger. Parce que, techniquement, tu as appris. Ce n’est pas ta faute si la couture ne t’aime pas. « Enfin, t’es loin d’avoir le niveau quoi !
- Moi non, mais toi oui. »
Des idées, tu en débordes. Au point où dernièrement, tu dois te retenir pour ne pas faire des suggestions aux stylistes. C’est pas ta place, pas ton rôle. Il n’y a rien de pire qu’un modèle qui se prend pour un créateur. Mais…tu n’es plus un simple modèle, n’est-ce pas ? Plus depuis que tu suis ces séminaires en ligne de stylisme.
C’est là que naît ton idée. Un rêve utopique, jusqu’à présent. Mais ce testament, il change tout. Tu n’y as pas droit, tu ne l’as pas mérité et la culpabilité te noue la gorge, t’oppresse la poitrine. Tu sais ce que la famille pense de toi, ils ne se sont pas exactement cachés dans leurs messages. Ils n’ont pas tort. C’est parce qu’Isamu t’aimait qu’il t’a gâté à ce point, parce que tu ne l’as jamais détrompé, parce que tu l’y as amené au fil des mois. Tu l’as laissé se bercer d’illusions, tu lui as vendu des ‘peut-être’ mais jamais aucune certitude. Tu l’as séduit. C’est ce que font les escorts, ils séduisent.
Tu ne t’es jamais senti aussi misérable, aussi déshonorable. Et pourtant, l’idée de tout abandonner ne te traverse pas plus d’une seconde.

C’est Taiki qui trouve la solution quelques semaines plus tard. Tu t’es trouvé un avocat. Ce n’est pas un grand maître du barreau, il fait même partie du bas de la liste mais il dévore déjà tes maigres économies. Il t’a averti, que la famille jouerait sûrement la montre, pour le faire craquer, que ces affaires étaient compliquées, que le jugement pouvait prendre des années. Tu n’as pas des années ou même des mois.
« Ils t’embêtent toujours au fait, pour le testament ? »
Tu hoches la tête, sombre. « J’ai l’impression de les insulter personnellement. Que mon nom souille leur entreprise.
- En même temps, t’vexes pas hein, mais ça doit être dur de découvrir que papa a donné des parts de son entreprise à son amant.» Tu grimaces. Tu essaies de ne pas y penser. Au fait que tu n’es qu’un escort et qu’Isamu avait été assez âgé pour avoir une fille adulte. « Ils doivent avoir peur du scandale. …Tu sais…si tu veux vraiment toucher l’argent…c’est peut-être ce que tu devrais faire. Leur dire que s’ils abandonnent pas la procédure tu feras en sorte, je sais pas, d’en parler à la presse. Ça en ferait un beau scandale, non ?
- Tu veux que…je les menace ?...T’es cinglé. Et puis je le ferai jamais. T’es fou. Ça ruinerait ma carrière ! » Et tu ne pourrais jamais non plus convaincre des investisseurs de te faire confiance. Le milieu de la mode est le paradis des ragots et des réputations détruites en un claquement de doigts. Plus d’une carrière avait été réduite en miettes à cause du scandale de trop.
« Hm…vrai…mais est-ce qu’ils le savent eux ?
- Déconne pas. » Tu as un rire nerveux pour cacher ta tentation.
« Je dis ça, j’dis rien, hein. »

~


Tu l’as fait.
Le nombre de zéros sur ton compte en banque est indécent. Tu as deux messages de ton banquier sur ton répondeur.
Tu l’as fait. Et après des mois d’angoisse, d’incertitude et de remords : ça a marché. La solution démente de Taiki a marché. Ils ont cédé. Bien sûr, ils ont refusé que ton nom soit associé à leur société. Et tu les comprends. Alors en échange de ton silence, de ta disparition de leur vie, à condition que tu renonces à ta part de l’héritage, ils t’ont fait un chèque. Et tu peines toujours à croire qu’il soit passé. Que personne ne soit venu toquer à ta porte pour te demander des explications.
Ils t’ont acheté.
Et tu as laissé faire. Une fois de plus.

~


Tu déposes le dossier de création pour ta start-up le 1 septembre. Tu te souviendras de ce lundi toute ta vie. Et pourtant, tu n’as fait que cliquer quelques cases, remplir quelques fiches. Tu as débauché Taiki. Tu as essayé de faire de même avec Keith et s’il t’a aidé, il a refusé de changer de carrière pour toi.
En même temps, tu déposes un autre dossier, celui de ta demande de naturalisation. C’est la suite logique des choses, si tu souhaites mener à ta nouvelle carrière au Japon. (Même si dans tes rêves les plus fous, tu t’imagines déjà développer ta start-up à l’internationale.)
Ton Visa touche à sa fin. Tu n’aurais jamais cru avoir passé autant de temps au Japon. La réalisation te fait l’effet d’un réveil brutal. Tu pourrais sûrement en obtenir un autre de courte durée, mais cela ne ferait que retarder l’inévitable. Ta carrière a débuté au Japon. Sans Visa, tu devrais repartir de presque zéro, en Angleterre ou en Islande.
Ta décision s’impose comme une évidence.

Hea(r)t Voit le jour.
Own it. Make them sweat. Telle est votre devise.

Tu en es particulièrement fier.e. Ta propre ligne de lingerie de charme. Tu désignes, Taïki coud. Les autres, ce sont des intérimaires, des sous-traitants pour l’instant. C’est la chasse aux investissements. Heureusement, tu ne pars pas de zéro. À vous deux, vous avez des contacts. Les convaincre de faire confiance à un amateur débarqué de nulle part comme toi, avec ton diplôme de stylisme obtenu en ligne, qui pourrait tout aussi bien sortir d’une pochette surprise à en juger par les réactions de certains…est un challenge.
Tu poses souci. Ton âge. Ton inexpérience. Ton statut d’étranger. Ta valse des genres.
Tes premières créations voient le jour, destinées à convaincre, à appâter de potentiels partenaires. Tes fonds diminuent à une vitesse effrayante. Puis une première main se tend. Tu décoches tes premières commandes, un contrat d’essai auprès de l’O.M.G, spécial jeune créateur.
Il ne te reste plus qu’un détail à régler

~


Demain, c’est ton dernier entretien avant de recevoir la puce. Tu es nerveux alors qu’à aucun moment jusqu’à présent tu n’as remis en doute ta décision. Tu fais ce que tu aurais dû faire depuis longtemps déjà. Tu décroches ton téléphone.
Il fait nuit en Islande et pourtant Klemens décroche presque aussitôt.
« Louis… » Cette pause, toujours ce même respect, cette même considération.
« Louis c’est bien. » Tu murmures, soudain timide. Ce qui ne te ressemble pas.
« Tout va bien ?
- Oui…oui je… » Tu aurais dû leur en parler beaucoup plus tôt. Tu aurais dû faire beaucoup de choses. « J’ai décidé d’emménager à Tokyo. Pour de bon. J’ai fait une demande pour devenir Japonais, pour pouvoir rester et…ça a été accepté. »
Un long silence s’en suit. Tu entends des bruits de pas, la voix de ta sœur retentit dans le fond.

« C’est qui ?
- Ton frère.
- T’AS INTÉRÊT A VENIR A MON ANNIVERSAIRE TÊTE DE NŒUD. »
Et sa voix te déchire le tympan.

Tu entends Klemens la houspiller, la chasser de la pièce avant qu’il te reprenne. « Au Japon…tu…tu es sûr ? »
Et tu sais ce qu’il te demande vraiment : est-ce que tu vas aller jusqu’au bout ? Te faire implanter, volontairement, cette puce ? Est-ce que tu vas te déraciner de l’autre côté du monde ? Est-ce que tu vas aller te livrer à une dictature ?
« Mon travail est là-bas maintenant. Et puis, ma boite…elle commence à bien marcher tu sais ?
- Mais…tu réalises les risques ? Si leur programme te sélectionne ou que tu reçois cette lettre-là…tu es prêt à… ? »

Ils t’ont posé les mêmes questions durant tes entretiens pour te préparer à ta naturalisation. Tu te dis que ça ne peut pas être si différent que d’amadouer un client. Ça tu sais faire.
Jamais, tu n’aurais pensé un jour demander à changer de nationalité. Encore moins pour te soumettre volontairement à un régime politique qui va totalement à l’encontre ce que tu as connu jusque-là. Les journalistes en Islande soulignent sans arrêt les dangers et les menaces d’un tel système. Pourtant, tu n’as jamais rencontré personne qui ne s’en plaigne vraiment. Ce n’est pas faute d’avoir abordé le sujet, plus d’une fois, autour d’un verre.

« J’ai...J’ai lu des études dessus, tu finis par répondre. Et j’en ai parlé à mes collègues ici. Ils sont tous contents, tu sais. Ça a l’air… de bien marcher. Et puis ça peut très bien ne jamais tomber sur moi. » Tu as un petit rire. Faux. « …Je suis déjà assez étrange, à mon avis ils risquent d’avoir du mal à me caser, tu sais. »
Tu n’as pas peur de cette Lettre. Elle ne pèse pas comme une guillotine au-dessus de ta tête. Tu ne t’attends pas à trouver le grand amour, ni même l’amour tout court. Cependant, quelque soit l’algorithme appliqué, tu en as vu l’efficacité autour de toi. Au pire, ton passé d’escort te servira pour amadouer la personne qui te sera désignée. Si cela se produit un jour.

« Louis. » Sa voix est ferme comme rarement. Tu l’as fâché. Tu grimaces même s’il ne peut pas te voir. « Tu es une jeune personne merveilleuse. Je suis fier d’être ton beau-père. Même si…malgré…les conversations que nous avons pu avoir. S’ils ne t’apprécient pas à ta juste valeur là-bas, c’est qu’ils ne te méritent pas. Entendu ?
- Oui. » Tu déglutis.
Une pointe de suspicion fait son apparition dans la voix de Klemens. « On te traite correctement, au moins ? »
Tu souris. « Oui. »

La dernière fois que vous vous êtes parlés, malgré toute la patience, toute l’ouverture d’esprit de Jenna et de Klemens : ça s’est très mal passé. Tu te demandes même s’ils n’ont pas compris ce qu’il se passait avec toi, avec Isamu. Tu ne leur en as jamais parlé, bien sûr. Mais tu as commencé à pouvoir leurs envoyer cadeaux et colis, malgré les frais de ports exorbitants vu la distance. Alors ils se sont posés des questions. Ils ont dû imaginer le pire. Et toi, au lieu de les rassurer, tu as fui leurs interrogations, tu les as accusés de te traiter comme un gosse, de pas te faire confiance.
Tu n’es pas retourné dans ta famille depuis 2 ans. Ils te manquent. Tu te dis que maintenant que ton entreprise est lancée, tu peux retourner les voir. Sans trop les décevoir. Sans leur faire honte.

« Je…il doit se faire tard pour vous non ? » Ta voix est éraillée par l’émotion. « Je vais vous laisser. Embrasse maman de ma part. Et… » Deux ans. Deux ans que tu ne les as pas vus. C’est trop, beaucoup trop longtemps. « …Je vais essayer de passer les fêtes avec vous. Si vous me voulez.
- Toujours. » Impossible de manquer la joie dans sa voix. Elle ne fait que raviver ta culpabilité. T’es stupide, Louis.a. Ils méritent bien mieux.
« Alors…je t’embrasse, papa. » Tu raccroches, non sans avoir entendu sa brusque inspiration.
C’est la première fois que tu l’appelles ainsi. Et tu le fais alors que tu t’apprêtes à déménager à l’autre bout du globe.  

[…]




Louis Raskolnikov
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Louis Raskolnikov
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Histoire


Dernière partie


J'prends ma vie comme elle vient
Par les cheveux, par les reins
― Hyacinthe


- 2111- Tu n’as pas encore 24 ans, mais ça approche. Tu apprends à briller.


Tu dois briser ta promesse. Un problème avec une de vos commandes. Un embrouillamini avec un de vos sous-traitants et une commande pour l’O.M.G. est ruinée. Tu ne peux pas te permettre de ruiner ta réputation encore si fragile auprès des premiers à t’avoir fait confiance. Hors de question. Alors tu passes les fêtes à travailler avec Taiki.

Tu rates Noël, tu rates l’anniversaire de Brynja, mais tu te débrouilles pour venir pour le Carnaval. L’une de tes fêtes préférées, ça tombe bien. Tu restes autant que tu peux. Tu pleures, beaucoup trop, en les retrouvant mais eux aussi. Tu leur parles de ton diplôme de stylisme, de ta start-up, de « Hea(r)t ». Tu n’étais pas préparé mentalement à discuter jarretelles et boxers avec tes parents et c’est une discussion que tu tentes encore d’oublier. Tu aurais dû te douter qu’ils ne se contenteraient pas d’écouter et de t’encourager.
Tu ne parles pas d’Isamu.
Tu ne parles pas de ton passé d’escort.
Tu ne parles pas du testament et de ce chantage qui te fait honte.
Tu passes tes zones d’ombres sous silence et s’ils le remarquent, ils te laissent choisir ce que tu veux leur révéler ou pas. Tant que tu vas bien. Tant que tu prends soin de toi.

Ce n’est qu’à ton retour que tu annonces ton emménagement au Japon à tes amis, que tu leur rends enfin visite. Que tu assumes. Tu te sens serein et chanceux.
La présence de ton petit protégé, Haven, à Tokyo n’a pas guidé ta décision mais savoir que tu as cette possibilité à présent, de pouvoir lui rendre visite quand bon te semble, te conforte dans ton choix. Sacré bonus.

Tu es prêt.e à affronter ce que le destin (ou plutôt l’Incontestable) te réserve. Enfin, pour l’instant, tu te focalises surtout sur tes deux carrières. Celle d’égérie, sans laquelle tu ne pourrais pas vivre aussi confortablement et que tu n’es pas près de quitter, et celle de PDG d’une petite start-up qui étend ses ailes.

~

« Écoutez, M. Morgenstern, êtes-vous certain que vous n’encouragez pas votre confusion ? »
Tu cilles sans comprendre. « De quoi ?
- Cela fait 3 fois que nous nous voyons et sur deux de nos rendez-vous, vous avez préféré des pronoms féminins. Et je ne peux m’empêcher de remarquer… » Le docteur Kisumi désigne ta tenue du stylet qu’il utilise pour prendre des notes. Tu as comme une impression de déjà-vu.
Tu baisses les yeux sur ton jean blanc et teeshirt. Est-ce le motif ? (Un koala qui fait de la corde-à-sauter sur fond d'arc-en-ciel à paillettes.) Ou le khôl sur tes paupières qui provoque sa réaction ? Tu n’as pas vraiment envie de savoir au final.
« …que votre tenue reflète votre confusion. Vous semblez être un jeune homme en manque de repères, M. Morgenstern. Il est tout à fait normal de s’interroger. Mais il est aussi important de se fixer des repères pour arriver à se construire. Je vous propose un petit exercice pour notre prochain rendez-vous. Cessez de parler de vous au féminin. Obligez-vous à employer toujours les mêmes pronoms. Vous verrez.
- Je vois…Oui…mais non. Je…vous remercie pour votre temps, Dr Kisumi mais…je pense qu’on va en rester là. »  

Tu as ta routine, tes amis, un travail que tu adores au Japon. Tu es l’exemple même d’une intégration réussie. Ton seul regret, en dehors de la distance avec ta famille, ton vrai seul échec, est que tu n’as pas encore réussi à trouver un psychiatre qui te convienne. Le docteur Kisumi est peut-être très compétent mais tu as du mal à t’en convaincre : le courant ne passe pas. De plus, clairement, les questions de genres ne sont pas sa spécialité. Tu regrettes profondément le Dr Lahey. Tu sais qu’en cas de réelle urgence, elle accepterait sûrement de te prendre au téléphone. Mais il faut être réaliste, ta psychiatre ne peut pas se trouver en Islande et toi au Japon. Tu trouveras. Tu es déjà plus stable et assuré.e, même si tu n’as toujours pas de réponse, même si tu as toujours tes jours de doutes.

Hea(r)t est une béquille, un exécutoire inattendu. Elle décolle doucement ta petite start-up. Elle a survécu à sa première année. Et tu as ta première interview dans quelques jours, pour raconter ton parcours pour un magazine de charme local.
C’est un début.
Tu as hâte.

~  


C’est au détour d’une conversation, avec quelques jours de retard que tu apprends l’existence du fameux ‘Dysfonctionnement impossible de la Machine.’ . C’est parce que tu n’es pas directement concerné.e que tu en pleures presque de rire. Ayane, la 1ère mariée par cette fameuse Lettre de votre petit groupe d’amis, s’était montrée tellement déconfite quand tu l’as contactée pour avoir des nouvelles. ( Et pour la taquiner un peu.) A croire qu’on lui a annoncé que la Petite Souris n’existe pas.
Tu ne les as jamais vu aussi confus, aussi perdus, tous ces couples mariés et heureux autour de toi. Tu ne vois pas ce que ça change réellement pour eux. Ils n’ont pas besoin d’une Machine pour leur dire d’embrasser leurs conjoints.
Au fond, tu es bien content.e de ne pas avoir à t’occuper de cette crise. Ta nouvelle collection t’accapare bien assez.



Stars are not small or gentle



Un jour, j'irai sur la lune, un jour, j'irai
Et si j'disais que j'en étais sûr, j'te mentirais
 ― Lomepal

« Maman, maman ! C’est un monsieur ou une madame ? » Ce chuchotement trop bruyant, d’enfant qui n’a pas encore appris à se faire discret, te fait sourire.
La voix, marquée par l’embarras, de la mère s’élève aussitôt à son tour :« Chut ! Kenta, ça se fait pas de montrer du doigt ! Chut !»

Tu croises ton reflet dans une vitrine. Tu portes ta paire de baskets fétiche. Tu adores la manière dont les paillettes argent qui les recouvrent scintillent à la lumière. C’est ton côté pie, même si tu t’imagines plus dragon : tu aimes ce qui brille. Aujourd’hui, tu ne portes ni robe, ni jupe et encore moins de talons. Ce n’est pas faute d’avoir essayé pour ces derniers, ils te font des jambes de rêves. Cependant tu ressembles à un canard sur échasses quand tu en mets, sans parler de la torture à laquelle ils soumettent tes pieds. Sans façon. Tu ne les sors que pour le travail.  Ta silhouette longiligne est enveloppée dans un pull pastel trop grand assorti d’un jean délavé et déchiré aux genoux. Tu ne te démarques pas plus que ces lolitas ou aspirants Idols qui colorent parfois cette rue passante. Ton style n’est pas assez atypique pour susciter une telle attention.
C’est peut-être ce khôl qui étire tes yeux, les discrètes paillettes qui scintillent sur ta peau qui l’ont intrigué. Tu te sens de plus en plus souvent nu, incomplet, sans maquillage. Déformation professionnelle.
À moins que ce soit tes cheveux, que Jenna rêve de couper depuis des années. Plutôt mourir que t’infliger la coupe-courte, presque militaire, qu’elle aime tant. Surtout qu’à présent, après de longues années d’attente, tes boucles blondes balayent enfin le milieu de ton dos. Au moins, eux, coopèrent. Contrairement à cette barbe que tu n’as jamais réussi à faire pousser. Tu as bien fait une brève tentative à la fac, avant de te rendre à l’évidence : tu ressemblais, au mieux, à un gosse qui s’était collé des poils sous le nez pour jouer au grand. Ou peut-être est-ce de la faute de tes oreilles légèrement pointues qui inspirent et désespèrent à la fois les photographes pour lesquels tu travailles.

Ton reflet vend des mensonges. Tu es un faux frêle, un faux fragile, en dépit de l’inhalateur toujours présent dans une tes poches. Ton asthme est sous contrôle à présent : finies les visites nocturnes aux urgences alors que tu jouais les poissons hors de l’eau. Tu restes plus sensible que la normale au froid, tu fuis les parfums trop forts et les chats mais ce n’est rien comparé à ce que tu as pu endurer.
Ta minceur est trompeuse. Ton corps modelé par des années de Tai-chi et de Yoga, par une alimentation soigneusement contrôlée. (Ce n’est pas un sacrifice. Tu es difficile quand il s’agit de nourriture. Après des années à profiter des petits-plats d’un chef à la maison, le reste est bien fade en comparaison.) Cela te donne un air élancé. Tu parais grand alors qu’avec ton 1m77, tu es même un peu plus petit que l’islandais moyen.

Au final, Louis.a, tu es une illusion soigneusement entretenue. À grands-renforts de crèmes et de soins. Pas seulement parce que ta silhouette, l’ambiguïté de tes traits fins, sont ton gagne-pain. Tu es terrifié à l’idée de perdre le contrôle, de voir ton reflet t’échapper.
Cette androgynie n’est pas que la particularité qui t’a donné ton poste d’égérie. C’est toi.
Blond aux yeux bleus, la peau claire, tu es l’incarnation de l’islandais des livres de géographie. Avec plus de paillettes que la moyenne.  Tu aimes prendre soin de toi, tu aimes te sentir beau, être regardé. Tu aimes de détacher du lot.
Te jouer des apparences, des regards qui se posent sur toi, tu l’as appris quand tu as choisi de poser en sous-vêtement.  Utiliser tes sourires comme autant de masques, pour ravaler tes larmes et protéger tes incertitudes, tu l’as découvert bien avant ton changement de carrière. Tu projettes une impression de décomplexion, de complicité facile, de promiscuité entendue et pourtant tu danses hors de portée dans un rire, une boutade, quand on t’approche de trop. Tu fais le premier pas. Toujours.

L’expression ‘ne pas juger un livre par sa couverture’ aurait pu être inventée pour t’illustrer.
Un regard étranger te pensera perdu entre deux âges, jeune sans trop pouvoir te définir. Il se laissera prendre à la fausse ingénuité de tes traits. Il suffira d’épier tes regards enjôleurs, tes sourires mutins, de découvrir tes poses lascives sur papier glacé, de repérer l’éclat de ce petit bijou qui traverse ta langue pour se raviser. D’angélique, tu n’as rien.





They are writhing and dying and burning


A la dérive sous les étoiles
Je suis les épines et les pétales
― Hyacinthe


Tu n’as jamais apprécié les cases. Elles étaient des suggestions dans tes livres de coloriage. Les étiquettes t’étranglent et te déchirent. Parfois, tu te sens comme un puzzle dont tu n’aurais pas encore toutes les pièces, d’autre fois tu te dis que c’est le monde qui n’a rien compris. Il t’a fallu longtemps pour comprendre qu’elles n’étaient pas pour toi ces cases. Des années de thérapies pour l’accepter. Et aujourd’hui, tu te cherches encore. Parfois tu te sens homme, parfois tu te sens femme, bien souvent tu ne comprends pas pourquoi tu devrais choisir ou te définir.
T’as juste envie de te sentir bien, t’as juste envie de sourire à ton reflet dans le miroir, d’apprécier la caresse du tissu sur ta peau, le contraste de ton crayon avec le bleu de tes yeux.

Ces fêlures, elles ne sont qu’à toi. La plupart du temps, tu n’y penses même pas. Tu ne te dévoiles pas facilement, pas quand il ne s’agit pas simplement de se délester de vêtements. Tu n’aimes pas prendre des risques avec tes sentiments. Par tes sourires, par tes taquineries, tes flirts, tu fuis cette sensation de vulnérabilité, cette perte de contrôle inacceptable.

Tu mens. Souvent. Pas toujours volontairement, ni au meilleur moment. Des petits mensonges, parfois bien inutiles qui fusent. Pour justifier un retard. Justifier une mine fatiguée. Camoufler un accro. Raconter une histoire au lieu d’avouer que tu as passé la soirée vautrée sous ta couette. Tu te noies parfois dans ces fausses vérités. A croire que tu as du mal à laisser les autres t’approcher pour de vrai. Tu les aimes ces autres mais à distance, sous ton contrôle. Tu n’es pas fait.e pour rester seul.e .
La plupart du temps, tu as besoin de bouger, de sortir, d’être entouré.e. Tu digères mal ton endurance encore faiblarde, la Ventoline que tu gardes toujours avec toi. Tu es fier.e, un peu trop, comme si tu avais quelque chose à prouver.

Tu aimes prendre le rôle du protecteur et du guide avec tes amis. Quitte à mentir, quitte à prétendre, au risque de les mener dans une impasse au lieu du restaurant attendu. Parce que tu gères. Heureusement, tout le monde est connecté, tout le monde a l’appli qu’il faut dans sa poche de nos jours. Vous avez retrouvé votre chemin mais avec plus d’une demi-heure de retard, vous avez perdu votre réservation ce soir-là.  Même avec tes amis, même au risque d’avoir tort, il faut que tu guides, que tu diriges. Toujours au centre de la scène, Louis.a, au centre de l’attention.

Sans surprise, tu es possessif avec les personnes que tu aimes au point d’en devenir égoïste parfois, envahissant souvent. Tu ne partages pas. Tout simplement. Si tu sais comment attirer l’affection, la compassion, et que tu en joues, tu en profites sans moindre honte, tu t’attaches plus difficilement. Ta relation avec Isamu t’a écorché.e sans que tu n’en prennes conscience, t’a rendu prudent.e. Ce n’est pas des autres que tu te méfies mais de toi, de tes travers, de tes manipulations faciles, de ta cupidité.

La rumeur dit que les premiers mots prononcés par un enfant sont révélateurs. Personne ne s’est jamais étonné d’entendre les tiens. ‘Non. A moi.’.

Mais tu ne laisses jamais bien longtemps remords ou regrets t’assombrir : tu n’as pas le temps. Tes journées s’écoulent dans un rythme effréné  ainsi que tes nuits. Tu restes tourné.e vers l’avant. Tu t’interroges parfois sur l’Incontestable, cette lettre qui t’attendra peut-être un jour, cette personne aussi. Tu n’es pas inquiet.e. Parce que charmer est dans ta seconde nature, parce que tu es familier.e avec les désirs humains grâce à ta courte expérience d’escort.

Tu crois en l’amour. Impossible de le nier en ayant en grandi auprès de Klemens et de Jenna, entouré.e par l’affection qu’ils se portent. Tu ne penses pas que tu trouveras l’amour à l’autre bout de cette lettre rose, tu n’es pas certain non plus de vouloir le trouver. Cependant, tu ne serais pas contre trouver ton Klemens. Celui ou celle qui t’arracherait les mêmes sourires que tu as si souvent observés sur ta mère, qui t’offrirait la même tendresse gratuite.

Tu la chérirais cette personne, la protégerais, jalousement. Gare à ceux qui convoiteraient ce qui t’est précieux. Tu es pire qu’un dragon dès qu’il s’agit de tes trésors.


Louis Raskolnikov
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Alors déjà ; ❤❤❤.
Ensuite tu sais déjà tout ce que je pense de Louis.a mais je le redis en un mot : jelem. ❤❤❤
Et jtm aussi. ❤

Et bon courage au modo pour la taille de la fiche. There is no easy way from the earth to the stars 2078551763
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je veux qu'iel me marche dessus merce
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Alors, déjà : OH MON DIEU, LEGOLAS There is no easy way from the earth to the stars 2903594549
Ensuite : Je te souhaite la (re)bienvenue par ici, bonne chance pour ta fiche et ta validation ! ♥
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Jetem. Jelem. Tu sais ce que je pense de ta fiche, hein ? Tqt, je vais la relire et t'inonder sous les nouveaux commentaires. There is no easy way from the earth to the stars 4115966937
Et puis, trois posts... RIP les modos 8D. On vous a aimés. There is no easy way from the earth to the stars 3766924225
PS : Dégage Teare. Je voulais le premier post There is no easy way from the earth to the stars 367806265
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Cho et Teare  les plus beaux ( et petit)There is no easy way from the earth to the stars 3488335006 There is no easy way from the earth to the stars 2837704232  J'vous aime merci ;w;  ♥

Aki' :...iel enfilera ses plus beaux talons ? There is no easy way from the earth to the stars 3766924225

*hi-5 Min qui a bon goût* merci ♥

Et Mako', toi, t'es un vrai ! There is no easy way from the earth to the stars 2900933843

J'ai fini de relire la 1ère partie, je m'occupe du reste demain. o/
Louis Raskolnikov
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Tellement de lecture There is no easy way from the earth to the stars 1451543918
Jelem, tu le sais.
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C'est terminé. J'espère que je n'ai pas oublié trop d'horreurs orthographiques. D:  J'vais relire encore.

Hubby d'un autre moi : ♥
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Et bien que voilà une fiche particulièrement bien écrite et très intéressante There is no easy way from the earth to the stars 4115966937
Les trois posts se sont lus tous seuls, avec une grande facilité parce que c'est très fluide, bien écrit et que Louis.a est adorable ! J'aime beaucoup ce personnage, le développement qu'il a et ce que tu en as fait ! There is no easy way from the earth to the stars 4115966937

Amuse-toi bien avec There is no easy way from the earth to the stars 1362171446

Tu es validé(e) !

Toutes mes félicitations, votre fiche est validée !

N'oubliez pas :
• De remplir les champs de votre profil.
• De réserver votre avatar ; Réservation avatars
• Si vous souhaitez trouver des partenaires pour vous lancer, n'hésitez pas à faire un tour par ici ! ♥
• Dans l'ordre, vous pouvez faire une demande de conjoint ici, ensuite vous faites une demande d'habitation ici et enfin, vous pourrez valider votre mariage ici.
• De faire un peu de pub autour de vous pour le forum et de voter régulièrement aux tops sites. ♥

& Surtout, AMUSEZ-VOUS !

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